L’impossible coordination des stratégies de croissance en Europe : une affaire d’hétérogéneité institutionnelle

Jean-Paul Pollin, Université d'Orléans (LEO)

Pour répondre à la crise et à ses prolongements, les pays de la zone euro semblent admettre qu’il faut approfondir la coordination des politiques économiques dans l’Union Monétaire. Mais les conceptions de cette coordination restent très différentes d’un pays à l’autre et notamment entre l’Allemagne et la France. Nous pensons que l’origine de ces oppositions se situe dans l’hétérogénéité institutionnelle des économies concernées, particulièrement dans celle de leurs systèmes de financement et de gouvernance des firmes.

Mots-clefs : coordination des politiques, croissance économique, hétérogénéité des économies, Pacte de stabilité et de croissance (PSC).

Citer cet article

Jean-Paul Pollin « L’impossible coordination des stratégies de croissance en Europe : une affaire d’hétérogéneité institutionnelle », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 22, 3 - 7, Eté 2010.

Télécharger la citation

On s’entend généralement pour considérer qu’au-delà des dysfonctionnements financiers, la crise présente a notamment pour origine des déséquilibres dans la répartition des revenus ainsi que dans les échanges commerciaux et financiers internationaux. Le retour sur un sentier de croissance équilibrée implique donc la réduction de ces déséquilibres de façon concertée entre les économies dominantes.

Cette concertation semble pourtant bien problématique. Alors que la nécessité de coordonner les politiques économiques nationales est une proposition théoriquement bien fondée, elle reste très mal appliquée, en dépit de toutes les instances qui sont censées y contribuer. De fait, la liste est longue des conditions qui y font obstacle : appréciation des interdépendances entre politiques nationales, construction d’indicateurs de surveillance des accords conclus, mise en place de compensations pour les Etats qui perdent à la coopération… L’insuffisance, pour ne pas dire l’échec, des velléités de coordination n’est donc pas qu’une affaire d’égoïsmes nationaux.

En Europe, ou du moins dans la zone euro, l’impératif de coordination est renforcé par les contraintes de la monnaie unique. Car la soumission à une même politique de taux d’intérêt et de taux de change crée des interdépendances supplémentaires qui doivent être gérées en commun. Pourtant, les projets de coordination affichés n’ont jusqu’ici débouché sur rien de significatif. L’échec total de l’agenda de Lisbonne en constitue une parfaite illustration. De même que les bavardages au sein de l’Eurogroupe, qui n’ont jamais eu la moindre portée et qui n’ont même pas servi à assouplir l’indépendance clairement excessive de la Banque Centrale Européenne.

Non seulement les stratégies et les politiques économiques divergent entre les pays, mais, de plus, l’incompréhension est totale entre les positions des uns et des autres. L’Allemagne par exemple, se focalise sur le respect des équilibres budgétaires et de l’indépendance de la BCE, gage d’une politique monétaire rigoureuse (pour ne pas dire rigide). Alors que d’autres pays, la France en particulier, ont une conception plus large de la coordination et font remarquer que l’équilibre extérieur, donc la compétitive des économies, est un objectif au moins aussi important que celui des finances publiques. En ce sens, ils reprochent à l’Allemagne sa politique de désinflation compétitive jugée non coopérative.

S’il s’agissait de simples divergences dans les préférences nationales, le problème ne serait pas bien grave. Parce que le temps et les compromis devraient finir par rapprocher ces choix dissemblables. Mais l’expérience de ces dix dernières années ne semble pas plaider en ce sens. Ce qui laisse penser que les différences de trajectoires et de conceptions ont en réalité des origines plus profondes ; elles résultent d’hétérogénéités structurelles dans le fonctionnement des économies concernées. En d’autres termes, les modèles économiques et sociaux des différents pays ne conduisent pas aux mêmes stratégies de croissance ou aux mêmes types de régulations macroéconomiques. En nous concentrant sur l’Allemagne et la France nous caractérisons d’abord ces modèles avant de montrer pourquoi ils conduisent à des orientations dissemblables sur le court et le long terme.

I – L’hétérogénéité des systèmes de financement et de gouvernance : l’exemple France-Allemagne

Même s’il ne représente pas la totalité de l’architecture institutionnelle d’une économie, le système de financement et de gouvernance en constitue le centre nerveux. Parce qu’il définit le partage des droits de propriété, c’est-à-dire le pouvoir de contrôle sur les décisions de l’entreprise et la répartition du surplus créé, il conditionne la dynamique de l’économie. De même qu’il contraint les autres dimensions de la configuration institutionnelle.

De ce point de vue, l’Allemagne et la France diffèrent. Si l’on a parfois tendance à les regrouper en évoquant un modèle d’Europe Continentale, il reste que leurs systèmes de financement et de gouvernance ont toujours eu des particularités bien marquées. Leur histoire est différente et leurs évolutions au cours de ces 20 ou 30 dernières années ont eu tendance à les éloigner un peu plus, alors même qu’ils ont eu à faire face à des défis communs : la globalisation financière, la montée du pouvoir actionnarial…

1 – La très grande majorité des travaux consacrés aux transformations du système allemand de financement et de gouvernance considère qu’il est parvenu à s’adapter au choc de la globalisation en préservant ses caractéristiques essentielles [1]. Le capitalisme rhénan constitue toujours l’exemple d’une « économie coordonnée » au sens de Hall et Soskice, reposant sur une forte concentration du capital, un financement largement intermédié et engagements de long terme entre l’entreprise et ses « parties prenantes » (ses salariés et ses fournisseurs autant que ses apporteurs de capitaux) [2].

Pourtant, ce modèle a du subir des transformations potentiellement déstabilisantes, dont l’objectif était de rendre plus souple l’allocation du capital en accroissant la place des marchés financiers. Entre autres :

  • les banques ont été incitées fiscalement à se désengager du capital des entreprises. Ce retrait avait pour but de réduire l’imbrication trop étroite entre le système bancaire et les grandes entreprises. Plus généralement, il devait réduire la concentration du capital puisque cette disposition, également applicable aux entreprises non financières, était censée réduire les participations croisées.
  • d’autre part, afin d’éviter la marginalisation de la place de Francfort, les pouvoirs publics, en liaison avec les autorités de marché, ont légiféré pour améliorer la transparence de l’information et mieux protéger les actionnaires minoritaires.
  • enfin, diverses mesures ont été prises pour faciliter l’accès aux marchés financiers, moderniser le système de transactions et élargir la gamme des produits traités.

Ces diverses initiatives ont eu pour conséquence de distendre les rapports entre les entreprises et les banques. Du fait de la réduction des participations industrielles que celles-ci détenaient. Mais aussi parce que l’intensification de la concurrence entre institutions financières a affaibli les relations de proximité qui existaient entre les systèmes productif et financier. Comme dans le même temps les participations croisées ont été partiellement éliminées, la concentration du capital s’en est trouvée sensiblement diminuée. De sorte que les grandes entreprises, ou du moins certaines d’entre elles, ont perdu la protection dont elles disposaient face aux exigences des investisseurs court termistes.

Il reste que les entreprises allemandes sont restées très dépendantes des financements bancaires. Même si l’on note un accroissement du recours aux marchés financiers, la capitalisation boursière reste très en retrait (en pourcentage du PIB) par rapport au niveau observé dans les autres pays développés. D’autre part, en dépit d’un infléchissement de l’épargne vers les investisseurs boursiers, les placements des ménages allemands restent largement constitués de liquidités. Quant aux entrées de capitaux extérieurs elles sont restées modestes : 20 % seulement de la capitalisation boursière est détenue par des étrangers. De plus, il semble que les prises de participation aient été faites dans un objectif de diversification sans chercher à intervenir dans la gestion des entreprises.

Si l’on s’en tient à ces observations, le système financier allemand ne parait pas avoir connu de véritable bouleversement et n’a pas basculé vers un système dominé par les marchés. De ce fait le modèle de gouvernance des entreprises a lui aussi préservé ses particularités, c’est-à-dire la prise en compte des intérêts des diverses parties prenantes, le souci du long terme… Même s’il a subi ou développé des stratégies de contournement (délocalisations, recours à la flexibilité des PME) le modèle a gardé sa cohérence globale. Au bout du compte, le compromis capital-travail a été sauvegardé et le principe de cogestion a résisté aux discours prêchant la supériorité du « modèle de shareholders ».

2 – Le système français de financement et de gouvernance n’a jamais eu la cohérence de son homologue allemand. La référence à l’intérêt général de l’entreprise n’a jamais trouvé de traduction dans les instances de décision ou de contrôle des entreprises : la conception des relations entre capital et travail s’opposait à l’idée de cogestion. D’autre part, les relations entre banques et entreprises n’ont jamais été aussi étroites en France que ce qu’elles étaient en Allemagne. Par contre, l’Etat a joué, en France, un rôle essentiel de coordination par sa politique industrielle, ses politiques sociales, et sa forte implication dans le financement de l’économie. Curieusement, c’est d’ailleurs l’Etat qui a été à l’origine de la libéralisation du système financier, au milieu des années 80, pour des raisons aussi diverses que mal raisonnées. La France a donc entrepris une « modernisation » de ses intermédiaires et marchés financiers avant l’Allemagne et avant la montée en puissance de la globalisation, même si celle-ci a naturellement accru l’empreinte de la finance anglo-saxonne.

On sait que ces impulsions se sont traduites par une vive progression de la finance de marché : entre le début des années 90 et la veille de la crise financière, la capitalisation boursière rapportée au PIB a plus que doublé. En 2006 ce ratio ressortait à 80 %, soit le double du ratio allemand. Parallèlement, les crédits accordés par les institutions financières aux entreprises ont peu augmenté de sorte que le taux d’intermédiation, au sens étroit, des financements d’entreprises a diminué de 20 % depuis le milieu des années 90. De ce point de vue le système financier français est désormais plus proche du modèle anglo-saxon.

En revanche, la structure des placements financiers des agents non financiers n’a pas évolué dans les mêmes proportions. En particulier, la part des titres dans le patrimoine des ménages (et surtout des titres détenus en direct) reste limitée. Elle est même très faible si on la compare à celle des pays anglo-saxons. Ce qui s’explique naturellement par la forme du régime de retraite en dépit du rôle grandissant des placements en assurance-vie. C’est donc l’entrée des non résidents qui a permis de combler l’écart entre l’offre et la demande de financements de marché : les non résidents ont apporté 80 % des financements non intermédiés depuis la fin des années 90. La baisse des taux d’intermédiation, au sens strict ou au sens large, depuis lors, s’explique principalement par ce phénomène.

Ce mouvement est bien plus fort que celui observé en Allemagne. De plus, l’origine et la motivation des fonds paraissent différentes. Si l’on en juge par le montant des prises de participation des fonds d’investissement étrangers dans le capital des entreprises françaises, il ne semble pas que l’objectif de diversification soit ici prédominant. On a pu estimer que les prises de participation supérieures à 5 % du capital de la part des fonds étrangers sont deux fois plus élevées qu’en Allemagne [3]. L’entrée dans le capital a donc ici pour but d’intervenir, au moins à court terme, dans les décisions des firmes.

Cette différence pourrait être due à la moindre capacité de résistance du modèle français par rapport aux exigences du capital financier. Du fait de la faiblesse du contre-pouvoir salarial, notamment de la faible représentation des salariés dans les instances de décisions, les dirigeants de l’entreprise disposent d’une plus grande marge de manœuvre. Ainsi les fonds d’investissement ont pu nouer des alliances avec la direction et les actionnaires majoritaires pour imposer des réorganisations plus vite et plus facilement qu’en Allemagne. En d’autres termes, le « capital impatient » a pu établir en France mieux qu’en Allemagne, un rapport de force favorable lui permettant de faire prévaloir ses objectifs et son horizon de contrôle.

II – Les conséquences : des stratégies de croissance et des politiques économiques inconciliables

Ce qui nous importe dans les différences que nous venons de décrire, ce sont les conséquences qu’elles ont sur les comportements macroéconomiques des deux systèmes. C’est le fait qu’elles débouchent sur des stratégies de croissance et des besoins de régulation dissemblables, parce que les équilibres de long et de court terme ne s’y forment pas de la même façon. Dans un cas, le système de financement et de gouvernance permet des solutions négociées sur un horizon long ; dans l’autre cas, les solutions résultent de jeux de marchés, qui s’expriment sur une plus courte durée.

1 – Le fait que l’on puisse nouer des engagements crédibles et durables entre les parties prenantes (salariés, fournisseurs ..) de l’entreprise a le grand mérite de rendre possibles de leur part des investissements spécifiques. En particulier, s’agissant des salariés, cela permet l’acquisition de compétences propres à la branche ou la firme dans laquelle ils travaillent. Ces investissements n’ont en effet de sens que si les salariés ont l’assurance d’une stabilité de l’emploi et plus encore d’une progression de carrière dans le secteur dans lequel les qualifications acquises peuvent être valorisées.

Cette gestion des ressources humaines favorise les gains de productivité et permet aussi une spécialisation sur les productions de plus grande qualité. C’est une double réponse aux pressions de la concurrence internationale puisque cela facilite, à la fois la maîtrise des coûts de production et l’entrée sur des créneaux sur lesquels la concurrence en prix est plus faible. Les performances du commerce extérieur allemand s’expliquent pour une bonne part en ces termes. L’avantage comparatif du pays s’est fondé sur des innovations incrémentales (plutôt que « radicales ») dans des secteurs de « moyenne/haute technologie » (automobile, biens d’équipement, chimie). L’Allemagne a ainsi valorisé les compétences spécifiques de ses salariés et la cohérence de ses relations inter-entreprises. Et c’est principalement en ces termes qu’elle a résolu, mieux que ses partenaires européens, son problème de compétitivité.

Cela ne signifie que pas que ce modèle soit le seul ou le meilleur possible. Ses limites tiennent à la rigidité dans la réallocation des ressources. Un système plus souple, permettant une plus grande mobilité du capital et du travail entre secteurs est plus favorable aux innovations radicales qui peuvent aussi constituer un avantage comparatif important face à la concurrence internationale. Mais le fait est que l’on trouve peu d’exemples d’une telle stratégie dans l’expérience des pays européens, sauf peut être dans les pays du Nord de l’Europe. Car cela suppose, non seulement des investissements importants dans la formation générale et la recherche, mais aussi la mise en cohérence de la mobilité du travail avec celle du capital, et finalement une architecture institutionnelle bien distincte de celle de l’Allemagne.

On pourra toujours répondre que ces questions relèvent de choix nationaux et que l’Allemagne n’est pas concernée puisqu’elle les a résolues de façon satisfaisante. Mais cet argument n’a guère de sens, car on ne peut ignorer la nécessité d’une cohérence entre les stratégies nationales de croissance. Leur interdépendance, que l’union monétaire renforce, fait que les déséquilibres des uns déstabilisent les autres. Et il est impossible de définir des politiques économiques coordonnées lorsqu’elles s’appliquent à des modèles économiques trop dissemblables.

2 – Par ailleurs, un modèle d’entreprise « à l’allemande », fondé sur un certain partage du pouvoir de décision entre capital et travail rend possibles des arbitrages entre l’évolution des salaires et celle de l’emploi. C’est-à-dire que les salariés sont en mesure d’obtenir des garanties crédibles sur le maintien des emplois en échange d’une modération des rémunérations. Ce qui est difficilement envisageable dans un système dans lequel les négociations, lorsqu’elles existent, s’opèrent à un niveau décentralisé, donc sans internaliser l’effet des décisions microéconomiques ou sectorielles.

Ces deux modèles conduisent à des formes d’ajustement et à des stratégies de croissance différentes face à des chocs conjoncturels et aux transformations de l’environnement international La théorie et l’expérience montrent qu’ils ont aussi besoin de politiques macroéconomiques dissemblables.

Au cours de ces dernières années l’Allemagne a mené une politique de désinflation compétitive en s’imposant une rigueur salariale qui lui a permis de surcompenser le désavantage concurrentiel provenant de son entrée dans l’euro avec une parité inadaptée. Cette politique lui a permis de stimuler sa croissance par les exportations plutôt que par l’expansion des dépenses publiques. Du reste, le modèle allemand nécessite des politiques monétaire et budgétaire suffisamment rigoureuses pour que la négociation salariale converge vers une solution stable et socialement profitable [4]. Ce qui s’accorde avec « l’ordo-libéralisme » qui reste en Allemagne une référence importante pour le fondement et la définition de l’intervention publique.

Les économies européennes plus proches du modèle de gouvernance anglo-saxon (nous y plaçons la France) ont, au contraire, réagi aux pressions concurrentielles en sollicitant les dépenses publiques et l’endettement privé (singulièrement celui des ménages). Parce qu’en l’absence d’ajustement négocié, ces pressions ont engendré des pertes d’emplois et d’activité qu’il a fallu compenser de façon artificielle par des déficits publics et des conditions de crédit plus laxistes : la France a clairement et délibérément utilisé ces deux leviers. Une parité plus raisonnable de l’euro et le choix d’un taux d’inflation plus élevé auraient sans doute allégé les dilemmes de politique économique dans certains pays, dont la France. Cela aurait, en effet, facilité les ajustements de prix relatifs, notamment des salaires et du taux de change réels. Mais la Constitution de la Banque Centrale Européenne et les objectifs qu’elle s’est fixé ont fatalement poussé ces pays à la faute, c’est-à-dire au non respect de la discipline budgétaire.

Dès lors, il est parfaitement illusoire de rechercher le ou les responsables de ces déséquilibres. On peut bien sûr accuser l’Allemagne de mener une stratégie non coopérative puisque ses excédents ont pour conséquence de creuser les déficits extérieurs de ses partenaires européens et de déprimer leur demande globale. Les déficits budgétaires qui en résultent et sur lesquels l’Allemagne concentre ses critiques sont largement la conséquence de son comportement. Mais en contrepartie, on doit se demander s’il n’est pas légitime pour un pays développé et vieillissant de dégager des excédents de balance commerciale. Si c’est le cas, la condamnation de la stratégie allemande doit au moins être nuancée ; car elle revient à dénoncer l’utilisation d’un avantage comparatif (sa capacité à mieux négocier les ajustements de salaires et d’emploi) au motif que les autres pays n’en disposent pas. Et la demande de coopération apparait un peu comme une façon de revendiquer une modération de cet avantage. On comprend alors qu’il sera bien difficile de l’obtenir.

Dans ces conditions, on ne voit pas bien comment les positions des uns et des autres pourraient se rapprocher. Pendant longtemps encore les incantations sur la coordination des politiques économiques devraient rester lettre morte. Car il n’y a guère de solution en dehors d’une convergence progressive des institutions et finalement des modèles économiques et sociaux. Ce qui n’est pas prévu pour demain.

III – Conclusion

A l’évidence, il n’y aura pas de sortie de crise durable sans corrections des déséquilibres de toute nature qui ont conduit au désordre actuel. Or, tout démontre que ces corrections ne peuvent être laissées au libre jeu des marchés ; elles nécessiteront l’intervention coordonnée des Etats en plusieurs domaines (la régulation financière, les parités, l’environnement …).

Pour s’en tenir au seul cas de la zone euro, la crise a révélé que les besoins de coordination allaient bien au-delà du respect de la discipline budgétaire. Entre autres, l’exemple de l’Espagne (qui n’avait pas jusqu’en 2007 de déséquilibre budgétaire et dont la dette publique est relativement faible) prouve bien que les difficultés d’une économie peuvent avoir des origines diverses. Ce qui importe pour préserver la cohérence de la zone c’est que les pays partenaires puissent s’inscrire individuellement et collectivement sur une trajectoire de croissance soutenable.

En ce sens nous avons tenté de montrer, en insistant sur les systèmes de financement et de gouvernance, que les configurations institutionnelles avaient un rôle majeur. C’est parce que les économies européennes présentent en ce domaine d’importantes différences, qu’elles sont amenées à choisir des stratégies de croissance incompatibles. C’est aussi pour cela qu’elles réagissent aux chocs conjoncturels de façon désordonnée et globalement sous optimale.

Après avoir conçu dans l’urgence des dispositifs de gestion des crises bancaires puis budgétaires, les pays européens affirment leur volonté de coordonner leurs politiques économiques pour prévenir l’occurrence de ces crises. Mais leur conception de la coordination reste aujourd’hui complètement différente et sans doute inconciliable d’un pays à l’autre. Nous considérons que c’est là le résultat de l’hétérogénéité institutionnelle qui prévaut dans la zone euro. Or, il n’existe actuellement aucun consensus pour l’adhésion à un modèle économique et social commun. Ce qui rend peu crédibles les ambitions affichées.


[1Cf. en particulier VITOLS [2005], « Changes in Germany’s Bank-based Financial System : Implication for Corporate Governance”, Corporate Governance : an International Review, pp. 386-396 et GOERGEN, MANJON et RENNEBOOG [2008], “Recent Developments in German Corporate Governance”, International Review of Law and Economics, pp. 175-193.

[2HALL et SOSKICE (ed) [2001], « Varieties of Capitalism : the Institutional Foundations of Comparative Advantage », Oxford University Press.

[3Cf. Goyer [2007], « Capital Hability, Variety of Institutional Investors and the Transforming Stability of Corporate Governance in France and Germany in HANCKE, RHODES et THATCHER (ed), « Beyond Varieties of Capitalism : Conflict, Contradictions and Complementarities in the European Economy », Oxford University Press.

[4Cf. SOSKICE [2007], « Macroeconomics and Varieties of Capitalism », in HANCKE et al. (ed), op. cit.

Droits et Permissions

Accès libre (open access) : Cet article est distribué selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0.

Le financement du libre accès est assuré par le BETA – Bureau d’Économie Théorique et Appliquée.

D'autres articles qui pourraient vous intéresser


Partager