La France face à une procédure de déficit public excessif
Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)
Après avoir rétabli les règles de discipline budgétaire du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) qui avaient été suspendues temporairement et après avoir évalué la situation financière des pays européens, les instances européennes ont décidé de soumettre sept pays dont la France à une procédure de déficit public excessif à cause de la détérioration importante de leurs finances publiques. L’article cherche tout d’abord les causes de cette détérioration qui semble avoir surpris les pouvoirs publics français. Or cette situation n’est pas seulement due aux deux crises qui ont marqué la période 2020-2023. Elle résulte également du manque d’efficacité de la politique utilisée par les pouvoirs publics pour aider les entreprises et les ménages à faire face aux conséquences de la crise de l’énergie en 2022-2023. Ces résultats devraient inciter les responsables politiques à revoir leur politique face aux exigences de la procédure de déficit public excessif compte tenu du rétablissement de la règle de discipline budgétaire. Les premières réactions à ces exigences semblent indiquer que la politique envisagée s’oriente vers celle mise en œuvre dans la période 2009-2017 au cours de laquelle la France a été soumise également à une procédure de déficit public excessif, mais a dû respecter la discipline budgétaire imposée par le PSC. L’analyse de cette stratégie qui correspond à une politique d’offre montre sa faible capacité à assurer à la fois une forte croissance et un assainissement des finances publiques. Ce résultat incite à envisager une alternative à cette politique. L’article propose une telle alternative qui serait susceptible de contribuer à l’assainissement des finances publiques et au financement des dépenses importantes que la France s’est engagée à réaliser dans différents domaines.
Codes JEL : E6, H2, H3, H6
Mots-clefs : crise de l’énergie, finances publiques.
Citer cet article
Gilbert Koenig « La France face à une procédure de déficit public excessif », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 49, 1, Hiver 2024.
Afin de permettre aux pays européens de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire déclenchée en 2020 et de la crise énergétique issue en 2022 du conflit russo-ukrainien, l’Union européenne (UE) a décidé le 23 mars 2020 d’activer la clause dérogatoire temporaire du Pacte de stabilité et de Croissance (PSC). Cette activation suspend temporairement les règles de discipline budgétaire du PSC. Elle permet aux Etats européens de fournir différents soutiens aux ménages et aux entreprises mis en difficulté par les incidences économiques et sociales engendrées par les deux crises, sans trop se préoccuper des incidences de leurs décisions sur leurs finances publiques. Mais au terme de la suspension des règles de discipline budgétaire en avril 2024 la Commission européenne (CE) a voulu faire le point, dans le cadre du Semestre européen, sur l’état des finances publiques des Etats européens résultant de cette période. Pour cela, elle a déposé le 19 juin 2024 un rapport destiné à évaluer la situation financière des douze pays européens dont les finances publiques s’étaient détériorées le plus. Compte tenu de cette évaluation, elle a recommandé au Conseil des ministres des finances de l’UE de déclencher les procédures de déficits publics excessifs prévues par les traités pour les sept pays parmi des douze dont les finances publiques ont dévié d’une façon particulièrement importante par rapport aux critères de la discipline budgétaire [1] [2]. La France fait partie de ces pays, car les montants de son déficit et de son endettement public sont loin de satisfaire les critères de la discipline budgétaire européenne. Ces montants diffèrent sensiblement de ceux qui avaient été prévus lors du projet de loi de finance en novembre 2023. Le ministre de l’économie et des finances a considéré, dans la presse, que ce dérapage résultait de mauvaises surprises sur les recettes publiques. Mais de tels résultats ne sont pas dus au hasard. Il ne résulte pas seulement des impacts du choc sanitaire et du conflit russo-ukrainien qui ont touché tous les pays européens, mais aussi des incidences des réponses spécifiques apportées par chaque Etat à ces chocs.
Dans une première section, l’article recherche les causes du déficit public excessif de la France qui a déclenché la procédure européenne à son encontre. En évaluant l’efficacité des politiques utilisées pour faire face aux conséquences des deux crises sur la croissance économique et l’emploi, l’article montre les limites d’une politique d’offre centrée sur des aides publiques bénéficiant surtout aux entreprises. En effet, ces aides n’auraient pas incité les entreprises à augmenter d’une façon significative leurs productions si elles n’avaient pas eu des perspectives de débouchés importants du fait de l’existence d’une forte demande macroéconomique en 2021. Par contre, lorsqu’il a fallu faire face aux conséquences de la crise énergétique, les aides publiques n’ont pas eu un grand effet sur les décisions des entreprises à augmenter leurs productions à cause de la base conjoncture de la période 2022-2023 qui a conduit à de faibles perspectives de débouchés. Les baisses du taux de croissance économique et des recettes fiscales qui en ont résulté ont abouti à la détérioration des finances publiques qui a déclenché la procédure de déficit excessif. Du fait du rétablissement de la discipline budgétaire, la politique qui doit être mise en œuvre à partir de 2024 pour assainir les finances publiques ainsi détériorées, doit concilier les nécessités d’obtenir une consolidation budgétaire et une croissance forte. Pour définir une telle politique, le gouvernement peut être tenté de s’inspirer de celle appliquée dans la période 2009-2017 au cours de laquelle la France a également fait l’objet d’une procédure de déficit public excessif. Mais avant de s’engager dans cette voie, il serait prudent de vérifier la pertinence de ce choix.
La seconde section a comme objectif de vérifier la pertinence de la référence à la politique menée dans la période 2009-2017. Le bien-fondé de cette référence peut soulever des doutes si l’on considère que la France a mis près de 10 ans pour se soustraire à la procédure de déficit excessif. Cette durée peut s’expliquer par l’utilisation d’une politique d’offre de 2012 à 2016. Cette politique est menée dans une période de croissance économique faible et de chômage élevé. Cela conduit les entrepreneurs à faire des anticipations pessimistes sur leurs débouchés. En 2017, le rebond de la croissance économique et la baisse du chômage sont dus essentiellement à une hausse de la demande de consommation et d’investissement qui a incité les entreprises bénéficiaires des aides publiques à augmenter leurs productions. La hausse des recettes fiscales qui en a résulté a entraîné une amélioration de la situation des finances publiques. Ces résultats ont justifié la fin de la procédure de déficit excessif imposée à la France.
La troisième section propose une alternative à la politique d’offre qui s’est révélée peu efficace dans les périodes 2020-2023 et 2009-2017 en l’absence d’une demande suffisante pour inciter les entreprises à augmenter leurs productions. Cette alternative se fonde théoriquement sur le principe keynésien de la demande effective opposé à la loi des débouchés qui constitue la base théorique de la politique de l’offre. Elle est représentée par une politique d’offre et de demande globales sous une contrainte de financement qui oblige les pouvoirs publics envisageant d’augmenter leurs dépenses de s’assurer préalablement de leur financement. Dans la période actuelle, la France doit assainir ses finances publiques pour essayer de mettre fin à la procédure de déficit excessif et de faire des dépenses pour se conformer à ses engagements nationaux et internationaux. Pour répondre à ces besoins, la politique devra comporter une hausse des dépenses publiques financées par des impôts puisés dans un potentiel important de recettes fiscales nouvelles, comme celle venant de l’imposition des superprofits et de la baisse des manques à gagner fiscaux et sociaux.
1. Les causes de la détérioration des finances publiques en France de 2020 à 2023
L’évolution de la croissance économique, du chômage et de l’inflation au cours de la période 2020-2023 résulte des conséquences économiques et sociales directes de la crise sanitaire et de la crise énergétique provenant du conflit russo-ukrainien, ainsi que des mesures prises par le gouvernement en vue d’en atténuer l’importance. Deux catégories de dispositions ont été mises en œuvre pour faire face aux conséquences successives des deux crises. Les soutiens publics accordés aux entreprises devant faire face aux conséquences de la crise énergétique à partir de 2022 n’ont pas permis de susciter une croissance suffisante pour générer une amélioration significative des finances publiques. Cette insuffisance a provoqué l’ouverture de la procédure de déficit public excessif à l’encontre de la France.
1.1. L’évolution de la croissance économique, de la consommation, du chômage et de l’inflation de 2019 à 2023
La crise sanitaire qui a débuté en 2020 a obligé les autorités publiques à décréter un confinement plus ou moins complet de la population en fonction du rythme de l’évolution du Covid-19. Cette mesure a entrainé mécaniquement un arrêt ou une baisse d’activité dans la plupart des secteurs économiques, ce qui s’est traduit par une réduction importante du PIB de 7,9% en 2020 après une hausse de 2% en 2019.
Tableau 1 : Croissance, consommation, chômage et inflation de 2019 à 2023
Années | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
Taux de croissance | 2,0 | -7,9 | 6,9 | 2,6 | 0,9 |
Taux de croissance de la consommation | 1,7 | -6,5 | 5,2 | 3,1 | 0,8 |
Taux de Chômage/T4 | 7,9 | 7,8 | 7,2 | 6,9 | 7,3 |
Inflation (%) | 1,1 | 0,5 | 1,6 | 5,2 | 4,9 |
Source : INSEE (2024b et c)
La reprise vigoureuse qui a suivi a conduit à une croissance du PIB de 6,9% en 2021. Puis, le taux de croissance économique a baissé d’une façon importante en 2022 par rapport à 2021 à cause du déclenchement du conflit russo-ukrainien de février 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit l’Europe à imposer à cette dernière des sanctions l’empêchant d’approvisionner les pays européens en produits énergétiques et en certaines matières premières. Les prix de ces produits ont augmenté du fait des difficultés pour ces pays de trouver dans l’immédiat de nouveaux fournisseurs. Ces hausses ont provoqué celles des coûts de production qui ont particulièrement impacté les entreprises fortement consommatrices d’énergies, notamment dans le secteur de l’agriculture et des transports de biens et de personnes. De plus, en provoquant une augmentation de l’inflation, elles ont conduit à une baisse du pouvoir d’achat des ménages qui a particulièrement pesé sur les plus pauvres. Ces conséquences ont provoqué une baisse importante du taux de croissance du PIB et une forte hausse du taux d’inflation en 2022 et 2023 pour un taux de chômage qui est revenu au niveau de celui de 2021 après une petite baisse en 2022.
Ces évolutions ne sont pas seulement dues aux conséquences des deux chocs mais également aux mesures de soutien prises par le gouvernement pour soutenir les entreprises et les ménages. La majorité de ces mesures sont spécifiques à la nature des deux crises.
Les mesures destinées à faire face aux conséquences de la crise sanitaire.
Pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, le gouvernement a instauré un plan d’urgence comprenant plusieurs mesures qui ont influencé les évolutions du PIB, du chômage et de l’inflation (Math, 2021). Les unes se traduisent par des dépenses publiques supplémentaires de santé destinées à satisfaire les besoins du secteur médical en termes de masques, d’équipements médicaux, de matériels de vaccination et de rémunérations supplémentaires du personnel médical (heures supplémentaires, primes). Les autres sont destinées à soutenir les entreprises en difficulté à cause de la baisse importante du PIB résultant du confinement décidé pour éviter l’extension de la crise sanitaire. C’est le cas des mesures suivantes :
- les soutiens directs aux entreprises : aides ou subventions aux petites et moyennes entreprises et aux travailleurs indépendants et soutiens aux grandes entreprises sous la forme de participation et de recapitalisation ;
- les soutiens aux entreprises sous la forme de report de cotisations sociales et d’exonérations et d’aides au paiement de cotisations sociales ;
- les soutiens à l’emploi par un dispositif qui encourage l’activité partielle des salariés et qui permet à l’employeur en difficulté de faire prendre en charge par l’Etat tout ou partie de la rémunération qu’il verse au salarié pour les heures de non-activité des salariés ;
- des garanties fournies par l’Etat pour les prêts bancaires obtenus par les entreprises.
Des aides supplémentaires ont également été accordées aux ménages. Mais, selon Math (2021), il est très difficile de répertorier ces aides, car il s’agit d’une multitude de très petites aides dont certaines étaient déjà prévues avant la crise. On peut cependant considérer que l’aide à l’emploi bénéficiant aux entreprises constitue aussi un moyen important de maintenir le pouvoir d’achat des ménages.
Les mesures pour faire face aux conséquences économiques du conflit russo-ukrainien
Pour faire face aux conséquences économiques du conflit russo-ukrainien, le gouvernement a adopté en mars 2022 un plan de résilience économique et sociale qui concerne les particuliers et les professionnels. Ce plan comporte notamment les mesures suivantes :
- des soutiens ciblés sur certains des secteurs d’activité spécifiques, comme la pêche, l’agriculture, le BTP et les transports,
- des subventions à des entreprises dont les consommations en électricité et gaz sont particulièrement importantes,
- une remise sur le prix des carburants dont les prix ont beaucoup augmenté.
Ces mesures sont destinées essentiellement à soutenir la croissance économique et l’emploi, mais elles influencent également l’évolution des finances publiques.
1.2. L’évolution des finances publiques de la France 2019-2023
Parmi les mesures de soutien, certaines n’ont pas d’effet de court terme sur les finances publiques. C’est le cas des garanties fournies par l’Etat pour les prêts bancaires obtenus par les entreprises. Par contre, d’autres dispositions influencent à court terme l’évolution des finances publiques qui est décrite dans le tableau 2.
Tableau 2 : Evolution des finances publiques de la France 2019-2023
Années | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
En % du PIB | |||||
Déficit public | 2,4 | 8,9 | 6,6 | 4,8 | 5,5 |
Dette publique | 97,9 | 114,9 | 113,0 | 111,9 | 110,6 |
En milliards d’euros | |||||
Dépenses publiques | 1 346,2 | 1 430,4 | 1 491,4 | 1 550,7 | 1 607,4 |
Recettes publiques | 1 287,9 | 1 223,3 | 1 326,3 | 1 425,0 | 1 453,4 |
Déficit public | 98 | 207 | 165 | 126 | 154 |
Variations annuels par rapport à l’année précédente en % | |||||
Dépenses publiques | 1,4 | 6,3 | 4,3 | 4,0 | 3,7 |
Recettes publiques | 1,2 | -5,0 | 8,4 | 7,4 | 2,0 |
Source : INSEE (2024d)
De 2019 à 2020, la part du déficit public dans le PIB est passée de 2,4% à 8,9%. Cette hausse est due à deux effets en sens inverses : la hausse des dépenses publiques dont une partie importante est formée par les dépenses effectuées dans le cadre du plan d’urgence et une autre qui correspond à la baisse des recettes publiques résultant de la récession de 2020 et des mesures de soutien accordées notamment aux entreprises.
La reprise de l’activité économique en 2021 a permis de réduire le déficit public grâce à une hausse plus importante des recettes fiscales que des dépenses publiques. L’importance de la hausse des recettes publiques qui a été générée par la reprise économique a été atténuée par les avantages fiscaux et sociaux accordées aux entreprises. Quant au freinage de l’accroissement des dépenses publiques, il est dû essentiellement à l’atténuation de la hausse des dépenses de santé qui avait été décidée en 2020.
En 2022, le déficit public représente 4,8% du PIB, contre 6,6% en 2021, car, malgré le freinage de la croissance économique, les recettes publiques augmentent, notamment grâce aux conséquences de la reprise de 2021. En 2023, le ralentissement de la croissance économique a entrainé un freinage plus important de la hausse des recettes publiques que des dépenses publiques, ce qui a induit un déficit public plus important en 2023 qu’en 2022.
La hausse importante du déficit public en 2020 a entrainé une augmentation de la part de l’endettement public dans le PIB de 97,9% en 2019 à 114,9% en 2020. En suivant l’évolution de la part du déficit public dans le PIB, ce taux a ensuite diminué jusqu’en 2023, tout en restant supérieur à 110%.
1.3. Bilan des mesures de soutien aux entreprises et aux ménages
Toutes les mesures de soutien adoptées au cours de la période 2020-2023 avaient comme objectif essentiel de soutenir la croissance économique et d’éviter le développement du chômage. Mais celles mises en œuvre pour soutenir les activités impactées par la crise sanitaire se sont révélées plus efficaces que les soutiens aux activités touchées par la crise énergétique.
Les dispositions destinées à faire face aux conséquences de la crise sanitaire semblent avoir atteint leurs objectifs en 2020-2021. En effet, le dispositif de soutien à l’emploi partiel a permis d’éviter que la récession de 2020 entraîne une explosion du taux de chômage en le maintenant au niveau de celui de 2019. De plus, le maintien de ce dispositif a favorisé la forte reprise de 2021 car les entreprises ont pu utiliser immédiatement leurs salariés qui se trouvaient en activité partielle. Les effets de ce dispositif ont été renforcés par les soutiens accordés aux entreprises sous la forme de subventions, d’exonérations et d’allègements fiscaux. Ces soutiens devaient inciter les entrepreneurs à augmenter leurs productions pour satisfaire une demande importante qui s’est manifestée après la période du confinement et qui a été renforcée par les aides favorisant la consommation des ménages et par la hausse des dépenses de santé.
La hausse importante de la demande qui a été satisfaite par une augmentation de l’offre stimulée par les aides publiques a entraîné une hausse du taux de croissance et une baisse du chômage. L’augmentation des recettes fiscales qui en a résulté a permis de réduire la part du déficit et de l’endettement publics dans le PIB.
Selon les estimations de la Cour des Comptes (2023a), ces mesures ont coûté 82,2 milliards d’euros aux finances publiques de 2020 à 2022 [3]. Ce coût représente 3,2% du PIB, alors que son effet positif sur la croissance ne correspond qu’à 1,8% du PIB si l’on considère que 30% de la hausse du PIB de 2020-2022 est dû aux aides. Il est probable que l’importance disproportionnée du coût engendré par les mesures de soutien par rapport à leurs effets sur la croissance résulte de la suspension de la discipline budgétaire qui a pu conduire les responsables politiques à appliquer la politique « du quoi qu’il en coûte » [4].
Les mesures du plan de résilience qui devaient permettre aux entreprises et aux ménages de faire face aux conséquences de la crise énergétique en 2022 et 2023 n’ont pas eu la même efficacité que celles prises pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire. En effet, les entrepreneurs n’ont pas bénéficié d’une hausse de la demande, comme celle due à l’effet de rattrapage qui a suivi le confinement imposé par la crise sanitaire. La stimulation fiscale de la demande privée n’a pas été suffisante pour améliorer les anticipations des entrepreneurs sur leurs débouchés. De ce fait, les aides publiques ont eu peu d’influence sur les décisions des entrepreneurs de produire et d’embaucher. Cela s’est traduit par une chute importante du taux de croissance économique, par le maintien du taux de chômage au-dessus de 7% et par un taux d’inflation largement supérieur au taux de la période précédente. Quant au déficit public il a augmenté de 28 milliards en 2023 par rapport à l’année précédente. Ces résultats décevants sont obtenus, malgré des aides publiques en faveur des entreprises estimées par la Cour des comptes (2023a) à 10,7 milliards d’euros.
Pour faire face aux exigences de la procédure de déficit public excessif, le gouvernement doit définir une nouvelle stratégie qui, du fait du rétablissement de la discipline budgétaire, doit privilégier l’assainissement des finances publiques tout en essayant de réduire le coût de cette politique en termes de croissance et d’emploi. Cette conciliation entre les motifs de consolidation budgétaire et de croissance a déjà été tentée dans la période 2009-2017 lorsque la France a été soumise à une procédure de déficit public excessif. Avant que le gouvernement ne s’inspire de cette expérience, il serait utile d’évaluer à partir de ses résultats les chances de réussite d’une politique analogue.
2. Une tentative de concilier les motifs de consolidation budgétaire et de croissance économique en France de 2009 à 2017
Afin de permettre aux membres de l’UE de faire face aux conséquences financières et économiques de la crise des subprimes, les autorités européennes ont admis un assouplissement temporaire des règles budgétaires du PSC. Puis, considérant que le traitement des effets de la crise économique ne justifiait plus un tel assouplissement, elles ont exigé des membres de l’UE de revenir au respect strict de la discipline budgétaire définie par le PSC. Ayant constaté que les finances publiques de la France s’étaient particulièrement détériorées, le Conseil de l’UE a lancé en avril 2009 une procédure de déficit public excessif contre le pays
Pour répondre aux exigences de cette procédure, la France a pris des mesures susceptibles d’influencer directement ou indirectement l’évolution des finances publiques tout en essayant de minimiser les coûts de ces mesures qui pèsent sur les entreprises et les ménages en termes de croissance et de chômage.
2.1. L’évolution de la situation économique et des finances publiques en France de 2009 à 2017
Après la reprise économique de 2010-2011, la situation économique de la France se caractérisait jusqu’en 2016, par une croissance faible, un chômage élevé et un taux d’inflation annuel inférieur à 2% (Tableau 3). Quant à l’évolution de ses finances publiques, elle était marquée par une baisse du déficit public et par une hausse de la dette publique (Tableau 4).
Evolution de la situation économique
La période 2009-2017 a commencé par une récession induite par une crise financière et une baisse conjoncturelle provenant de la forte réduction des investissements des entreprises et des exportations. Cela s’est traduit par une baisse du PIB de 2,8% en 2009 et par un taux de chômage qui est passé de 7,3% en 2008 à 9,2% en 2009.
Tableau 3 : Croissance, chômage et inflation en France de 2009 à 2017
2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | |
Taux de croissance en % | -2,8 | 2,0 | 2,4 | 0,2 | 0,8 | 1,0 | 1,1 | 0,9 | 2,1 |
Taux de chômage/T4 | 9,2 | 9,2 | 9,3 | 10,2 | 10,1 | 10,5 | 10,2 | 10,0 | 9,0 |
Taux d’inflation | 0,1 | 1,5 | 2,1 | 2,0 | 0,9 | 0,5 | 0,0 | 0,2 | 1,0 |
Source : INSEE (2024a et c)
La reprise s’est traduite par un taux de croissance de 2,0% en 2010 et de 2,4% en 2011, par le maintien du taux de chômage en 2009-2011et par une hausse du taux d’inflation.
En 2012, le taux de croissance annuelle du PIB a baissé brutalement et le taux de chômage a augmenté sensiblement du fait notamment de la réduction des investissements des entreprises et des ménages. Cette faiblesse de la croissance s’est maintenue jusqu’en 2016 avec un taux moyen de 1,2%, un taux de chômage égal ou supérieur à 10% et un taux d’inflation inférieur à 1%.
En 2017, le taux de croissance a augmenté d’une façon importante par rapport à 2016, tout en revenant au taux de 2010. Cette croissance s’est faite à la faveur d’une forte hausse des investissements privés, ce qui a entraîné une baisse du chômage et une hausse de l’inflation.
Evolution des finances publiques
La procédure de déficit public excessif a été déclenché contre la France en 2009, date à laquelle le pays avait un déficit public de 7,5% du PIB, soit plus du double du déficit de 2008 et une dette publique représentant 78,3% du PIB contre 67,7% en 2008. Le déficit résultait d’un accroissement des dépenses publiques dont la part dans le PIB augmentait de 54,3% en 2008 à 58% en 2009 et d’une baisse des recettes fiscales à peu près de la même importance que la hausse du PIB.
Tableau 4 : Evolution des finances publiques de la France de 2009 à 2017
En % du PIB
2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | |
Déficit public | 7,5 | 6,8 | 5,1 | 4,9 | 4,1 | 4,0 | 3,6 | 3,5 | 2,8 |
Dette publique | 78,3 | 81,5 | 85,0 | 89,2 | 92,2 | 93,6 | 95,6 | 98,0 | 98,4 |
Dépenses publiques | 58,0 | 57,7 | 57,0 | 57,9 | 58,6 | 58,4 | 57,6 | 57,4 | 57,7 |
Recettes publiques | 50,6 | 50,6 | 51,7 | 52,7 | 53,7 | 53,8 | 53,7 | 53,6 | 54,3 |
Source : INSEE (2024)
La hausse du taux de croissance de 2010 et 2011 a entraîné une baisse de la part du déficit public dans le PIB due à une hausse de la part des recettes fiscales dans le PIB et une baisse de la part des dépenses publiques. A partir de 2012, la part du déficit public dans le PIB a continué à baisser grâce à une diminution plus importante de la part des dépenses dans le PIB que celle des recettes publiques. En effet, cette dernière a peu varié jusqu’en 2016 à cause de la stabilité de la croissance autour d’un taux faible. En 2017, la part du déficit public dans le PIB est inférieure à 3% et la part de la dette publique dans le PIB a ralenti depuis 2016.
2.2. Les programmes destinés à assainir les finances publiques
Deux catégories de programmes ont été mis en œuvre par le gouvernement pour assainir les finances publiques en vue de respecter ses engagements exigés par la procédure de déficit public excessif. L’une est composée par deux plans anti-déficit dont les mesures influencent directement les finances publiques. L’autre comporte des programmes de soutien de l’activité économique dont l’objectif est d’assurer une croissance économique forte permettant d’assainir les finances publiques. Ces programmes comportent une relance économique pour 2009 et 2010, des crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi accordés à partir de 2013 et le pacte de responsabilité et de solidarité de 2014.
Les plans anti-déficit et leurs effets sur les finances publiques
Le premier plan anti-déficit comporte essentiellement les mesures fiscales suivantes [5] :
- réduction ou suppression de certaines niches fiscales et sociales ce qui permet de diminuer ou de supprimer les pertes de recettes publiques qu’elles provoquent,
- hausse des prélèvements sur les revenus du capital et introduction d’une contribution exceptionnelle prélevée sur les très hauts revenus. Ces mesures tentent de répartir plus équitablement les efforts que nécessite la baisse des déficits publics,
- renforcement de la fiscalité sur l’alcool et des boissons sucrées et révision de la taxation sur certains véhicules en fonction de leur émission de CO2.
Ce premier plan anti-déficit devait aboutir à une hausse des recettes publiques de 1 milliard d’euros en 2011 et 11 milliards en 2012.
La détérioration de la conjoncture a obligé le gouvernement à revoir ses anticipations sur le taux de croissance économique de 2012 et à élaborer en novembre 2011 un second plan anti-déficit comportant des mesures de hausse d’impôts, comme le plan précédent, mais aussi des baisses de dépenses publiques.
A part la hausse temporaire de l’impôt sur les grandes sociétés de 5%, les hausses d’impôts suivantes pèsent sur les ménages :
- hausse de l’impôt sur le revenu de personnes physiques dû à l’absence de revalorisation des seuils des tranches de revenus en fonction de l’inflation,
- hausse de 19% à 24% du prélèvement forfaitaire libératoire portant sur les dividendes et les intérêts perçus par les ménages. Ce prélèvement passe de 19 à 24%,
- hausse de la TVA à taux réduit de 5,5% à 7%.
Le projet de baisses de dépenses publiques du plan est essentiellement de nature structurelle. Il consiste notamment à faire des économies en accélérant la réforme des retraites et en abaissant la progression des dépenses de santé. Il prévoit également une baisse importante supplémentaire des dépenses publiques à partir de 2012.
Bien qu’il n’y a pas d’informations sur l’impact effectif de ces deux plans sur les finances publiques on peut considérer que le premier plan anti-déficit a contribué à la hausse des recettes fiscales et à la baisse de la part du déficit public dans le PIB de 2012. Par contre, le second plan a contribué à la baisse du taux de croissance de 2012 en réduisant le pouvoir d’achat des ménages par des hausses des impôts sur le revenu des personnes physiques et des taux de TVA. Ces prélèvements ont augmenté les recettes fiscales, ce qui a permis de réduire le déficit public.
Le programme de relance 2008-2009
Pour faire face à la crise économique de 2008-2009, le gouvernement a annoncé un programme de relance dont la moitié des mesures est destinée à soulager la trésorerie des entreprises et l’autre doit permettre de financer de nombreux projets de travaux collectifs.
Selon la Cour des Comptes, le programme a privilégié l’investissement des entreprises au détriment de la consommation, ce qui a évité une baisse trop importante de l’investissement et un nombre trop élevé de faillite d’entreprises. Il a ainsi permis de freiner la baisse du PIB en 2009. Mais il a entraîné un coût important de 34 milliards d’euros pour les finances publiques (Migaud 2010)
Les crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de 2013
Ce programme mis en place en janvier 2013 résulte de la réaction du gouvernement à la baisse importante du PIB et du chômage élevé en 2012 et 2013. Il est destiné à soutenir les entreprises françaises par des avantages fiscaux sous la forme de remboursements d’impôts. Il bénéficie aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur les revenus et employant des salariés. Le CICE a comme objectif de fournir aux entreprises des moyens complémentaires pour investir, innover, embaucher et participer à la transition climatique et énergétique. Il représente 4% de la masse salariale en 2013 et 7% en 2017. Le CICE devait redistribuer 20 milliards d’euros en moyenne par an aux entreprises pour améliorer leur compétitivité par un allégement des salaires. Le programme CICE s’est maintenu au cours des années suivantes sans avoir des effets significatifs sur le taux de croissance qui est resté à une moyenne de 1,2% jusqu’en 2016.
Le pacte de responsabilité et de solidarité introduit en 2014
Ce pacte doit compléter et amplifier les mesures du CICE. Il a comme objets d’accélérer la création d’emploi et d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu. Le pacte doit apporter des aides de 21 milliards d’euros en moyenne par an aux entreprises pour alléger le coût du travail et améliorer ainsi la compétitivité. Ces aides prennent les formes suivantes :
- baisse des cotisations patronales sur les bas salaires devant inciter à l’embauche (4,5 milliards d’euros),
- réduction des cotisations familiales payées par les entreprises sur les salaires pour les inciter à embaucher des salariés qualifiés nécessaires au développement de l’innovation (4,5 milliards d’euros). Une telle réduction est également accordée aux travailleurs indépendants (1 milliard d’euros),
- baisse de l’impôt sur les sociétés et suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (11 milliards d’euros).
Pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, le pacte de responsabilité prévoit d’attribuer 5 milliards d’euros aux salariés percevant moins de 1500 euros nets par mois sous la forme d’une baisse des cotisations salariales. Cette mesure concerne près de 4 millions de salariés.
L’incidence des trois programmes de soutien qui devait assurer une forte activité économique et assainir les finances publiques de la France, ne semblent pas avoir été en mesure de concilier ces deux objectifs malgré l’importance des aides publiques aux entreprises. En effet, de 2013 à 2016 le taux de croissance est resté autour de 1% et le taux de chômage est resté supérieur à 10%. Par contre, la part du déficit public dans le PIB a diminué régulièrement jusqu’à 3,5% en 2016. Mais la part de la dette publique dans le PIB a continué à augmenter pour atteindre 98% en 2016.
En 2017, le taux de croissance économique a fait un bond en passant à 2,1% à partir de 0,9% en 2016 et le taux de chômage a diminué tout en restant supérieur à 9%. Cette évolution est due essentiellement à la croissance importante des demandes d’investissements privés et publics que les producteurs ont pu satisfaire en partie grâce aux aides publiques. Elle a entrainé une baisse de la part du déficit public dans le PIB qui est devenu inférieur à 3% et une stabilisation de la part de la dette publique dans le PIB. L’amélioration de l’activité économique et des finances publiques a amené les instances européennes à mettre fin à la procédure de déficit excessif imposée à la France.
On peut cependant noter que, malgré les aides publiques importantes aux entreprises, le taux de croissance et le taux de chômage de 2017 sont revenus à peu près à leur niveau de 2010 et que la part de la dette publique dans le PIB est largement supérieure à son niveau de 2010. Cette situation résulte de l’application jusqu’en 2016 d’une politique d’offre inefficace centrée sur l’octroi d’aides fiscales et sociales aux entreprises. Cette politique a été maintenue en 2017, mais elle a pu inciter les entrepreneures à augmenter leurs productions non seulement parce que leurs charges ont diminué, mais aussi parce qu’ils ont anticipé la hausse de leurs débouchés. L’inefficacité de la politique de l’offre menée avant 2017 est due à la loi des débouchés qui constitue l’un de ses fondements théoriques. En effet, si l’offre crée sa propre demande, il est inutile de tenir compte des anticipations des entrepreneurs sur leurs débouchés. Si l’on considère que ces anticipations sont aussi importantes que celles portant sur les coûts et les profits, il est nécessaire de chercher une alternative à la politique de l’offre basée sur un autre fondement que la loi des débouchés.
3. Recherche d’une alternative à la politique de l’offre
La faible efficacité de la politique de l’offre menée en 2022-2023 et de 2012 à 2016 résulte du caractère contestable de ses fondements théoriques. La contestation déjà ancienne de ces fondements a conduit à une alternative fondée sur un principe très différent de celui qui fonde l’économie de l’offre. Une fois définie la différence entre les approches théoriques de la politique de l’offre et de son alternative (Koenig 2014b), on envisagera la pratique de la mise en œuvre de cette alternative.
3.1. Les fondements théoriques de la politique de l’offre et de son alternative
Le fondement théorique de la politique gouvernementale française a été défini d’une façon explicite par le Président de la République lorsqu’il a déclaré en 2014, lors de sa présentation du pacte de responsabilité et de solidarité, que l’offre crée sa propre demande. II admettait ainsi que la politique de son gouvernement se plaçait dans la perspective de l’économie de l’offre.
Cette économie repose sur la loi des débouchés selon laquelle l’offre crée sa propre demande et sur la théorie quantitative de la monnaie qui explique la détermination du niveau générale des prix. Dans l’optique de la loi des débouchés, les offreurs fixent le niveau de leur production uniquement en fonction de certains prix relatifs comme le rapport entre le salaire nominal et le niveau des prix.
De ce fait, une réduction des charges fiscales et sociales est considérée par les entrepreneurs comme une baisse de leurs coûts de production, ce qui les incite à augmenter leur demande de travail. L’excédent de cette demande par rapport à l’offre de travail induite une hausse du taux de salaire réel. Au nouveau taux de salaire réel d’équilibre, tous les salariés disposés à travailler à ce taux sont embauchés. Il en résulte une hausse des revenus des salariés dont une partie est consommée et l’autre augmente l’épargne qui est absorbée entièrement par l’investissement. De ce fait, tous les revenus générés par la production nationale alimentent les demandes de consommation et d’investissement, ce qui permet aux producteurs d’écouler toutes leurs productions.
La loi des débouchés a été mis en cause par J. M. Keynes. Celui-ci fait notamment deux reproches à cette construction. En premier, elle néglige la possibilité que, du fait d’une thésaurisation éventuelle, tous les revenus distribués ne sont pas nécessairement dépensés. En second, cette théorie néglige l’interdépendance du marché du travail qui détermine le taux de salaire nominal et non réel et le marché des biens sur lequel se fixe le prix des produits. De ce fait les anticipations d’une hausse des prix qui est égale ou supérieure à l’accroissement initial du salaire nominal peut aboutir au maintien ou à la diminution du taux de salaire réel, ce qui pourrait laisser le niveau de la production inchangé ou en diminution.
J. M. Keynes oppose à la loi des débouchés le principe de la demande effective qui place les anticipations des producteurs au centre du schéma d’offre et de demande globales utilisé pour spécifier ce principe. Dans ce schéma, l’offre globale est constituée par les coûts et les profits anticipés par les entrepreneurs et la demande globale est formée par les recettes qu’ils anticipent [6]. Les évolutions de ces deux grandeurs sont représentées par des fonctions croissantes par rapport à l’emploi que les entrepreneurs sont disposés à offrir pour chaque montant de l’offre et de la demande globales. La demande effective est déterminée au croisement des deux courbes qui représentent ces évolutions et dont l’une augmente à un taux croissant, l’autre à un taux décroissant. A ce niveau, les entrepreneurs sont disposés à offrir l’emploi et la production correspondante, car selon leurs prévisions sur leurs débouchés, ils peuvent ainsi obtenir le profit désiré et couvrir leurs coûts.
Dans l’optique du principe de la demande effective, la transmission d’une baisse des charges fiscales et sociales sur l’activité des entreprises ne se réalise pas, comme dans l’économie de l’offre, par l’intermédiaire des prix relatifs dont les variations doivent influencer la quantité et le rendement des facteurs de production et stimuler la production. Elle s’effectue par une action sur les contraintes qui pèsent sur les comportements des agents, comme celles relatives aux coûts et aux débouchés qui peuvent limiter la capacité des entreprises à accroître leurs productions.
3.2. La mise en pratique d’une politique d’offre et de demande globales sous une contrainte de financement
Afin de respecter les exigences de la procédure de déficit public, le gouvernement français s’est engagé à prendre des mesures pour assainir ses finances publiques. Conformément à la réforme du PSC, il devra diminuer le déficit public du pays de 0,5 point de PIB par an jusqu’à ce que leur ratio déficit public/PIB atteigne 3 %. De plus, il a pris divers engagements nationaux et internationaux qui l’obligent à prévoir des dépenses budgétaires importantes dans des domaines prioritaires comme la transition climatique et numérique, le développement des services publics, la sécurité énergétique et la défense. La mise en place d’une politique d’offre et de demande globales sous une contrainte de financement pourrait permettre de répondre à ces besoins en favorisant une hausse des dépenses publiques et en les finançant par des recettes nouvelles.
Le mode de financement de la politique d’offre et de demande globale
Pour éviter une dérive des finances publiques, il est prudent d’exiger du gouvernement de ne pas engager de dépenses publiques supplémentaires sans s’être assuré préalablement de leur financement. Celui-ci ne peut être que de nature fiscale, car le recours à l’emprunt n’est pas souhaitable du fait de l’importance de l’endettement public que la Commission européenne demande d’ailleurs de réduire. Le gouvernement doit donc accompagner la hausse des dépenses par celle des impôts. La possibilité de recourir à une augmentation des impôts est exclue par la règle d’or fiscale surtout à cause de ses effets négatifs sur les comportements des agents économique. Mais de telles incidences ne se manifestent que si la hausse de la pression fiscale pèse sur les contribuables existants qui ont déjà l’impression de subir une pression fiscale excessive. Or, il existe un potentiel important de recettes fiscales dans lequel on peut puiser pour éviter entièrement ou partiellement les conséquences négatives d’une hausse des impôts. De nombreuses propositions ont été faites pour puiser des recettes fiscales dans le potentiel important existant en France et pour en évaluer l’importance. Les principales peuvent se concrétiser par les opérations suivantes :
La création de nouveaux impôts. Les deux plus importantes propositions de création concernent une imposition des superprofits et le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune.
L’impôt sur les superprofits des grandes entreprises porte sur l’excédent des profits réalisées pendant une période de crise, comme celle de l’énergie, par rapport aux profits considérés comme normaux car réalisés avant la crise. Pour donner une idée du potentiel de recettes fiscales généré par cet impôt, on peut se référer aux performances réalisées en 2022 par les grandes entreprises du CAC40. (Observatoire des multinationales (2023)). Ces entreprises ont dégagé, en pleine crise énergétique, des profits cumulés de 138 milliards d’euros contre 80 milliards en 2019, avant la crise. La taxation de ces superprofits pourrait fournir plusieurs milliards de recettes fiscales selon l’importance du taux de taxation. Cet apport pourrait être complété par les recettes fiscales qui pourrait résulter d’une taxation des rachats faits par certaines entreprises de leurs propres actions. Pourtant, la France s’est montrée pendant longtemps peu favorable à de telles taxations pour des raisons probablement plus idéologiques qu’économiques [7].
Des considérations idéologiques semblent également dominer dans la controverse qui a abouti au remplacement en 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Le premier porte sur des biens immobiliers et sur des actifs financiers, le second ne concerne que le patrimoine immobilier. En complément un prélèvement forfaitaire unique (flat tax) de 30% sur les revenus du capital a été instauré. En excluant de l’IFI les actifs financiers, on espérait inciter les détenteurs de ces actifs à investir. Mais cet espoir semble avoir été déçu. Le rétablissement de l’ISF contribuerait à une meilleure répartition du patrimoine et pourrait produire une hausse des recettes fiscales de plus de 6,3 milliards d’euros alors que l’IFI ne rapporte que 1,8 milliards, ce qui implique une perte de recette de 4,5 milliards d’euros (Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital 2023).
L’extension d’impôts anciens. Il s’agit surtout de revoir la fiscalité des revenus des personnes physique (IRPP) dans le sens d’une hausse de la tranche marginale la plus élevée de l’IRPP afin d’amener les contribuables à hauts revenus à contribuer d’une façon plus importante au budget de l’Etat. Il semble qu’il existe une marge assez importante d’imposition avant que ces contribuables envisagent de quitter le pays, comme on le craint parfois.
Une hausse de L’impôt sur les sociétés qui a baissé d’une façon importante au cours de ces dernières années pourrait également être envisagée. Mais, cette mesure pourrait nécessiter une coopération entre les pays européens.
Une baisse des manques à gagner fiscaux et sociaux résultant d’une réduction des niches fiscales et sociales. Ces niches sont des dispositions dérogatoires qui bénéficient aux entreprises et aux ménages assujettis aux prélèvement fiscaux et sociaux. Elles induisent des manques à gagner pour le budget de l’Etat (exonérations fiscales, diminutions d’assiette ou de taux d’impôts) et pour le budget de la Sécurité sociale (exonérations et réductions d’assiette ou de taux applicables à des prélèvements sociaux). Selon les prévisions de la Cour des comptes (2024), les 467 dispositions fiscales dérogatoires doivent entraîner en 2023 une baisse des recettes fiscales de 80,2 milliards. Une réduction de 90 milliards d’euros des recettes publiques est attendue des dispositions dérogatoires sociales (Cour des Comptes 2019). La Cour des comptes (2023b) demande un examen de toutes ces mesures dérogatoires pour que l’on puisse supprimer celles qui ne se justifient plus ou qui sont devenues inefficaces et pour freiner l’expansion de celles que l’on conserve en limitant par exemple leur durée et en plafonnant leurs coûts. Il est probable qu’un tel examen pourrait rapporter plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales notamment s’il pouvait amener à la suppression des baisses inefficaces importantes de charges fiscales et sociales accordées aux entreprises pour les inciter à augmenter la production dans une période de basse conjoncture caractérisée par un manque de débouchés.
Une réduction des manques à gagner provenant d’un démantèlement partiel de l’économie souterraine. Cette baisse peut être très importante, même si on limite l’économie souterraine à des activités illégales effectuées par des entreprises enregistrées commercialement et fiscalement (ex : travail au noir) ou à des activités légales faites par des entreprises non enregistrées. En considérant qu’une diminution partielle des activités souterraines permettrait à l’État de récupérer le tiers de ce manque à gagner, on pouvait espérer des recettes fiscales supplémentaires représentant jusqu’à 2% du PIB en 2013, selon les estimations de Muller et al (2013)
Une proposition de conciliation de la consolidation budgétaire et de la croissance économique
La politique d’offre et de demande globales a comme objectifs d’utiliser des hausses parallèles des dépenses publiques et des impôts nouveaux pour accroître le niveau d’activité du pays et de générer des hausses de recettes fiscales susceptibles d’assainir les finances publiques.
Dans l’immédiat, des hausses parallèles des dépenses publiques et des impôts ne modifient pas le solde budgétaire. On peut considérer que les incidences de la plupart des impôts puisés dans le potentiel de recettes fiscales pour financer les dépenses publiques initiales sont faibles ou nulles. C’est ainsi que les impôts sur les plus hauts revenus ont peu d’impact sur le pouvoir d’achat et la consommation de leurs titulaires ainsi que sur leurs investissements dans la mesure où leur non-consommation est probablement plus orientée vers les placements financiers que vers les investissements réels. De même, la taxation des superprofits aura probablement peu d’effets négatifs sur l’activité des entreprises En effet, elle touche essentiellement des profits d’aubaine qui n’étaient pas destinés à financer des investissements, puisque l’essentiel a été distribué aux actionnaires dont l’accroissement des revenus a probablement moins alimenté la consommation que les achats d’actifs financiers. Quant à la suppression totale ou partielle des manques à gagner, elle nécessite une volonté politique d’éliminer les niches fiscales et sociales qui se sont révélées inefficaces ou inutiles et de réduire la dimension de l’économie souterraine. Un assainissement de ces deux secteurs permettrait de dégager des recettes fiscales importantes.
On peut donc considérer que l’augmentation des dépenses publiques est peu freinée par celle des impôts qui la finance. Il en résulte une hausse des débouchés pour les entreprises, ce qui entraîne une hausse de l’activité économique dans une situation de basse conjoncture. Cependant, si dans certains secteurs les coûts sont trop importants pour inciter les entreprises à répondre à la hausse de la demande pour leurs produits, le gouvernement peut décider de leur accorder des réductions de charges sociales et fiscales. On peut admettre que la baisse des recettes fiscales qui en résulte est surcompensée par la hausse des recettes résultant de celle de l’activité économique induite par la politique d’offre et de demande globales. Il en résulte une baisse du déficit public qui induira progressivement celle de l’endettement public. Mais la réduction de la part de la dette publique dans le PIB risque d’être très longue avant d’atteindre le taux désiré de 60 % du fait que cette part représente 110,9% en 2023. Une solution possible pourrait être fournie par une mesure de la réforme du pacte de stabilité et de croissance qui porte sur la résorption de l’endettement public. En effet, selon cette réforme adoptée en 2024, chaque pays dont la part de la dette publique dans le PIB est supérieure à 60% pourra définir, sous le contrôle de la Commission européenne, une trajectoire de sa dette publique pour une période de 4 ou de 7 ans s’il s’engage à effectuer des investissements dans des secteurs prioritaires définis par l’UE. Cette trajectoire n’est pas censée aboutir nécessairement à un taux d’endettement de 60% du PIB. Elle doit plutôt montrer que la dette publique est devenue soutenable, car le pays a fait suffisamment d’effort pour améliorer ses finances publiques. En adoptant une politique d’offre et de demande globales dont l’un des objectifs est de réaliser des dépenses prioritaires préconisées par l’UE, la France pourrait bénéficier de cette modalité de résorption de la dette publique.
4.Conclusion
Le cadre analytique de la politique d’offre et de demande globales ne constitue pas une synthèse des conceptions qui opposent, dans les débats publics actuels, les économistes de l’offre aux partisans d’une économie de la demande. Elle n’est pas non plus une extension de la politique de l’offre, car ces deux politiques ont des fondements théoriques très différents. Cette divergence se traduit notamment par une conception différente des mécanismes de transmission des mesures de politique budgétaire, comme celle d’une hausse des aides publiques, sur la croissance du PIB. La critique de la conception des économistes de l’offre portant sur le canal de transmission de leur politique et la constatation de la faible efficacité de celle-ci ont conduit à la recherche d’une alternative à cette politique.
Malgré la faible efficacité de la politique d’offre et le potentiel de la politique d’offre et de demande globales, l’application de cette dernière en vue de renforcer la croissance et d’assainir les finances publiques se heurte à divers obstacles. L’un des plus important est formé par la règle d’or fiscale qui a été adoptée en France et qui s’oppose à toute augmentation discrétionnaire des impôts. Il semble être plus idéologique qu’économique. En effet, cette règle est fondée sur une théorie très controversée illustrée par la courbe de Laffer montrant qu’au-delà d’un certain niveau de pression fiscale, tout augmentation du taux d’imposition détermine une baisse des recettes fiscales. Cette théorie est généralement résumée par un slogan selon lequel « toute hausse d’impôt tue l’impôt ». Mais, même si la pression fiscale qui pèse sur les contribuables actuels était jugée excessive, ce qui est très difficile à démontrer, son montant ne serait pas affecté par le financement fiscal d’une politique d’offre et de demande globales. En effet, il ne s’agit pas d’augmenter la pression fiscale de ceux qui contribuent déjà suffisamment au budget public selon leurs revenus, comme les membres de la classe moyenne et les petites et moyennes entreprises. Il s’agit plutôt d’augmenter le nombre de contribuables et de faire mieux participer les titulaires des hauts revenus et de revenus d’aubaine aux efforts nécessaires pour assainir les finances publiques. On peut également obtenir une meilleure justice fiscale, toute en collectant des recettes publiques supplémentaires, en réduisant la dimension de l’économie souterraine et en supprimant des niches fiscales indues ou inefficaces. A l’heure actuelle, le gouvernement semble avoir pris conscience de la nécessité d’augmenter certains impôts pour assainir les finances publiques. Il reste cependant convaincu de la nécessité de réduire les dépenses publiques. Cette baisse risque d’entraîner un ralentissement important de la croissance économique et une forte réduction des recettes fiscales. Dans cette perspective, une certaine amélioration des finances publiques pourrait être obtenue à terme au prix d’un coût économique et social qui risque d’être important.
Références bibliographiques
Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital (2023), "Evaluation des réformes de la fiscalité du capital", Rapport final du Comité, octobre 2023.
Cour des Comptes (2019), Rapport annuel, 6 février 2019.
Cour des Comptes (2023a), "Garantir l’efficacité des aides de l’Etat aux entreprises pour faire face aux crises, contribution à la revue des dépenses publiques", Notes thématiques, juillet 2023.
Cour des comptes (2023b), "Piloter et évaluer les dépenses fiscales", Notes Thématiques, 7 juillet 2023.
Cour des Comptes (2024), "Analyse de l’exécution budgétaire 2023-Dépense fiscale", avril 2024.
INSEE (2024a), "Comptes nationaux des administrations publiques - premiers résultats - année 2023", Informations Rapides, n°74, 26 mars 2024.
INSEE (2024b), "L’essentiel sur le chômage", Chiffres clés, 9 août 2024.
INSEE (2024c), "Tableau de bord de l’économie française".
Koenig, G. (2012), "Les plans français de luttes contre les déficits publics", Cahiers Français, n°36, 77-82.
Koenig, G. (2014), "L’économie de l’offre en Europe", Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 31, Hiver 2014, 3-10.
Math, A. (2021), "Quoi qu’il en coûte. Des mesures incomparables pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie ?", Chronique internationale de l’IRES, n° 176, 8-31.
Migaud, D. (2010), "Audition pour un rapport demandé à la Cour des Comptes", Commission de Finances de l’Assemblée nationale.
Muller, P, Conton, G., Lewis, M. et I. Montovani (2013), "De l’économie souterraine à l’économie officielle : uniformiser les règles du jeu dans le marché unique", Rapport de la Direction Générale des Politiques Internes, Parlement européen.
Observatoire des multinationales (2023), "Sous le signe des superprofits", 15/05/2023.
[1] Le Conseil de l’Union européenne a approuvé le 26 juillet 2024, la recommandation de la Commission européenne d’ouvrir une procédure de déficit public excessif à l’encontre de la France.
[2] Les sept pays soumis à des procédures de déficit public excessif sont les suivants : Belgique, France, Italie, Hongrie, Malte, Pologne et Slovaquie.
[3] Aux mesures affectant le budget dans l’immédiat s’ajoutent celles qui n’ont pas d’impact immédiat sur le budget. Il s’agit notamment des garanties de l’Etat pour les prêts contractés par des entreprises et des reports de paiement de cotisations sociales. Ces mesures représentent, selon les estimations de la Cour des Comptes (2023a) un montant de 143 milliards d’euros.
[4] Les conséquences de cette politique ont été évaluées par la Cour des Comptes (2023a) qui montrent que les contrôles portant sur la nécessité et l’utilisation des aides ont été limités et que le pourcentage des refus des demandes d’aides était très faible. Ces lacunes ont pu favoriser des fraudes, des versements indues d’aides et l’octroi d’aides qui se sont révélées peu efficaces.
[5] Les mesures qui composent les deux plans sont détaillées dans l’article de Koenig (2012).
[6] Pour J. M. Keynes, la fonction d’offre globale est la relation entre le prix d’offre globale de la production et le niveau de l’emploi correspondant. Le prix d’offre globale est le produit global attendu (coût des facteurs de production et profit) qui est juste suffisant pour inciter les entrepreneurs à offrir le volume d’emploi correspondant. La fonction de demande globale est la relation entre les recettes que les entrepreneurs peuvent espérer obtenir de différents niveaux d’emploi.
[7] Un exemple illustre la nature de cette motivation. En transposant une disposition européenne sur une contribution temporaire de solidarité pour les entreprises du secteur énergétique, le gouvernement français a retenu la partie de la disposition touchant le raffinage qui n’a rapporté que 500 millions d’euros et il a écarté celle portant sur une imposition des entreprises de production énergétique qui aurait pu rapporter 3 ou 4 milliards d’euros.
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