Éditorial – Fiscalité : Diviser pour régner

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

Partager l’euro et un marché unique sans, en parallèle, veiller à une véritable harmonisation des fiscalités et des charges sociales génère des coûts considérables. Imagine-t-on un État fédéral bâti sur le principe de la concurrence entre les systèmes fiscaux et sociaux de ses régions ? Beaucoup de citoyens européens pensent qu’une telle harmonisation est souhaitable.

Mots-clefs : concurrence fiscale, harmonisation des politiques, harmonisation fiscale, union fiscale.

Citer cet article

Michel Dévoluy « Éditorial – Fiscalité : Diviser pour régner », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 31, 1 - 2, Hiver 2014.

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Partager l’euro et un marché unique sans, en parallèle, veiller à une véritable harmonisation des fiscalités et des charges sociales génère des coûts considérables. Imagine-t-on un État fédéral bâti sur le principe de la concurrence entre les systèmes fiscaux et sociaux de ses régions ? Beaucoup de citoyens européens pensent qu’une telle harmonisation est souhaitable. Pourtant, ce thème n’est pas sur l’Agenda politique de l’UE. Plus précisément, le monde politique en parle beaucoup, mais l’échéance est sans cesse repoussée, à plus tard. L’explication est récurrente : les Européens ne sont pas prêts à discuter du problème. C’est un peu court ! En réalité, les décideurs politiques et économiques ont plutôt intérêt à l’immobilisme. Face à eux, les citoyens sont très nombreux, mais peu puissants.

L’absence d’harmonisation fiscale a quatre effets négatifs :

  • des distorsions entre les mécanismes de formation des prix (hors TVA) des biens et des services ;
  • des délocalisations liées à la mobilité des bases d’imposition ;
  • L’entretien d’une hétérogénéité structurelle entre les économies. Ceci est particulièrement dommageable au sein de la zone euro qui n’a plus de taux de change pour compenser les asymétries entre les économies nationales ;
  • des effets politiques délétères car chaque État membre a tendance à considérer qu’une partie de ses difficultés provient de la concurrence déloyale des systèmes fiscaux et sociaux de ses partenaires. On retrouve là un argument électoral amplement mobilisé, à droite comme à gauche. Et il fait souvent mouche !

Ceci dit, les traités européens sont clairs. Les questions fiscales et sociales relèvent directement des souverainetés nationales. En conséquence, l’unanimité des Etats membres est requise pour tout changement. On en déduit alors que tout est figé par les textes. Ce frein juridique est une aubaine pour les gouvernements. Ils préfèrent le statu quo car choisir l’harmonisation requiert une forme d’union politique, c’est à dire une perte des souverainetés nationales. Bref, pour conserver leurs pouvoirs entiers, les responsables politiques nationaux ont intérêt à ce que rien ne change vraiment.

Mais les freins vers l’harmonisation ont aussi d’autres causes. Certains craignent une harmonisation par le haut, ce qui leur ferait perdre leur compétitivité. D’autres, au contraire, redoutent une harmonisation par le bas qui entamerait leurs modèles sociaux. Difficile à ce stade de trouver un compromis. Du coup, le réalisme politique, axé sur le court terme, suggère là encore l’immobilisme.

L’hétérogénéité fiscale et sociale est lourde de conséquences pour les citoyens. La concurrence fiscale pèse sur les coûts salariaux et sociaux. Elle entame les revenus et la protection des salariés. Par contre, les profits des grandes entreprises sont favorisés.

L’attraction pour le maintien de l’hétérogénéité se révèle dans l’attitude des grands entrepreneurs et des défenseurs d’un libéralisme radical. Il est éclairant de rappeler ici que leurs engagements en faveur de l’intégration monétaire avaient été sans faille avant la création de l’euro. Ce devait être le dernier grand pas pour ouvrir sur l’Europe politique. Depuis, c’est la panne. On observe désormais un grand silence sur l’intégration fiscale et sociale, et donc sur l’intégration politique.

Rien de surprenant, puisque l’absence d’harmonisation favorise les stratégies offensives des grandes entreprises et contribue à préserver les pouvoirs des hommes politiques nationaux. Les gagnants sont donc plutôt les entreprises et les gouvernements. Les perdants sont les autres, et surtout les salariés. Ces derniers n’auraient à redouter l’harmonisation que si elle se faisait vers le bas. Mais cette hypothèse est improbable car, dans ce cas, certes avec un certain cynisme, les entreprises pousseraient à l’harmonisation ! Au total, ce n’est pas un hasard si beaucoup de citoyens pensent que l’harmonisation est nécessaire, alors que rien ne progresse dans ce sens. Étrange fonctionnement de la démocratie, à moins que la logique à l’œuvre soit simplement « diviser pour régner ».

L’ouverture du chantier de la converge fiscale et sociale est indispensable. Il faudra du temps pour aboutir. Enclencher le mouvement marquerait un pas décisif. Mais il faut pour cela une vision de long terme.

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