Un paquet de six bien (trop) ficelé

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

Secouée par la crise, l’Union européenne vient de se doter d’un nouvel arsenal de six résolutions législatives destinées à mieux surveiller les économies des Etats membres de la zone euro. Ce « paquet de six » sera opérationnel en janvier 2012. Sur le fond, il s’agit de renforcer le Pacte de stabilité et d’améliorer la surveillance macroéconomique. Ce paquet prolonge et renforce les exigences de rigueur défendues par la doctrine économique européenne. Sa présence tend à sédimenter un fédéralisme par des règles, alors que les Européens sont en droit d’aspirer à un fédéralisme politique.

Citer cet article

Michel Dévoluy « Un paquet de six bien (trop) ficelé », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 25, 17 - 20, Hiver 2011.

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Face à l’ampleur de la crise, le Conseil européen de mars 2010 avait demandé au Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, de former un groupe de travail, en coopération avec la Commission, pour proposer des mesures législatives destinées à améliorer la gouvernance économique européenne.
Les options stratégiques envisagées furent présentées dès juillet 2010. Elles s’articulent autour de deux grands axes, chacun reposant sur trois thèmes :

  • Renforcer le pacte de stabilité et de croissance par :
    • une plus grande attention apportée aux objectifs des finances publiques,
    • une coordination plus grande des politiques budgétaires et macroéconomiques des Etats membres dans le cadre d’un « Semestre européen »,
    • un renforcement des mécanismes de préventions et de sanctions
  • Améliorer la surveillance macroéconomique par :
    • un mécanisme d’alerte fondé sur des indicateurs (scoreboard)
    • une évaluation approfondie si les indicateurs franchissent un seuil critique,
    • une procédure de déséquilibre macroéconomique excessif pouvant entraîner des sanctions.

Ces six thèmes ont débouché sur six propositions législatives. Elles ont été validées par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 qui en parle dans le corps de ses Conclusions ainsi que dans le « Pacte pour l’euro plus » qui figure en Annexe.

Finalement, le « paquet de six », comme on l’appelle désormais, a été adopté, au terme d’une procédure de codécision ordinaire, par un vote du Parlement européen du 28 septembre 2011. Il prend la forme de cinq règlements qui s’imposent aux Etats et d’une directive qui passe par une transposition de la règle dans le cadre juridique de chaque Etat membre. Ces six dispositions législatives ont été publiées au journal officiel de l’Union de 23 novembre 2011. Il est impossible de faire ici état du contenu précis de tous ces textes. Nous proposons simplement une synthèse autour de quelques points essentiels.

Règlement sur « la surveillance des positions budgétaires, surveillance et coordination des politiques économique »

Ce premier règlement modifie en profondeur le Pacte de stabilité et de croissance. Celui-ci date de 1997 (Règlement (CE) n° 1466/97) et il avait déjà était amendé en 2005 [1]. L’enjeu de ce règlement est de renforcer le mécanisme et d’éviter les marchandages entre les Etats membres. Il met également en place une nouveauté : le semestre européen. Par ailleurs, il facilite le dialogue économique entre les institutions de l’Union et impose une meilleure qualité des informations nécessaires à la surveillance multilatérale. Enfin, le principe de l’indépendance des données statistiques est renforcé. En effet, une très grande importance est attachée à la qualité des informations et des prévisions budgétaires et macroéconomiques fournies par chaque Etat.

Le semestre européen est une innovation importante. Il vise à mieux coordonner les politiques économiques. Ce semestre, opérationnel depuis 2011, approfondit et systématise le mécanisme de surveillance. Il oblige chaque Etat à concevoir sa politique économique en cohérence avec les objectifs de l’Union et les stratégies de ses partenaires.

Le nouveau règlement reprend bien sûr les célèbres chiffres butoirs en matière de finances publiques (3% du PIB pour le déficit et 60% pour la dette). Mais, en plus, il accorde une attention particulière à la manière d’évaluer la satisfaction de ces objectifs. Il s’agit ici d’éviter des démarches interprétatives sur les données budgétaires. Ce règlement précise, encore plus qu’avant, les conditions à partir desquelles un Etat doit corriger sa politique ou être sanctionné pour mauvaise conduite [2].

Règlement sur « la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro »

Selon son article 1, ce second règlement « établit un système de sanctions visant à mieux faire respecter les volets préventifs et correctif du pacte de stabilité et de croissance dans la zone euro ».

Désormais, un Etat qui ne suit pas les recommandations de prévention peut se voir imposer, sur proposition de la Commission, un dépôt portant intérêt se montant jusqu’à 0,2% de son PIB tel qu’enregistré l’année précédente.

Dans des cas particulièrement graves de non respect des recommandations, ce dépôt de 0,2% ne sera pas porteur d’intérêts.

Ces dépôts peuvent être transformés en amende si le déficit excessif persiste. On entre alors dans une logique de correction des déficits qu’on retrouvera dans le règlement suivant.

Les sanctions recommandées par la Commission sont réputées adoptées, dès lors que le Conseil, ne la rejette pas explicitement, dans un délai de dix jours, à la majorité qualifiée. On parle à ce propos d’un mécanisme de « majorité qualifiée inversée ».

Mais les sanctions ne s’arrêtent pas là. En effet, un Etat qui manipule ses statistiques peut se voir infliger une amende par le Conseil sur proposition de la Commission. Celle-ci ne peut pas dépasser 0,2% de son PIB.

Les produits des amendes et des intérêts perçus par l’UE (précisément la Commission) sont versés au Fonds européen de stabilité financière (ou à l’organisme qui se substituerait à lui).Toutes les décisions de sanctions qui passent par des votes au Conseil sont prises sans la participation de l’Etat concerné.

Règlement visant à clarifier et à accélérer la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.

Pour cela, ce troisième règlement modifie celui de 1997 (Règlement (CE) n° 1467/97), lui-même déjà modifié en 2005.

Ce règlement évolue sur deux points. D’abord, il élargit les éléments à prendre en compte pour qualifier la réalité d’un déficit excessif. Il s’agit de mieux mettre en perspective la dynamique d’évolution des finances publiques et de recourir à une palette plus complète d’informations pertinentes. Dans ce contexte, l’accent est particulièrement mis sur le poids des systèmes de financement des retraites. Ensuite, le règlement raccourcit les délais à respecter avant d’enclencher les mesures préventives ou disciplinaires.

Lorsque, malgré les recommandations, un déficit excessif est constaté, il entraîne une amende voté par le Conseil. Il est précisé que les amendes comportent la composante fixe de 0,2% du PIB vue plus haut et une composante variable qui dépend directement de l’ampleur du dérapage budgétaire. La somme des deux ne pouvant pas dépasser 0,5% du PIB de l’Etat sanctionné.

Règlement portant sur « les modalités de détection des déséquilibres macroéconomiques, ainsi que sur laprévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques excessifs dans l’Union »

On retrouve dans ce quatrième règlement la logique du fonctionnement du Pacte de stabilité, mais appliqué à un ensemble de variables macroéconomiques.

Ce règlement comme, dans son article 2, par définir les termes : Un déséquilibre correspond à « toute tendance donnant essor à des développements macroéconomiques ayant un effet négatif ou susceptibles d’avoir un effet négatif sur le bon fonctionnement de l’économie d’un Etat membre, de l’Union économique et monétaire ou de l’Union dans son ensemble ». Les déséquilibres excessifs sont « notamment des déséquilibres compromettant ou susceptibles de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire. »

Pour donner un contenu précis aux notions de déséquilibres macroéconomiques, la Commission s’appuie sur un tableau de bord formé d’indicateurs « pertinents, pratiques, simples, mesurables et disponibles ». Ces indicateurs concernent la situation économique interne, y-compris les marchés financiers et des actifs, comme la situation externe, y-compris l’état de la compétitivité.

Le tableau de bord comprend des seuils indicatifs qui servent de référence en vue d’actionner les mécanismes d’alerte. La liste des indicateurs et des seuils est rendue publique.

Les bilans approfondis des situations macroéconomiques des Etats sont effectués par la Commission à partir des résultats du tableau de bord et en tenant compte de la spécificité de chaque Etat, notamment au regard de sa situation économique passée et des particularismes nationaux du marché du travail et du dialogue social. Le bilan prend également en considération les objectifs de l’Union tels que définis dans les Grandes orientations de politique économique (GOPE) et les Lignes directrices pour l’emploi (LDE).

La surveillance macroéconomique donne lieu à des rapports de la Commission. En cas de déséquilibres avérés, le Conseil, sur proposition de la Commission énonce des mesures préventives et, si nécessaire, correctives.

Afin de rendre les modalités de la surveillance macroéconomique plus aisées, un dialogue est instauré entre les institutions européennes appelées à intervenir tout au long des procédures.Au regard de la nouveauté de cette surveillance, il est prévu, si cela s’avère nécessaire, de pratiquer des révisions régulières de ce règlement tous les cinq ans, avec une exception de trois ans pour la première révision.

Règlement établissant « un système de sanctions aux fins de la correction effective des déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro »

Selon ce cinquième règlement, lorsqu’un membre de la zone euro se caractérise par un déséquilibre macroéconomique excessif, tel que définit dans le règlement précédent, un dépôt annuel est exigé par le Conseil, sur proposition de la Commission. Il est égal à 0,1% du PIB de l’Etat. Si les recommandations ne sont pas suivies d’effets, ce dépôt peut être transformé en amende. Les sanctions, dépôts annuels et amendes, sont proposées par la Commission et votées par le Conseil à la majorité qualifiée, en excluant l’Etat concerné.

Directive sur une transposition de la règle dans le cadre juridique de chaque Etat membre

La sixième décision est une directive sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des Etats membres au regard des règles budgétaires figurant dans le pacte de stabilité et de croissance.

Le « paquet de six » complète l’arsenal de la surveillance multilatérale. Il instaure des procédures complexes et pointilleuses. Son objectif est de clarifier : il alourdit. Son ambition est de contraindre à la vertu : il sanctionne.

Ce paquet est la conséquence d’un désarroi face à la crise. En l’absence d’un vrai gouvernement économique pour la zone euro, c’est-à-dire d’un gouvernement politique, comment s’assurer que les Etats membres auront un comportement responsable ?

Le traité de Maastricht, repris intégralement sur ce point à Lisbonne, a fixé la stratégie. « Les Etats membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil » (art. 121 TFUE). Pour ce faire, une surveillance multilatérale pilotée par la Commission contrôle, avertit en cas de dérapages et propose, si nécessaire, des sanctions.

La crise a démontré que ce mécanisme a ses limites. Il fallait donc, si on ose dire, « mettre le paquet ». De fait, les six résolutions législatives qui viennent d’être votées radicalisent et élargissent la démarche du Pacte de stabilité.

Dans ce « paquet de six », certes touffu et compliqué, le diable n’est pas dans les détails : il est dans sa seule présence. Ce paquet, formellement bien ficelé, est le produit d’une précipitation circonstancielle et d’une défaillance de fond.

La précipitation provient de la volonté des leaders européens, face à la crise, de prouver qu’ils entendent rester maîtres du jeu en imposant, rapidement, les changements qu’ils jugent indispensables.

La défaillance de fond est connue. La présence d’une monnaie unique impose un vrai fédéralisme budgétaire. Or celui-ci passe obligatoirement par un transfert substantiel de souveraineté nationale vers une forme, à imaginer, de fédération politique. Cette question ne pourra pas rester longtemps en suspens.


[1Voir notre article « De la souplesse pour renforcer le Pacte de stabilité » dans le numéro 14 (2006) de ce Bulletin.

[2A titre d’exemple, on peut citer l’alinéa 3 de l’article 10 du nouveau règlement sur la surveillance des positions budgétaires : « L’évaluation visant à déterminer si un écart est important [par rapport à l’objectif budgétaire à moyen terme] comprend notamment les critères suivants : pour un Etat membre qui n’a pas atteint l’objectif budgétaire à moyen terme, lorsqu’on évalue la modification du solde structurel, si l’écart représente au moins 0,5 % du PIB sur une année donnée, ou au moins 0,25 % du PIB par an en moyenne sur deux années consécutives ; lorsqu’on évalue l’évolution des dépenses, déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes, si l’écart a une incidence totale sur le solde des administrations publiques d’au moins 0,5 % du PIB sur une année donnée, ou si son incidence cumulée représente au moins ce pourcentage au cours de deux exercices consécutifs. »

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