L’initiative coton à la conférence de Cancun et l’Union européenne

Francis Kern, Université de Strasbourg (BETA)

Après des mois d’hésitation et de discussion dans le cadre de l’UEMOA et de la CEDEAO, quatre pays africains ont osé affronté leurs principaux donateurs en quittant le terrain de l’hypocrisie et de la bonne conscience qui caractérisent l’aide publique au développement pour ces derniers et la dépendance voire la soumission pour les récipiendaires.

Mots-clefs : aide publique au développement, cycle de Doha.

Citer cet article

Francis Kern « L’initiative coton à la conférence de Cancun et l’Union européenne », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 11, 25 - 26, Hiver 2004.

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Cette fois, enfin, des pays du sud de surcroît appartenant aux pays les moins avancés (P.M.A) élaborent un dossier technique avec l’aide d’experts et d’organisations de la société civile-OXFAM et ENDA-Tiers-Monde pour mettre les deux géants commerciaux mondiaux à savoir l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique devant leurs responsabilités. En fait de responsabilité il s’agit davantage de mettre en lumière le double langage des deux puissances commerciales voire de leur duplicité qu’on en juge.

Les quatre pays producteurs de coton : le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et le Tchad dont le coton représente entre 50 et 70% de leurs recettes d’exportation dénoncent les subventions publiques dont bénéficient les producteurs américains et européens. Ces subventions sont de deux ordres, subventions aux exportations qui constituent une forme de dumping sur le marché international et des aides directes aux producteurs qui leur permettent de réduire les coûts de production et d’améliorer les rendements par hectare donc leurs parts de marchés au détriment des autres producteurs qui non seulement ne sont pas aidés mais subissent la privatisation du secteur sur les conseils éclairés de la Banque mondiale. Cette privatisation les a coupés de toutes aides sur les intrants en particulier les engrais ou de prêts bonifiés pour l’achat de matériel. L’argumentaire est simple il consiste à demander à l’OMC dans le cadre du Cycle de Doha qui a précisément pour objectif de mettre le commerce international au service du développement d’obtenir la suppression de toute aide directe ou indirecte aux producteurs américains et européens dans la mesure où ces aides faussent les règles de la concurrence sur le marché international du coton.

Les 2,3 milliards de $ dont bénéficient les 25000 producteurs américains représentent davantage que l’APD que l’USAID versent à ces pays et ruinent littéralement les 10 millions de producteurs d’Afrique de l’Ouest et centrale. Pour l’union européenne la situation est moins dramatique sur le coton car seules l’Espagne et la Grèce sont producteurs en Europe et il s’agit souvent de petits producteurs mais c’est sur le marché communautaire que la concurrence est faussée car l’UE est importatrice nette de coton africain. Néanmoins l’argument des pays africains pourrait s’appliquer au sucre de betterave dans l’Union européenne ou au riz dans le cas du Japon. Mais justement les signataires de l’initiative coton ne veulent pas que le cas du coton soit englobé dans une négociation globale sur les produits agricoles car la durée de ces négociations ne peut répondre à l’urgence de la situation pour les producteurs de coton. En attendant la suppression de ces aides, les pays producteurs demandent des indemnités compensatoires pendant la période transitoire. En septembre 2004 I’OMC vient de donner raison aux requérants et demande aux États-Unis de mettre fin aux subventions au plus tard en juillet 2005.

Les perspectives ouvertes par cette initiative sont prometteuses car elles pourraient permettre de mettre fin aux ravages écologiques dus aux épandages massifs par avion de fongicides et pesticides sur les exploitations dans les États du sud des États-Unis. Les terres sont aujourd’hui appauvries voire stériles si elles n’étaient pas « dopées » par des doses d’engrais azotés et phosphates financées grâce aux subventions incriminées. À l’opposé le coton africain est de très bonne qualité car entretenu et cueilli manuellement et ne peut être poussé faute de moyens financiers ! Néanmoins l’appauvrissement des sols consécutifs à la culture du coton touche aussi les terres africaines et la disparition de l’assolement pour des raisons de rentabilité devient aussi une réalité. Mais une valorisation d’une filière bio équitable, du coton fibre aux tissus en coton, reste encore possible comme l’a souligné la rencontre de Bamako en mars 2004 [1].

Enfin une autre voie est à explorer, la Chine premier producteur et importateur de coton pourrait passer des accords avec les pays producteurs africains car c’est à ce stade que la concurrence avec le coton américain est la plus vive et que le prix international joue pleinement. Ces accords préférentiels iraient à l’encontre des règles de libre échange prônées par l’OMC mais pour les produits sensibles, or c’est bien ce que démontre l’initiative, ces règles peuvent être suspendues.

Il reste à espérer que cette initiative ne sera pas entravée par les deux grandes puissances commerciales et que la détermination des pays africains ne va pas s’infléchir sous les pressions des « milieux internationaux ». Un bon test est le sommet international de la francophonie les 27 et 28 novembre 2004 à Ouagadougou qui pourrait relayer cette initiative puisque les 4 pays font partie de la francophonie et ont l’appui d’un autre pays francophone, le Sénégal. Mais lors d’une rencontre à Paris en juillet, le ministre français du commerce extérieur leur a fait savoir que la France était d’avis d’inscrire les discussions sur le coton dans le volet agricole des négociations du cycle de Doha. Une manière de noyer le poisson en contradiction avec la position tiers-mondiste du président Chirac (cf. le discours retentissant sur le développement durable à la conférence des Nations Unies de Johannesburg en 2002), néanmoins espérons que les organisations de la société civile qui ont appuyées l’Initiative resteront vigilantes pour que les perspectives dégagées depuis Cancún puissent se concrétiser en 2005.


[1Brigitte Breuillac, « Un forum social à Bamako pour se réapproprier la culture du coton », Le Monde Économie, 9 mars 2004.

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