De la souplesse pour renforcer le pacte de stabilité
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
Face à la réalité des déficits budgétaires le Pacte de stabilité et de croissance est apparu rigide et pas toujours équitable. Il a été modifié en 2005 afin d’améliorer sa mise en œuvre. La rigueur demeure la règle, sans exclure pour autant des appréciations qualitatives.
Mots-clefs : déficit excessif, déficits budgétaires et endettement public, Pacte de stabilité et de croissance (PSC).
Citer cet article
Michel Dévoluy « De la souplesse pour renforcer le pacte de stabilité », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 14, 30 - 32, Eté 2006.
La genèse des modifications
Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) s’inscrit dans le cadre général de la coordination des politiques économiques prévue dans l’article 99 du TCE. Il prend la forme d’une résolution du Conseil européen de juin 1997 et de deux règlements du Conseil du 7 juillet 1997. Sur le fond, l’objectif du Pacte est de soutenir la politique monétaire de la BCE axée sur la stabilité des prix en limitant les déficits publics des États membres. Concrètement, le PSC impose des règles et prévoit des sanctions.
Dès l’origine on a beaucoup discuté, en théorie, de la pertinence de ce Pacte. Certaines critiques s’adressent à sa conception générale en dénonçant l’impossibilité de conduire un véritable policy mix européen. D’autres se concentrent sur des questions plus techniques comme la définition des déficits à prendre en compte.
Mais il a fallu passer de la théorie à la pratique lorsque les finances publiques de plusieurs pays membres se sont détériorées, suite au ralentissement économique L’application effective des règles du PSC à cette réalité a posé des problèmes. Il n’est pas aisé de rappeler à l’ordre des grands pays fondateurs. Dans les faits, le PSC n’a pas vraiment été respecté. Il fallait donc le faire évoluer pour assurer sa crédibilité.
Les limites du PSC furent dénoncées dans une déclaration retentissante d’octobre 2002 où le Président de la Commission, Romano Prodi, le jugea « stupide comme toutes les décisions qui sont rigides ».
La Commission a envisagé des aménagements dès septembre 2002. La proposition officielle de réforme du PSC apparaît dans une communication du 3 septembre 2004 intitulée « Renforcer la gouvernance économique et clarifier la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance ». Sur cette base, le Conseil ECOFIN fit un rapport au Conseil Européen, le 20 mars 2005, intitulé « Améliorer la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance » afin de mettre à jour et compléter le Pacte. Le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 l’entérina et invita la Commission à proposer des règlements amendant ceux de 1997. Au final, deux règlements modificatifs ont été publiés au JO L 174 du 7 juillet 2005.
Les principes fondant les modifications
Le rapport du 20 mars 2005 présente des propositions visant à renforcer et à clarifier la mise en œuvre du PSC. Elles peuvent être synthétisées autour de trois axes.
- Le principe général est fermement maintenu.
La méthode fondée sur la surveillance multilatérale est réaffirmée et les deux ancrages nominaux sont confirmés : 3% pour le ratio entre le déficit comptable des administrations publiques et le PIB, et 60% pour le rapport entre la dette publique et le PIB. Les États membres sont invités à mieux soutenir le fonctionnement du PSC à travers la pression entre pairs et des dispositifs de gouvernance nationale appropriés.
- Mieux préciser les définitions des normes imposées par le PSC en s’attachant d’avantage aux situations spécifiques de chaque État. Ces clarifications se déclinent sous trois aspects.
- Le Pacte demande, en moyenne, une position budgétaire « proche de l’équilibre ou excédentaire ». Ici, le solde à prendre en compte est le solde structurel : c’est le solde comptable corrigé des variations conjoncturelles. De plus, cette contrainte d’équilibre sur le moyen terme est renforcée pour les pays les plus fragiles, c’est-à-dire ceux à forte dette et à potentiel de croissance réduit.
- Les déficits budgétaires liés aux réformes structurelles « vertueuses » sont exclus du calcul du solde structurel pris en compte pour définir la trajectoire d’équilibre de moyen terme. Cela concerne les dépenses budgétaires favorisant la croissance future et celles liées à la mise en place d’un pilier « capitalisation » dans le système des retraites. Mais cette souplesse de dispense pas du respect de la marge des 3 %.
- Les États qui n’ont pas réalisé leur objectif d’équilibre de moyen terme doivent profiter des conjonctures favorables, où la production dépasse son niveau potentiel, pour réduire leur déficit structurel d’au moins 0,5 % du PIB par an. Il s’agit ici d’éviter toute politique procyclique.
- Les procédures doivent être plus lisibles, plus efficaces et plus équitables.
- Il faut rallonger les délais dans les procédures de surveillance multilatérale et laisser plus de temps aux États pour se conformer aux exigences du PSC.
- La notion de « circonstance exceptionnelle et temporaire » qui autorise le dépassement du seuil de 3 % est révisée. Plutôt que de se référer à une croissance annuelle négative quantifiée par un chiffre (c’était moins 2%), il convient de constater que des circonstances temporaires indépendantes de la volonté de l’État affectent gravement les finances publiques.
Les modifications dans le texte
Le règlement (CE) n°1055/2005 modifie le règlement (CE) n° 1466/97 « relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques ».
La section 1 « Objet et définitions » ajoute un article 2bis. Désormais, des objectifs budgétaires à moyen terme d’une position budgétaire proche de l’équilibre ou excédentaire sont fixées à chaque État membre, en fonction de ses caractéristiques propres, dans le cadre des Grandes orientations de politiques économiques (GOPE). Ces objectifs sont revus à intervalles réguliers.
La section 2, traitant des « Programmes de stabilité » des pays de la zone euro, prend en compte les réformes structurelles pour définir la « trajectoire d’ajustement » vers l’équilibre (article 3). L’article 5 corrigé insiste sur la nécessité d’intensifier les efforts d’équilibre budgétaire pendant les périodes de conjoncture favorable et précise que « le Conseil prend également en compte les réformes structurelles majeures mises en œuvre, qui entraînent directement des économies de coûts à long terme, y compris par le renforcement du potentiel de croissance, et qui ont donc une incidence vérifiable sur la viabilité à long terme des finances publiques ». L’examen par le Conseil des programmes de stabilité des États membres s’effectue désormais dans un délai de trois mois au lieu de deux, après présentation du programme .
La section 3 sur les « Programmes de convergence » des États hors zone euro est également corrigée en cohérence avec l’ensemble.
Le règlement (CE) n°1056/2005 modifie le règlement (CE) 1467/97 « visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ».
La section 1 « Définitions et évaluations » allonge considérablement le contenu de l’article 2 afin de préciser plusieurs points. Dorénavant, le critère qui autorise un dépassement du déficit de 3 % est « un taux de croissance annuel négatif du PIB ou une baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance annuelle très faible du PIB par rapport au potentiel de croissance ». La barre des 2 % de croissance négative est donc abandonnée.
Lorsque la Commission élabore le rapport qui ouvre la voie à une procédure de déficit excessif, celui-ci doit apprécier quantitativement et qualitativement la situation de l’État et de ses finances. Il convient de prendre notamment en compte les éléments suivants : les stratégies qui soutiennent la croissance ; la viabilité de la dette ; les contributions à la solidarité internationale et à la réalisation des objectifs de la politique européenne. « Une évaluation globale équilibrée englobe tous ces facteurs » dit le texte. Par ailleurs, l’évaluation prend « dûment en considération la mise en œuvre de réformes des retraites consistant à introduire un système à piliers multiples avec un pilier obligatoire financé par capitalisation ».
La section 2 (articles 3 à 8) « Accélération de la procédure concernant les déficits excessifs » apporte plusieurs modifications. La durée des procédures ou les délais de réaction demandés aux États augmente de un à deux mois. Le déficit excessif doit, comme avant, disparaître dans l’année suivant la constatation de son existence. Mais désormais, la demande par le Conseil d’une correction d’un déficit excessif doit se traduire par une amélioration annuelle du solde budgétaire, corrigé des variations conjoncturelles, d’au moins 0,5 % du PIB. Si de nouvelles circonstances apparaissent après les recommandations, ou les mises en demeure du Conseil, celui-ci doit en tenir compte et les réviser, si nécessaire.
Enfin, le délai pour prendre des sanctions à l’égard d’un État qui n’a pas donné suite aux décisions successives du Conseil passe de dix à seize mois.
La section 3 « Suspension et surveillance » est modifiée de façon très mineure. La section 3 « Sanctions » ne change pas, bien que le mécanisme de sanctions financières frappant un État par définition déjà en difficulté ait été souvent critiqué. Mais il faut dire que l’Union n’a pas encore été confrontée à l’application de telles sanctions.
Bilan des modifications
Il ne s’agit pas ici de proposer une analyse générale du PSC mais seulement d’apprécier le sens des changements apportés.
L’arbitraire du niveau des seuils imposés reste : pourquoi 3 % et 60 % du PIB plutôt que des ratios différents ?
Le nouveau PSC accroît la pression des pairs dans le cadre de la surveillance multilatérale et individualise plus la responsabilité des États.
On notera également la présence appuyée de la question des retraites dans le nouveau PSC. Le choix de neutraliser les conséquences budgétaires de la création d’un pilier capitalisation peut apparaître comme une forte incitation à adopter ce système.
Les méthodes d’évaluation sont précisées. Le seuil de 3 % concerne le solde budgétaire comptable. Par contre, le solde retenu pour évaluer la trajectoire budgétaire proche de l’équilibre, ou excédentaire, est clairement le solde structurel.
La souplesse introduite dans le PSC provient de deux éléments.
- La prise en compte de l’impact budgétaire des réformes structurelles vertueuses et des aides internationales pour définir la trajectoire d’équilibre de moyen terme.
- L’introduction d’une appréciation qualitative pour évaluer les raisons d’un dépassement temporaires du seuil de référence et pour définir les circonstances exceptionnelles.
Les fondements économiques d’inspiration néoclassique du PSC demeurent. Les aménagements du PSC reposent toujours sur l’idée que l’économie est soumise à des cycles conjoncturels autour de son sentier de croissance naturel (ce sentier correspond au taux d’emploi naturel des facteurs de production) et que des politiques contra cycliques sont néfastes. En effet, le solde budgétaire comptable se définit comme la somme du solde conjoncturel qui découle du cycle économique et du solde structurel. Lorsque le PSC impose un solde structurel nul, le solde budgétaire comptable se réduit au solde conjoncturel issu du jeu des stabilisateurs automatiques : Le solde est positif quand l’économie est au dessus du sentier de croissance naturel ; le solde est négatif quand l’économie est en dessous. Puisque l’amplitude de ce solde conjoncturel est limitée à 3 %, le PSC ne laisse pas d’espace aux politiques budgétaires discrétionnaires de soutien à la conjoncture. Au total, le nouveau PSC maintient le principe de la politique de rigueur qui se défie des politiques interventionnistes. Mais il ouvre la voie aux appréciations qualitatives qui éviteront sans doute des décisions politiques délicates.
Pour aller plus loin :
Lang G., « Les politiques budgétaires et le Pacte de stabilité », in Dévoluy M. (dir.), Les politiques économiques européennes, Points Seuil, 2004.
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