L’indice des prix à la consommation harmonisé : un indice hybride

Damien Broussolle, Institut d'Etudes Politiques, Université de Strasbourg (LaRGE),

L’introduction de l’euro a suscité dans plusieurs pays des inquiétudes quant à la dérive des prix. L’indice des prix à la consommation a été accusé de ne pas représenter correctement l’inflation réelle, telle que la population la perçoit. Réaliser un indice harmonisé pose en effet de redoutables problèmes. L’article en fournit une illustration à partir du cas de la santé et de l’action sociale.

Mot-clef : indice de prix à la consommation harmonisé .

Citer cet article

Damien Broussolle « L’indice des prix à la consommation harmonisé : un indice hybride », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 11, 9 - 11, Hiver 2004.

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Eurostat a réalisé un gros travail pour concilier les différentes démarches statistiques nationales et en particulier pour établir l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé (IPCH). Les choix adoptés pour le constituer sont cependant parfois discutables : la référence utilisée pour la mesure des prix de la santé ou des services d’action sociale n’introduirait-elle pas un changement de conception de l’indice des prix (Bonotaux et Magnien 2003) ?

Avant de répondre à cette interrogation, il convient dans un premier temps de rappeler quelques principes généraux de construction de l’indice des prix.

La démarche traditionnelle

La construction d’un indice de prix pour un produit quelconque vise à connaître l’évolution pure de prix (Barret et al. 2003, 16 ; Piriou 1983 ; Insee 1998). Pour ce faire, il convient de suivre le prix d’un produit identique. Si cela n’est pas possible, par exemple parce qu’il a subi des modifications, il est envisageable de suivre le prix correspondant à une satisfaction équivalente. Lorsque qu’une variation de prix est constatée, le statisticien est alors amené à s’interroger sur l’origine de cette variation. Selon qu’il considérera qu’elle s’explique, ou non, par une modification substantielle des caractéristiques du produit (variation de la qualité), il en effacera tout ou partie au niveau du prix. L’amélioration des caractéristiques s’interprète, en effet comme un accroissement du volume offert au consommateur, car le contenu de produit offert au consommateur augmente. Une voiture qui incorpore des airbags et l’ABS, apporte au consommateur un supplément de protection. L’augmentation éventuelle de son prix est justifiée par l’amélioration du contenu du produit, il ne s’agit pas d’inflation. L’indice des prix ne retrace donc pas directement l’évolution des dépenses des consommateurs, ou celle du coût de la vie, ce n’est pas son objectif. C’est bien ce qu’exprime Eurostat qui écrit dans son guide : d’un point de vue conceptuel les IPCH sont plutôt des indices de type Laspeyres, que des indices du coût de la vie, reflétant ainsi leur rôle clef dans l’évaluation de la stabilité des prix » (Com 2004, 4). Compte tenu des enjeux latents, la pression est cependant forte pour tordre la construction et l’interprétation de l’indice des prix dans ce sens (Magnien, Pougnard 2000,82 ; Barret et alii 2003, 4).

Ceci posé il convient à présent de se tourner vers les indices de prix qui posent problèmes.

Les prix dans la santé et l’action sociale

La mesure des prix dans le domaine de la santé et de l’action sociale apparaît compliquée, (Barret, Bonotaux et Magnien 2003), plusieurs difficultés apparaissent au niveau du prix :

  • D’une part plusieurs types de prix peuvent être définis : un prix brut et un prix net. Le prix brut est celui qui serait payé en dehors de prise en charge collective, c’est le tarif de référence. Le prix net est celui que paie réellement le consommateur.
  • D’autre part, certains tarifs sont fonction du revenu ou de la composition du ménage. C’est généralement le cas dans le domaine de l’action sociale (prix des crèches par exemple). Lorsque le revenu des ménages augmente, le prix net augmente également, sans que le prix brut n’ait été modifié.

La question du prix à prendre en compte dans l’indice se pose : convient-il de considérer le prix net, ou le prix brut ?

Si l’on suit les principes évoqués plus haut. Il conviendrait de s’intéresser au prix brut, ce serait la solution la plus cohérente.

Bien que le prix brut ne soit pas la meilleure référence souhaitable, car il est généralement pour partie administré, il est cependant celui des deux (brut, net) qui se rapproche le plus d’un prix ordinaire. Il s’agit en outre de celui qui est le moins éloigné de la consommation effective des ménages. Celle-ci comprend, non seulement la partie de la consommation qui est la charge des ménages, mais aussi celle qui est directement prise en charge par le système social. Or il est souhaitable que l’indice des prix soit la contrepartie la plus proche du volume de biens et services consommés et donc de la production. La référence au prix brut se justifie également pour des raisons de cohérence. Bien que le prix net représente mieux ce qui est réellement payé par le consommateur, il a été souligné que l’indice des prix n’est pas un indice de la dépense ou du coût de la vie. Il est souhaitable d’appliquer dans les différents domaines de la consommation des principes identiques, faute de quoi l’indice général serait un patchwork inconséquent. Enfin, en termes d’évolution dans le temps, le prix net présente l’inconvénient majeur d’incorporer les effets des changements de politiques sociales et de varier en fonction des modifications de prise en charge (Piriou 1983, 37).

Dans le cas de l’action sociale, le fait que le prix payé varie, au surplus, en fonction du revenu, plaide tout particulièrement en faveur du prix brut comme référence pour l’indice.

Corriger, par exemple, le prix des services d’aides à domicile ou d’assistantes maternelles des aides dont certains parents bénéficient, paraît erroné et inutilement complexe. Il est beaucoup plus sensé et cohérent de conserver d’un côté, un indice des prix des services hors allocations, et de l’autre d’intégrer dans les revenus des ménages les allocations dont ils bénéficient.

Au total, les variations de prix net pouvant être indépendante des variations du volume ou même de la qualité, l’indice des prix à la consommation serait déconnecté d’une mesure du produit et de la consommation.

Un choix malencontreux pour l’IPCH

Le règlement du conseil du 8 octobre 1999 précise que le champ de l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé (IPCH), pour la santé, la protection sociale et l’enseignement, concerne la dépense monétaire de consommation finale des ménages, que les prix doivent être nets de remboursements et qu’ils doivent intégrer les variations résultant de changement des revenus.

Si l’Indice des Prix à la Consommation français continue, avec raison, de prendre en compte le prix brut, l’indice des prix harmonisés au niveau européen prend donc malencontreusement en compte le prix net. Dans les domaines évoqués, l’IPCH est alors construit comme un indice de la dépense et non pas comme un indice des prix. L’IPCH est dès lors hybride puisqu’il combine des indices dont la logique de construction est différente, en contradiction même avec les principes affichés par Eurostat. Compte tenu de ce qui a été souligné cela est fort regrettable. Cela l’est d’autant plus, qu’il est utilisé comme élément de mesure de l’inflation par la BCE. Le fait d’envisager en outre que l’indice en prix net puisse servir à indexer des allocations à caractère social, qui sont elles-mêmes déduites des calculs, ajoute à la perplexité de l’observateur (art 4 paragraphe 2.c).

Cette méprise a plusieurs origines. Elle provient pour partie de l’usage américain qui utilise l’expression « cost of living index » pour désigner, les indices de prix, comme les indices de coût de la vie (Insee 1998, 37). La publicité donnée aux travaux de la commission Boskin en 1996 (Gadrey 1999) a diffusé cette ambiguité. Elle provient aussi de pratiques d’autres pays de l’UE, comme par exemple celle de l’Allemagne. Ce dernier pays construit un indice de niveau de vie », finalement plus proche dans certains domaines, du coût de la vie, que des prix à la consommation (Buchwald, Saglio 1994).

Le choix final d’Eurostat a, semble-t-il, été justifié par des considérations pratiques.

Il y a toujours un arbitrage difficile à faire entre considérations de principes, qui dans ce cas, auraient pu conduire à ne pas intégrer immédiatement les domaines considérés dans l’IPCH, et nécessités pratiques, qui poussent à un résultat rapide. Cependant, comme le souligne Elissalt (2001, 43), la pertinence, la cohérence ainsi que la comparabilité font partie des critères traditionnels de qualité des statistiques, au même titre que celui de disponibilité qui, probablement, était particulièrement visé dans ce cas. Les deux premiers critères ont clairement été malmenés. En apparence, la comparabilité semble être mieux respectée : le prix net est la référence commune.

Pourtant, non seulement les mécanismes de redistributions diffèrent d’un pays à l’autre, mais leur couverture varie au gré de décisions de politique sociale non coordonnées. La comparaison entre les pays des variations relatives du prix net, comme leur interprétation, restent donc des entreprises à haut risque.

La comparabilité internationale, formellement justifiée par le respect du protocole commun, n’est-elle pas en fin de compte invalidée ici par l’existence de contextes socio-redistributifs très différents ?

Bibliographie

BARRET. (C), BONOTAUX. U) ET MAGNIEN. (F), 2003, « La mesure des prix dans les domaines de la santé et de l’action sociale : quelques problèmes méthodologiques », Economie et Statistique n°361 pp. 3-22.

BUCHWALD. (W), SAGLIO. (A), 1994, « Des indices de prix à la consommation plus comparables », Economie et Statistique n°275-76, 5-6, 9-24.

COMMISSION EUROPEENNE 2004, « Indices des prix à la consommation harmonisés, petit guide de l’utilisateur », Eurostat, mars.

ELISSALT.( F), 2001, « La statistique communautaire au tournant du XXIème siècle, nouveaux enjeux, nouvelles contraintes », Courrier des statistiques n°100 décembre, 41-51.

GADREY. O, 1999, « Les incertitudes de l’indice des prix à la consommation : question de méthode ou question de paradigme ? », Economie Appliquée, n°1, 151-75.

INSEE [1998], « Pour comprendre l’indice des prix » Insee Méthodes n°81-82.
JOURNAL OFFICIEL DES COMMUNAUTES 1999, règlement n°2166/1999 du conseil sur le traitement des produits dans le secteur de la santé, de l’enseignement et de la protection sociale dans l’IPCH.

PIRIOU. (1-P), 1983, « L’indice des prix », La Découverte Coll. Repères.

Droits et Permissions

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