L’Irlande confrontée aux lacunes du policy-mix européen

Francis Kern, Université de Strasbourg (BETA)

Valérie Malnati, Commissariat général à l’Investissement

Avec l’Union économique et monétaire (UEM), la plupart des États Membres de l’Union européenne ont constaté une nette amélioration de la situation de leurs finances publiques. Pour autant, le caractère asymétrique de l’organisation des politiques économiques en Europe est à l’origine de nombreuses tensions. Ainsi, l’avertissement récemment adressé publiquement à l’Irlande par le Conseil des Ministres de l’Ecofin, de même que l’avis de la Commission européenne sur le déficit public de la France illustrent ces tensions. Cette divergence des partenaires européens quant au rôle et à la définition du policy-mix fait peser une menace sérieuse sur l’exercice de coordination des politiques économiques dans la zone euro. En l’absence d’un dispositif institutionnel adapté, ces tensions mettent en danger la crédibilité de la monnaie unique, moteur fédéral de politiques budgétaires sinon unifiées, du moins véritablement harmonisées.

Mots-clefs : critères de Maastricht, Pacte de stabilité et de croissance (PSC), policy-mix européen, traités européens.

Citer cet article

Francis Kern , Valérie Malnati « L’Irlande confrontée aux lacunes du policy-mix européen », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 4, 14 - 16, Été 2001.

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La spécificité de l’UEM tient à l’approche décentralisée de sa politique économique, l’idée étant de tenir compte de la diversité des États liés par la monnaie unique, qu’il s’agisse de leur taille, de leur degré de développement ou de leur structure économique. Dans cette vision complètement originale du policy-mix, le rôle de coordination discrétionnaire entre la politique monétaire unique et les différentes politiques budgétaires revient défait au marché et aux acteurs privés, le Traité sur l’Union européenne étant resté très vague sur toute autre règle précise. Évidemment, au-delà du réglage précis de l’articulation entre politique monétaire et politiques budgétaires, une coordination optimale des politiques économiques est fondamentale puisque chaque décision nationale peut affecter, positivement ou négativement, l’ensemble de la zone. Il est donc essentiel de prendre des mesures concrètes de coordination des politiques économiques, sous la forme d’un cadre commun et sécurisé, de manière à prouver que le système peut véritablement gérer la diversité.

Les limites du Pacte

Le cadre actuel repose sur les normes imposées par le Traité de Maastricht et sur le Pacte de Stabilité et de Croissance,instrument de surveillance budgétaire par excellence. Mais les consolidations budgétaires restent encore fragiles en Europe et la possibilité d’un dérapage budgétaire des différents États membres est loin d’être nulle. Certes, les différents traités envisagent certaines marges de manœuvre pour ajuster les finances publiques, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, mais en dépit de cette relative souplesse d’application,l’influence du Pacte sur le comportement budgétaire de ses signataires reste la seule référence. D’autres formes de coordination sont pourtant envisageables afin de favoriser des stratégies coopératives. La meilleure solution serait sans doute l’institutionnalisation, d’une manière coordonnée, de programmes budgétaires nationaux pluriannuels. L’avantage d’une telle approche serait de donner à la fois à la Banque Centrale Européenne (BCE) et aux marchés une bonne lisibilité sur les politiques budgétaires nationales. De plus, cette approche atténuerait les tensions sur les marchés et favoriserait l’assainissement budgétaire des pays pour lesquels un ajustement est nécessaire. Une telle procédure est partiellement déjà en place puisqu’en application du Pacte, chaque État est tenu de rendre public, chaque année, un programme de stabilité, présentant sa programmation budgétaire à l’horizon de quatre ans, celui-ci faisant l’objet d’une évaluation de la Commission et d’un avis du Conseil des Ministres.

Mais ce système est insuffisant, l’exemple de l’Irlande nous l’a récemment prouvé. En effet, malgré un budget en excédent (4 % du PIB), une dette publique ramenée, en moins de cinq ans, de 118 % à 39 % du même PIB conformément aux exigences du Traité et un taux de chômage tombé à 4 % (il se situait encore à 17 % au début des années 1990), l’Irlande a été publiquement rappelée à l’ordre par les ministres des finances de l’Ecofin le 12 février dernier en raison de son inflation dépassant 5 % dans une économie en situation de surchauffe. Pour enrayer ce phénomène, impossible de compter sur un resserrement du coût du crédit irlandais puisque les taux d’intérêt sont désormais fixés par la BCE en fonction des besoins « moyens » de la zone euro, et non pour corriger les excès de tel ou tel pays. Devant un tel excédent budgétaire, le gouvernement irlandais envisage, pour son prochain budget, d’augmenter ses dépenses et de diminuer les impôts. La Commission dénonce formellement cette politique budgétaire « procyclique » arguant que cela ne ferait qu’alimenter les tensions inflationnistes ; elle préconise à contrario une « diminution du budget de 0,5 point de PIB ». Cette mésaventure irlandaise confirme bien que toute indépendance dans la conduite des politiques économiques est désormais interdite au sein de l’UEM. Car si l’Irlande a été la seule à recevoir un blâme public, d’autres pays ont été critiqués pour leur stratégie budgétaire. Ainsi, la France s’est vu signifier un « avis » indiquant notamment « qu’une augmentation moins importante des dépenses serait souhaitable pour permettre de réduire plus rapidement le déficit public » ... Ces exemples illustrent la pertinence du débat actuel sur le renforcement de la coordination des politiques économiques européennes. D’autres solutions institutionnelles doivent rapidement être imaginées afin d’assurer cette coordination de manière efficace.

La coordination institutionnelle

En l’absence d’un budget fédéral il devient en effet urgent de définir un dispositif institutionnel qui permette de mettre en œuvre un système efficace de coordination économique, au-delà du principe « d’évaluation par les pairs » tout en renforçant les « grandes orientations de politiques économiques », le second instrument d’élaboration des politiques économiques dans l’UEM. A l’heure actuelle, le dispositif repose sur les recommandations de la Commission qui sont ensuite reprises par le Conseil des Ministres de l’Économie et des Finances des Quinze (Ecofin). Mais dans quelle mesure une instance regroupant des pays non membres de la zone euro peut-elle émettre des menaces véritablement crédibles ?

Dans l’état actuel des choses, il apparaît clairement que l’Eurogroupe pourrait être cette instance de prise de décision collective à l’encontre de l’un des pays membres qui ne respecterait pas les "normes" et qui, de ce fait, mettrait en péril la zone euro toute entière. Celui-ci se félicite d’ailleurs du dialogue amorcé avec la BCE qui a abouti, pour la deuxième fois de sa jeune histoire, à une baisse des taux d’intérêt, le taux principal de refinancement passant de 4,75 à 4,50 % le 10 mai dernier. Mais ce dialogue ne suffit pas à rendre cette instance suffisamment crédible, il faudrait pour cela définir précisément les modalités de contrôle et de suivi des politiques budgétaires nationales, voire les sanctions en cas de divergence risquant de remettre en cause la crédibilité du policy-mix européen. Par suite, une inflation menaçant ici ou là serait un souci moindre s’il existait un « policy-mix » global de la zone euro, une politique budgétaire et monétaire définie conjointement par l’Eurogroupe et la BCE !

La reconnaissance de l’Eurogroupe n’a toutefois pas été au centre des préoccupations du Traité de Nice, et pourtant il entre véritablement dans le champ d’application de la « coopération renforcée », et ceci sur des objectifs clairement définis, en l’occurrence économiques et monétaires (financiers). Ainsi, la Commission pourrait soumettre cette proposition au Parlement européen, dans la mesure où l’Ecofin organiserait difficilement sa transformation en Eurogroupe en excluant trois de ses ministres !

La nécessité d’une coopération avec les politiques structurelles

Comme le souligne le cas de l’Irlande, ce ne sont pas seulement les divergences des politiques budgétaires entre elles, ou le non-respect des critères de convergence de Maastricht, qui sont en cause, mais aussi les écarts entre les indicateurs conjoncturels nationaux. Cette divergence renvoie au manque d’intégration des économies nationales ; ainsi, la surchauffe de l’économie irlandaise contraste avec le ralentissement de la croissance en France et en Allemagne. Ces inégalités conjoncturelles ne sont-elles pas les conséquences des disparités fiscales entre les différents pays de la zone, et plus globalement des disparités salariales et sociales ? En ce sens, l’harmonisation devient un enjeu de la crédibilité de l’euro et l’Eurogroupe devra également faire des propositions dans cette voie. Devant le Parlement européen, M. De Silguy, commissaire européen, a déjà confirmé en juin 1997 le besoin de rechercher ce type de surveillance globale en affirmant que « l’intégration devra s’élargir à la compétitivité, l’innovation technologique, l’éducation, la formation et la fiscalité ». La coordination renvoie en effet la responsabilité aux différents gouvernements alors que dans le contexte actuel, il s’agirait plutôt de mettre en œuvre une véritable coopération entre les Etats nationaux de la zone euro.

Qui plus est, on considère souvent qu’il est inutile de coopérer au niveau des politiques structurelles, car les réformes économiques et sociales bénéficient au pays qui les engage, et qu’il se pénalise lui-même en retardant leur mise en œuvre. Pourtant, il existe deux arguments principaux pour une telle coopération : en premier lieu, les politiques structurelles, parce qu’elles affectent le potentiel de croissance, déterminent l’environnement dans lequel la Banque Centrale prend ses décisions. Si les participants à la zone euro mènent simultanément des politiques qui renforcent leur potentiel de croissance, il sont en droit d’attendre que la Banque Centrale en tienne compte et fasse confiance à la croissance. En second lieu, ces réformes sont souvent coûteuses à court terme, aussi bien politiquement que économiquement, et la possibilité de pouvoir compter sur la contribution conjoncturelle d’un policy-mix favorable à la croissance peut jouer un rôle déterminant. Ne serait-ce pas ainsi qu’il faudrait reconsidérer la proposition de Lionel Jospin sur le gouvernement économique de la zone euro ?

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