La poursuite de l’uniformisation de la politique européenne de coopération au développement ? Le volet commercial et la budgétisation du FED
Francis Kern, Université de Strasbourg (BETA)
Claire Mainguy, Université de Strasbourg (BETA)
Depuis les années 1950, les liens avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifiques (ACP) ont été au cœur de la politique de développement de l’UE. Ces dernières années, elle a connu des changements majeurs avec un nouveau consensus pour le développement en 2017, la signature de l’accord post-Cotonou qui régit les relations entre l’Union européenne et les États ACP en 2021 et l’intégration au budget européen du Fonds Européen de Développement (FED) dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027. La disparition des accords commerciaux préférentiels et de l’instrument financier ad-hoc de la coopération européenne avec les ACP, le FED, tend à montrer une uniformisation de la politique de développement de l’Union.
Codes JEL : O10, O19, O55, P45.
Mots-clefs : Instrument européen pour le voisinage, Accords de partenariat économique, Fonds européen de développement, post-Cotonou.
Citer cet article
Francis Kern , Claire Mainguy « La poursuite de l’uniformisation de la politique européenne de coopération au développement ? Le volet commercial et la budgétisation du FED », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 46, 99 - 105, Eté 2022 : Spécial « 50 ans du BETA ».
C’est envers les pays ACP que la politique de coopération de l’UE est la plus ancienne et la plus importante au regard des besoins financiers de ces pays, parmi lesquels figurent 33 des 47 Pays les Moins Avancés (PMA) recensés par les Nations unies. Mais cette focalisation historique de la politique de coopération de l’Union sur les ACP tend à s’atténuer au profit d’un traitement similaire de tous les pays en développement.
Dans le cadre du partenariat UE-ACP, la politique européenne de développement concerne actuellement 79 pays. Elle comprend des accords commerciaux ainsi qu’une politique de coopération au développement et repose sur un dialogue politique entre les partenaires.
Entre 1975 et 2000, Dans le cadre des conventions de Lomé, cette politique européenne se voulait solidaire et spécifique avec les pays ACP. Cela se traduisait, d’une part, par des accords commerciaux préférentiels bilatéraux non réciproques et, d’autre part, par l’existence d’un outil financier spécifique aux pays ACP, le FED (Ténier 2019), non inclus dans le budget de l’UE, abondé de façon intergouvernementale par des négociations entre pays membres (Kern et Mainguy 2015, 2019).
Cette politique a été récemment marquée par deux réformes essentielles : la fin de l’accord de Cotonou en 2021 et l’intégration du FED au budget de l’UE, dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Ces évolutions tendent-elles à faire des États ACP, des partenaires comme les autres de la politique d’aide au développement de l’UE ?
Avec l’accord de Cotonou (2000-2021), l’UE a mis fin à un système commercial préférentiel unique en incitant les pays ACP à signer des accords de partenariat économique (APE) reposant sur des zones de libre-échange avec l’UE (section 1). L’intégration du FED dans le budget de l’UE et dans le nouvel outil de financement de la politique de l’UE à destination de tous les pays en développement, l’Instrument du Voisinage, du Développement et de la Coopération Internationale (NDICI [1]) , fait aussi disparaître les spécificités du financement de l’aide aux pays ACP (section 2). L’accord post-Cotonou signé en 2021 renouvelle le cadre de la coopération entre l’UE et l’Organisation des États ACP (OEACP) en entérinant ces changements et en prenant en compte l’évolution du cadre international de l’Aide Publique au Développement (APD) (section 3).
Les conventions de Lomé (1975-2000) avaient permis la mise en place de relations commerciales préférentielles et asymétriques qui concernaient uniquement les pays ACP. Ces dernières ont été critiquées pour n’avoir pas pu empêcher la marginalisation commerciale de l’Afrique ; elles avaient également perdu une partie de leur attrait avec la baisse des tarifs et des restrictions aux échanges négociée lors des conférences ministérielles successives du GATT puis de l’OMC. De plus, le non-respect des règles de l’OMC (réciprocité, non-discrimination) exposait l’Union européenne à des risques de procès auprès de l’Organe de règlement des différends [2].
L’accord de Cotonou a conduit les pays ACP à choisir entre plusieurs types de relations commerciales avec l’UE : l’accès aux marchés européens grâce à l’initiative « Tout sauf les armes » qui permet, aux seuls PMA, de pouvoir continuer à exporter leurs produits en franchise sur les marchés européens ; exporter dans le cadre du système de préférences généralisées (SPG) de l’UE pour les non-PMA [3] ; négocier un APE, c’est-à-dire former une zone de libre-échange avec l’UE. Ne pas conclure d’APE fait perdre aux pays ACP non-PMA, leur accès préférentiel aux marchés européens [4].
Signer un APE avec l’UE permet aux pays ACP de conserver les préférences commerciales des conventions de Lomé mais oblige ces pays à abaisser progressivement leurs barrières douanières vis-à-vis des produits européens (principe de réciprocité). Ces APE ont été conclus par l’UE soit avec un pays (cas du Cameroun, par exemple) soit avec une union douanière. La Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a ainsi signé un APE en 2014 [5]. Dans le cadre de l’OMC, la plupart des pays africains bénéficient du traitement spécial et différencié qui donne plus de souplesse dans la mise en œuvre des accords commerciaux ; les deux parties (UE et CEDEAO) se sont donc entendues sur une mise en œuvre progressive de la zone de libre-échange sur 20 ans et non sur 12 ans comme c’est la norme pour les accords commerciaux régionaux notifiés à l’OMC ; la libéralisation des exportations concernera à terme 75 % des exportations européennes vers la CEDEAO contre 100 % des produits de la CEDEAO vers l’UE.
La réforme de la politique commerciale de l’UE envers les pays ACP signe donc la fin d’une expérience originale qui s’est maintenue de 1975 à 2000.
Les accords commerciaux préférentiels des années 1975 à 2000 (dans le cadre des conventions de Lomé) n’ont pas atteint tous les objectifs de diversification et de développement qu’ils s’étaient fixés. On peut cependant se demander si la poursuite de la libéralisation des échanges des pays ACP donne un meilleur cadre pour y parvenir.
Selon une étude récente de Bouët et al. (2018), qui porte sur les pays d’Afrique de l’Ouest et repose sur un modèle d’équilibre général calculable dynamique, multi-pays, multi-secteurs, les effets de la mise en place des APE sont très faibles. Les gains en termes d’accès aux marchés sont nuls ou faibles pour les PMA de la région. Les baisses tarifaires ne touchent donc que les exportations des pays ACP non-PMA vers l’UE et les exportations européennes vers les pays ACP. Les pertes sont importantes en termes de recettes fiscales et les effets à terme dépendent des réformes fiscales en cours et du type de taxe compensatoire qui pourrait être mise en œuvre et qui aurait pour effet de réduire le bien-être [6]. La mise en place d’un APE en Afrique de l’Ouest risque de se traduire par une concentration des échanges ouest-africains vers l’UE, selon l’étude. Quelques secteurs productifs des pays non-PMA pourraient bénéficier de l’APE à l’exportation (produits laitiers, sucre, riz et viande rouge) mais d’autres, importants comme l’agriculture ou la pêche verraient leurs produits progressivement concurrencés par les importations européennes. En conclusion, les auteurs (Bouët et al. 2018) confirment la faiblesse des impacts de l’APE qui peuvent même être négatifs pour certains pays et suggèrent que la mise en place d’une zone continentale africaine de libre-échange serait plus prometteuse.
Dans le volet commercial de l’accord de Cotonou, l’UE avait voulu promouvoir l’intégration régionale. Les obstacles aux échanges régionaux peuvent être en partie levés par une zone de libre-échange (barrières douanières, divergences réglementaires et de politiques économiques), mais d’autres persisteraient tels que les problèmes de gouvernance et de capacités administratives, les spécialisations similaires des pays africains (matières premières), le manque d’infrastructures, les chevauchements d’accords commerciaux régionaux et la faible taille économique de nombreux pays.
La budgétisation du FED
La politique de développement fait partie des politiques aux compétences partagées entre l’Union européenne et ses membres. En 2021, l’APD des pays de l’OCDE, recensée par le Comité d’Aide au Développement (CAD/OCDE), se montait à 178,9 milliards de dollars, dont 45 % émanait de l’Union européenne, y compris l’aide passant par les institutions européennes. Le montant distribué par ces dernières a été de 19 milliards, soit 10,7 % de l’ensemble de l’aide fournie par les pays du CAD. En 2019-2020, l’Afrique sub-saharienne était la première destinataire de l’APD européenne avec 42 % du total.
Le FED, destiné aux pays ACP, représentait le fonds au montant le plus élevé parmi ceux destinés au financement du développement des institutions de l’UE (tableau 1) avec plus de 30 milliards pour le 11ème FED (2014-2021). Pourtant, il présentait la particularité de ne pas être intégré au budget de l’UE pour des raisons historiques mais aussi juridiques. Il était donc intergouvernemental, ne reposait pas sur les mêmes règles de fonctionnement et principes comptables que le budget européen [7] et le parlement y jouait donc un rôle moins important que dans le cas des autres dépenses de l’UE (Kern et Mainguy 2015 ; Burni et al. 2021). Les réticences à la réforme du financement du développement étaient nombreuses puisque cette intégration du FED au budget ne pouvait que se traduire par un accroissement de la contribution de certains membres de l’UE [8] d’une part et, d’autre part, parce que les pays ACP craignaient une baisse de l’engagement financier global des États membres (D’Alfonso, 2014) et peut être une réorientation de cette aide vers les pays au voisinage des nouveaux membres de l’UE.
Sur la période 2014-2020, les montants de l’APD versés par les institutions de l’UE provenaient du FED ou des instruments de financement figurant dans le programme « Global Europe » du cadre financier pluriannuel (CFP) (tableau 1). L’essentiel de ces fonds s’inscrivaient dans la politique de développement et faisaient partie de l’aide publique au développement [9].
Tableau 1 : Instruments de financement — Global Europe — CFP 2014-2020
(En milliards d’euros)
Instrument | Objet | Cadre | Budget(milliards d’euros) |
Instrument de coopération au développement | Amérique latine, Asie, Asie centrale, région du Golfe, Afrique du Sud + programmes thématiques mondiaux en soutien | Géographique + thématique | 19,7 |
Instrument européen de voisinage | 16 pays du voisinage européen (coopération régionale transfrontalière) | Géographique | 15,4 |
Instrument d’aide de préadhésion | Balkans et Turquie | Géographique | 11,7 |
Instrument contribuant à la paix et la stabilité | Stabilité politique et consolidation de la paix | Thématique | 2,3 |
Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme | Promotion de la démocratie et des droits de l’homme | Thématique | 1,3 |
Fonds de garantie pour les actions extérieures | Garanties de prêts... | Thématique | 1,1 |
Instrument de partenariat | Pays industrialisés | Géographique | 0,955 |
Assistance macro-financière | Soutien à la balance des paiements en cas de crise ; pays voisins | Thématique + géographique | 0,564 |
Instrument relatif à la coopération en matière de sûreté nucléaire | Sûreté nucléaire | Thématique | 0,225 |
Instrument pour le Groenland | Groenland | Géographique | 0,184 |
Aide humanitaire | Aide humanitaire | Thématique | 0,148 |
Aide européenne aux volontaires | Aide humanitaire | Thématique | 0,147 |
Centre de coordination de la protection civile et de réponse d’urgence | Réponse d’urgence aux désastres dans et à l’extérieur de l’UE. | Thématique | 0,145 |
Hors budget | |||
11ème Fonds européen de développement | Pays ACP et territoires d’outre-mer | Géographique | 30,5 |
Le NDICI a été négocié dans le nouveau cadre financier pluriannuel (2021-2027) et ne constitue pas une simple budgétisation du FED qui ne concernait que les pays ACP. Cette réorganisation du financement du développement permet d’intégrer dans un seul instrument qui s’adresse à l’ensemble des bénéficiaires, une dizaine d’instruments préexistants (dont le FED) (tableau 1). C’est un changement important par rapport à l’accord de Cotonou puisque la coopération financière ne sera plus négociée avec les pays ACP mais sera l’objet d’arbitrages budgétaires internes à l’UE dans le cadre du NDICI (Boidin 2021).
Conformément aux principes énoncés dans le nouveau consensus européen sur le développement [10], le NDICI comporte non seulement des dons mais aussi la possibilité d’avoir recours à des financements mixtes (blended finance), de façon à démultiplier les capacités de financement liées à l’aide (Coudert 2015) et à accroître la visibilité de l’APD européenne. Il semblerait cependant que ce type de financement atteigne peu les pays à faibles revenus et que les attentes des donateurs en général et de l’UE en particulier à ce sujet soient largement surestimées (Erforth 2020, Attridge et Engen 2019).
Depuis 2021, le financement du développement s’effectue donc dans le cadre du NDICI qui regroupe l’ensemble des fonds destinés aux pays du Sud et à la politique de voisinage et est doté d’un montant de 79,5 milliards d’euros sur la période 2021-2027 (tableau 2). La comparaison avec les montants alloués préalablement dans le cadre du FED est difficile dans la mesure où les fonds destinés aux pays ACP sont désormais répartis entre les piliers géographiques Afrique subsaharienne (où se situent la plupart des pays ACP), Asie et Pacifique, Amériques et Caraïbes. Ces deux derniers groupes géographiques comprennent des pays qui ne faisaient pas partie du groupe des ACP. Par ailleurs, tous les pays concernés par le NDICI peuvent aussi recevoir des fonds au titre des piliers thématiques.
Le fait que sur le pilier géographique, les montants alloués soient fléchés peut permettre de répondre aux inquiétudes des pays africains concernant la concurrence vers d’autres destinations ; mais seule l’expérience montrera s’ils bénéficieront de l’aide octroyée dans le cadre des piliers thématiques.
Tableau 2 : Les piliers de l’instrument du voisinage, du développement et de la coopération internationale
(En milliards d’euros)
Pilier géographique | Pilier thématique | ||
NDICI Voisinage | 19,32 | Droits de l’homme et démocratie | 1,36 |
NDICI Afrique subsaharienne | 29,18 | Organisations de la société civile | 1,36 |
NDICI Asie et Pacifique | 8,48 | Stabilité et paix | 0,91 |
NDICI Amériques et Caraïbes | 3,39 | Défis mondiaux | 2,73 |
Pilier de réaction rapide | 3,18 | Réserve de flexibilité supplémentaire | 9,53 |
Avec la disparition du FED (outil hors budget), l’aide à destination des pays ACP est désormais intégrée au NDICI qui devient l’outil essentiel du financement de la politique de coopération au développement de l’UE. Cette évolution apporte plus de transparence dans la mesure où le parlement européen aura un droit de regard et plus de pouvoir sur la programmation de l’aide et son allocation. Par ailleurs, cet instrument de financement unique pourrait donner plus de cohérence et de poids à la politique de développement européenne.
En effet, le poids budgétaire de l’ensemble de l’APD des membres de l’UE pourrait faire de cette dernière un instrument prépondérant pour orienter l’aide internationale ; elle représente plus de 50 % de l’APD du CAD. Ce rôle de leader de la coopération internationale que joue l’UE est à nuancer par le fait que cette politique est une compétence partagée et que les institutions de l’UE, en tant que telles, n’en distribuent « que » 10 à 15 % selon les années. Pour Burni et al. (2022), l’UE a cherché à utiliser la pandémie de Covid-19 pour tenter de faire avancer l’intégration de la politique de développement, autrement dit, montrer qu’une réponse collective serait plus efficace. Les décisions ont été à la fois collectives et individuelles mais avec une communication présentant cette réponse comme étant commune, notamment au travers de l’expression « Team Europe » utilisée à cette occasion. Comme le disent les auteurs, il conviendra de voir à l’avenir si, d’une part, les États membres seront prêts à donner un rôle plus important aux institutions de l’UE dans la politique de développement de l’UE, de façon à la rendre plus efficace et plus rapide en cas de crise et, d’autre part, si le nouvel outil financier du cadre financier pluriannuel 2021-2027, le NDICI, sera adapté à cette évolution.
L’accord post-Cotonou
Le consensus européen sur le développement, signé en juin 2017, remplace celui de 2005 et constitue le cadre de référence pour les décisions concernant la politique européenne de développement, tant sur le plan des orientations et valeurs que sur le plan financier. Il devrait permettre une meilleure complémentarité des aides européennes dans un contexte géopolitique et économique qui a beaucoup changé en 12 ans. Il prend en compte les engagements d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) [11] auxquels l’UE a souscrit dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en 2015, ceux pris à la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement en 2015, ainsi que ceux pris lors de la COP21 à Paris, toujours en 2015 [12].
L’accord post-Cotonou signé en avril 2021 est un partenariat entre l’UE et l’Organisation des États ACP (OEACP), négocié pour 20 ans (2021-2041), qui remplace l’accord de Cotonou. Il comporte un socle commun et, contrairement aux accords précédents, trois protocoles régionaux (Afrique, Caraïbes, Pacifique) définissant leurs propres modes de gouvernance (assemblées régionales) et répondant aux besoins régionaux spécifiques.
Les priorités stratégiques de l’accord sont structurées en six axes (EU-OACPS 2021) :
- Croissance économique et développement inclusif et soutenable
- Développement social et humain
- Environnement, gestion des ressources naturelles et changement climatique
- Paix et sécurité
- Droits humains, démocratie et gouvernance
- Migrations et mobilité
Ce nouvel accord reprend les thèmes de l’accord de Cotonou signé en 2000. Mais les questions d’environnement et de climat prennent une nouvelle dimension en lien avec les priorités de l’UE qui s’expriment dans le Green Deal et les engagements de la COP 21. A la suite de la récente pandémie, l’accent est aussi mis sur la coopération sanitaire en cas de crise. La question migratoire semble être le point sur lequel les négociations ont été les plus difficiles (Boidin 2021).
L’article 16 du protocole régional Afrique de l’accord post-Cotonou traite, par ailleurs, de ce qui avait fait l’ossature de l’accord de Cotonou, à savoir la coopération commerciale. Il y est précisé que cette coopération doit être fondée sur le bénéfice mutuel afin de « construire une capacité commerciale pour faciliter l’augmentation des flux commerciaux entre les partenaires ». Cette coopération commerciale doit continuer à s’appuyer prioritairement sur les arrangements ou compromis commerciaux préférentiels existants et les APE. Selon les termes de l’accord, s’il reste un instrument d’intégration régionale, l’APE doit s’appliquer à un niveau approprié et ne pas exclure d’autres arrangements commerciaux ; il a pour finalité de renforcer l’accès des biens aux marchés africains et de l’Union européenne. Il s’agit de supprimer les barrières non nécessaires entre l’Afrique et l’UE et de promouvoir le commerce intra-africain, l’intégration des pays africains dans les chaînes de valeur régionales et globales, et de soutenir la constitution de la zone africaine de libre-échange (ZALEC/ACFTA), un projet de l’Union africaine.
La pression de l’OMC devenant moins forte puisque les accords bilatéraux se sont multipliés et que le multilatéralisme qu’incarne l’OMC est en perte de vitesse, les APE ne sont plus aussi déterminants ; ils expriment une forme de relations commerciales parmi d’autres. Le dogmatisme de l’accord de Cotonou cède la place au pragmatisme dans l’ère post-Cotonou.
Comme dans l’accord de Cotonou, le nouvel accord prévoit la participation des acteurs non-étatiques : secteur privé, autorités locales, société civile. La plateforme des ONG (Organisations Non-Gouvernementales), Concord Europe, salue ainsi cette volonté de faire participer la société civile au dialogue avec les pays partenaires mais regrette qu’aucun mécanisme ni cadre pratique ne concrétise ces intentions (Concord 2021).
Conclusion
Dans sa gestion des crises récentes, l’UE a su montrer un front plus uni que précédemment, notamment dans sa réaction aux effets de ces crises qui touchent les pays ACP. Avec le nouveau consensus européen pour le développement et le nouvel outil de financement du développement, le NDICI, la politique de développement a évolué pour mieux prendre en compte les nouveaux enjeux liés aux évolutions du contexte international. Sous le feu des critiques et en raison de l’érosion des marges préférentielles liée à la libéralisation des échanges internationaux, la partie commerciale de la politique de développement avait déjà évolué dans le cadre de l’accord de Cotonou pour prendre en compte les règles de l’OMC. De nombreux pays ACP avaient ainsi conclu un accord de partenariat économique qui conduit à la mise en place de zones de libre-échange avec l’UE. Avec les APE, l’accord de Cotonou a réduit le caractère préférentiel des relations commerciales entre les deux parties qui perdent ainsi une spécificité qui n’a existé qu’entre les pays ACP et l’UE. Avec l’intégration du FED à son budget, l’UE tend à homogénéiser ses outils d’intervention auprès des pays en développement. En effet, l’aide à destination des pays ACP est désormais soumise aux mêmes modalités de fonctionnement que celle à destination des autres pays en développement.
Tant du point de vue commercial (avec la mise en place de zones de libre-échange) que du nouveau système de financement européen de l’APD, les pays ACP sont désormais considérés comme des pays en développement parmi d’autres.
L’accord post-Cotonou semble poursuivre l’évolution amorcée avec l’accord de Cotonou, qui tendait à uniformiser les relations de l’UE avec l’ensemble des pays en développement (ACP et non-ACP). Cette disparition des spécificités de la politique de coopération de l’UE envers les pays ACP fait craindre que la pauvreté et la grande vulnérabilité de l’Afrique, où se situent la plupart des PMA, ne soient plus aussi bien prises en compte par la politique européenne de coopération au développement.
S’il est trop tôt pour évaluer les effets du NDICI sur le financement du développement dans les pays ACP, on peut noter que sa création semble s’intégrer dans une stratégie de renforcement et de visibilité de l’action européenne.
Les effets commerciaux de la mise en œuvre des APE, qui va se faire progressivement au cours des prochaines années, sont parfois redoutés par les pays ACP : si les exportations de quelques produits africains pourraient bénéficier de la libéralisation commerciale, l’ouverture aux produits européens en échange du maintien des préférences commerciales va accroître les importations de ces derniers au détriment de la production locale ; les budgets des États seront aussi touchés par la baisse des droits de douane sur les produits européens importés.
Cependant, il est probable qu’en raison du nombre de PMA qui en font partie, l’Afrique restera une destination privilégiée de l’aide de l’UE. L’accord post-Cotonou perpétue en outre certaines des spécificités telles que la transparence et la participation démocratique qu’illustrent l’existence d’assemblées parlementaires qui existeront désormais au niveau régional ainsi que la participation de la société civile aux débats sur les enjeux majeurs de l’APD.
Francis Kern
Professeur émérite à l’Université de Strasbourg
E-mail : fkern unistra.fr
Claire Mainguy
Maître de conférences HDR à l’Université de Strasbourg.
E-mail : claire.mainguy unistra.fr
Cet article a été préparé pour un numéro spécial du Bulletin de l’OPEE (Observatoire des Politiques Economiques en Europe), publié dans le cadre du 50ème anniversaire du BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée). Nous sommes très reconnaissants aux deux rapporteurs et à l’éditeur du Bulletin de l’OPEE pour leurs critiques, remarques et suggestions. Les éventuelles erreurs et insuffisances demeurent bien sûr nôtres.
Références bibliographiques
D’Alfonso, A. (2014), « Fonds européen de développement - Faut-il inclure la coopération au développement commune dans le budget de l’Union », Service de recherche pour les députés, n°PE 542.140, Parlement européen.
Attridge, S. et Engen, L. (2019), Blended finance in the poorest countries. The need for a better approach, Overseas Development Institute, 76 p.
Boidin, J.-C. (2021), Relations UE-ACP : la fin des préférences ? Une analyse du nouvel accord post-Cotonou, Document de réflexion, ECDPM, 14 p.
Bouët, A., Laborde, D. et Traoré, F. (2018), « The European Union-West Africa Economic Partnership Agreement : Small impact and new questions », The Journal of International Trade and Economic Development 27(1), 25‑53.
Burni, A., Erforth, B., Friesen, I., Hackenesch, C., Hoegl, M. et Keijzer, N. (2022), « Who Called Team Europe ? The European Union’s Development Policy Response During the First Wave of COVID-19 », The European Journal of Development Research 34(1), 524-539.
Burni, A., Erforth, B. et Keijzer, N. (2021), « Global Europe ? The new EU external action instrument and the European Parliament », Global Affairs 7(4), 471‑485.
CONCORD, European NGO confederation for relief and development (2021), CONCORD’s Analysis of the Post-Cotonou Agreement, 32 p.
Coudert, B. (2015), « La nouvelle mesure du financement du développement durable : le « TOSSD » », Techniques Financières et Développement 121(4), 33-36.
Erforth, B. (2020), « The future of European development banking : what role and place for the European Investment Bank ? », GDI Discussion Paper, 44p.
EU and Organisation of African, Caribbean and Pacific States (OACPS) (2021), Partnership Agreement between the EU (European Union and its members states) of the one part and members of the organisation of African, Caribbean and Pacific states, of the other part, 187 p.
European Association of Development Research and Training Institutes (EADI) et GEMDEV (Group) (dir.) (2002), L’Europe et le sud à l’aube du XXIe siècle, enjeux et renouvellement de la coopération / Europe and the south in the 21st century, challenges for renewed cooperation, Paris, Karthala, 384 p.
Kern, F. et Mainguy, C. (2015), « La politique de développement de l’Union entre logique commerciale et logique solidaire », in Les politiques économiques européennes, Points, (Points Economie).
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Ténier, J. (2019), « Le Fonds Européen de Développement (FED) : L’instrument financier de soixante années de politique de coopération à destination des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) », Gestion et Finances Publiques 09/2019, 108-118.
[1] Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument (NDICI).
[2] Pour l’historique des relations commerciales de l’UE avec les pays ACP et un bilan des conventions de Lomé, voir EADI-Gemdev (2002), Kern et Mainguy (2015).
[3] Au moment des choix entre les différents types de relations commerciales avec l’UE, seul le Gabon avait un niveau de vie qui ne lui permettait de bénéficier ni de l’initiative Tout sauf les armes ni du SPG.
[4] Les échanges de ces pays entreraient alors dans le cadre du SPG qui est moins favorable.
[5] La CEDEAO a mis en œuvre son tarif extérieur commun en 2015.
[6] En effet, les pays africains ont généralement des assiettes fiscales réduites et les taxes internationales en constituent une part souvent déterminante.
[7] Les FED étaient utilisés jusqu’à épuisement, en général plusieurs années après la fin de la période prévue, donc sans respect de la règle d’annualité budgétaire.
[8] Les contributions au budget se font sur la base du niveau de PIB des pays membres alors que le FED était abondé sur la base de contributions volontaires.
[9] La définition de l’APD est discutée au sein de l’OCDE. Il s’agit de dons ou de prêts concessionnels. Une partie des fonds figurant dans le tableau 1 (y compris le FED) ne répondent pas à ces critères et ne sont donc pas comptabilisés dans l’APD recensée par le CAD.
[10] Le nouveau consensus européen (2017) mettait l’accent sur le besoin de financements innovants, la nécessité de recourir au mixage de prêts et de dons (blended finance) et montrait la nécessité de construire des partenariats adaptés avec une grande variété d’acteurs pour atteindre les ODD.
[11] Voir les 17 ODD.
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