L’euro, handicap ou atout en cas de crise grave ?

Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)

Les pays européens qui font face à une crise grave de leur endettement public peuvent avoir l’impression que leur appartenance à la zone euro constitue plutôt un handicap qu’un atout. En effet, les pays qui disposent d’une monnaie nationale peuvent espérer résoudre leur crise d’une façon plus satisfaisante sur le plan économique et social en procédant à une dévaluation de leur monnaie et en menant une politique monétaire généreuse. Mais, la sortie de la zone euro risque d’être coûteuse sur le plan économique, politique et social. De plus, elle semble inutile, car ce n’est pas l’euro qui constitue un handicap, mais plutôt le mécanisme de résolution des crises retenue par l’Europe. En fait, la solution à une telle crise peut être trouvée dans le cadre de la zone euro par l’adoption de mesures de solidarité compatibles avec l’esprit de la construction européenne.

Mots-clefs : crise de dette souveraine, déficits budgétaires et endettement public, Monnaie unique .

Citer cet article

Gilbert Koenig « L’euro, handicap ou atout en cas de crise grave ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 24, 17 - 24, Eté 2011.

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L’un des principaux avantages macroéconomiques attribué à l’euro réside dans sa capacité à protéger les pays membres de l’Union monétaire européenne des attaques spéculatives et des fuites de capitaux qui peuvent se manifester lors de crises économiques et financières graves. Or, cet avantage s’est révélé illusoire pour la Grèce, l’Irlande et le Portugal qui, malgré leur appartenance à la zone euro, ont fait l’objet de la défiance des opérateurs financiers sur leur capacité à rembourser leurs dettes. Il s’est même transformé en un handicap dans la mesure où ces pays ne peuvent espérer sortir de leurs difficultés financières qu’en faisant appel à l’aide internationale et en mettant en œuvre les mesures d’austérité sévères qui leur sont imposées en contrepartie de ces aides et dont les effets sur leurs finances publiques risquent d’être contraires à ceux attendus. Du fait du coût économique, politique et social important de cette solution, certains pays de la zone euro peuvent envisager de la quitter, alors que des candidats à l’euro peuvent être amenés à retarder leur adhésion ou à y renoncer en espérant que le retour à une monnaie nationale ou sa conservation leur permettra de mieux faire face à une crise de leur endettement public. Mais les difficultés qu’éprouvent les pays de la zone euro à résoudre leur problème de finances publiques face à la défiance des marchés financiers ne résultent pas de l’instauration d’une monnaie commune. Elle provient plutôt de la stratégie qui est utilisée par les instances européennes pour aider les pays en difficulté. En effet, le mécanisme actuel d’intervention des instances européennes n’est pas compatible avec les principes d’une union monétaire qui devraient être fondés sur la solidarité de ses membres. Une révision de ce mécanisme paraît indispensable pour la survie de l’euro.

1 Les pays de la zone euro face à la crise de leurs finances publiques

La première crise grave qui a frappé l’Union européenne en 2008-2009 a entraîné une détérioration des finances publiques de la plupart de ses membres. En effet, de 2007 à 2010, le déficit et l’endettement publics des pays de l’Union sont passés respectivement de 0,9 % à 6,4 % et de 59 % à 80 % de leur PIB et ceux de la zone euro ont augmenté respectivement de 0,7 % à 6 % et de 66,2 % à 85,1 % du PIB de la zone. Cette détérioration financière a particulièrement frappé la Grèce, l’Irlande et le Portugal, comme le montrent les données du tableau 1.

Tableau 1 : L’évolution des finances publiques de la Grèce, du Portugal et de l’irlande
Solde budgétaire/PIBEndettement public/PIB
Grèce Irlande Portugal Grèce Irlande Portugal
2007 −6,4 +0,1 −3,1 105,4 25,0 68,3
2008 −9,8 −7,3 −3,5 110,7 44,4 71,6
2009 −15,4 −14,3 −10,1 127,1 65,6 83,0
2010 −10,5 −32,4 −9,1 142,8 96,2 93,0

Source : Banque de France, chiffres clés de la zone euro.

Des dérives similaires se manifestent dans d’autres pays, comme l’Espagne dont le solde budgétaire est passé d’un excédent de 1,9 % du PIB en 2007 à un déficit de 9,2 % en 2010 et l’Italie et la Belgique dont les endettements publics respectifs sont passés de 2007 à 2010 de 84,2 % à 96,8 % du PIB et de 103,6 % à 119 %. De ce fait, la défiance des marchés financiers qui se manifeste actuellement envers les finances publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal risque de s’étendre progressivement à l’ensemble des pays de la zone euro.

Du fait de la détérioration de leurs finances publiques et de la défiance des opérateurs financiers qu’elle suscite, l’Irlande et le Portugal ont éprouvé des difficultés croissantes à trouver un financement de leur déficit public à des coûts raisonnables. Afin de rassurer les marchés financiers sur leur volonté d’assainir leurs finances publiques, ces pays ont mis sur pied plusieurs programmes d’austérité. Mais, du fait de leurs effets dépressifs, ces plans réduisent les rentrées fiscales, ce qui freine l’effort d’assainissement financier. De plus, leurs effets sur l’activité économique provoquent des réactions politiques et sociales de rejet. Faute de résultats rapides et suffisants, les agences de notations continuent à dégrader les notes attribuées aux dettes souveraines de ces pays. C’est ainsi que le Portugal a tenté d’éviter de recourir à l’aide européenne en mettant successivement sur pied trois programmes d’austérité qui ont entraîné la chute du gouvernement du fait de leurs effets économiques et sociaux. Comme ces effets n’ont pas amélioré suffisamment vite les finances publiques, l’agence de notation Moody’s a continué à dégrader la note de la dette publique portugaise, ce qui a entraîné une hausse du coût des emprunts du Portugal à un niveau insoutenable de 9,34 % pour les obligations publiques à 10 ans. Le pays a donc dû faire appel à l’aide financière de l’Europe et du FMI en avril 2011.

L’Irlande a suivi un scénario similaire, en tentant de repousser le plus longtemps possible le recours à l’aide financière internationale et en se résignant à y recourir en novembre 2010 sous la pression des marchés financiers dans une ambiance de crise politique et sociale.

L’aide européenne est accordée à travers le mécanisme de stabilité financière et le fonds européen de stabilité financière mis sur pied à la suite de la gestion confuse de la crise grecque [1]. Elle comporte les mêmes caractéristiques que celle accordée à la Grèce en 2010. En effet, les prêts sont alloués pour trois ans à un taux d’intérêt de 5,5 % à 6 %, ce qui paraît excessif compte tenu des difficultés des emprunteurs et du niveau des taux d’intérêt payés par des pays prêteurs, comme l’Allemagne, pour leurs emprunts sur les marchés financiers. Ils sont accordés à condition que les bénéficiaires effectuent de vastes privatisations et mettent sur pied des plans d’austérité sévères dont l’application est contrôlée au moment du versement de chaque nouvelle tranche de l’aide. Faute de posséder une monnaie nationale à dévaluer, ces pays doivent diminuer les salaires et les retraites pour réaliser les gains de compétitivité nécessaires pour compenser par une hausse des exportations la baisse de la demande interne provoquée par les plans d’austérité.

Les objectifs qui sont fixés aux pays doivent se réaliser dans un temps très court. C’est ainsi que le déficit public du Portugal qui représente 9,1 % du PIB en 2010 doit passer à 5,9 % en 2011 et à 4,5 % en 2012 pour atteindre 3 % du PIB en 2013. Ces délais sont calqués sur l’horizon court des agences de notations qui sont appelés à juger les progrès des efforts d’assainissement financier. Mais ils sont incompatibles avec le temps nécessaire à la réalisation des réformes structurelles qui sont indispensables pour améliorer les finances publiques. C’est ainsi qu’une partie de cette amélioration dépend de réformes qui consistent essentiellement, en Grèce, à réduire les fraudes fiscales et la corruption et, en Irlande, à réorienter l’activité économique tournée en grande partie vers l’immobilier en faillite.

Les solutions ainsi imposées aux pays en difficulté ne sont pas seulement coûteuses sur le plan économique en terme de perte de croissance et sur le plan social en terme de chômage et de régression, mais elles risquent de ne pas atteindre leurs objectifs. C’est ainsi que ces mesures auxquelles s’ajoute le programme d’achat d’obligation publiques et d’apport de liquidités aux banques par la BCE n’ont pas réussi à restaurer le calme sur les marchés financiers. En effet, les spreads sur les obligations à 10 ans émises par la Grèce, l’Irlande et la Portugal sont plus élevés en février 2011 qu’en avril 2011 avant la mise en œuvre des différentes mesures destinées à apaiser les marchés financiers. Il est peu probable, selon Darvas et al. (2011) qui sont membres du centre de réflexion Bruegel, que les ajustements exigés par les instances européennes et le FMI pour rétablir la confiance des opérateurs financiers puissent être réalisés. Ces économistes fondent leurs critiques sur une évaluation de l’importance de ces ajustements et sur leur impact sur la solvabilité des pays. L’indice de cette solvabilité est formé par le surplus budgétaire primaire qui correspond à la différence entre les recettes et les dépenses publiques hors paiement des intérêts de la dette publique. Pour que la Grèce puissent stabiliser le ratio dette publique/PIB et le ramener au niveau de 60 % du PIB en 2034, il faut, selon cette étude, qu’elle maintienne pendant plusieurs années un surplus primaire représentant 14,5 % du PIB selon une version prudente de la simulation effectuée par ce travail et 8,4 % selon une version optimiste. Un tel effort paraît impossible à soutenir. En effet, au cours de ces 50 dernières années aucun pays de l’OCDE n’a pu maintenir un surplus primaire supérieur à 6 % du PIB. Par contre, les surplus primaires que devraient assurer l’Irlande et le Portugal peuvent être soutenus à des niveaux qui ont pu être réalisés historiquement. En effet, ils représentent respectivement pour l’Irlande et le Portugal 6,1 % et 5,8 % du PIB dans les versions prudentes, et 3,7 % et 2,9 % du PIB dans les versions optimistes.

2 La gestion d’une crise de l’endettement public dans un cadre national

Si un pays qui doit faire face à une crise d’endettement public possède sa propre monnaie, il doit s’efforcer, comme les pays de la zone euro, de rassurer les opérateurs financiers sur sa volonté d’assainir ses finances en réduisant son déficit budgétaire. Mais contrairement à un pays participant à une zone monétaire, il peut tenter de compenser les effets dépressifs de la réduction de son déficit en laissant sa monnaie se déprécier par rapport aux autres monnaies, comme l’a fait la Grande-Bretagne. De plus, il peut mener une politique monétaire nationale généreuse induisant une certaine inflation ce qui réduit la valeur réelle de sa dette publique. Ces mesures transitoires peuvent permettre de réduire le coût social des mesures d’assainissement financier pendant la période nécessaire pour effectuer les réformes structurelles favorables à un assainissement de long terme.

Cette perspective peut inciter les pays de la zone euro qui sont soumis à la pression des plans d’austérité imposés par l’Europe et le FMI à sortir de la zone euro et à revenir à leur monnaie nationale. Mais, une telle décision comporte des coûts économiques. En effet, les salariés qui anticipent la hausse de l’inflation destinée à réduire la charge de l’endettement public peuvent être incités à exiger des hausses de salaires qui neutralisent l’effet positif de la dépréciation de la monnaie nationale sur la compétitivité du pays. Mais cet effet peut être atténué si une réforme du marché du travail accompagne la sortie de la zone euro. Le retour vers une monnaie nationale risque également d’accroître le taux d’intérêt à payer pour financer le lourdement sur les finances publiques d’un pays dont l’endettement public est important et qui subit de ce fait des charges d’intérêt élevées. De plus, les capitauxdéficit budgétaire, ce qui défavorise l’activité économique nationale et peut peser risquent de se détourner du pays dans la perspective d’une instabilité des taux de change et d’une hausse de l’inflation. Mais, là encore, des réformes peuvent être envisagées pour encourager les investissements nationaux et étrangers par des mesures fiscales. De plus si le programme d’assainissement financier est crédible, il n’y a pas de raison pour que se développe une défiance envers le pays.

Si, malgré ses efforts pour assainir ses finances publiques, un gouvernement doit faire face à des hausses du taux d’intérêt non soutenables pour le financement de son déficit et à des pressions sociales importante, il est amené à envisager une restructuration de sa dette ou, dans un cas extrême une suspension du remboursement de la dette publique extérieure. Cette solution extrême a été choisie par l’Argentine en décembre 2001 sous la pression des mouvements sociaux et des marchés financiers. Elle a entraîné à court terme une grave récession et la fin des entrées de capitaux, mais elle a été suivie dés 2003 par un rebond important de la croissance économique.

Pour B. Eichengreen (2010), les coûts les plus dissuasifs pour les gouvernements qui envisageraient de sortir de la zone euro sont ceux qui résultent du remplacement d’une monnaie par une autre et ceux de nature politique. Les premiers sont similaires aux coûts importants engendrés par le passage des monnaies nationales à l’euro. Il s’y ajoute le risque d’un retrait massif des dépôts et une fuite des capitaux. Quant aux coûts politiques, ils résultent de la perte de la crédibilité internationale d’un pays qui est considéré comme ayant mis fin unilatéralement à ses engagements. Un tel pays risque de ne pas être considéré avec bienveillance dans les discussions futures concernant l’évolution de l’Union européenne et les choix des priorités politiques.

3 La gestion d’une crise des finances publiques dans une zone monétaire solidaire

Les difficultés qu’éprouvent les pays de la zone euro à résoudre les crises de leurs finances publiques ne résultent pas de l’existence de la monnaie commune, mais plutôt du mécanisme de résolution des crises utilisé par les autorités européennes. De ce fait, il conviendrait plutôt de réviser ce mécanisme au sein d’une zone euro solidaire que d’abandonner l’euro qui conserve une capacité de stabilisation interne et qui s’est imposé hors de la zone euro comme monnaie internationale [2]. Mais une telle révision ne peut être que progressive compte tenu de la recherche permanente d’un consensus général pour toutes les décisions européennes et de l’attitude particulièrement rigide de certains pays. Elle nécessite d’abord un diagnostic des situations financières véritables des pays en difficulté qui doivent résoudre un problème de solvabilité, plutôt qu’un problème de liquidité, ce qui conduit à envisager la solution de la restructuration de la dette publique de ces pays.

Les instances européennes ne sont pas favorables à cette solution, car elles craignent ses répercussions sur les détenteurs des titres publics des pays bénéficiaire de cette opération, notamment sur le système bancaire européen qui détient selon les estimations du tableau 2 environ un tiers des dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. De ce fait, elles adoptent une position d’attente en espérant que ces pays pourront assainir leurs finances publiques sous la pression qu’elles leur imposent et qu’avec le temps les banques européennes encore polluées par des titres toxiques assainiront leurs bilans et pourront absorber les effets d’une restructuration éventuelle. Une telle attitude s’est déjà révélée nocive lors de la gestion de la crise grecque dont les hésitations ont conduit à mettre en doute la volonté européenne d’aider ce pays et ont stimulé les spéculations contre les pays en difficulté.

Tableau 2 : Répartition estimée de la dette publique des pays européens en difficulté
En % de la dette publique de chaque pays à la fin de 2010
Détenteurs des titres publicsGrèceIrlandePortugal
Banques domestiques 21 7 13
Autres banques de la zone euro 16 9 23
Autres banques 2 6 4
Secteur non bancaire domestique et étranger 36 64 45
BCE 15 14 15

Source :Darvas et al (2011)

Une nouvelle stratégie devrait être envisagée selon les propositions de Darvas et al (2011) et de Holland et Varoufakis (2011) qui sont assez proches l’une de l’autre. Elle doit permettre de résoudre les trois crises interdépendantes auxquelles la zone euro fait face : crises de l’endettement public, des institutions bancaires et du sous-investissement.

Pour résoudre la crise de la dette publique, Darvas et al proposent une réduction à 3,5 % des intérêts des prêts aux pays en difficulté, une hausse de la maturité des titres à 30 ans, un report du remboursement des prêts accordés par le FMI de 2018 à 2030 et le rachat par le Fonds européen de stabilité financière de toutes les obligations publiques rachetées par la BCE. Ces mesures peuvent être complétées par une diminution de la valeur des dettes publiques dont l’importance est évaluée à 30 % pour la Grèce. Dans ce cas, les gouvernements doivent permettre aux détenteurs de leurs titres de choisir entre différentes formes de conversion de ces titres. Ces détenteurs devraient pouvoir remplacer ces titres publics par des obligations à valeur plus élevée s’ils s’engagent à les conserver longtemps ou par des titres de même maturité, mais d’une valeur dépréciée. Ces nouveaux titres pourraient bénéficier de la garantie du Fonds européen de stabilité financière.

Avant de mettre en œuvre de telles opérations, les instances européennes doivent s’assurer de la capacité du système bancaire européen à absorber le coût d’une restructuration de la dette publique qu’il détient. Pour cela, il convient d’effectuer des stress-tests sérieux et crédibles qui permettent de connaître l’importance des titres toxiques encore détenus par les banques et d’envisager la recapitalisation des institutions viables. Pour éviter que la restructuration de la dette d’un pays ne déclenche un phénomène de contagion sur les autres, il faut créer un organisme européen de supervision chargé de gérer les problèmes d’interdépendance internationale. De plus, pour que le coût des opérations de restructuration ne pèse pas excessivement sur le secteur non bancaire, il convient de proposer aux détenteurs privés d’actifs publics, une grande variété de titres bénéficiant de garanties et susceptibles de se valoriser à la faveur d’une croissance économique retrouvée.

Les opérations de restructuration qui peuvent être envisagées actuellement pour les trois pays de la zone euro en difficulté sont économiquement coûteuses et potentiellement déstabilisantes. Elles risquent de s’imposer à d’autres pays dans l’avenir, au gré des attaques spéculatives et des appréciations des agences de notation. Pour éviter ce risque, il faut que l’Europe prenne des mesures affirmant la solidarité de ses membres et leur engagement en faveur de l’euro. C’est dans cette perspective que J.-C. Junker, président de l’Eurogroupe et G. Tremonti, ministre italien de l’économie et des finances ont lancé l’idée de la création d’euro-obligations dans une tribune publiée dans le Financial Times en décembre 2010. Selon cette proposition, les obligations européennes devraient être émises par une Agence européenne de la dette qui se substituerait au Fonds européen de stabilité financière. Elles pourraient représenter jusqu’à 40 % du PIB de l’Union Européenne avec la garantie des pays européens. Afin de créer un marché obligataire européen comparable au marché des bons du Trésor américain, l’Agence devrait financer jusqu’à 50 % des émissions des pays européens et jusqu’à 100 % des émissions des pays en difficulté. De plus, elle devrait permettre les échanges entre les euro-obligations et les obligations nationales existantes. La conversion de ces dernières pourrait se faire avec un rabais sur leur valeur d’autant plus important que la défiance des opérateurs financiers est forte.

Dans une perspective similaire, S. Holland et Y. Varoufakis (2011) proposent de transférer la dette publique de chaque Etat représentant 60 % de son PIB à la BCE qui financerait ce transfert par une émission d’obligations de long terme. Cela permettrait de réduire la pression des marchés financiers sur les Etats qui, par ailleurs, rembourseraient leurs dettes à la BCE sur une durée longue et à un taux d’intérêt bas.

Ces propositions entraîneraient la création d’un marché d’obligations européennes solide qui permettrait aux gouvernements des pays européens en difficulté d’obtenir des ressources suffisantes à un taux d’intérêt inférieur à celui qu’ils devraient supporter en l’absence d’un tel marché. Cela leur permettrait d’assainir leurs finances publiques à moyen terme sans craindre une mise en cause de leurs efforts par les évaluations des agences de notation portant sur leur situation de court terme et par les attaques spéculatives qui en résultent. De plus, un tel marché pourrait favoriser l’investissement et la croissance en maintenant les capitaux dans l’Union européenne et en en attirant de nouveaux. Cet effet devrait être renforcé, selon S. Holland et Y. Varoufakis, par une politique de relance européenne sous l’impulsion de la Banque européenne d’investissement. En effet, faute d’une reprise économique importante, les pays européens ne pourront pas assainir suffisamment leurs finances publiques pour éviter le risque d’attaques spéculatives.

Conclusion

Selon P. Krugman (2011), quatre scénarios peuvent être envisagés pour l’évolution de la crise européenne de la dette publique. Le premier qui relève du stoïcisme consiste pour les pays en difficulté à accepter les sacrifices qui leur sont imposés pour regagner la confiance des marchés. Il a été adopté, par exemple, par l’Estonie afin de pouvoir adhérer à l’euro. Son coût a été énorme en termes de baisse de production et de hausse du chômage et le redémarrage de la croissance ne permettra probablement d’absorber ces coûts que dans de nombreuses années. Un tel scénario proposé à l’heure actuelle aux pays en difficulté risque de ne pas réduire leur endettement public du fait des mesures d’austérité et des politiques déflationnistes qu’elles impliquent. De ce fait, un second scénario pourra être envisagé : la restructuration de la dette qui permet de mettre fin à la défiance des opérateurs financiers et à la hausse des taux d’intérêt. Mais, elle nécessitera tout de même des coupes budgétaires importantes pour assainir les finances publiques, ce qui aura des répercutions économiques et sociales négatives. De plus, ce scénario actuellement envisageable pour les trois pays européens en difficulté risque de devoir être étendu à d’autres pays, ce qui peut susciter une grande défiance envers l’euro et entraîner la zone euro dans une grave récession. Le troisième scénario qui s’inspire de l’expérience de l’Argentine a été appliqué récemment par l’Islande dont les banques ont accumulé des dettes extérieures très importantes et dont les citoyens ont contraint leur gouvernement à ne pas honorer les engagements extérieurs de ces banques. Une telle solution ne peut être envisagée par un pays, comme l’Irlande qui fait face à un problème similaire à celui de l’Islande, que s’il décide de quitter la zone euro et s’il espère pouvoir compenser les effets des difficultés des banque nationale par à une forte dépréciation de sa monnaie afin de stimuler la demande extérieure. Le dernier scénario envisagé par P. Krugman nécessite une évolution de l’Europe vers « une union de transfert » dans laquelle la solidarité de ses membres doit se manifester par une aide systématique des pays forts aux pays en difficulté. Les propositions de création d’euro-obligations pourraient constituer la première étape d’une telle solution. Il est probable que, dans un avenir proche, les grands pays européens devront choisir entre le maintien de leur position actuelle qui risque d’inciter les membres de l’union à chercher des solutions à leurs crises hors de l’euro et le quatrième scénario qui devra conduire à un fédéralisme budgétaire avec le maintien d’une monnaie commune.

Bibliographie

Darvas Z., J. Pisani-Ferry and A. Sapir (2011), “A comprehensive approach to the euro-area debt crisis”, Forthcoming Bruegel Policy Brief, n° 2011/0.

Eichengreen B. (2010), “Europe and the Euro : Doomed to Succeed”,http://www.econ.berkeley.edu/ eichengr/europe_euro_doomed.pdf

Holland S. and Y. Varoufakis (2011), “A modest proposal for overcoming the euro crisis”, Policy Note Levy Economics Institut of Bard College, n°3.

Juncker J.-C. and G.Tremonti (2010), “Issuing E-bonds : a way to overcome the current crisis’, Financial Times.December 6.

Koenig G.(2007), « L’euro huit ans après », Bulletin de l’OPEE, n°16, p.3-9.

Koenig G. (2010), « L’UEM face aux déficits publics de ses membres », Bulletin de l’OPEE, n°22, p.8-16.

Krugman P. (2011), « Can Europe be saved ?” New York Times supplement, January 16.


[1Voir l’analyse de la gestion de la crise grecque par G. Koenig (2010). 

[2Voir G. Koenig (2007)

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