Enjeux et perspectives pour la gouvernance européenne

Amélie Barbier-Gauchard , Université de Strasbourg (BETA)

Héléna Boff, Crédit Agricole Alsace Vosges

Cet article reprend les propos tenus par Pervenche Berès, députée européenne mais également présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales et rapporteuse de la Commission spéciale crise du Parlement européen, à l’occasion de la conférence d’actualité économique organisée le 7 avril 2011 par les étudiants du master « Analyse et politiques économiques » à la Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Strasbourg, en partenariat avec l’OPEE.

Citer cet article

Amélie Barbier-Gauchard , Héléna Boff « Enjeux et perspectives pour la gouvernance européenne », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 24, 3 - 6, Eté 2011.

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Avec la fin sans gloire de la Communauté Européenne de la Défense (CED) et la disparition du projet de Communauté Politique Européenne (CPE) au début des années 1950, l’idée même d’unification européenne subit une défaite irrémédiable. Mais à partir de 1955, la question de comment relancer la dynamique d’intégration européenne redevient majeure et la constitution d’un marché commun semble être l’étape la plus réaliste pour y parvenir. L’objectif était d’associer une concurrence et compétitivité stimulantes, une coopération qui renforce et une solidarité qui unit. Mais l’UE a du faire face à de nouveaux défis ces dernières années, à savoir un élargissement conséquent (intégration des PECO en 2004) et une crise financière et économique qui ont mis à mal la gouvernance européenne. Après avoir montré que les institutions connaissent une certaine dérive, P. Berès dénonce l’avènement d’une politique de surveillance au détriment d’une politique d’intégration, permis notamment par le manque de coopération et de solidarité au sein de l’Union. Enfin, elle démontre qu’il est indispensable aujourd’hui de se préoccuper d’une croissance génératrice d’emplois mais que pour cela il est nécessaire d’investir dans la richesse de l’Europe, son capital humain.

1. Des institutions à la dérive

Passage du communautaire à l’intergouvernemental

P. Berès a débuté sa conférence en déplorant le désarroi dans lequel nous sommes aujourd’hui confrontés du fait de l’abandon par l’Union de la méthode Monnet, appelée également la méthode communautaire. C’est ainsi qu’avait été pensée la gouvernance européenne par les pères fondateurs (Schuman, Monnet). Le but était de créer l’Europe non pas par le haut, c’est-à-dire via des relations diplomatiques (entente intergouvernementale) mais bien par le bas, via une intégration économique. Il fallait ainsi attaquer les souverainetés nationales avec plus d’audace que l’O.E.C.E et sur un point plus limité, à savoir le secteur du charbon et de l’acier, élément essentiel de la reconstruction d’après guerre. Ainsi, le traité de Paris a conçu un marché commun non purement libéral dans ce secteur et soumis à une autorité supranationale, la Haute Autorité, composée de personnalités indépendantes. Représentant clairement l’embryon de l’exécutif européen, ses propositions étaient ensuite approuvées par le conseil des ministres (organisme de surveillance) et l’assemblée parlementaire. On retrouve alors cette constitution avec le Traité de Rome en 1957 : l’initiative provient de la Commission Européenne puis le Conseil des ministres (représentant des Etats membres) et le Parlement Européen (dimension démocratique car élu au suffrage universel direct) ne décident que des points préalablement proposés par la Commission. C’est ce qu’on appelle le Triangle Institutionnel. Cette méthode développée à l’époque dans un contexte de politique intérieure (retour de la paix en Europe), assurait le succès de l’Union. La députée européenne regrette alors la présidence de Jacques Delors à la Commission Européenne (janvier 1985- janvier 1995) qui lui a permis de vivre son seul moment de gloire en utilisant la méthode communautaire de façon optimale, c’est-à-dire qu’il y avait une réelle anticipation et appréhension par la Commission et lui-même des besoins de l’Union en tant que telle au-delà de l’addition des intérêts des Etats membres.

Le problème c’est qu’il y a eu un déplacement du centre de gravité à partir des années 1990, l’intergouvernemental prenant le pas sur l’initiative communautaire et favorisant ainsi les souverainetés nationales au détriment de la Communauté. Aujourd’hui, on n’essaye pas de faire vivre cette méthode mais bien au contraire on développe des contre théories, tel que le pacte de compétitivité proposé par la chancelière allemande Angela Merkel. En janvier 2011, la Commission Européenne annonce son examen annuel de croissance pour redéfinir la gouvernance économique dans l’Union Européenne en y proposant dix actions s’articulant autour de la stabilité macroéconomique, de l’assainissement budgétaire, de réformes structurelles et du renforcement de la croissance. Elles devaient ensuite être discutées lors du Conseil Européen de Printemps en mars 2011. Cet examen devait ainsi être le fil conducteur de ce que pouvait être une politique économique imaginée à l’échelle européenne et mise en articulation entre le niveau européen et les Etats membres. Le problème c’est que la chancelière allemande s’est fortement appropriée cette proposition et, soutenue par le président français Nicolas Sarkozy, annonce son pacte de compétitivité en février 2011, qui sur le fonds ne fait que réinterpréter l’examen annuel de croissance ! Cette prise de position allemande s’explique par la volonté d’A. Merkel de montrer que l’initiative venait de Berlin, facilitant ainsi son acceptation par l’opinion publique et sa majorité parlementaire. Provoquant une levée de boucliers partout en Europe, ce pacte a obligé la Commission Européenne à reprendre l’initiative et à recycler cette réinterprétation nationale de sa propre proposition. C’est ainsi qu’est signé le 11 mars 2011 lors du Conseil Européen « Le pacte pour l’Euro » reprenant la quasi-totalité des directives du pacte de compétitivité, d’ailleurs soutenu par H. Von Rumpuy, actuel président du Conseil (voyez vous ça) ! On assiste indéniablement à un échec de la méthode communautaire dans la gouvernance économique.

Le Traité de Maastricht : origine de l’intergouvernemental ?

Le Traité de Maastricht peut alors être accusé d’avoir permis à l’intergouvernemental de reprendre le dessus. Pour P. Berès, il a surtout et malheureusement introduit les 3 piliers dans la construction européenne. Premièrement, le pilier « méthode communautaire », pilier supranational relatif aux politiques intégrées dans 17 domaines (la PAC, le marché unique, l’UEM, la recherche…). Les institutions européennes fonctionnent selon le principe de subsidiarité selon lequel la Commission Européenne a le monopole de l’initiative mais les compétences sont ramenées aux Etats membres à moins que les objectifs de l’action envisagée ne puissent pas ou plus être réalisés de façon efficiente par les Etats membres et dans ce cas, la Commission peut justifier de son intervention communautaire. Deuxièmement, le pilier « méthode intergouvernementale » qui gère la PESC, Politique Etrangère et de Sécurité Commune (maintien de la paix, renforcement de la sécurité internationale), en instaurant une coopération systématique entre les Etats. Les décisions sont prises par les ministres des Affaires étrangères réunis en Conseil de l’Union Européenne. Troisièmement, le pilier « coopération policière et judiciaire en matière pénale » repose également sur une logique de coopération entre les Etats dans la lutte contre la fraude internationale (trafic de drogues, terrorisme), l’harmonisation du droit pénal, les questions relatives à la politique des visas. Les décisions sont prises par les ministres de l’Intérieur et de la Justice réunis en Conseil de l’Union Européenne. Certains domaines ont été ensuite transférés dans le premier pilier avec le Traité d’Amsterdam en juin 1997. Ainsi, dans les deuxième et troisième piliers, dits ’intergouvernementaux’, Commission et Parlement n’interviennent que très peu, et les Etats gardent la main. Aujourd’hui, ces trois piliers n’existent plus en tant que tels laissant la place à une nomenclature plutôt basée sur les types de compétences : les compétences exclusives (seule l’Union peut intervenir par l’intermédiaire des 3 institutions), les compétences partagées (où l’Union et les Etats individuellement peuvent intervenir) et les compétences de coordination (le rôle de l’Union se limite à coordonner l’action des Etats). En fait, à l’époque, l’UEM a entraîné l’arrivée de nouvelles matières dans le premier pilier, matières qui jusque là étaient du domaine national. Du fait d’un certain temps d’apprentissage, P. Berès trouve normal qu’on ne soit pas passé directement d’une maitrise gouvernementale à une maitrise communautaire, mais ce qui inquiète alors la députée c’est la direction que prend cette gestion, au lieu de passer d’une coordination à une intégration, nous sommes passés de la coordination à la surveillance.Certes, si on en est arrivé là aujourd’hui c’est parce que les défis auxquels l’Union Européenne fait face sont plus grands et complexes que l’abolition des barrières du début de la construction européenne mais surtout parce que la Commission Européenne a subi une réelle dérive.

2. Coopération, solidarité, cohésion ?

Absence de coopération…

Mais ce que la députée européenne déplore également c’est le manque de coopération au sein de l’UE. Il faudrait avoir une stratégie européenne qui permette d’inclure la question portugaise, grecque, irlandaise dans une approche globale plutôt que de laisser en difficulté chaque Etat membre se battre seul, dos au mur vis-à-vis du marché sans que l’Union Européenne donne des outils pour organiser la reprise et le retour à l’emploi, l’investissement et à la confiance ! Ainsi, comment défendre un plan d’austérité (baisse des salaires, gel des retraites, coupes dans les dépenses sociales, hausse de la TVA), voire 4 pour le Portugal, imposé par la Commission sans qu’à aucun moment les représentants élus ne se soient sentis associés à l’élaboration de ce plan ? Il a alors été proposé un semestre européen selon lequel on élaborerait et définirait en commun ce que devrait être les politiques économiques pour chaque pays membre, mais un problème réside dans la conception même de la Commission Européenne où les choses y sont trop formelles en matière économique, financière et sociale.

… de solidarité et de cohésion …

Pour P. Berès, la seule voie à emprunter est celle qui se préoccupe des divergences entre les économies, de la cohésion économique et sociale. En ce sens, elle reprend une nouvelle fois l’idée de Jacques Delors : si l’Europe tourne le dos au concept de solidarité, nous n‘avons plus d’avenir ensemble car il n’y a pas de communauté qui puisse faire société sans un principe de solidarité : « une place pour chacun, une place pour tous » !

Depuis Maastricht, il existe un déséquilibre entre la structure purement fédérale de la politique monétaire et la politique budgétaire. P. Berès propose alors 3 solutions pour sortir de cette impasse :

  • Soit chacun s’engage à respecter les indicateurs du Pacte de Stabilité et de Croissance sous peine de sanctions automatiques, mais encore faudrait il qu’on impose les sanctions.
  • Soit il faut faire fonctionner correctement le concept de coordination. Cela demanderait l’élaboration d’un diagnostic permis par la mise en place d’un réel dialogue entre les ministres de l’économie et des finances. Tout ceci éclairé par la Commission Européenne pour identifier les besoins des uns et des autres et ainsi reconnaitre qu’un pays avec un surplus puisse avoir a besoin d’objectifs de croissance moins importants qu’un pays qui a besoin de réformes structurelles majeures et qui a besoin de dégager des marges de manœuvre plus importantes pour faire ses ajustements. On serait alors capable de définir les efforts que les uns et des autres devraient faire, en fonction de leur situation de départ, pour remplir des objectifs communs en matière d’indépendance énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique, d’amélioration globale de l’éducation.
  • Ou alors on devrait être capable à terme de créer au niveau européen une marge de manœuvre suffisamment grande pour pouvoir intervenir en tant qu’Union européenne, en fonction des cycles, des situations économiques pour mettre en place une approche contra-cyclique, en clair avoir des outils de politique économiques. Cela suppose un budget européen supérieur à 1.27% du PIB des Etats membres (budget actuel) et un degré de cohésion plus élevé. C’est le chemin à suivre aujourd’hui pour P. Berès.

3. Les recommandations de P. Berès

La nécessité d’une croissance génératrice d’emplois

Sans être partisane d’une croissance zéro, P. Berès montre que l’essentiel n’est pas de s’inquiéter de la reprise quantitative de la croissance mais de s’interroger sur la qualité de cette reprise. En effet, une relance de la croissance ne va pas forcément s’accompagner d’une reprise de l’emploi et pire, on a même connu des situations où la croissance favorisait un accroissement des inégalités. C’est d’ailleurs ce que montrait Stiglitz via son paradoxe : les pays les plus riches se retrouvent endettés auprès des pays les plus pauvres. La députée milite clairement pour que la croissance ne soit plus vue comme un postulat absolu mais bien conditionnée à la création d’emplois et à une meilleure redistribution. C’est pour cela qu’elle préfère parler d’ « investissements créateurs d’emplois ».

En effet, on s’est contenté de définir des outils de surveillance purement quantitatifs : les fameux 3% et 60% mais aussi les 15% de baisse des salaires, l’augmentation de l’âge de la retraite. Mais le qualitatif dans tout ça ? Comment va-t-on réussir une stratégie d’investissements pour que l’éducation soit au rendez vous, que la R&D nous permette de remplir nos objectifs en matière d’indépendance énergétique, de lutte contre le réchauffement climatique ? Une question à nouveau passée sous silence.

Notre atout : le capital humain

Et justement, comme le rappelait P. Berès, un des grands atouts de l’Europe réside dans sa population qu’elle a caractérisée de « cultivée, intelligente, éduquée, fruit de beaucoup d’années d’enseignement et de formation ». C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été lancée en mars 2000 la stratégie de Lisbonne dont le but était de faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique à l’horizon 2010. L’agenda de Lisbonne partait alors du principe que l’UE et ses Etats membres devaient établir une coopération étroite dans le cadre de réformes visant à investir d’avantage dans le capital humain, nécessaire à une croissance durable. Cela supposait donc une coordination et une augmentation des investissements en R&D. Mais à l’échéance en 2010 les objectifs n’ont pas été atteints, au final sans grande surprise, la moitié des Etats membres ayant réduit pendant cette période leur budget consacré à l’éducation, sans que Bruxelles ne dise rien. Suite aux mauvais résultats, on lance alors dans la continuité en 2010 le projet UE 2020 voué également à favoriser l’emploi, la protection de l’environnement et la compétitivité à l’échelle mondiale, mais la mode étant à l’austérité, il y a tout à parier du non succès de ce nouvel agenda.{}

Conclusion générale

A l’origine, le message de l’Europe était celui de la paix, aujourd’hui c’est celui de ses valeurs, d’une conception de la démocratie, de la place du dialogue social et de la négociation collective. Ce sont des valeurs universelles. Mais comme on a pu le voir, on laisse malheureusement les marchés détricoter ce qui fait le cœur de l’UE. Cette situation nécessite clairement une prise de conscience et une mobilisation citoyenne non pas pour baisser les bras et prôner le repli national mais pour s’engager dans un chemin où nous devons progresser vers plus d’intégration. Il faut faire évoluer les structures politiques européennes (la gouvernance européenne) pour que l’UE reste en adéquation avec ce qui fait son identité (la démocratie) et pour cela mettre en place les moyens d’un débat démocratique à l’échelle européenne sur ces enjeux, c’est-à-dire instaurer les conditions d’association des partenaires sociaux au dialogue macroéconomique, faire en sorte que les représentants élus des états membres se sentent concernés par un exercice collectif et avoir une vision audacieuse et ambitieuse de ce qu’il faudrait faire au niveau européen. Le seul moyen de mobiliser les élus nationaux autour d’une approche plus politique européenne c’est de les sortir de leur cadre national et de les amener en réseaux avec leurs partenaires sociaux et à rentrer dans un débat.

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