Croissance économique et taille du secteur public

Thi Kim Cuong PHAM, Université Paris Nanterre (EconomiX)

Phu Nguyen-Van, CNRS & Université Paris Nanterre (EconomiX).

La loi de Wagner stipule que l’élasticité des dépenses publiques par rapport au revenu (PIB par habitant) est supérieure à 1. À l’aide des données de l’OCDE, nous analysons la relation entre le revenu et la taille du secteur public, en considérant les différentes catégories de dépenses publiques (éducation, santé, protection sociale, protection environnementale, défense, etc.). Les résultats montrent que la loi de Wagner est vérifiée pour les pays de l’OCDE. Elle est notamment justifiée par les dépenses sociales et environnementales.

Mots-clefs : croissance économique, dépenses publiques, la loi de Wagner, secteur publique, taille du gouvernement .

Citer cet article

Thi Kim Cuong PHAM , Phu Nguyen-Van « Croissance économique et taille du secteur public », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 36, 21 - 24, Eté 2017.

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Le débat sur la relation entre les dépenses publiques et le PIB, ou l’importance de la taille du secteur public (ou encore la proportion des dépenses publiques dans le PIB), existe depuis fort longtemps en sciences économiques. Généralement, les économistes libéraux recommandent de réduire la taille de l’Etat alors que les keynésiens appellent au contraire à plus d’interventions publiques (ce qui augmente logiquement la taille du secteur public). Sans vouloir entrer dans ce débat idéologique, cet article a recours à des données les plus récentes sur les pays de l’OCDE pour fournir un aperçu sur la réalité de cette relation. L’analyse a également pour objectif d’identifier les différents types de dépenses contribuant à la hausse de la taille du secteur public dans ces pays.

Dépenses publiques et revenu

Les travaux de recherche sur la relation entre le revenu et les dépenses publiques donnent deux résultats principaux. D’une part, les dépenses publiques productives (infrastructure, R&D) permettent d’améliorer les rendements du capital privé et de stimuler la croissance économique (Barro, 1990, Romer 1990). D’autre part, la croissance économique, traduite par un accroissement continu du revenu par tête, augmentera à son tour les dépenses publiques. Ce dernier résultat est résumé dans la loi de Wagner (Wagner, 1872) qui stipule que « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux ». Autrement dit, plus l’économie se développe, plus les dépenses publiques augmentent à cause d’une demande croissante en infrastructure et en biens de luxe (ou biens supérieurs). [1] Cela revient à dire que la taille du gouvernement dans l’économie est croissante par rapport au revenu. Ainsi, cette loi postule simplement que l’élasticité des dépenses publiques par rapport au revenu est plus grande que 1.

La loi de Wagner fait l’objet d’une multitude d’analyses empiriques utilisant différentes bases de données, à la fois sur les pays en développement et sur les pays développés (Peacok et Scott, 2000, Akitoby et al. 2006, Shelton 2007, Narayan et al. 2008, Durevall et Henrekson 2011, Narayan et al. 2012, etc.). Les résultats ne sont pas concluants. Par exemple, Akitoby et al. (2006) utilisent un échantillon de 51 pays en développement sur la période de 1970-2002 pour examiner la relation à court terme et à long terme entre le revenu et les dépenses publiques. Leurs résultats se montrent compatibles avec la loi de Wagner, contraires à d’autres études moins récentes qui utilisent les données transversales (Ram 1987). Les résultats dans Narayan et al. (2008) concernant les dépenses publiques des provinces de la Chine ne permettent pas de valider la loi de Wagner. Néanmoins, une analyse plus fine qui regroupe les provinces en différentes régions montre que cette loi est validée pour les provinces au Centre et à l’Ouest de la Chine, alors qu’elle ne l’est pas pour les régions à l’Est.

Certaines études distinguent les différentes catégories de dépenses publiques. Narayan et al. (2012) s’intéressent aux dépenses publiques des États indiens en distinguant la consommation publique du capital public. Leur résultat valide la loi de Wagner, mais uniquement pour les dépenses considérées comme consommation publique. Bairam (1995) analyse les dépenses des États-Unis en distinguant les dépenses militaires des dépenses non-militaires. Cette dernière catégorie croît plus que le revenu, ce qui valide la loi de Wagner. Shelton (2007) utilise un échantillon de 100 pays pour une longue période allant de 1970 à 2000, en considérant les différentes catégories de dépenses publiques (défense, éducation, santé publique, sécurité sociale, etc.). Les résultats de Shelton montrent que dans les pays riches où la proportion des personnes âgées est élevée, les dépenses de sécurité sociale sont très élevées, ce qui justifie le lien positif entre la taille du gouvernement et le revenu. Si ces dépenses publiques ne sont pas prises en compte, la taille du gouvernement n’est plus croissante par rapport au revenu. Ainsi, la loi de Wagner semble être expliquée par le facteur démographique, ce qui est également énoncé dans Easterly et Rebelo (1993), Oxley (1994), Shelton (2007).

Données et résultats

Afin de donner un aperçu général sur le lien entre les dépenses publiques et le revenu, nous utilisons les données récemment publiées par l’OCDE et par la Banque mondiale. Le portail des statistiques de l’OCDE fournit des données portant sur dépenses publiques exprimées en pourcentage du PIB des pays de l’OCDE. [2] Les dépenses publiques y sont classées en différentes catégories : dépenses totales, défense, dépenses économiques des administrations publiques, éducation, protection de l’environnement, services généraux des administrations publiques, santé, logement, sécurité publique, culture et religion, et protection sociale. Les séries portant sur le PIB et le PIB par habitant de ces pays, mesurés en parité du pouvoir d’achat (PPA) et exprimés en dollars constants 2005, sont obtenus à partir de la base de données World Development Indicators 2017 de la Banque mondiale. [3] L’utilisation conjointe de ces deux bases de données permettent de définir les séries sur les différents types de dépenses publiques par habitant, également exprimées en PPA et en dollars constants 2005. [4] Les données recouvrent 30 pays de l’OCDE (Australie, Autriche, Belgique, Suisse, République tchèque, Allemagne, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Royaume Uni, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Corée du Sud, Luxembourg, Lettonie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie, Suède et Etats-Unis) observés sur la période 1970-2015. [5]

Pour illustrer la relation entre les dépenses publiques et le revenu, nous présentons dans la Graphique 1 la corrélation entre les dépenses publiques totales par habitant (axe vertical gauche) et le PIB par habitant d’une part, et les dépenses publiques par habitant en matière de protection de l’environnement (axe vertical droit) et le PIB par habitant, d’autre part. Ce graphique montre que les dépenses publiques (en particulier les dépenses totales et les dépenses en environnement) augmentent avec le revenu dans les pays de l’OCDE. Cependant, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les évolutions des dépenses publiques et du PIB par habitant vérifient la loi de Wagner.

Graphique 1 : Relation entre les dépenses publiques totales (axe vertical gauche), les dépenses publiques de protection de l’environnement (axe vertical droit) et le PIB (abscisse) des pays de l’OCDE

Note : Toutes les séries correspondent aux indicateurs par tête et sont mesurées en PPA en dollars et aux prix constants 2005. Sources : OCDE et World Development Indicators 2017 de la Banque mondiale.

Pour répondre à cette question, nous devons calculer les élasticités de différents types de dépenses publiques par habitant par rapport au PIB par habitant, définies par (d lnDPk/(d lnPIB) où lnDPk et lnPIB correspondent respectivement au logarithme des dépenses publiques de type k (k = dépenses totales, défense, protection de l’environnement, etc.) et au logarithme du PIB par habitant. [6] Le Tableau 1 présente les élasticités ainsi obtenues.

Tableau 1 : Elasticités de différentes catégories de dépenses publiques par rapport au PIB

Catégorie de dépenses publiques Elasticité
Dépenses totales 1,058
Défense 0,654
Dépenses économiques des administrations publiques 0,826
Education 1,018
Protection de l’environnement 1,141
Services généraux des administrations publiques 1,043
Santé 1,238
Logement 0,787
Sécurité publique 0,562
Culture et religion 0,812
Protection sociale 1,260

Note : Les valeurs supérieures à 1 sont mises en gras.

En observant le Tableau 1, nous pouvons remarquer que la loi de Wagner est vérifiée pour les pays de l’OCDE pour la période observée (1970-2015), i.e. les dépenses publiques totales augmentent plus vite que le revenu. Cette relation positive entre la taille du gouvernement et le revenu par tête est surtout justifiée par les composantes sociales et environnementales. Ainsi, les domaines de santé, d’éducation, de protection sociale et des services publics sont considérés comme des biens de luxe dont les dépenses contribuent directement à augmenter les dépenses totales. La qualité de l’environnement est également un bien de luxe puisque le ratio des dépenses environnementales au revenu croît de 1,141 % suite à l’augmentation de 1% du revenu par tête. Ce résultat ne paraît pas surprenant vu la demande croissante concernant les dépenses sociales et la protection de l’environnement dans les pays développés, ne serait-ce que par le fait que ces questions prennent une place de plus en plus importante dans le débat public dans ces pays.

Conclusion

Étant données la sensibilité croissante de la population par rapport aux questions sociales et environnementales (sécurité sociale, chômage, changement climatique, pollution, etc.) et l’évolution de la démographie (vieillissement de la population), nous pouvons anticiper que les dépenses publiques, notamment les dépenses sociales et environnementales, dans les pays développés continueront à s’accroître dans les années à venir. Cette tendance à la hausse n’est pas nécessairement vérifiée lorsque nous utilisons des données concernant les pays à faible revenu où l’opinion publique n’exerce pas de pression sur les décideurs publics, notamment en ce qui concerne la qualité de l’environnement. Les dépenses sociales et environnementales ne sont pas la première priorité des pays en développement qui favorisent plutôt les dépenses publiques productives afin de stimuler la croissance économique (Nguyen-Van et Pham, 2013). La hausse des dépenses publiques peut cependant se heurter aux contraintes budgétaires, notamment dans les pays qui ont un fort déficit budgétaire et des difficultés en matière de dettes publiques.

Références bibliographiques

Akitoby, B., B. Clements, S. Gupta & G. Inchauste (2006), “Public spending, voracity, and Wagner’s law in developing countries”, European Journal of Political Economy 22, 908-924.

Bairam, E. (1995), “Level of aggregation, variable elasticity and Wagner’s law”, Economics Letters 48, 341-344.

Barro, R. (1990), “Government spending in a simple model of endogenous growth”, Journal of Political Economy 98, S103-S125.

Durevall, D. & M. Henrekson (2011), “The futile quest for a grand explanation of long-run government expenditure”, Journal of Public Economics, 95, 708-722.

Easterly, W. & S. Rebelo (1993), “Fiscal policy and economic growth : an empirical investigation”, Journal of Monetary Economics 32, 417-458.

Ghate, C. & P.J. Zak (2002), “Growth of government and the politics of fiscal policy », Structural Change and Economic Dynamics 13, 435-455.

Narayan, P.K., I. Mielsen & R.Smyth (2008), “Panel data, cointegration, causality and Wagner’s law : empirical evidence from Chinese provinces”, China Economic Review 19, 297-307.

Narayan, S., B.N. Rath & P.K. Narayan (2012), “Evidence of Wagner’s law from India states”, Economic Modelling 29, 1548-1557.

Nguyen-Van, P. & T.K.C. Pham (2013), “Endogenous fiscal policies, environmental quality, and status-seeking behavior”, Ecological Economics 88, 32-40.

Nguyen-Van, P. & T.K.C. Pham (2017), “Education and environmental protection expenditures and the Wagner’s law revisited”, mimeo, Université de Strasbourg.

Oxley, L. (1994), “Cointegration, causality, and Wagner’s law : a test for Britain 1870-1913”, Scottish Journal of Political Economy 41(3), 286-298.

Peacok, A. & A. Scott (2000), “The curious attraction of Wagner’s law”, Public Choice 102, 1-17.

Pearce, D. & C. Palmer (2001), “Public and private spending for environmental protection : a cross-country policy analysis”, Fiscal Studies 22(4), 403-456.

Ram, R. (1987), “Wagner’s hypothesis in time-series and cross-section perspectives : evidence from “real” data for 115 countries”, Review of Economics and Statistics 69, 194-204.

Romer, P.M. (1990), “Endogenous technological change”, Journal of Political Economy 98 (5), S71-S102.

Shelton, C.A. (2007), “The size and composition of government expenditure”, Journal of Public Economics 91, 2230-2260.

Wagner A. (1872). Lehrbuch der Politischen Oekonomie. Leipzig.


[1Un bien de luxe est un bien dont l’élasticité revenu est supérieure à 1.

[4Notons que nous utilisons les quantités en dollars par habitant et en PPA aux prix constants 2005 pour assurer la comparabilité entre les différents pays.

[5Les données ne sont pas cylindrées, i.e. certains pays ne disposent pas de données pour certaines périodes. Au total, l’échantillon étudié comporte 631 observations.

[6De manière équivalente, ces élasticités peuvent être estimées économétriquement à l’aide de la relation suivante : lnDPk =a +b lnPIB + u, où a est la constante de la régression, b l’élasticité des dépenses publiques de catégorie k et u le résidu du modèle. L’estimation de ce modèle nécessite une batterie de tests statistiques et de techniques économétriques (en particulier, des tests de stationnarité et de co-intégration pour données de panel) afin de garantir le fondement et la robustesse des résultats (voir Nguyen-Van et Pham, 2017, pour plus de détails).

Droits et Permissions

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