Vers une communautarisation de l’APD

Amélie Barbier-Gauchard , Université de Strasbourg (BETA)

Lisa Steinacher, Université de Strasbourg

L’avenir du budget européen est actuellement au cœur des préoccupations de la Commission européenne. Afin d’orienter le débat, il convient de s’interroger sur les défis auxquels l’UE sera confrontée dans les années à venir. Dans ces conditions, les relations extérieures et plus particulièrement l’Aide Publique au Développement (APD), aide destinée à favoriser le développement économique et social des pays en développement, suscitent l’intérêt. Il s’agit ici de se demander dans quelle mesure un accroissement de la communautarisation de l’APD est souhaitable.

Mots-clefs : aide publique au développement, coopération Nord-Sud, politique de coopération.

Citer cet article

Amélie Barbier-Gauchard , Lisa Steinacher « Vers une communautarisation de l’APD », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 17, 12 - 16, Hiver 2007.

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Introduction

Le 12 septembre 2007, la Commission européenne lançait une vaste réflexion sur l’avenir du budget communautaire destinée à permettre « un réexamen complet et global couvrant tous les aspects des dépenses de l’UE (…) ainsi que des ressources (…) » [1]. De façon générale, la question posée est la suivante : Quels sont les défis auxquels l’UE sera confrontée à l’avenir et comment le budget européen doit-il aider à les relever [2] ?

À cette occasion, il semble opportun de s’interroger sur les domaines d’intervention où un accroissement de la communautarisation serait envisageable [3]. Le domaine de l’Aide Publique au Développement (APD) se prête alors parfaitement à ce genre de questionnement pour au-moins quatre raisons.

Premièrement, d’après les « Objectifs du millénaire pour le développement » [4] adoptés en 2000 par les pays membres de l’ONU et visant à améliorer, d’ici à 2015, la situation des pays les plus défavorisés les pays développés doivent consacrer 0,7 % de leur PNB à l’APD afin d’atteindre les objectifs fixés. À l’heure actuelle, seuls quelques pays d’Europe du nord (le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède) suivent cette recommandation.

Deuxièmement, l’APD compte déjà parmi les compétences partagées entre la Commission européenne et les États membres. L’Union européenne (États membres et Communauté confondus) fournit 55% du total mondial de l’APD (plus de 50 milliards d’euros en 2005), ce qui en fait de loin le premier bailleur de fonds aux pays en développement. Environ 14 % de ces fonds sont octroyés par la Commission tandis que les 86 % restants proviennent des budgets nationaux des Etats membres.

Troisièmement, alors que certains États membres s’opposent catégoriquement à toute montée en puissance du budget européen, craignant une détérioration de leur « solde net » [5], l’APD échappe à la logique du « juste retour » dans la mesure où l’APD profite à des pays hors de l’UE.

Quatrièmement, les citoyens européens semblent assez favorables à une augmentation de la contribution communautaire à l’APD comme le souligne un récent sondage de l’Eurobaromètre (institut d’analyse de l’opinion publique au service de la Commission européenne).

Ces différents éléments, associés à la volonté de certains États membres de pousser cette politique au niveau communautaire, justifient de s’interroger sur l’intérêt d’un renforcement du poids communautaire dans le domaine de l’APD.

Les dépenses d’APD dans l’UE

L’APD est une aide publique destinée à favoriser le développement économique et social des pays en développement (actuellement 152 pays d’après la liste établie par le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE parmi lesquels les Pays les Moins Avancés (PMA), les Pays à Faibles Revenus (PFR) et les Pays à Revenus Intermédiaires (PRI)). Cette aide financière intervient dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire ou encore les infrastructures et le respect des droits de l’homme. Cette aide peut revêtir différentes formes et différentes modalités selon les pays donateurs et les besoins des pays bénéficiaires. Sur le terrain, les délégations jouent un rôle clé dans l’exécution de l’assistance extérieure : elles mettent en œuvre, présentent et expliquent la politique d’aide, elles analysent et rapportent les développements obtenus suite à l’octroi de l’aide mais aussi et surtout elles conduisent les négociations avec les pays bénéficiaires.

Le Traité sur l’Union européenne [6] stipule que les États membres et la Communauté partagent les responsabilités pour la politique de développement [7].

La politique européenne de coopération au développement est née avec le Traité de Rome en 1957. À l’heure actuelle, la Commission consacre près de 7 milliards d’euros à l’APD soit près de 7 % du budget communautaire (et près de 20 % des dépenses communautaires consacrées aux relations extérieures [8]. Le contexte institutionnel dans lequel l’aide communautaire se place est marqué par une grande pluralité d’acteurs. Y sont impliqués notamment le Parlement européen à travers la ratification d’accords internationaux et la détermination du budget, le Conseil dans l’adoption de la législation pertinente et la Commission au sein de laquelle plusieurs Directions Générales et services [9] participent à la mise en place d’une politique de développement européenne cohérente, complémentaire et coordonnée.

De cet ensemble de fonds gérés par la Commission, uniquement une partie est inscrite dans le budget général de l’UE et relève par conséquent d’une procédure de décision supranationale. L’autre partie des fonds gérés par la Commission relève du Fonds européen de développement (FED). Le FED émane de mécanismes intergouvernementaux en dehors du budget. Il est soumis à ses propres règles financières et dirigé par un comité spécifique. Par conséquent, ce n’est pas un instrument communautaire au sens strict, mais un fonds alimenté par les contributions volontaires des États membres, négociées tous les cinq ans dans le cadre d’accords intergouvernementaux. L’APD octroyée dans le cadre du FED s’élève à plus de 2,5 milliards d’euros.

Les 25 États membres consacrent quant à eux près de 42 milliards d’euros à l’APD soit plus de 1,2% des dépenses publiques nationales totales dans l’UE. Toutefois, l’attitude des États membres envers l’APD diffère tant quant au niveau de l’aide qu’à la forme de celle-ci. Les pays ayant un passé colonial se distinguent par leur fort souhait de conserver des liens privilégiés avec leurs anciennes colonies et de veiller à la visibilité de leurs dispositifs bilatéraux. Les pays nordiques quant à eux se préoccupent davantage de la politique de coopération et du développement, qu’ils veulent promotrice de bonne gouvernance, des droits de l’Homme et d’égalité entre les sexes. L’APD est très peu développée dans les nouveaux États membres. Néanmoins, En raison de leur adhésion à l’UE, une augmentation de leurs efforts à l’APD s’impose à eux (en raison de l’adhésion à « l’acquis communautaire »). Ce faible développement de l’APD dans les pays de l’Est s’explique notamment par un manque de capacités administratives et de personnel. En conséquence, ces États membres préfèrent souvent contribuer aux fonds multilatéraux plutôt que de mener leurs propres programmes d’aide. Ces pays sont par conséquent plutôt favorables à une communautarisation accrue de l’APD. De façon agrégée, le schéma suivant indique la répartition de l’APD entre les 3 principaux acteurs que sont les États membres, la Commission européenne et le FED.

Répartition entre niveaux pour le secteur de l’aide extérieure

Répartition entre niveaux pour le secteur de l’aide extérieure

Source : Journal officiel de l’Union Européenne 2007 Europe Aid OCDE/CAD statistiques sur l’aide APD communautaire.

Des gains en termes d’efficacité à prévoir …

L’union européenne s’est dotée d’un ensemble complet d’outils d’intervention sans que cette démarche soit accompagnée d’une véritable réflexion sur sa cohérence avec les interventions nationales. Les fonds octroyés sont parfois redondants notamment dans le domaine de la santé. D’autre part, plusieurs canaux de gestion de l’aide se superposent au lieu de se compléter. Par ailleurs, sur le terrain coexistent les délégations communautaires et nationales. En définitive, la situation actuelle est caractérisée par des doublons inutiles, des chevauchements de travail voire même des activités contradictoires. Une clarification du rôle respectif de la Commission européenne et des États membres pourrait ainsi permettre de remédier à ces sources d’inefficacité. Pour se faire, il convient de s’interroger sur les avantages comparatifs dont dispose la Commission sur chacun des États membres pris isolément [10].

Avec près de 7 milliards d’euros dépensés en 2005 au titre de l’APD, le volume de l’aide octroyée par la Commission est supérieur à un certain nombre d’autres donateurs multilatéraux comme l’Association internationale de développement de la Banque Mondiale ou encore le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Par ailleurs, la Commission est présente dans près de 120 pays ce qui en fait le premier donateur mondial par sa présence dans le plus grand nombre de pays. Parallèlement, les délégations envoyées par la Commission ont vu leur rôle s’accroître permettant ainsi de renforcer les contacts avec les bénéficiaires de l’aide et de mieux connaître et comprendre les conditions locales, autant de facteurs qui conditionnent l’efficacité de l’aide versée.

De plus, l’UE apparaît comme un interlocuteur politiquement neutre, facteur important dans la construction des relations de confiance avec les pays partenaires. En revanche, certes l’UE apparaît plus neutre que certains États membres ayant un passé colonial mais probablement moins neutre que certains pays donateurs comme les pays scandinaves.

Enfin, une partie de l’APD communautaire est dirigée vers des pays qualifiés d’« orphan countries », souvent des pays fragiles, qui ne reçoivent pas l’aide dont ils auraient besoin dans la mesure où un certain nombre de pays donateurs se sont retirés de ces pays. Alors que les choix des pays donateurs sont exclusivement guidés par des motivations historiques ou politiques, les choix de la Commission apparaissent moins biaisés par ces considérations.

…mais des obstacles demeurent

Même si le souhait de la Commission à l’heure actuelle est de développer un large portefeuille de projets et non de se spécialiser dans un domaine précis, elle dispose néanmoins d’une expérience historique confirmée essentiellement auprès des PRI et surtout dans le domaine des infrastructure. Par conséquent, la Commission européenne manque d’expertise pour les autres pays et dans les autres domaines.

En effet, la Commission s’est spécialisée dans la coopération au développement avec trois types de pays. L’expérience avec les pays ACP est la plus ancienne (elle date de 1957) et la plus riche (et conduit à des relations moins ambiguës que celles avec les ex-puissances coloniales). La Commission s’est également spécialisée dans le soutien aux pays candidats (effectifs et potentiels) à l’adhésion à l’UE et aux pays voisins (les instruments de pré-adhésion et de voisinage existent depuis environ 15 ans). En revanche, l’objectif principal de l’aide à ces pays est plutôt l’alignement sur l’acquis communautaire que la lutte contre la pauvreté à proprement parler. En outre, sa spécialisation dans le domaine des infrastructures s’explique pour l’essentiel par la masse critique financière minimale nécessaire à la conduite de tels projets qui rend difficile leur mise en œuvre par des pays donateurs isolément et par l’expertise acquise par la Commission dans la gestion des projets d’infrastructures (dans le cadre notamment des Fonds structurels ou encore des Fonds de cohésion).

Par ailleurs, même si un « Consensus européen pour le développement » a été adopté en décembre 2005 par les gouvernements des États membres, le Parlement européen et la Commission européenne afin de fixer les objectifs, valeurs, principes communs et engagements nécessaires pour la mise en place de la coopération au développement de l’UE dans son ensemble (États membres et Commission confondus), il n’en demeure pas moins que les pratiques des différents États membres sont très hétérogènes. Dans ces conditions, il semble difficile à imaginer qu’un consensus puisse être trouvé sur le montant, la nature et les modalités d’un accroissement de l’intervention communautaire.

Conclusion : quelle alternative à une communautarisation de l’APD ?

Au regard de ces difficultés et malgré les avantages comparatifs certains dont peut bénéficier la Commission européenne, tout renforcement de l’intégration budgétaire dans ce domaine de l’APD peut également être envisagée sous la forme de dépenses communes mais non communautaires (il est parfois d’ailleurs question de dépenses « quasi-communautaires » à ce sujet). Dans ces conditions, le développement du FED, mécanisme intergouvernemental financé sur la base de contributions volontaire des États membres et géré par la Commission, pourrait permettre aux États membres qui le souhaitent de mutualiser certains coûts liés à l’octroi de l’APD.


[2Voir notamment von Hagen et Pisani-Ferry (2003), « Pourquoi l’Europe ne ressemble-t-elle pas à ce que voudraient les économistes ? » Revue économique vol. 54, N° 3, p. 477-488

[3Voir notamment Barbier-Gauchard et Bertoncini (2007), « Quelles perspectives de hausse pour le budget européen », Centre d’analyse stratégique, Note de veille n°50

[4Pour davantage de détails, voir : http://www.un.org/french/millenniumgoals/

[5La « contribution nationale nette » au budget européen (ou « solde budgétaire net ») s’obtient comme la différence entre la contribution nationale totale au budget européen et les dépenses communautaires dont a bénéficié l’Etat membre.

[6Voir Commission européenne (1997), Traité ’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, titre XX « Coopération au développement » (articles 177 à 181), titre XXI “Coopération économique, financière et technique avec les pays tiers” (article 181A), la quatrième partie du Traité “L’association des pays et territoires d’Outre-mer” (articles 182 à 188), l’article 310 du Traité relatif à l’association fonde la coopération avec les pays ACP et méditerranéens.

[7Voir notamment Bissiriou, Kern et Mainguy (2004), La politique de développement et de coopération de l’Union Européenne envers le Sud, dans Dévoluy (dir.), Les politiques économiques européennes : enjeux et défis, Éditions du Seuil.

[8Les 80% restants sont consacrés à l’aide humanitaire et à la PESC (Politique Étrangère et de Sécurité Commune) pour l’essentiel.

[9Sont rappelés ici la DG Développement, le service d’aide humanitaire (ECHO), la DG Relations extérieurs, l’Office de coopération EuropeAid. La DG Commerce, la DG Pêche et la DG Agriculture méritent aussi d’être mentionnées ici, à cause de leur forte implication pour le développement. sont également concernées par la politique de développement de l’UE, leurs actions ayant une influence plus ou moins directe sur les PED. Dans ce sens, le commerce est un élément critique qui pourrait appuyer les PED dans leurs efforts de réduction et d’éradication de la pauvreté, via leur intégration dans l’économie mondiale.

[10Voir notamment Mürle (2007), « Toward a Division of Labour in European Development Cooperation : Operational Options » Discussion Paper DIE (Deutsches Institut für Entwcklungszusammenarbeit) ou encore Schulz (2007), « Division of labour among European donors : Allotting the pie or committing to effectiveness ? », FRIDE comment.

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