Pour un fonds de soutien conjoncturel en Europe

Francis Kern, Université de Strasbourg (BETA)

Valérie Malnati, Commissariat général à l’Investissement

Le débat actuel autour de la politique économique de l’Union européenne se focalise sur l’ampleur d’un budget communautaire capable d’assurer à la fois les fonctions de redistribution et de stabilisation économique conjoncturelle. Pourquoi ne pas envisager de dissocier ces deux fonctions puisque la première est politiquement peu réaliste, car elle heurte les souverainetés nationales, tandis que la seconde permettrait de tenir compte du caractère différencié des conjonctures économiques des pays de la zone ?

Mots-clefs : fonction de stabilisation, fonds de soutien, Fonds de soutien conjoncturel en Europe, policy-mix.

Citer cet article

Francis Kern , Valérie Malnati « Pour un fonds de soutien conjoncturel en Europe », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 2, 12 - 14, Été 2000.

Télécharger la citation

Pour onze pays européens, le principal enjeu est de concevoir ensemble une articulation cohérente entre le paradigme proposé par le Traité de Maastricht et la mise en place d’un véritable policy-mix en Europe. Cette conception néo-keynésienne de la politique économique, fondée sur la recherche d’une combinaison optimale des instruments monétaires et budgétaires (optimal policy-mix),représente un défi important pour les États-nations. Ainsi, d’un point de vue purement technique, le Traité propose un modèle complètement original de policy-mix puisque les gouvernements seront privés de l’instrument monétaire, tout en étant limités dans l’usage de l’instrument budgétaire. Mais, sur un plan plus politique, les voies et les moyens d’obtenir un bon équilibre entre une politique monétaire unique et des politiques budgétaires largement décentralisées restent encore à clarifier. En particulier, la question se pose de savoir quelle marge de manœuvre subsiste pour les gouvernements nationaux en matière de politique économique ?

1) Malgré l’euro, le policy-mix reste déséquilibré

Il est vrai que depuis la mise en place du Système Monétaire Européen (SME), les politiques économiques nationales ont été soumises à la suprématie de la politique monétaire (et notamment de la politique monétaire allemande), tandis que les politiques budgétaires ne jouaient qu’un rôle résiduel. Par conséquent, même si l’existence de déficits structurels résultait partiellement du ralentissement de la croissance, il n’en demeure pas moins que c’est justement l’existence de policy-mix déséquilibrés qui a fini par provoquer l’explosion du Système en août 1993, du fait de l’ampleur des mouvements de capitaux déstabilisateurs. C’est l’illustration du triangle d’incompatibilité entre liberté totale des mouvements de capitaux, stabilité des rapports de change et autonomie des politiques monétaires nationales. La réalisation de la monnaie unique a d’ailleurs été conçue dès le départ comme le seul moyen de remédier durablement à cette incompatibilité. Mais le but visé était aussi et surtout de supprimer durablement l’asymétrie du SME en confiant à une institution indépendante la gestion de la politique monétaire unique.

C’est pourquoi, face à l’unicité de décision dans la mise en œuvre de la politique monétaire par la Banque Centrale européenne (BCE), les rédacteurs du Traité de Maastricht ont pris soin d’insister sur la nécessité de coordonner les politiques budgétaires, en omettant toutefois de préciser la manière d’y parvenir. Les textes prévoient seulement des garde fous en matière budgétaire, qui s’expriment par les critères de convergence pour le lancement de l’euro et parle Pacte de Stabilité et de Croissance pour la troisième étape de l’Union Économique et Monétaire (UEM). Au total, le policy-mix de l’Union européenne se définit par une stratégie de moyen terme fondée d’une part sur une politique monétaire exclusivement orientée vers la recherche de la stabilité monétaire et d’autre part,sur une réduction progressive du poids des finances publiques dans l’économie. Devant une approche aussi prudentielle, l’efficacité du policy-mix à l’échelle européenne nécessite d’aller bien au-delà de la simple coordination des politiques budgétaires nationales.

2) Le Conseil de l’euro : une instance informelle

Certes, l’ambition affichée est de renforcer la coordination en matière de politique économique et monétaire, mais cela ne s’appuie sur aucun mécanisme institutionnel garantissant une telle coordination. Paradoxalement, même le Conseil de l’euro, considéré comme un interlocuteur au Conseil des gouverneurs de la BCE, ne peut être en définitive qu’un lieu d’échange et de concertation sur l’élaboration des politiques économiques. À fortiori, la faisabilité politique d’un mécanisme capable de faire véritablement converger les politiques budgétaires paraît plus qu’incertaine. D’où la nécessité d’élaborer de nouveaux dispositifs institutionnels. Cette élaboration devient d’autant plus urgente que l’asymétrie du SME se poursuit sous une forme plus sophistiquée – puisqu’institutionnelle – au niveau de l’UEM : la politique monétaire est centralisée et gérée sur un mode fédéral par le Système Européen de Banques Centrales (SEBC) tandis que les politiques budgétaires sont largement décentralisées et restent du ressort de la souveraineté nationale. Face à cette ambiguïté, la consolidation du budget central, en fait fédéral, apparaît comme la condition de la réalisation effective d’un policy-mix européen équilibré.

En effet, alors que les États ont définitivement renoncé à une politique monétaire souveraine et que le Pacte de Stabilité réduit considérablement leur marge de manœuvre budgétaire, il n’existe toujours pas de mécanisme de stabilisation susceptible d’assumer les chocs conjoncturels. En d’autres termes, cette idée de développement du fédéralisme budgétaire semble être le complément indispensable à la mise en place de l’UEM, afin de donner à l’Union européenne le budget de ses ambitions.

3) Un Fonds de soutien conjoncturel pour rééquilibrer le policy-mix

À ce stade, tout le problème de la construction européenne revient donc à évaluer l’ampleur d’un budget communautaire capable d’assurer à la fois les fonctions de redistribution et de stabilisation économique conjoncturelle. À cet égard, il ne peut s’agir de transposer les modèles nationaux de budget au niveau européen, même s’il est vrai qu’à l’heure actuelle les budgets fédéraux existants dans le monde ne sont rien d’autre qu’une simple transposition des budgets nationaux.

Le budget communautaire pourrait ainsi se distinguer de ces budgets fédéraux par la nature des interventions que les autorités politiques accepteraient de lui confier. La création d’un Fonds européen de soutien conjoncturel pourrait jouer un rôle similaire, en terme de stabilisation économique, à celui du Fonds structurel dont la finalité est de réduire les inégalités entre les régions de l’Union européenne. Ce Fonds structurel a d’ailleurs été renforcé suite à la proposition du rapport Delors dans le cadre de la préparation du Traité de Maastricht. Mais si le Traité avait également envisagé la création d’un Fonds européen d’investissement, les Ministres des Finances ont toujours refusé les financements communautaires qui impliqueraient un endettement propre de l’Union européenne par l’émission d’emprunts à moyen ou long terme sur les marchés financiers.

Ainsi, les États membres se sont toujours obstinément privés du seul instrument de relance économique dans le cadre d’une politique budgétaire. A présent, les gouvernements se trouvent confrontés à des choix politiques stratégiques : soit ils acceptent le principe d’un endettement spécifique de l’Union européenne, soit ils envisagent d’élargir les prérogatives du Parlement européen en lui conférant ce qui relève, par nature, de tout pouvoir législatif, à savoir la possibilité de lever un impôt affecté au financement d’un Fonds conjoncturel. Cela éviterait dans l’immédiat, en référence au principe de subsidiarité, que le financement de certains postes des budgets nationaux fassent l’objet de transferts, même partiels, au budget central. D’ailleurs, ceux-ci semblent difficile à identifier : qu’il s’agisse de l’éducation ou de la défense, on touche à des domaines sensibles où les traditions et les prérogatives des États restent fortes.

À court terme, ces questions devront toutefois être posées, et surtout solutionnées ! Un budget communautaire, même modeste – assorti d’un Fonds européen de soutien conjoncturel – permettrait de mettre en œuvre une politique budgétaire européenne qui favorisera les conditions de réalisation d’un policy-mix équilibré. L’intervention de ce Fonds pourrait être décidée, selon les pays, en fonction de l’écart entre le taux de croissance du pays considéré et le taux moyen de la zone, couplé avec un taux de chômage supérieur au taux moyen de la zone. Dans cette optique, il s’agit de substituer au primat de la politique monétaire sur la politique budgétaire, une interaction dynamique entre ces deux instruments.

En novembre 1999, la BCE a initié un cycle de resserrement des taux d’intérêt ayant pour but de "normaliser les conditions monétaires". Outre la critique portée sur le manque de lisibilité de la politique monétaire durant l’année 99, le retour à une politique monétaire restrictive est-il justifié ?

"Face au retour de l’inflation, la BCE pourrait relever ses taux" titre un article du Monde du 27 janvier 2000. Effectivement, du fait de la hausse du prix du pétrole, l’inflation a atteint 2 %, le seuil de tolérance fixé par la BCE pour janvier 2000, mais hors énergie, le taux s’est limité à 1 %.

Par ailleurs, la dépréciation de 15 % de l’euro par rapport au dollar, ce qui correspondrait à une hausse de 1,2 à 1,4 % du PIB de la zone euro, a permis de soutenir l’activité économique, c’est l’effet de compétitivité-prix. Cette dépréciation comporte un risque d’inflation importée accentuée par la hausse du prix du pétrole. Néanmoins, du fait de cette alerte, nous assistons à une remontée inexorable des taux, en particulier du taux d’intérêt des opérations principales de refinancement de l’eurosystème : 3 % le 4 Novembre 1999 ; 3,25% le 3 Février 2000 et 3,5 % le 16 Mars 2000 et 3,75 % le 27 Avril dernier et contre toute attente, une hausse de 50 points de base le jeudi 8 juin 2000, portant le taux de refinancement à 4,25 % soit une hausse de 55 % en 8 mois.

Pour le réglage de la politique économique, le retour d’une politique monétaire restrictive remet au premier plan la place accordée à la politique budgétaire : la question de l’existence d’une politique budgétaire européenne pour accompagner et stimuler le retour actuel à la croissance dans la zone euro. D’où l’actualité des propositions de l’article ci-dessus.

Droits et Permissions

Accès libre (open access) : Cet article est distribué selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0.

Le financement du libre accès est assuré par le BETA – Bureau d’Économie Théorique et Appliquée.

D'autres articles qui pourraient vous intéresser

Partager