Droit social, Europe et mondialisation

Corinne Sachs Durand , Institut du travail, Université de Strasbourg

Le droit social est mis à mal en Europe par le développement d’une économie et d’une concurrence mondialisées. Il semble toutefois possible d’en préserver l’essentiel en utilisant de nouveaux moyens, dont certains récemment apparus.

Mots-clefs : droits du travail et sociaux, marché du travail, mondialisation, régulation du marché du travail.

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Corinne Sachs Durand « Droit social, Europe et mondialisation », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 21, 6 - 8, Hiver 2009.

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Un tel sujet mériterait d’évidence une approche beaucoup plus approfondie que ces quelques pages [1]. On tentera toutefois une rapide réflexion de synthèse sur la question.

Un premier temps, celui du constat, permet d’identifier les problèmes posés au droit social par la mondialisation ; en un second temps, l’on peut proposer quel­ques pistes de réflexion susceptibles de tempérer cette évolution.

I – Le constat : une évolution peu favorable au droit social

Le contexte européen et mondial, sur le plan économique et politique a bien évidemment des conséquences sur l’état du droit social.

A Le contexte européen et mondial

Plusieurs données peuvent expliquer la situation délicate dans laquelle se trouve le droit social. Tout d’abord, chacun sait que les fondements de la construction européenne ont été avant tout écono­miques, le bien-être social devant être la conséquence d’un développement écono­mique favorable. L’ouverture des marchés, la libre concurrence et l’absence d’une régulation mondiale suffisante ont démenti cet espoir, en créant une concurrence sociale entre travailleurs de différents pays, et parfois même au sein d’un même pays.

De surcroît, les idées économiques d’inspiration libérale, qui prévalent en Europe comme dans le monde et ont été récemment accentuées dans l’Union européenne par l’arrivée de pays nou­veaux, d’histoire et de culture différentes et fortement attirés par une économie libérale.

Enfin la crise financière, dont les effets perdurent ne pouvait qu’accentuer les difficultés sociales.

B Conséquences dans le domaine du droit social

Flexibilité et rentabilité sont des « valeurs » en développement dans nos économies. Elles trouvent leur traduction dans les change­ments du droit du travail et sont encore accentuées par l’évolution normative interne de ce droit.

1° - Une recherche de rentabilité et de flexibilité

La flexibilité, parfois associée à la sécurité dans le concept moderne de « flexisécurité » ou « flexicurité », résulte d’une recherche de rentabilité induite par la concurrence intra-communautaire d’abord, mondiale ensuite.
La poursuite d’une rentabilité financière conduit par exemple à privilégier la valeur de revente potentielle à très court terme d’une entreprise sur le marché, plutôt que de préparer son évolution future. Les actio­nnaires se dirigent donc vers ce type d’entreprises, en fonction notamment de la hauteur de la rémunération du capital. Mais cet argent versé aux actionnaires ne profite ni aux salariés ni à l’avenir de l’entreprise, sous la forme d’investissements [2] par exemple. La rentabilité conduit aussi à resserrer les effectifs et à réduire autant que possible les coûts salariaux pour augmenter la valeur de revente de l’entreprise ; c’est ce que l’on a pu appeler les « licenciements boursiers » [3].

Si malgré tout la main d’œuvre est trop chère dans un pays, on délocalise dans un pays « moins disant » socialement.

Cette évolution induit aussi une recherche de flexibilité de la main d’œuvre pour les entreprises, laquelle s’exprime par différentes techniques telles que la rupture conventionnelle ou les contrats à durée limitée par exemple, ou dans le domaine du temps de travail par la modulation horaire ou le travail du dimanche [4] nota­mment). La sécurité, destinée à compenser la flexibilité dans la notion de flexicurité, n’est pas toujours, loin s’en faut, au rendez-vous dans les réformes législatives récentes.

L’évolution normative interne au droit du travail risque en outre de renforcer cette situation.

2° - L’évolution normative du droit du travail.

Pour résumer rapidement cette évolution, on pourrait dire qu’il y a à la fois un transfert de l’élaboration de certaines normes de droit du travail du législateur vers les partenaires sociaux [5] et une décentralisation vers l’entreprise de l’élaboration de la norme conventionnelle. Les possibilités de dérogation à la norme légale sont relativement limitées, mais elles s’accroissent entre normes conventio­nnelles, en particulier au profit de l’entreprise, unité décentralisée. Or le rapport de forces en France n’est pas très favorable aux salariés, en particuliers dans les PME, pour plusieurs raisons que l’on ne peut développer ici.

A cela s’ajoute l’influence de ce que certains appellent le « droit mou », traduction de l’expression anglaise « soft law » - technique inspirée d’ailleurs large­ment du droit anglo-saxon - qui favorise le « droit » non sanctionné, auquel on est censé néanmoins se conformer. Relèvent de cette catégorie les codes de bonne conduite ou d’éthique et autres textes non contraignants, à quelque niveau qu’ils se situent.

Tout ceci ne favorise guère le droit social dans son aspect protecteur des salariés. Y a-t-il malgré tout des moyens de le sauve­garder ou même de le développer ?

II Vers une sauvegarde du droit social

Plusieurs pistes de réflexion sont envisa­geables, parmi lesquelles la protection des valeurs sociales européennes, ou la recherche de techniques de régulation mondiale.

A Protéger les valeurs sociales européennes

La construction européenne s’est faite, on l’a dit, sur des fondements économiques, le bien- être social étant censé accompagner le développement économique. Ce postulat ne pouvait évidemment fonctionner dans un contexte de crise et les chocs pétroliers ont conduit à reconsidérer les choses et à amorcer une véritable politique sociale en Europe au cours des années 1970/ 1980.

Après une époque faste, qui a vu l’adoption d’importantes directives sociales, il semble que l’on soit maintenant dans une période moins dynamique, les textes marquant une certaine stagnation et la jurisprudence de la CJCE étant pour le moins fluctuante.

Toutefois, demeure à travers la construction déjà acquise une certaine conception de ce qui pourrait être un « modèle social europé­en » dont les lignes de force sont, entre autres : la protection des droits fondamen­taux, le souci d’une information et d’une consultation des travailleurs dans la gestion de l’entreprise, le développement de la formation tout au long de la vie, la protection de la santé et le maintien d’une protection sociale relative.

Une certaine régulation existe sur le plan européen, mais sa résultante dépend assez largement des changements politiques en Europe. Sur le plan mondial, les choses sont évidemment beaucoup moins avancées.

B Développer une régulation mondiale

De prime abord, la régulation mondiale s’effectue actuellement selon plusieurs modes, qu’ils soient institutionnels ou non.

1° - Les modes institutionnels

Dans le domaine économique, on pense évidemment à l’OMC. Même si ce n’est pas sa vocation première, on pourrait souhaiter que les questions relatives à l’environnement et aux préoccupations sociales y soient plus souvent abordées, et qu’il y ait une réflexion plus approfondie sur ces sujets, notamment en matière de droits sociaux fondamentaux, de protection de l’environnement et d’équi­libre Nord Sud. Mais les négociations y sont difficiles.

Dans le domaine du droit du travail, l’OIT est l’organe mondial de régulation. Organisation tripartite, l’OIT a édicté plus de 180 conventions relatives au travail. Elle est l’instrument d’une régulation mondiale du droit du travail mais tous les pays n’ont pas ratifié toutes les conven­tions d’une part et les mécanismes coercitifs de l’institution sont tout à fait insuffisants pour assurer son efficacité, d’autre part. On ne peut ici entrer dans les détails, mais il faudrait certainement développer et renforcer l’action de l’OIT en prévoyant des procédures plus contrai­gnantes, malgré les difficultés politiques que cela implique dans une organisation tripartite et l’impossibilité pour certains pays peu développés de respecter des standards sociaux élevés.

2° - Les modes non institutionnels de régulation

Ces modes de régulation dépendent de différents acteurs.

Les entreprises, devant le développement de valeurs éthiques telles que la responsa­bilité sociale, la responsabilité environne­mentale etc… mettent en œuvre des politiques et prennent des engagements dans ce sens. Dans certains cas, l’utilisation d’un logo permet d’identifier les entreprises qui se sont engagées. On peut mettre dans la même catégorie les différents labels sociaux, commerciaux ou environnementaux (commerce équitable, etc…) ou engagements divers pris par les entreprises.

Ces démarches sont une bonne chose, sous réserve qu’elles ne soient pas mensongères, comme par exemple dans certaines affaires ayant mis en cause des fabricants d’article de sport … et qu’elles ne servent pas à déguiser des pratiques anticoncurrentielles et protectionnistes notamment vis-à-vis des pays émergents. En cas de violation de ces engagements, des actions sont ouvertes aux consomma­teurs (notamment aux USA). Ces actions seraient à développer en Europe.

Les organisations syndicales pourraient également être des acteurs de la régulation mondiale : elles communiquent depuis longtemps entre elles, que ce soit au niveau européen (dans le cadre de la Confédération européenne des syndicats -CES-) ou mondial (dans le cadre de l’OIT). Les structures de représentation du personnel au sein d’entreprise ou de groupes européens ou mondiaux peuvent faciliter les contacts, la circulation des idées, les manifestations internationales et finalement une harmonisation des revendications et à moyen terme du droit du travail qui résoudrait les problèmes de délocalisation, ceci à l’échéance probablement de quelques décennies.

Enfin, les citoyens constituent aussi une force : en tant que consommateurs, ils peuvent faire des choix et influencer le marché ; on le voit avec le développement des produits biologiques, le souci croissant de l’environnement et le succès des labels sociaux.

En tant qu’acteurs politiques, les citoyens exercent parfois une sorte de démocratie directe qui – faute de pouvoir s’exprimer toujours par les structures politiques en place – se manifeste dans la rue et remporte parfois des succès. Mais ces actions se terminent parfois dans le sang, dans certains pays ….

Le développement de l’information, via internet est également un outil d’une puissance extrême pour faire circuler très rapidement toute information, dont il est prudent parfois de vérifier la fiabilité.

La liberté de circulation de l’information au plan mondial pourrait être une des clés d’une évolution positive en matière de droit social.


[1On renverra notamment le lecteur à l’intéressant ouvrage de Marie-Ange Moreau, « Normes sociales, droit du travail et mondialisation », Dalloz, Paris 2006.

[2V. sur ce point C. Hannoun, L’impact de la financiarisation de l’économie sur le droit du travail, Revue de droit du travail 2008, p. 288.

[3V. C. Hannoun, précité.

[4Loi n° 2009-974 du 10 août 2009 réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires. J.O. du 11 août 2009.

[5Deux des lois récentes qui ont fortement modifié le droit social sont issues d’accords conclus au niveau national par les partenaires sociaux (ou tout au moins certains d’entre eux). Il en est ainsi de la loi de modernisation sociale du 25 juin 2008 (Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail) et de la loi du 20 août 2008 (Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, JO du 21 août).

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