La Politique Agricole Commune poursuit son évolution

Damien Broussolle, Institut d'Etudes Politiques, Université de Strasbourg (LaRGE),

L’Union européenne (UE) est entrée dans une phase de négociation sur la future programmation budgétaire 2014-2020. Ces négociations se déroulent dans un climat difficile, à la fois du fait de la crise budgétaire qui frappe la plupart des pays européens, mais aussi parce que « l’esprit européen » s’est essoufflé. Ces négociations, qui portent aussi sur la répartition du budget entre les différentes politiques, sont généralement l’occasion d’introduire des réformes, c’est le cas de la Politique Agricole Commune (PAC).

Mots-clefs : développement durable, intervention sur les marchés, Politique agricole commune (PAC).

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Damien Broussolle « La Politique Agricole Commune poursuit son évolution », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 27, 23 - 26, Hiver 2012.

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Un contexte particulier

Au-delà des débats habituels sur les volumes budgétaires alloués à l’agriculture, les discussions s’inscrivent dans un contexte sensiblement différent de celui de la précédente programmation budgétaire. Lors du précédent round, elles avaient été tout à la fois marquées par les négociations internationales en cours à l’époque et par l’élargissement de 2004. D’un côté, il s’agissait de rendre le fonctionnement de la Politique Agricole compatible avec les règles de l’OMC, notamment en déplaçant les soutiens agricoles, de l’intervention sur les marchés vers des aides aux revenus. De l’autre, il fallait absorber un accroissement sensible du nombre d’agriculteurs et de la production, qui aurait pu faire s’envoler le budget de la PAC. Le cadre budgétaire agricole avait ainsi été fixé avant l’entrée des Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), c’est-à-dire sans qu’il puisse participer aux décisions.

A présent, les pressions internationales à l’ouverture des marchés agricoles se sont atténuées. Les négociations à l’OMC sont encalminées, alors que le spectre de pénuries agricoles, combiné à la récente crise économique internationale, fait craindre des variations de prix brutales. La problématique actuelle est donc plutôt celle de la sécurité alimentaire et de la stabilité des prix. Les Nouveaux Etats Membres (NEM) entendent cette fois-ci être pleinement associés aux négociations. Deux préoccupations les animent. D’une part ils souhaitent obtenir la convergence des aides directes pour leurs agriculteurs, qui pour l’instant ne bénéficient pas des mêmes taux qu’à l’ouest. Ainsi par exemple, les agriculteurs des Etats Baltes qui ont manifesté cet automne à Bruxelles, ne reçoivent qu’un quart des montants perçus par leurs homologues des anciens Etat membres.

Les NEM veulent d’autre part éviter la renationalisation de la PAC, qui leur serait défavorable puisqu’ils auraient à mettre la main au portefeuille pour financer cette mise à niveau. Il faut en outre souligner le renversement de la tendance à la marginalisation de l’agriculture, qui prévalait jusqu’à présent dans les anciens Etats membres. L’arrivée de « poids lourds » agricoles, sinon en valeur ajoutée, du moins en emplois et en surface agricoles, change en partie la donne. Les pays agricoles peuvent par ailleurs compter sur le fait, qu’en application des nouvelles procédures résultant des Traités, pour la première fois le parlement sera consulté. Ces différents éléments expliquent que les propositions soumises à la discussion par la Commission introduisent plus des évolutions que des transformations. Sur plusieurs points elles apparaissent d’ailleurs en retrait sur ce qui aurait été envisageable.

La poursuite de la baisse des fonds alloués À l’agriculture

En premier lieu il convient de s’intéresser au montant total prévu pour l’agriculture dans le cadre du futur budget de l’Union européenne (UE).

Il y a là un double enjeu, qui concerne à la fois de la place de cette politique dans l’ensemble de l’intervention communautaire, mais aussi celui de l’équilibre des contributions nettes nationales (versement au budget de l’UE – retours). Il faut en effet rappeler que, d’une part c’était pour contrebalancer un trop faible retour agricole que Mrs Thatcher avait obtenu en 1984 un remboursement partiel de la contribution britannique  [1], et que d’autre part c’est grâce à la PAC que la France se trouve dans une situation faiblement déficitaire. Sa contribution nette est d’environ 5 milliards d’euros en 2010. Elle est toutefois en augmentation (3,6 en 2007). Toute réduction de l’intervention agricole se traduit mécaniquement par une hausse de la contribution nette française.

On sait que la part du budget de la PAC, dans celui de l’UE, diminue régulièrement depuis les années 1980 (graphique n°1). La nouvelle programmation amplifie cette tendance, puisque la part des montants prévus pour le titre 2 (Croissance durable : ressources naturelles) [2] qui représente l’essentiel de l’intervention agricole, n‘atteint plus que 37,4 % contre 43 % pour la rubrique équivalente de la programmation précédente. Si l’on ajoute certains compléments épars dans d’autres rubriques du budget général on atteint toutefois 40 %. De la même façon, la part des dépenses agricoles consacrées au développement rural (dénommées pilier II) continue sa lente progression au détriment des dépenses de soutien (pilier I), elle atteint 26,4 %. A la suite d’un accord franco-allemand, les montants de la PAC sont bloqués à leur valeur nominale de 2013, ce qui se traduit par une diminution progressive des sommes allouées annuellement aux deux piliers (CF. tableau en fin d’article). Elles vont ainsi baisser de 5,5 milliards d’euros sur l’ensemble de la période, contre 3,7 durant la précédente programmation.

Graphique n°1 Part du budget de la PAC dans le budget de l’UE

Source : Commission européenne, DG AGRI

La nouveauté du projet consiste à prévoir deux réserves, relativement modestes, pour faire face aux crises : 3,9 milliards d’euros pour les crises dans le secteur agricole et jusqu’à 2,8 milliards dans le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Le fonds d’aide alimentaire aux plus démunis qui, jusqu’à présent relevait de la PAC, disparaît sous sa forme antérieure. Son rattachement aux politiques d’insertion, comme l’introduction d’un cofinancement national, font craindre aux associations une plus grande complication de leur intervention et une diminution des montants effectivement alloués à l’aide alimentaire.

Une agriculture plus durable ?

À la place de l’intervention sur les marchés, la nouvelle programmation poursuit le basculement du soutien à l’agriculture vers les aides directes au revenus et leur homogénéisation (graphique n°2). Le passage aux paiements directs s’était fait de façon différenciée selon les pays en s’appuyant sur les valeurs historiques. Cela contribuait notamment à préserver la structure des versements. La nouvelle programmation prévoit de généraliser le paiement direct à l’hectare, de façon à découpler le versement, à la fois de la production et du type de production (aides forfaitaires). Ce faisant, elle se conforme aux principes de l’OMC, qui condamnent les aides couplées (proportionnelles) à la production.

Le projet de budget introduit une convergence régionale et internationale progressive des taux d’aides versés aux agriculteurs. Les Etats membres où les paiements directs sont inférieurs à 90 % de la moyenne de l’UE27, obtiendront une réduction d’un tiers de l’écart qui les sépare de ce seuil. Ceux qui sont au dessus de la moyenne, devront les diminuer de 1 % à 7 % au maximum. Pour les NEM cela représente donc un gain, pour d’autres pays, comme la France, une réduction.

Les aides de la PAC bénéficient traditionnellement aux plus gros producteurs et même aux propriétaires terriens absentéistes. La programmation introduit sur ces plans des correctifs, avec d’une part la modulation ainsi que le plafonnement du soutien, et d’autre part une référence aux agriculteurs actifs. Ces correctifs sont toutefois limités. Le plafond envisagé (300 000 €) s’entend hors coûts salariaux, ce qui épargnera les grosses exploitations recourant à des salariés. Sa réduction progressive à 235 000 € peut être considérée comme modeste. La définition des agriculteurs actifs est en outre particulièrement large, puisqu’en feront partie les propriétaires terriens dont la part de revenus non agricoles s’élève jusqu’à 95 % de leur revenu annuel. Cela a fait dire à l’eurodéputé Luis Capoulas Santos (groupe Socialistes & Démocrates) que : « selon les critères de la Commission, la Reine Élisabeth appartiendrait aux agriculteurs actifs ». Il faut malgré tout souligner qu’un régime spécifique pour les petits agriculteurs, permettant de tenir compte de l’agriculture vivrière de certains PECO, est créé. De la même façon, les jeunes agriculteurs bénéficieront, pendant leurs cinq premières années, d’un soutien augmenté de 25 %.

Graphique n°2 : Evolution de la répartition des dépenses de la PAC

Source : Commission européenne, DG AGRI

Le paiement unique à l’hectare reste assorti de mesures de conditionnalité verte (15 conditions à respecter, contre 18 auparavant). 30 % des paiements seront obligatoirement rattachés à trois d’entre elles : le maintien de pâturages permanents, la diversification des cultures, la préservation d’une « réserve écologique » de 7 % de terre non cultivée.

Pour remplacer les trois axes dans lesquels devaient s’inscrire les demandes de subvention au titre du développement rural (pilier II), la Commission en propose six nouveaux. Ils vont du soutien au transfert de connaissances et à l’innovation ; à la promotion de l’utilisation efficace des ressources ; la protection et le renforcement des écosystèmes, en passant par l’amélioration de la compétitivité ; ou encore la promotion de l’intégration sociale, la réduction de la pauvreté ; ou enfin la gestion des risques. 25 % de l’enveloppe nationale du développement rural devra concerner les questions relatives à la gestion des sols ainsi que l’adaptation et la minimisation des risques liés au changement climatique.

La fin de l’intervention sur les marchés

Enfin, du point de vue de la gestion des marchés, la réforme prévoit la fin des derniers dispositifs d’intervention (quota laitiers, droits de plantation viticole et quota sucrier à l’horizon 2015). Cette disparition complète des mécanismes d’intervention, voulue de longue date par les détracteurs de la PAC, intervient dans un contexte international d’instabilité croissante des marchés agricoles. Pour faire face à la volatilité des prix, une clause de sauvegarde permettra à la Commission de prendre des mesures d’urgence. Toutefois les fonds mis en réserve à cette fin (voir plus haut) apparaissent légers.

Les modifications associées à la nouvelle programmation budgétaire poursuivent les tendances précédentes et préservent l’essentiel de ce qui avait déjà été mis en place. Il reste qu’en vingt ans, depuis la réforme Mac Sharry, ces évolutions graduelles cachent une profonde mutation du fonctionnement de la PAC, elles consacrent notamment l’abandon de l’objectif originel de stabilisation des marchés. Ces changements accroissent aussi progressivement l’importance de la contribution nette française.

CRÉDITS D’ENGAGEMENT 2014 2017 2020 Total 2014-2020
1. Croissance intelligente et inclusive 64769 70745 76679 494763
dont : cohésion économique, sociale et territoriale 50464 54307 57501 379243
2. Croissance durable : ressources naturelles 57845 55357 52348 386472
dont : dépenses relatives au marché et paiements directs 42363 40582 38309 283051
3. Sécurité et citoyenneté 2620 2679 2794 18809
4. L’Europe dans le monde 9400 9960 10620 70000
5. Administration 8622 9019 9447 63165
dont : dépenses administratives des institutions 7047 7267 7561 51000
6. Compensations 27 0 0 27
TOTAL CRÉDITS D’ENGAGEMENT 143282 147759 151888 1033235
en pourcentage du RNB 1,10 % 1,08 % 1,06 % 1,08 %
TOTAL CRÉDITS DE PAIEMENT 133976 138776 138356 987599
en pourcentage du RNB 1,03 % 1,01 % 0,96 % 1,03 %

Cadre financier pluriannuel (UE-28, prix 2011) - 6/7/2012 (COM (2012)

Bibliographie

BUREAU Jean-Christophe et MAHÉ Louis-Pascal (2008) La réforme de la PAC au-delà de 2013 Une vision à plus long terme ; Notre Europe, note n°64, déc.

Gravey Viviane, 2011, Réformer la PAC pour quoi faire ? Cartographie du débat PAC 2013, N°04/11 avril.

SEC (2011) La politique agricole commune à l’horizon 2020 Commission européenne 1154 final, Bruxelles, 20 Oct.

COM (2011) Proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune, 625 final/2, Bruxelles, 19 Oct.

COM (2012), Proposition modifiée de règlement du conseil fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, 388 final, Bruxelles, le 6.7.2012


[1Le « chèque »britannique s’élevait en 2011 à près de 4 milliards d’euros. En fonction des compromis bruxellois, il est pris en charge en premier lieu par la France (823 millions d’euros), suivi de l’Italie (635 millions d’euros) et de l’Espagne (423 millions d’euros). En 2011, les premiers contributeurs au budget de l’UE ont été l’Allemagne (21,1 milliards et 19,7 % du budget), la France (19 milliards ; 16,4 %), l’Italie (14,5 milliards, 13 %) et le Royaume-Uni (12,9 milliards, 12,6 %).

[2Titre 2 du budget qui remplace la Conservation et gestion des ressources dans la programmation 2007-2013. Le changement constant des appellations et des périmètres budgétaires ne facilite pas les comparaisons.

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