Editorial — Non au Consensus de Bruxelles
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
Le "Consensus de Washington" est connu depuis le milieu des années 1980. Il sert à qualifier les politiques, largement inspirées par le FMI, qui font surtout peser sur les plus faibles le poids du redressement des finances publiques des Etats en difficulté. Désormais, il faudra plutôt parler de son avatar : le "Consensus de Bruxelles". L’Europe est en effet aux avant-postes dans la lutte pour la rigueur budgétaire.
Mots-clefs : consensus de Bruxelles, consensus de Washington.
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Michel Dévoluy « Editorial — Non au Consensus de Bruxelles », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 22, 1 - 2, Eté 2010.
Le "Consensus de Washington" est connu depuis le milieu des années 1980. Il sert à qualifier les politiques, largement inspirées par le FMI, qui font surtout peser sur les plus faibles le poids du redressement des finances publiques des Etats en difficulté. Désormais, il faudra plutôt parler de son avatar : le "Consensus de Bruxelles". L’Europe est en effet aux avant-postes dans la lutte pour la rigueur budgétaire. Cette posture de défiance absolue envers les déficits publics est affirmée par la Commission. On la retrouve également dans la volonté exprimée par l’Eurogroupe de durcir la surveillance multilatérale des budgets nationaux.
La crise déclenchée par les subprimes a conduit les autorités européennes à réaffirmer les périls des déficits et des dettes publiques. La montée des risques liés aux dettes souveraines a naturellement amplifié les débats. En réalité, on reste ici en droite ligne avec l’orthodoxie libérale qui sous-tend la construction économique et monétaire de l’Europe depuis la mise en place du marché unique et, plus encore, avec la création de l’euro. Cette conception est incarnée dans les chiffres magiques imposés aux finances publiques par le Pacte de stabilité et de croissance.
La crise a nécessité des fonds publics pour le sauvetage des banques et, ensuite, pour le lancement de plans de relance. De plus, la chute de l’activité réduit mécaniquement les recettes fiscales, tandis que les dépenses sociales augmentent. Il était donc inéluctable d’enregistrer une hausse massive des déficits publics. Se précipiter, comme le réclame le Consensus de Bruxelles, dans le redressement comptable des finances publiques revient à opter délibérément pour des politiques de nature déflationniste. On sait qu’elles freineront la reprise et la création d’emplois, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’équilibre social et politique.
Les stratégies de redressement brutal des comptes publics reposent sur l’idée que les déficits résulteraient, avant tout, de l’incapacité structurelle des Etats à maîtriser leurs dépenses. Ces analyses occultent les racines profondes de l’explosion récente des déficits et des dettes qui sont les dysfonctionnements des marchés financiers et la cupidité de certains acteurs. Le renversement de la responsabilité est ici magistral : les difficultés des finances publiques ne résultent pas des dérèglements du système d’économie de marché « libre et non faussée » mais du poids excessif des Etats qui ne savent pas tenir les cordons de la bourse. Cette approche permet de relégitimer les stratégies libérales. Elle décrédibilise l’interventionnisme et justifie la nécessité de réduire le poids des services publics. Ainsi, l’Etat redevient le problème. Il n’est plus la solution.
Pourtant, les premières réactions de beaucoup de dirigeants politiques face à la crise ont pu donner l’impression que la vision dominante du fonctionnement de l’économie allait évoluer. Le capitalisme serait refondé. L’Etat interventionniste, attentif au bien être collectif comme à l’épanouissement des individus, serait réhabilité et reconnu comme le moteur d’une croissance durable et équitable. Mais les programmes concrets vont dans le sens inverse. Les lourds engagements financiers des puissances publiques servent de prétexte à la poursuite des politiques de tonalité libérale. Au final, les citoyens économiquement les plus fragiles sont doublement pénalisés : ils payent la crise et le traitement de la crise. C’est l’injuste retour des choses.
Alors, que faire ? D’abord, inlassablement rappeler que critiquer le Consensus de Bruxelles et, plus généralement, remettre en cause l’architecture trop libérale de l’union économique et monétaire n’est pas une marque de défiance envers la construction européenne. Ensuite, dire, et redire, que nous avons besoin d’une Europe exemplaire de paix et de solidarité. D’une Europe qui régule l’économie dans l’intérêt collectif. On connaît la direction à prendre. Seule la création d’un véritable pouvoir politique et démocratique européen au dessus des Etats membres sera capable de subvertir le Consensus de Bruxelles et de piloter l’économie européenne. Il faut sans cesse y méditer, surtout lorsqu’on sait que la géopolitique mondiale s’organisera autour de quelques grands espaces régionaux.
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