Editorial — Le fédéralisme par les règles et la démocratie
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
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Michel Dévoluy « Editorial — Le fédéralisme par les règles et la démocratie », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 25, 1 - 3, Hiver 2011.
La centralité des préoccupations nationales a toujours écrasé les débats sur l’Europe fédérale. Avec la crise, le thème du fédéralisme n’est plus écarté, mais il change de nature. Longtemps, l’idée fédérale a rimé avec une vision idéale de l’Europe : elle sera pour demain, lorsque les Etats accepteront vraiment l’abandon d’une grande partie de leurs souverainetés.
Aujourd’hui, l’idée d’Europe fédérale est en passe d’incarner l’Europe de l’orthodoxie économique libérale. Du coup, elle éveille des sentiments contrastés et pose la question du fonctionnement démocratique de l’Union.
Cette nouvelle approche du fédéralisme économique radicalise le mode de gouvernance de la zone euro lancée en 1999. Son architecture continue de s’appuyer sur une BCE indépendante chargée de maintenir la stabilité des prix, mais l’encadrement des politiques budgétaires nationales devient plus massif. Précisément, le récent « pacte pour l’euro plus » et les six nouvelles mesures législatives (le « paquet de six ») durcissent les règles budgétaires en vigueur et élargissent les domaines de la surveillance multilatérale des économies nationales. La même logique doctrinale a également prévalu pour la création du mécanisme européen de stabilité (MES). Il peut certes venir en aide aux Etats en difficulté mais avec, en contrepartie, l’obligation de se soumettre aux fourches caudines d’une rigueur budgétaire imposée par les partenaires.
Ainsi, la boucle est bouclée : l’Europe politique tend à être remplacée par l’Europe des marchés et des règles. Où est donc l’Europe des citoyens ?
Face à la mise en place de ce nouveau type de fédéralisme par les règles libérales, les victimes de la crise et les défenseurs de l‘interventionnisme économique marquent des réserves qui vont parfois jusqu’à l’indignation.
Pourtant, la perspective de construire une forme d’Union politique fut récurrente au cours des six dernières décennies d’Europe. Naturellement, l’idée était rejetée par les nationalistes de tous bords. Qui plus est, l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE ainsi que les élargissements successifs ont ralenti et perturbé ce mouvement. Toutefois, la visée d’une Union toujours plus intégrée est restée à l’œuvre grâce à la dynamique de l’approfondissement dont le point d’orgue fut la création de l’euro.
Force est de constater que la méthode communautaire sensée conduire à un accroissement progressif des compétences de l’Union jusqu’au fédéralisme politique n’est pas allée jusqu’à son terme. Cette méthode a sous-estimé le poids des souverainetés nationales et l’importance de l’hétérogénéité des Etats membres.
La crise a donc conduit à revisiter le fédéralisme. Désormais, on observe une tension entre, d’un côté, les « libéraux » qui formatent un fédéralisme par les règles monétaires, budgétaires et macroéconomiques et, de l’autre, les « interventionnistes » qui dénoncent les ravages de ces règles et réfutent cette percée fédérale.
A ce stade, la discussion appelle un éclairage complémentaire. En effet, il est impossible de partager l’euro tout en préservant l’autonomie des politiques budgétaires nationales. Celles-ci doivent, d’une manière ou d’une autre, être encadrées par des règles de bonne conduite : chaque Etat membre est coresponsable de la monnaie unique. Au regard de l’hétérogénéité des économies, de la diversité des gouvernements et de l’emprise de la doctrine libérale au niveau mondial depuis la fin des années 1970, la culture de la rigueur s’est aisément imposée : d’où les règles qui découlent du traité de Maastricht fondateur de l’union économique et monétaire. Autrement dit, sans union politique, et face à une construction sous-optimale et inachevée, la présence de règles est inéluctable.
Le désarroi devant la crise a relégitimé et accentué les choix de l’Union. Le Conseil européen a posé des jalons dans ce sens à plusieurs reprises : Pacte pour l’euro plus, « paquet de six » et MES. La mécanique législative européenne les a ensuite validés par des votes du Parlement européen et du Conseil des ministres. On assiste ainsi à un recul consenti du politique et de la démocratie en matière de gouvernance économique européenne. Notons ici que les pratiques récentes concernant les changements des gouvernements en Grèce et en Italie illustrent cette tendance. Les marchés et les règles de l’orthodoxie libérale se substituent de plus en plus aux processus démocratiques.
Pour avancer, il faut dépasser les termes du débat qui se cristallise essentiellement entre le libéralisme et l’interventionnisme. Sur le fond, l’arbitrage se situe entre, d’un côté, une gestion de la zone euro par la surveillance intergouvernementale faute d’un pouvoir fédéral et, de l’autre, le transfert de souveraineté en faveur d’un gouvernement européen.La sortie par le haut passe par la politisation de l’Europe. La zone euro a le devoir de forger un fédéralisme politique avec un gouvernement sorti des urnes et un parlement qui vote l’impôt. Naturellement, cela impose un changement substantiel des traités, c’est-à-dire une volonté politique commune entre les Etats membres et entre les citoyens.
L’idée selon laquelle l’Europe avance dans les crises est un lieu commun. Le risque est alors de vouloir résoudre la crise de façon précipitée sans revenir sur ses causes profondes. Le temps de la réforme de l’Europe et de la démocratie ne doit pas être celui des marchés.
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