La mise en place de l’Euro va-elle engendrer des tensions inflationnistes ?

Laurent Gagnol, Université de Strasbourg (BETA)

La mise en œuvre de l’Euro au premier janvier 2002 reste, même à quelques jours de l’échéance, un sujet de préoccupations et d’interrogations important. Pour les pouvoirs publics et les économistes, le débat porte plus spécifiquement sur les effets macroéconomiques d’un tel changement, alors que pour l’ensemble de la population la question est de savoir si l’euro va entraîner un accroissement des prix, qui pénalisera le pouvoir d’achat de chacun. Qu’en est-il réellement ? Les craintes sont-elles fondées ? Comment peut-on maîtriser les soubresauts potentiels du taux d’inflation ?

Mots-clefs : DGCCRF, inflation, passage à l’euro et mise en place de l’euro, risque d’inflation.

Citer cet article

Laurent Gagnol « La mise en place de l’Euro va-elle engendrer des tensions inflationnistes ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 5, 17 - 18, Hiver 2001.

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L’arrivée de l’euro dans le porte-monnaie des ménages français suscite bon nombre d’interrogations et d’inquiétudes. Outre la question de l’adaptation à la conversion du franc vers la monnaie européenne, les Français craignent, pour 70 % d’entre eux, que les commerçants profitent de cette « aubaine » pour augmenter les prix, sous couvert des erreurs d’appréciation et de jugement – sans doute temporaires – de la part de la population.

Depuis le mois de juin, le ministère de l’économie et des finances reste tout particulièrement vigilant et a commandité à ce titre une enquête de grande ampleur visant à surveiller l’évolution des prix des biens de consommation. Les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont ainsi observé des hausses allant de 0,3 % à 0,7 % des prix dans les hypermarchés et petits commerces (exprimé en tendance annuelle, cela aboutit à un taux d’inflation compris entre près de 4 % et 9 %, ce qui dépasse largement le cible de 2 % fixée par la Banque Centrale Européenne). Ces hausses inquiètent à la fois les consommateurs et les pouvoirs publics, que l’on sait très sensibles à l’évolution de l’inflation.

D’où peuvent provenir les tensions sur les prix ?

Les arrondis de conversion sont les premières causes envisageables. En effet, le taux de change fixe Euro / FF à cinq décimales impose pour des raisons pratiques de limiter l’affichage des prix à deux décimales près. La règle fixée est la suivante : si le troisième chiffre après la virgule est égal ou supérieur à 5, on arrondit au centime supérieur et si le troisième chiffre après la virgule est inférieur à 5, on arrondit au centime inférieur.

Exemple  : 125,65F / 6.55957 = 19,15521...€, soit un prix arrondi à 19,16 €.

Cette règle permet de garantir une estimation au plus juste qui, effectivement, n’induit pas un glissement significatif du niveau des prix. Pour s’en convaincre une simulation de conversion, respectant la règle officielle énoncée, sur un échantillon de 500 prix en FF aboutit à un écart inférieur à 0,001 % entre le prix exact et le prix arrondi. La conversion FF / Euros, si elle est appliquée strictement, n’est donc pas la cause des tensions inflationnistes que l’on observe actuellement sur certains prix de biens de consommation.

L’effet « d’aubaine » pour les entreprises semble être une cause plus probable de distorsion sur le prix affiché des biens. En effet, pour des raisons commerciales, marketing ou de lisibilité des prix pour les clients, il apparaît plus avantageux pour une entreprise d’afficher des prix « ronds », plus facilement mémorisables et peut-être plus compatibles avec les anciennes habitudes.Cette pratique possible risque d’aboutir à une surévaluation – il est peu probable qu’une entreprise commerciale sous-évalue la valeur de sa marchandise – des prix actuels exprimés en FF afin de permettre une conversion future plus aisée.

Enfin, les enquêtes auprès des commerçants et responsables d’hypermarchés révèlent que les évolutions de prix ne seraient que le reflet de la hausse du prix des matières premières et en aucun cas la volonté de profiter de l’arrivée de l’Euro pour augmenter les marges commerciales. Remarquons seulement que les hausses de 0,3 % et 0,7 % dans le secteur du petit commerce et des services, constatées au mois d’août, ne concernent pas forcément les corps de métier les plus sensibles aux prix des matières premières.

Comment peuvent réagir les pouvoirs publics ?

L’inquiétude des pouvoirs publics quant à d’éventuelles pressions inflationnistes en France et, plus globalement, dans les pays de la zone euro apparaît tout à fait légitime si l’on considère que la force et la crédibilité de la politique monétaire sont fondées sur la stabilité du taux d’inflation. Rappelons, une fois de plus, que l’objectif principal et prioritaire de la Banque centrale européenne reste la maîtrise du taux d’inflation européen en deçà de 2 % et que tous les signes avant-coureurs susceptibles de malmener cet objectif font craindre des réactions monétaires rapides.

La première intervention possible - et d’ailleurs la seule – des pouvoirs publics français est de jouer un rôle de surveillance et d’audit de l’évolution des prix.Depuis le mois de septembre, les services de la DGCCRF relèvent systématiquement deux fois par mois les prix des biens de consommation courants. Cela permet une analyse précise des évolutions non seulement des prix mais des règles de respect des arrondis de conversion. A priori, là s’arrêtent les interventions possibles des pouvoirs publics. En effet, depuis la loi de déréglementation des prix de 1986, rien ne contraint une entreprise dans son processus de fixation des prix de vente ; seule la pression concurrentielle doit pouvoir permettre une certaine stabilité et un encadrement des pressions inflationnistes des biens proposés à la vente. Notons cependant que des recommandations peuvent être initiées auprès des représentants des différentes branches de l’économie afin d’inciter à la modération. Par contre, le champ des sanctions s’applique dans un cas de non-respect du double affichage ou des règles de conversion, ce qui naturellement n’a rien à voir avec la stabilité des prix de vente. Cette fonction d’observateur s’accompagne d’une politique de diffusion des relevés de prix et de respect des règles de conversion. Le site Internet de la DGCCRF [1] révèle ainsi, pour le mois d’octobre, des résultats encourageants en matière de pressions inflationnistes puisque la modération des prix constatée en septembre semble se confirmer. De même, le respect du double affichage et des règles de conversion se généralise à l’ensemble des secteurs d’activité. Manifestement les injonctions du gouvernement, soutenues par les études très médiatisées des associations de consommateurs, sont parvenues à sensibiliser la population, permettant ainsi de maintenir la stabilité des prix dans des proportions acceptables.

Finalement, les craintes a priori d’une augmentation significative des prix pour les consommateurs, relayées par le gouvernement par mesure de précaution et pour sensibiliser la population, semblent a posteriori relativement peu fondées. Du côté des économistes et des décideurs européens,tout au moins des ministres des finances de la zone euro, la volonté d’une politique monétaire plus expansionniste de baisse des taux d’intérêt (cf. la réunion de ministres des finances à Luxembourg mi-octobre) révèle bien que les préoccupations économiques se placent plus particulièrement sur le front du chômage et de la croissance, que du côté de l‘évolution des prix. Cet appel collégial des ministres a, finalement, été largement entendu par la Banque Centrale Européenne, si l’on en juge la baisse significative de son taux d’intérêt directeur de 3,75 % à 3,25 % le 8 novembre 2001. En cela elle semble confirmer ses anticipations en matière d’inflation faible et renforce ainsi sa crédibilité en matière de bonne maîtrise de ses objectifs et de ses instruments.

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