L’Union bancaire européenne

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

L’Union bancaire européenne (UBE) est un produit direct de la crise. Elle vise à prévenir les risques sur les marchés financiers et instaure un mécanisme de soutien privé aux banques défaillantes. L’UBE propose une architecture complexe qui nécessite quelques explications. Sa création marque un petit pas vers plus de fédéralisme. Pour autant, la question de l’intégration politique reste soigneusement contournée.

Mots-clefs : crise bancaire, régulation bancaire, régulation financière et bancaire, régulation macro-prudentielle, résolution des crises bancaires, Union bancaire européenne (UBE).

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Michel Dévoluy « L’Union bancaire européenne », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 31, 11 - 17, Hiver 2014.

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La stabilité d’un système financier est un enjeu majeur. Elle vise à éviter les faillites bancaires, à prévenir les risques systémiques et à protéger les déposants. Mais la question est plus large encore. Elle rencontre directement l’épineux problème du rôle des deniers publics dans le sauvetage des banques. Elle concerne également la crédibilité de la monnaie et du système monétaire dans son ensemble. Enfin, et peut être surtout, une crise financière se déverse toujours sur l’économie réelle en entraînant chômage et baisse de l’activité. La stabilité financière est donc une affaire publique de premier plan.

Chaque système financier national est normalement doté d’un mécanisme de surveillance et de protection des risques. Un bon système doit prévoir une sécurité satisfaisante pour les détenteurs de comptes bancaires. Il est en même temps souhaitable de mettre en place un mécanisme de résolution des crises. Si une banque fait faillite : qui doit prendre en charge quoi, et jusqu’à quels montants ? Pour toutes ces raisons, la surveillance d’un système financier relève en principe de la souveraineté nationale.

La dérégulation croissante des activités financières au niveau mondial a accentué l’interdépendance entre les États. Désormais les difficultés d’un seul établissement bancaire peuvent déborder sur d’autres banques dans d’autres États. C’est encore plus vrai lorsque les banques se trouvent dans l’engrenage d’une crise systémique. Pour canaliser tous ces risques, la Banque des règlements internationaux (BRI), installée à Bâle, a été chargée par la communauté internationale (à l’origine par le G10 en 1974) de proposer des normes prudentielles et des règles de bonne conduite. Ce Comité de Bâle offre ainsi une aide technique utile pour la mise en place des régulations nationales. Mais cela n’a pas suffi pour empêcher la dernière crise.

Lorsque la puissance publique est impliquée financièrement dans la prise en charge des dettes d’une banque défaillante, on parle de « bail-out » (renflouement externe). Les fonds mobilisés peuvent provenir du budget de l’État (c’est à dire des contribuables) et/ou d’une aide directe de la banque centrale. Un bail-in (renflouement interne) consiste, au contraire, à mettre directement à contribution les déposants, les actionnaires et les créanciers de la banque. Le bail-in s’oppose par conséquent à la logique qui valide l’individualisation des profits et la socialisation des dettes bancaires.

La régulation financière n’est pas sans rapport avec la politique monétaire. En effet, la solvabilité d’une banque dépend des liquidités fournies par la banque centrale. Dans les situations extrêmes, la banque centrale peut être appelée à servir de prêteur en dernier ressort. On retrouve ici une modalité du bail-out. Pour autant, les enjeux ne doivent pas être confondus. Une banque centrale gère la politique monétaire tandis que les autorités de régulation veillent sur la stabilité du système financier. Ceci dit, l’autorité de régulation peut être déléguée à la banque centrale. Lorsque c’est le cas, il est déterminant que les autorités monétaires agissent clairement dans le cadre d’un service spécifiquement dédié à la surveillance bancaire. Les deux types de missions doivent être cloisonnées.

Le traité de Maastricht de 1992, qui lança l’euro en 1999, distingue nettement la politique monétaire de la stabilité financière. La première ne pouvait être qu’unique. D’ailleurs, elle relève de la compétence exclusive de l’Union. La seconde aurait pu, elle aussi, être unique, sous réserve naturellement d’avoir son propre mécanisme au niveau de l’Union. Mais les États ont préféré ici une application stricte du principe de subsidiarité : souveraineté oblige ! Bref, dans l’Union économique et monétaire telle que prévue par Maastricht, le contrôle prudentiel des établissements financiers relève de la compétence des États membres. Le traité de Lisbonne de 2008, qui régit actuellement l’UE, a repris exactement toutes ces dispositions (articles 127 à 144 du TFUE). La crise financière changera la donne.

Même si les États membres ont été reconnus souverains en matière de surveillance financière, l’UE ne s’est pas pour autant désintéressée de la question. Les traités en vigueur avaient envisagé la possibilité d’une plus grande communautarisation du contrôle prudentiel. Précisément, une double ouverture a déjà été posée dans les alinéas 5 et 6 de l’article 127 du TFUE.

L’alinéa 5 stipule que les autorités monétaires de l’UE contribuent à la bonne conduite des politiques menées par les autorités nationales compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier. L’UE peut donc soutenir une forme d’harmonisation des politiques nationales.

L’alinéa 6 va plus loin encore. Il prévoit la possibilité d’utiliser une procédure législative spéciale, à l’unanimité, pour confier à la BCE « des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l’exception des entreprises d’assurances. » La BCE pourrait donc jouer un rôle clé, mais en maintenant bien la séparation supervision financière et politique monétaire.

En la matière, et malgré la présence de l’article 127, rien de déterminant n’est à signaler jusqu’en 2008. La crise financière qui s’est déversée a bousculé les marchés et les esprits. Du coup, les changements se sont accélérés. Deux étapes sont à distinguer : Un premier paquet de mesures, en 2011 puis, en 2014, la mise en place de l’Union bancaire européenne (UBE).

Le « Paquet supervision » prémices de l’UBE

L’UE a d’abord répondu à la crise financière par un ensemble de mesures inscrites dans ce que les instances européennes ont appelé le « Paquet supervision ». Décidé par le Conseil européen en 2009, ce « Paquet » est devenu opérationnel au 1er janvier 2011. Les choix s’inspirent largement du Rapport d’experts piloté par Jacques de Larosière fourni à la Commission en févier 2009. La nouvelle supervision repose sur une surveillance à la fois micro- et macro-économique. Tout cet ensemble est chapeauté par le Système européen de surveillance financière (SESF). Le SESF forme un réseau intégré d’autorités de surveillance nationales et européennes. Il repose sur cinq règlements de l’UE datant du 24 novembre 2010.

Le niveau micro-prudentiel comprend trois autorités : l’Autorité bancaire européenne (ABE) dont le siège est à Londres, l’Autorité européenne des valeurs mobilières (AEVB) siégeant à Paris et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) localisée à Francfort. Comme leurs titres l’indiquent, ces autorités s’occupent de segments différents à l’intérieur du large domaine financier. Elles sont chargées de développer des normes et des pratiques à suivre ; elles analysent l’évolution des marchés afin de prévenir les crises ; elles visent à protéger les risques des déposants et des épargnants. Le niveau macro-prudentiel est piloté par le Conseil européen du risque systémique (CERS).

L’AEVB et l’AEAPP, axées sur le marché des valeurs mobilières et sur les assurances, ne concernent pas directement le thème de cet article. Par contre, l’ABE et le CERS sont au cœur de notre problématique. L’ABE est une autorité indépendante de l’UE. Créée par le Règlement UE 1093/2010, elle œuvre en vue de garantir un niveau de réglementation et de surveillance prudentielle efficace et cohérent pour l’ensemble du secteur bancaire européen. Ses principaux objectifs sont de maintenir la stabilité financière dans l’UE et de garantir l’intégrité, l’efficience et le bon fonctionnement du secteur bancaire. L’ABE est gouvernée par un Président et un conseil des autorités de surveillance. Tous les Etats membres de l’UE acceptent l’autorité de l’ABE.

Le CERS, créé par le Règlement UE 1092/2010, est un organisme indépendant de l’UE. Son siège est à Francfort. Le CERS comprend des représentants de la BCE, des banques centrales nationales, de l’UE et des superviseurs nationaux. La mission du CERS consiste à évaluer les risques et à mettre en place des mécanismes d’alerte. Il formule des recommandations et des avertissements. Son secrétariat est assuré par une direction générale spécifique de la BCE. Cette direction générale comprend trois directions : surveillance de la stabilité financière, évaluation de la stabilité financière et politique des services financiers. Comme l’ABE, le CERS s’inscrit dans un processus de communautarisation de la surveillance bancaire.

Le Paquet supervision représente l’essentiel de la surveillance bancaire prise en charge par l’UE. Mais d’autres dispositions, de nature différente, contribuent elles aussi à réduire les risques de crise. La Commission, toujours sous l’impulsion du Conseil européen, a été amenée à se pencher sur trois points particuliers : les rémunérations astronomiques des acteurs des marchés (les traders) ; l’interdiction de certaines opérations hautement spéculatives ; l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Les réponses très concrètes à ces questions sont encore floues. On notera néanmoins l’adoption en octobre 2011 de l’interdiction des CDS à nu (Credit default swaps) sur les dettes souveraines. Désormais, on n’a plus le droit de spéculer en achetant des CDS sur une dette souveraine sans détenir en contrepartie des obligations des États concernés.

Mais ce n’est pas tout. En concourant à la résolution des crises des dettes publiques, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), lancés en 2011, se sont également inscrits dans la problématique de la stabilité financière. Ces deux premières expériences ont débouché sur la création en 2012 du Mécanisme européen de stabilité (MES). Les interventions du MES, comme celles de ses deux prédécesseurs, sont toujours soumises à la présence de très fortes conditionnalités. Il suffit ici de penser aux cures d’austérité imposées à la Grèce.

Les trois piliers de l’UBE 

Les réformes concernant directement le secteur bancaire contenues dans le Paquet supervision étaient certes une avancée par rapport à la situation d’avant la crise. Mais elles ont montré leurs insuffisances. Trois limites peuvent être identifiées.

D’abord, on constate l’absence d’un véritable superviseur européen. On reste ici au stade de la coordination des autorités nationales, même si celles-ci sont davantage qu’avant subordonnés aux Autorités européennes de surveillance. Un mécanisme de supervision européenne serait souhaitable, à tout le moins pour la zone euro. Mais dans ce cas, des éclaircissements par rapport aux missions confiées à l’ABE deviennent indispensables.

Ensuite, le secours direct des États membres à leurs banques respectives a pointé le problème de l’utilisation de l’argent public. Dans ce contexte, l’absence de solidarité européenne a été patente et l’Union n’a pas eu de fonction protectrice ni, a fortiori, fédératrice. Elle a surtout joué le rôle de censeur. Pourtant, l’Europe gagnerait à se doter d’un système de résolution des crises financières homogène. Ce système est d’autant plus nécessaire qu’il permettrait une clarification sur les porteurs des risques bancaires. A cet égard, il conviendrait de préciser et de hiérarchiser les agents qui sont appelés à prendre en charge le renflouement des banques. Les citoyens sont en droit d’attendre un mécanisme de bail-in plutôt que de bail-out.

Enfin, les divers traitements des garanties des dépôts des clients des banques prouvent que les risques encourus par les déposants sont différents selon les États. L’Europe serait sans doute renforcée par la présence d’un système unique de garantie des dépôts appliqué à l’ensemble des épargnants. L’adhésion des déposants à l’Europe financière en serait accrue.

L’objectif de l’Union bancaire européenne (UBE) est précisément d’apporter des réponses à ces trois manquements. Les grands axes de l’UBE ont été initiés par le Conseil européen en juin 2012. La Commission a été chargée de préparer le contenu précis, notamment sous l’égide du Commissaire Michel Barnier dont il faut souligner ici le réel engagement. L’UBE prend naturellement appui sur les avancées déjà réalisées dans le cadre du Paquet supervision. Mais elle va nettement plus loin en instaurant les trois mécanismes attendus : une supervision unique, une résolution des crises bancaires homogène et un même niveau de garantie des dépôts.

Une supervision unique

La supervision unique est opérationnelle depuis le 4 novembre 2014. Elle est officiellement appelée le Mécanisme de surveillance unique (MSU). Le MSU prend la forme de deux règlements. Ils découlent de la mise en application de l’article 127 du TFUE évoqué plus haut.

Le Règlement (UE) 1024/2013 du 15 octobre 2013 « confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit » (34 articles). Ce règlement couvre 18 pages du Journal officiel de l’Union européenne (JOUE).

Le Règlement (UE) 1022/2013 du 22 octobre 2013 « modifiant les règlements 1093/2010 Instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne des missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne en application du règlement (UE) 1024/13 ». Les 3 articles de ce règlement s’étendent sur 8 pages du JOUE.

Le premier règlement, dans un article 1, « confie à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit afin de contribuer à la sécurité et à la solidité des établissements de crédit et à la stabilité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre, en tenant pleinement compte de l’unité et de l’intégrité du marché intérieur et en remplissant à cet égard un devoir de diligence, un traitement égal étant réservé aux établissements de crédit pour éviter les arbitrages réglementaires ».

Le second règlement entend clarifier la complémentarité entre l’ABE, qui vaut pour l’ensemble de l’UE, et le MSU piloté par la BCE, mais qui ne concerne pas automatiquement tous les États extérieurs à la zone euro. En effet, le MSU concerne tous les membres de la zone euro et tous les États qui ont décidé de signer un « accord de coopération rapprochée ». Un tel accord passe par une demande adressée à la BCE par les autorités nationales compétentes. La Grande-Bretagne, la Suède et la République tchèque ont annoncé qu’ils n’envisageaient pas de rejoindre le MSU.

Le Mécanisme de surveillance unique investit la BCE du rôle de superviseur prudentiel central des banques de la zone euro et des banques hors zone euro des Etats participants (actuellement un total d’environ 8300 banques). Précisément, la BCE supervise directement les plus grandes banques tandis que les autorités nationales compétentes supervisent les autres. La Commission souhaitait, dans une proposition du 12 septembre 2012, que tous les établissements de crédit de la zone euro (environ 6200 banques) soient intégrés dans un seul mécanisme de surveillance. La France s’était très clairement prononcée en faveur de cette couverture complète permettant d’assurer l’unicité de la supervision de la BCE. L’Allemagne préférait une supervision limitée aux seuls établissements bancaires d’importance systémique afin de ménager, en particulier, les caisses d’épargne largement liées aux enjeux politiques locaux. Ces grandes banques ont reçu le qualificatif de « banques significatives ».

Les textes précisent (art. 6 du règlement 1024/13) qu’une banque est dite « significative » si elle remplit une des deux conditions suivantes : une valeur totale de ses actifs supérieures à 30 milliards d’euro ou un ratio entre ses actifs totaux et le PIB de l’État de résidence supérieur à 20%, à moins que la valeur totale des actifs concernés soit inférieure à 5 milliards d’euros. Le chiffre de 128 banques significatives est généralement annoncé pour l’ensemble de la zone euro. Les autres banques, bien plus nombreuses, ont un poids total mineur puisqu’elles comptent pour seulement 15% des actifs totaux du secteur bancaire.

Dans la mesure où la coopération entre la BCE et les superviseurs nationaux est intense, on tend vers l’application d’un même socle de règles communes. La BCE devient ainsi le superviseur des superviseurs. La supervision unique instaurée par la législation européenne peut se résumer en quelques points essentiels :

  • L’objectif principal de la mission de surveillance de la BCE et du MSU est de vérifier que toutes les banques respectent les règles bancaires européennes afin de prévenir et de remédier aux risques individuels ou systémiques.
  • La BCE est dotée de missions d’agrément, de surveillance et d’enquêtes. Elle veille au respect des actes. Elle a un pourvoir administratif, y compris en infligeant des sanctions pécuniaires dès lors que celles-ci sont proportionnées, efficaces et dissuasives.
  • Pour bien calibrer ses décisions, la BCE est invitée à s’appuyer sur une surveillance macro-financière du CERS.
  • Il appartient à la BCE de mettre en œuvre les moyens financiers et en personnels nécessaires pour accomplir ses missions. Dans ce but, la BCE est habilitée à percevoir une redevance de surveillance auprès des intermédiaires financiers concernés.
  • Il est rappelé à la BCE de nettement distinguer la conduite de sa politique monétaire de ses missions de surveillance. D’où la création au sein de la BCE d’institutions spécifiques relevant exclusivement du pouvoir de superviseur de la BCE. Concrètement, cela a conduit à des Directions et des personnels dédiés.
  • La BCE rend compte de ses activités de surveillance auprès du Parlement européen et du Conseil sous formes de rapports et, si nécessaire, d’auditions.

La résolution des banques défaillantes

Lorsque la surveillance et les avertissements n’ont pas suffi, une ou plusieurs banques peuvent se trouver dans une situation de défaillance. La faillite d’une banque n’est pas de même nature que celle d’une entreprise. La banque est comptable face à ses déposants et elle peut entraîner d’autres banques, jusqu’à engendrer une crise systémique. Plutôt que de parler de procédure de faillite, on utilise ici des procédures de redressement ou de résolution.

Un mécanisme de résolution implique des règles administratives, des procédures judiciaires et une prise en charge financière. Le renflouement d’une banque représente une procédure complexe au sein d’un État souverain, notamment lorsque des fonds publics sont engagés. Mais cette question s’amplifie si l’Europe décide de s’engager dans une solidarité financière. Dans la mesure où le traité de Lisbonne ne prévoit pas une communautarisation de moyens financiers pour soutenir des banques, le Conseil des ministres a choisi de scinder le mécanisme de résolution en deux étapes. D’abord une Directive relevant du droit de l’Union, puis un accord intergouvernemental qui nécessite le consentement des Etats. La Directive impose aux États un mécanisme de résolution unique. Elle entre en vigueur le 1er janvier 2015. L’accord intergouvernemental traite de la mutualisation des contributions nationales grâce à un Fonds de résolution unique. Ce mouvement de mutualisation des fonds nationaux commencera à fonctionner à partir de 2016, mais il faudra attendre 2024 pour qu’il parvienne à sa voilure définitive.

La Directive 2014/59/UE établissant « un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement » comprend 132 articles. Adoptée le 15 mai 2014, elle est publiée au JOUE du 12 juin 2014. Cette directive crée un Mécanisme de résolution unique (MRU) avec à sa tête un Conseil de résolution unique (CRU). Le CRU est composé de représentants de la BCE, de la Commission et des institutions nationales concernées. Le CRU est une agence autofinancée de l’UE. Opérationnel à partir de janvier 2015, son siège est à Bruxelles.

La Directive impose aux États membres du MRU d’établir un fonds national de résolution dès 2016. Puis, sur une période de 8 ans, les fonds nationaux seront progressivement mutualisés, ce qui nous renvoie au besoin d’un accord intergouvernemental.

Chacun des fonds nationaux devra atteindre à l’horizon 2024 un niveau cible de 1% des dépôts garantis des établissements agréés dans l’État membre. Les contributions des banques à ces fonds seront fonction de leurs tailles et de leurs profils de risques. Chaque banque contribuera avec une partie fixe directement liée à son passif exigible et une partie variable calculée en fonction de son exposition aux risques.

La directive stipule également que les autorités de résolution mettent en place un mécanisme de financement hiérarchisé qui évitera le plus possible le recours aux fonds publics. L’UE connaîtra ainsi, dès janvier 2016, un mécanisme de renflouement interne dit « bail-in ». Désormais, les deniers publics ne sont plus en première ligne. Le bail-in organise la recapitalisation d’une banque défaillante en imposant à ses créanciers la réduction partielle ou totale du montant de leurs créances. Les dépôts des personnes physiques jusqu’à 100 000 euros sont exclus des renflouements. Les créanciers seront sollicités selon un ordre imposé : d’abord les actionnaires puis les créanciers juniors et enfin les créanciers seniors. Il est expressément demandé de protéger le plus possible les dépôts des personnes physiques, mais aussi ceux des micro, petites et moyennes entreprises. Le bail-in couvrira toutes les pertes jusqu’à 8% du total des dettes de la banque. Lorsqu’il y a appel au fonds de résolution national celui-ci pourra être utilisé jusqu’à un plafond égal à 5% du passif de l’établissement en résolution. Au-delà, il sera possible de recourir à des aides extérieures, y compris le « bail-out » sur deniers publics. Les États devront veiller à ce que les dispositifs de financement puissent faire une demande d’emprunt auprès de tous les autres dispositifs de financement au sein de l’Europe comme, en particulier, le MES.

Les renflouements évoqués jusqu’ici dépendent directement de la souveraineté financière de chaque État membre. Mais l’UE a décidé de donner tout son poids à l’UBE grâce à la création du Fonds de résolution unique dès 2016. Tous les États de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni et de la Suède, ont signé le 21 mai 2014 l’accord intergouvernemental pour adhérer à ce fonds. Cet accord comporte, en l’état, 16 articles. Il est actuellement en attente de ratification par les parlements des États membres concernés. Ce fonds unique sera détenu et géré par le CRU. La période de transition de 8 ans doit permettre la mise en place complète du fonds en 2024 (2016+8). Jusqu’en 2024, le fonds unique sera composé de compartiments nationaux correspondant à chaque État participant.

Les règles du mécanisme de mutualisation progressive sont énoncées dans une proposition de la Commission du 24/11/2014 (COM (2014) 710 final). Ce sont précisément ces transferts des fonds nationaux vers le fonds unique qui nécessite l’accord intergouvernemental en cours de ratification par les États membres. Le Fonds de résolution unique pourra, sous certaines conditions, faire appel par emprunts aux capitaux du MES.

La garantie des dépôts

L’UBE prévoit une garantie des dépôts jusqu’à concurrence de 100 000 euros par déposant et par banque. La Directive 2014/49/UE du 16 avril 2014 parue au JOUE du 12 juin 2014 (23 articles) est entièrement consacrée à cette mesure. Elle est entrée en vigueur en juillet 2014. Il est intéressant de retenir ici quelques dispositions saillantes.

  • Ce système de garantie des dépôts (SGD) s’applique sur l’ensemble de l’UE. « Chaque État membre veille à l’instauration et à la reconnaissance officielle sur son territoire d’un ou de plusieurs SGD. Cela n’exclut pas la fusion de SGD d’États membre ni la mise en place de SGD transfrontaliers » (art. 4). L’autorisation de ces fusions est donnée par les États membres concernés.
  • Lorsque la monnaie de l’État n’est pas l’euro, le dépôt est garanti en monnaie locale en appliquant le taux de change pertinent.
  • Au-delà des 100 000 euros, certains dépôts d’origines particulières doivent être entièrement sécurisés pour une durée qui peut varier de 3 mois à 12 mois. Cela concerne trois catégories de situations : dépôts résultant d’une transaction immobilière privée, dépôts représentant un objectif social ou directement liés à la vie d’un déposant (licenciement collectif ou divorce par exemple), dépôts résultant du paiement de prestations d’assurance ou d’indemnisation accordées aux victimes d’infraction pénales ou d’erreurs judiciaires.
  • Les États veillent à ce que les remboursements aux déposants soient effectués dans un délai de 7 jours ouvrables. Cette obligation sera effective en 2023. En attendant, les délais devront être progressivement réduits sans toutefois excéder 20 jours ouvrables jusqu’en 2018.
  • Toutes les dispositions assurant le niveau et les modalités de protection doivent être communiquées aux déposants par leurs banques respectives.
  • Les États membres veillent à ce que les SGD disposent de moyens proportionnés à leurs engagements. Les SGD reçoivent les contributions de leurs membres (c’est à dire des banques), ce qui n’exclut pas d’autres sources. Les SGD devront atteindre, au plus tard le 3 juillet 2024, un niveau cible de 0,8% du montant des dépôts garantis. Par dérogation et si la structure des bilans bancaires le permet, le niveau cible pourrait descendre jusqu’à 0,5%.
  • Les contributions aux fonds de résolution nationaux et au fonds de résolution unique ne peuvent pas être prises en compte dans les ressources des SGD.
  • Les SGD nationaux peuvent effectuer des prêts entre eux.
  • Les fonds gérés par les SGD doivent naturellement être très liquides et sans risques.

Un pas vers plus de fédéralisme ?

Bien sûr, il faut attendre et voir. Les mécanismes de surveillance sont complexes et doivent être mis à l’épreuve d’une crise majeure. Le fonds de résolution unique est tributaire du long processus de mutualisation des fonds nationaux. Mais l’UE possède désormais un vrai système de garantie des déposants. Au total, force est de reconnaître que des progrès ont été accomplis en matière d’homogénéisation du traitement des crises financières en Europe.

Pour autant, l’Europe n’a pas encore élevé de remparts pour endiguer résolument l’explosion des instruments financiers et la cupidité de certains acteurs. On observe un début de prise de conscience collective des démesures de la spéculation outrancière. Dans la même veine, des débats s’ouvrent sur les dangers de déconnecter le secteur financier de l’économie réelle. Finalement, et de façon certes trop timorée, les instances européennes ne voient plus l’ultralibéralisme comme un monde sans faille. Mais la finance débridée reste coriace, tant il est vrai que les perspectives de profits astronomiques rendent les opérateurs des marchés financiers aisément oublieux des enseignements des crises passées.

Le choix de l’expression « Union bancaire européenne » pour désigner les trois piliers de la surveillance bancaire interpelle. Cette formule instille une résonance phonétique et sémantique avec « l’Union monétaire européenne ». Ce n’est pas innocent. De la même façon que l’euro incarne une forme indéniable de fédéralisme, l’UBE traduit une volonté affichée de construire plus de fédéralisme. Par le passé, les crises de change au sein du marché unique ont contribué à accélérer la création de la monnaie européenne. Dans la période récente, la crise financière, en bousculant la zone euro, a poussé à l’adoption de l’UBE. Mais les souverainetés nationales résistent, le plus possible. Le pouvoir monétaire de la BCE est résolument fédéral, c’était incontournable. Le pouvoir de surveillance bancaire n’est pas soumis à cette exigence. Les États membres le savent. Avec l’UBE, ils acceptent des règles communes et consentent à des formes de mutualisation des risques. Mais ils restent arc-boutés sur l’exercice de leurs souverainetés. La preuve : dans l’UBE, les États conservent leurs droits de veto pour la fermeture d’une banque défaillante. Décidément, et malgré les crises, le processus d’intégration européenne reste résolument soumis à la politique des petits pas. Ce n’est probablement pas le meilleur moyen de ré-enchanter l’Europe dans l’esprit de ses citoyens.

Bibliographie :

Dai M. et Sarfati S. (2012), « L’Union bancaire permet-elle de sauver l’euro ? », Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, N°30.

Dévoluy M. (2012), L’euro est-il un échec ? Documentation française, Collection réflexe Europe, 2e édition.

UE, site internet http://ec.europa.eu/finance/general...

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