De Lomé à Cotonou : La nouvelle politique européenne de coopération La dimension commerciale de l’intégration régionale

Francis Kern, Université de Strasbourg (BETA)

Claire Mainguy, Université de Strasbourg (BETA)

Les pays d’Afrique -Caraïbes - Pacifique (ACP) et de l’Union Européenne (UE) ont décidé la mise en place d’une zone de libre-échange entre eux dans le cadre d’un accord signé à Cotonou le 23 juin 2000. L’accord redéfinit l’ensemble de la coopération européenne et fait suite aux accords de Lomé (1975-2000). Il abandonne le système de préférences commerciales qui prévalait jusque là pour des « accords de partenariat économique » (APE) dont un des principaux buts est d’appuyer les initiatives d’intégration régionale entre pays ACP. Les négociations des APE commencent en septembre 2002.

Mots-clefs : coopération économique internationale, politique de coopération, relations économiques entre l’UE et le reste du monde.

Citer cet article

Francis Kern , Claire Mainguy « De Lomé à Cotonou : La nouvelle politique européenne de coopération La dimension commerciale de l’intégration régionale », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 7, 26 - 28, Hiver 2002.

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Le nouvel accord repose sur la remise en cause du modèle de relations Nord-Sud sur lequel étaient fondés les accords de Lomé mais il prend aussi en compte l’évolution du contexte international et l’évolution des préoccupations des pays membres de l’UE.

Bien que cela ne constitue pas un prérequis, une « intégration profonde », sur le modèle de l’UE, apparaît clairement comme un facteur favorable lors de la négociation d’un APE qui se concrétiserait par la réalisation d’une zone de libre-échange entre une région du Sud et l’UE.

L’orientation choisie par l’accord de Cotonou est d’autant plus importante que des développements théoriques récents tendent à montrer que les accords commerciaux Nord-Sud (zones de libre-échange ou unions douanières) sont plus favorables à un processus de convergence des économies que les accords Sud-Sud.

1 Les limites des accords de Lomé

Dans le domaine commercial, deux originalités des accords de Lomé doivent être évoquées : les mécanismes de stabilisation des recettes d’exportation et le système de préférences commerciales. Le stabex et le sysmin avaient été conçus dans le but de limiter l’impact des fluctuations des cours sur les recettes d’exportations de matières premières agricoles et de produits miniers des pays ACP et les fonds versés devaient notamment permettre une diversification. Les bilans sont plutôt négatifs, soit en raison du mécanisme lui même, soit en raison de sa mise en œuvre. En premier lieu, les fonds étaient insuffisants pour répondre aux besoins et le mode de calcul des versements ont focalisé les transferts sur un nombre limité de pays et de produits. En second lieu, des abus ont conduit à rechercher plus de transparence et donc un contrôle plus important de la part de la Communauté européenne. De ce fait, les délais nécessaires au décaissement sont devenus incompatibles avec l’objectif de stabilisation. De plus, l’utilisation des fonds du stabex n’a pas permis la diversification souhaitable.

Le système de préférences accordées par la communauté européenne est également vivement critiqué pour son manque de résultats. Malgré quelques exceptions notables comme l’Île Maurice avec le textile, il n’a pas empêché la marginalisation commerciale d’un grand nombre de pays ACP. Le manque de compétitivité des économies ACP les a souvent empêchées de bénéficier des préférences accordées sur un grand nombre de produits. Et, finalement, les négociations commerciales multilatérales qui se sont traduites par une baisse significative des barrières douanières, ont entraîné une érosion significative des préférences.

Ce constat s’inscrit dans un contexte de « fatigue de l’aide », une lassitude des opinions publiques et des gouvernements renforcée par les contraintes budgétaires et la diminution des pressions politiques liées au clivage Est-Ouest.

L’évolution de la coopération européenne est aussi le reflet des évolutions internes : les accords de Lomé signés en 1975 cherchaient à prendre en compte les liens historiques des pays membres de l’époque. Les centres d’intérêt des 15 membres actuels se sont élargis à d’autres zones géographiques (Asie du Sud-Est, Amérique Latine, les pays méditerranéens). L’élargissement de l’U.E. aux pays de l’Est tend probablement aussi à distendre les liens privilégiés établis avec les pays du Sud.

In fine, les accords préférentiels ne sont pas compatibles avec les règles fondamentales de l’OMC.

2. Le modèle de l’intégration européenne dans l’accord de Cotonou

L’U.E. est l’exemple unique d’une dynamique d’intégration économique qui « transcende » une simple zone de libre échange voire une union douanière. L’accord de Cotonou prend en compte cette originalité et préconise de diffuser non pas le modèle spécifique d’intégration qu’est aujourd’hui l’U.E. mais les dynamiques d’intégration économique régionale dans l’espace A.C.P.

Le double pari de l’accord est premièrement de considérer que la dynamique d’intégration régionale va permettre une accélération de la croissance et des capacités de développement des A.C.P., deuxièmement que dans le cadre de la libéralisation des échanges impulsée par l’O.M.C. la meilleure manière d’éviter une marginalisation des pays les moins avancés (dont 38 sur 47 appartiennent aux A.C.P.) est de leur permettre de s’intégrer dans des communautés économiques régionales qui seront les seules à bénéficier d’accords de libre échange avec l’U.E.

La constitution d’un marché régional permettra de stimuler la production industrielle et agricole de chaque économie nationale, condition nécessaire pour la croissance de leurs exportations qui pourront bénéficier des accords de libre échange avec l’U.E.

L’histoire de l’intégration économique européenne nous rappelle que ce n’est pas seulement la constitution d’un marché commun puis unique qui a porté la croissance. L’élargissement du marché européen a essentiellement reposé sur la dynamique des nouvelles formes d’organisation du travail et de la production et des dispositifs institutionnels conduisant à des compromis sociaux sur la répartition des gains de productivité. Cette remarque illustrerait les limites d’une approche de l’intégration en termes de relations commerciales comme l’envisage l’accord de Cotonou.

Néanmoins la mesure des effets intrinsèques de l’intégration régionale peut apporter une réponse au moins partielle au défi du développement des pays ACP sachant que les échanges commerciaux ne constituent qu’un des volets de l’accord.

3. La convergence au sein des intégrations régionales Nord-Sud ?

L’intégration régionale entre pays à faibles revenus peut entraîner des divergences de revenus réels alors qu’une intégration Nord-Sud (entre des pays à revenus faibles et élevés) conduirait à une convergence des revenus, d’après Venables (2000).

Dans le cas d’une intégration Sud-Sud, une zone de libre-échange peut générer une diversion de flux commerciaux pour les pays ayant les avantages comparatifs les plus éloignés de la moyenne mondiale. Autrement dit, d’une part, une partie de la production pourrait se délocaliser vers les pays de la zone ayant l’avantage comparatif le plus proche de la moyenne mondiale (création de flux) et, d’autre part, une partie des produits qui venaient auparavant du marché mondial pourraient venir des autres pays de la zone en raison de l’abaissement des barrières douanières (diversion). Les risques de diversion seraient plus grands pour le pays dont les avantages comparatifs sont les plus éloignés de la moyenne mondiale. Il pourrait perdre en termes de revenus réels.

Ces analyses posent des questions à deux niveaux pour ce qui concerne l’accord de Cotonou. D’une part, ils encouragent, dans un premier temps, des accords régionaux qui seraient pour la plupart de nature Sud-Sud. Or, certains échecs d’expériences d’intégration régionale notamment en Afrique de l’Est (marché commun d’Afrique de l’Est dans les années soixante) et en Afrique de l’Ouest (CEAO) mettent effectivement en évidence le problème de la répartition des gains et des pertes de l’intégration régionale. D’autre part, une zone de libre-échange avec l’union européenne serait, elle, de nature Nord-Sud et donc a priori une force de convergence.

Étant donné les structures d’exportation des économies ACP traditionnellement spécialisées sur des produits primaires, il paraît aussi essentiel d’analyser les effets de ces accords régionaux en termes d’instabilités.

Conclusion

Les accords de libre échange s’inscrivent dans des accords plus larges évoqués ci-dessus, les Accords de Partenariat Économiques, qui incluent les questions de financement des projets et programmes de développement. Nous analyserons dans un prochain bulletin les interactions qui peuvent exister au sein des Accords de Partenariat Économique entre libre échange et développement.

Bibliographie

Bocquet D. (2000), La nouvelle politique européenne de coopération , Les notes bleues de Bercy, n°187, du 16 juillet au 31 juillet 2000.

Commission européenne (2000), Accord de partenariat ACP-UE signé à Cotonou le 23 juin 2000, Courrier ACP-UE, septembre 2000.

Gabas J.-J. (dir) (1999), L’Union Européenne et les pays ACP, GEMDEV, Karthala.

GEMDEV (1998), La convention de Lomé en questions, Karthala.

Venables A. J. (2000), Les accords d’intégration régionale : facteurs de convergence ou de divergence ?, Revue d’économie du développement.

Droits et Permissions

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