De nouveaux instruments budgétaires pour la zone euro

Florence Huart, LEM - CNRS (UMR 9221), Université de Lille

Pour renforcer la résistance des économies de la zone euro face à des chocs asymétriques, la Commission européenne a proposé la création de nouveaux instruments budgétaires : un outil d’aide à la mise en place des réformes et un mécanisme de stabilisation. Ses propositions s’inscrivent dans un ensemble d’idées pour compléter l’union économique et monétaire. Cependant, elles semblent peu ambitieuses. Cela dénote des difficultés à atteindre un consensus entre les Etats membres sur la nécessité d’une capacité budgétaire centralisée. Les positions des économistes divergent quant à la forme que doit ou peut prendre cette dernière.

Mots-clefs : budget de l’Union européenne, gouvernance de la zone euro, instruments budgétaires, union économique, Union économique et monétaire (UEM), zone euro.

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Florence Huart « De nouveaux instruments budgétaires pour la zone euro », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 38, 5 - 16, Eté 2018.

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Dix ans après le début de la crise financière internationale, dans un contexte de reprise économique, de doutes sur le devenir de l’intégration européenne et de programmation d’un nouveau cadre financier pluriannuel de l’Union européenne (UE), la Commission européenne s’attache à faire des propositions qui rendent l’Union économique et monétaire (UEM) européenne viable. En 2017, elle a publié plusieurs communications sur le sujet et sur la question connexe de l’avenir de l’UE, par exemple :

  • Livre blanc sur l’avenir de l’Europe (1er mars) ;
  • Document de réflexion sur l’approfondissement de l’UEM (31 mai) ;
  • Document de réflexion sur l’avenir des finances de l’UE (28 juin) ;
  • L’achèvement de l’union bancaire (11 octobre) ;
  • De nouvelles étapes en vue de l’achèvement de l’UEM européenne : feuille de route (6 décembre) ;
  • De nouveaux instruments budgétaires pour une zone euro stable dans le cadre de l’union (6 décembre) ;
  • Un ministre européen de l’économie et des finances (6 décembre).

Dans cet article, nous concentrons la réflexion sur le document relatif à la création de nouveaux instruments budgétaires [1]. En fait, la Commission propose d’ajouter deux nouvelles caractéristiques au cadre existant des finances publiques de l’UE : un « outil d’aide à la mise en place des réformes » et un « mécanisme de stabilisation ». Dans la mesure où ces nouveautés s’inscrivent dans un ensemble d’idées sur l’approfondissement de la zone euro et qu’elles visent à dépasser les faiblesses du cadre financier actuel de l’Union en matière de stabilisation macroéconomique, il n’est pas inutile de rappeler les grandes lignes de ces idées et les insuffisances du budget de l’UE, avant de discuter les deux nouveaux instruments proposés. Cela nous amènera à commenter également d’autres propositions récentes distinctes. Dans l’ensemble, ces dernières vont d’une simple ligne budgétaire supplémentaire dans le budget de l’UE à un véritable budget de la zone euro, en passant par un fonds de stabilisation ou un système commun d’assurance chômage. Toutes s’appuient sur l’idée générale que la zone euro a besoin d’un mécanisme budgétaire de partage du risque quand les Etats membres sont touchés par des chocs économiques asymétriques, parce que les autres mécanismes d’ajustement aux chocs ne sont pas disponibles (taux de change, politique monétaire autonome) ou ne sont pas suffisants (flexibilité des marchés, mobilité du travail et du capital, politique budgétaire) [2]. Ces propositions se placent dans un contexte où les positions nationales sont divergentes.

Dans son discours à la Sorbonne le 26 septembre 2017, le président Emmanuel Macron a fait le vœu d’un budget de la zone euro et d’un ministre commun. Dans un document officieux mis en circulation en octobre (Non-paper for paving the way towards a Stability Union), Wolfgang Schäuble a avancé plusieurs grands principes : le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pourrait avoir un rôle renforcé dans la surveillance des politiques budgétaires et suivrait des principes clairs préétablis pour la restructuration des dettes, mais il ne devrait pas servir de soutien aux banques sans une réduction préalable des risques ; les contributions au budget de l’UE pourraient être modulées en fonction des progrès dans les réformes structurelles et le respect des recommandations faites dans le cadre du Semestre européen ; une nouvelle capacité budgétaire ou une assurance chômage commune n’est pas nécessaire et il est préférable d’utiliser les stabilisateurs automatiques nationaux en se donnant des marges de manœuvre par rapport aux Objectifs Budgétaires à Moyen Terme du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) ; la mutualisation de la dette (ou la création d’un actif européen) est à exclure à cause de son coût, de sa complexité et de l’aléa moral (réduction des incitations à conduire des politiques budgétaires prudentes). Selon lui, la stabilisation macroéconomique doit reposer sur les réformes structurelles qui renforcent la résilience des économies.

La vision allemande est partagée par les dirigeants des pays du Nord. Dans un communiqué du 6 mars 2018, les ministres des finances de 8 pays (Danemark, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas et Suède) ont défendu le caractère intergouvernemental du MES et affirmé leur attachement au respect des règles du PSC et aux réformes structurelles pour dégager des marges de manœuvre budgétaires au niveau national en cas de besoin.

Une tribune franco-allemande (Bénassy-Quéré et al., 2017) avait appelé les dirigeants européens à s’entendre pour développer des instruments de stabilisation en conciliant deux visions : la vision allemande, qui insiste sur la responsabilité budgétaire par la discipline de marché et admet un fonds de taille limitée pour accompagner les réformes structurelles ; la vision française, qui défend le partage du risque entre Etats membres et la stabilisation macroéconomique à l’aide d’un budget de la zone euro. Quant aux Italiens (SEP Economists, 2017), vu le niveau élevé de la dette publique du pays et les problèmes de leurs banques, ils rejettent toute idée de restructuration automatique de la dette et défendent l’idée d’un dispositif commun de soutien budgétaire dans le cadre de l’union bancaire. En clair, ils veulent plus de solidarité.

L’approfondissement de la zone euro

Les communications de la Commission, citées plus haut, sont destinées à élaborer des mesures concrètes pour réaliser l’achèvement de l’UEM tel qu’il a été mis en avant dans le Rapport des cinq présidents (« Compléter l’Union économique et monétaire européenne ») en juin 2015 [3]. Les grandes orientations pour renforcer la zone euro consistent à avancer par étapes d’ici 2025 pour parachever l’union économique et la compléter avec une union financière, une union budgétaire et une union politique.

Une véritable union économique est destinée à garantir la convergence vers de meilleures performances en termes de croissance et d’emploi. Un système d’Autorités de la Compétitivité de la zone euro est envisagé, avec la Commission et des autorités nationales indépendantes en charge de surveiller les performances et les politiques dans ce domaine, et en particulier, d’évaluer si l’évolution des salaires est compatible avec celle de la productivité. Il s’agit de renforcer la coordination des politiques économiques, qui repose sur le Semestre européen et la Procédure concernant les Déséquilibres Macroéconomiques (PDM).

A la place d’autorités de la compétitivité, le Conseil a préféré la création de Conseils Nationaux de la Productivité (recommandation du 20 septembre 2016) dont le rôle est d’analyser (plutôt que d’évaluer) les évolutions de la compétitivité et de la productivité. Ce changement illustre, semble-t-il, la volonté d’éviter des ingérences supranationales dans les politiques nationales relatives aux marchés du travail. En outre, il n’est pas dit comment le cadre institutionnel existant peut être précisément amélioré. Or il est trop complexe et inefficace. La mise en œuvre de la PDM ne permet pas de prévenir ni de corriger les déséquilibres [4]. La part des recommandations faites aux Etats membres avec peu ou pas de progrès dans leur mise en œuvre a, d’ailleurs, fortement augmenté (de 17 % en 2012 à 58 % en 2016) [5].

L’union financière repose sur une union bancaire et une union des marchés de capitaux. La mise en place de l’union bancaire est déjà commencée, avec une supervision centralisée du système bancaire et un mécanisme commun de résolution des défaillances bancaires. Pour la parfaire, il est considéré qu’un mécanisme de soutien budgétaire du Fonds de résolution unique (FRU) et un système européen d’assurance des dépôts (SEAD) sont nécessaires, parce que les contributions des banques au FRU pourraient s’avérer insuffisantes dans certaines circonstances et parce que la liquidité bancaire pourrait être mieux répartie entre les pays. L’union des marchés de capitaux est vue comme un moyen de renforcer l’intégration financière pour favoriser le partage du risque par le secteur privé grâce à une plus grande diversification transfrontière des portefeuilles. La création d’un nouvel instrument financier de la zone euro, à savoir des titres adossés à des obligations souveraines – sovereign bond-backed securities (SBBS) – encouragerait les banques à diversifier leurs portefeuilles de titres et à réduire ainsi leur exposition à la dette souveraine au niveau national. A ce sujet, la Commission fait référence aux travaux du Comité européen du risque systémique – European Systemic Risk Board (ESRB). Ces titres regrouperaient et subdiviseraient en tranches des obligations souveraines de différents Etats membres.

Les solutions proposées visent à casser le cercle vicieux entre banques et émetteurs souverains, par lequel les difficultés de chaque partie se renforcent mutuellement. En effet, des banques risquent d’être fragilisées si elles détiennent beaucoup de titres émis par un gouvernement qui a des difficultés à honorer sa dette, et un gouvernement risque de voir son endettement aggravé s’il doit apporter son soutien aux banques devenues fragiles. Les solutions ont aussi pour but de réduire le partage du risque public (participation des contribuables) et d’accroître le partage du risque privé (participation des investisseurs). Cependant, ces propositions soulèvent des interrogations.

En premier lieu, une plus grande intégration des marchés financiers renforce l’interdépendance des secteurs bancaires et financiers nationaux, et partant des économies. Elle peut être à double tranchant : elle peut favoriser le partage du risque (diversification des sources de revenus), mais elle peut aussi être source de contagion des perturbations d’une économie à l’autre. Il faut donc s’assurer qu’une intégration plus poussée soit accompagnée d’une supervision plus efficace (la Commission le reconnaît). Cela nécessite pour le moins que les autorités nationales jouent le jeu de la transparence en ce qui concerne la santé de leur système bancaire et transmettent l’information aux institutions européennes dans un délai raisonnable. Il faut aussi une restructuration et un renforcement des bilans bancaires. De ce point de vue, le mauvais état du système bancaire italien avec un stock de prêts non performants encore relativement élevé (Graphique 1) est inquiétant vu la taille du pays. Il est symptomatique de l’incomplétude du projet d’union bancaire européenne. Ce problème hérité de la crise doit être résolu promptement pour avancer dans un autre domaine, celui de l’union budgétaire, parce que cette dernière suppose un partage du risque plus grand entre Etats membres.

Graphique 1. Ratio des prêts non performants dans les pays de l’UE fin décembre 2017 (% des prêts)

Source : données du tableau de bord des risques de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE).

En second lieu, l’idée de mutualisation de la dette souveraine sous la forme d’Eurobonds (un titre de la zone euro garanti conjointement par les Etats membres) a été laissée de côté [6]. A la place, le nouveau produit financier (SBBS), qui est proposé, évite la responsabilité solidaire, dans la mesure où chaque gouvernement national reste responsable des titres de dette qu’il émet. Cette idée peut rendre perplexe, parce que c’est le même genre d’instrument structuré qui a été à la source de la crise financière de 2008.

L’actif titrisé regroupe différentes tranches avec différents types de risque. Le groupe de travail de haut niveau du ESRB, présidé par Philip Lane, propose qu’une entité ad hoc achète des obligations souveraines nationales en émettant des titres seniors, intermédiaires et juniors [7]. Les tranches junior et intermédiaire (celles qui subissent en premier les pertes en cas de défaillance de l’emprunteur) représenteraient une part suffisamment importante pour protéger la part senior, par exemple 30 %. C’est à cette tranche senior que correspondrait « l’actif européen sans risque » (European Safe Bonds - ESBies) proposé par Brunnermeier et al. (2017). Cependant, cet actif ne supprimerait pas le risque systémique dans une union financière avec des émetteurs souverains de qualité différente. Et il n’est pas certain qu’il contribue à la liquidité des marchés financiers comme le font les bons du Trésor de l’Etat fédéral aux Etats-Unis. Cela pourrait être le cas si la BCE l’acceptait parmi les titres éligibles aux opérations de refinancement. Aussi, en temps de crise, les investisseurs pourraient lui préférer des bons du Trésor allemands (De Grauwe et Ji, 2018).

En ce qui concerne la diversification des SBBS, il est suggéré que la part de chaque obligation souveraine nationale soit fondée sur la clé de répartition du capital de la BCE. D’après nos calculs, cela impliquerait que l’ensemble des dettes souveraines des cinq pays qui ont reçu une assistance financière pendant la crise de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne et Chypre) pèserait environ 14 %, et avec l’Italie, cela ferait 26 %. Il se pourrait qu’en cas de difficultés, ces pays ne parviennent pas à émettre suffisamment d’obligations souveraines éligibles aux SBBS, si les autres pays n’ont pas besoin d’émettre plus d’obligations souveraines. Cela dit, les SBBS sont conçus pour être un instrument de diversification des portefeuilles des banques, et non un instrument d’assistance financière aux gouvernements. Une solution plus simple serait d’imposer aux banques une limite maximale à la détention d’obligations d’un même émetteur souverain. Pour finir, il faudrait aussi avancer sur le plan de l’harmonisation fiscale. En effet, des règles nationales qui privilégient le financement par endettement au financement par fonds propres ne sont pas susceptibles de favoriser le partage du risque par les marchés de capitaux.

L’union budgétaire, elle, se concentre sur la soutenabilité des finances publiques et la stabilisation macroéconomique. Pour la première, un Comité budgétaire européen consultatif est créé (dès 2015) pour coordonner les conseils budgétaires nationaux et évaluer les orientations budgétaires dans la zone euro. Le but est de renforcer la coordination des politiques budgétaires nationales et d’améliorer le respect des règles budgétaires européennes. Pour la seconde, un mécanisme de stabilisation de la zone euro est prévu (voir infra l’approche de la Commission). Le Rapport des cinq présidents ne donne pas de détails sur ses caractéristiques, mais il pose des principes directeurs dans la conception d’un tel mécanisme, qui sont, du reste, justifiés : il ne devrait pas se traduire par des transferts permanents entre pays (il ne vise pas la redistribution), il ne devrait pas réduire les incitations des pays à mener des politiques budgétaires saines (c’est le problème de l’aléa moral d’un mécanisme d’assurance contre des chocs), et il ne devrait pas être un outil de gestion de crise (le MES existe), mais de prévention des crises.

Cette union budgétaire est un prolongement du cadre institutionnel relatif aux politiques budgétaires : le PSC et les autres textes législatifs (6-pack, 2-pack, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) sont conservés intacts. Pourtant, à l’instar de la PDM, le PSC n’a pas fait preuve d’efficacité, même après avoir été réformé. Une simplification des règles n’est pas exclue par la Commission, mais pas avant que la convergence et l’intégration budgétaires ne soient devenues plus fortes.

L’union politique, enfin, vise à renforcer la responsabilité démocratique de la zone euro. La création d’un Trésor de la zone euro est évoquée pour faciliter la prise de décisions collectives. A côté du Comité budgétaire européen, il s’occuperait de la surveillance économique et budgétaire, et des instruments budgétaires dédiés à la fonction de stabilisation. Le dialogue avec le Parlement européen sur les questions budgétaires serait renforcé.

Le terme « union politique », qui est utilisé dans le Rapport des cinq présidents, ne figure plus dans les documents officiels (le terme « union budgétaire » non plus d’ailleurs). Cet objectif est loin d’être partagé par les Etats membres de la zone euro, même à un horizon de long terme. La proposition de la Commission de créer un poste de ministre européen de l’économie et des finances, responsable à terme du Trésor de la zone euro, n’est pas non plus consensuelle, notamment en ce qui concerne l’étendue de ses responsabilités (par exemple, la gestion d’un Fonds monétaire européen), et le fait qu’il puisse être à la fois vice-président de la Commission et président de l’Eurogroupe.

Le budget de l’UE et la stabilisation

Dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, les dépenses du budget de l’UE s’élèvent à 1 087 milliards d’euros en crédits d’engagement (à prix courants). Pour l’année 2017, elles représentent 155 milliards d’euros (142 milliards en crédits de paiement). Elles opèrent essentiellement une fonction d’allocation des ressources (en privilégiant certains secteurs d’activité) et accessoirement une fonction de redistribution des revenus (en aidant en priorité les régions pauvres) [8]. Cependant, elles n’opèrent pas vraiment une fonction de stabilisation des fluctuations économiques.

Le document de la Commission (sur les nouveaux instruments budgétaires) mentionne l’existence d’instruments, qui peuvent déjà contribuer à atténuer les chocs économiques, mais dont les montants sont limités. Ce sont, entre autres, l’Initiative pour l’Emploi des Jeunes et les Instruments spéciaux (Tableau 1). De plus, hors du budget de l’UE, il existe plusieurs types de prêts.

Tableau 1. Instruments budgétaires du cadre financier de l’UE (sélection)

IntituléDestinationMontants dédiés (euros)Montants versés (euros)Période de référence
Budget 2014-2020
Initiative pour l’Emploi des Jeunes Dans les régions où le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 % 8,8 milliards 1,4 milliard 2014-2016
Instruments spéciaux Flexibilité dans l’utilisation du budget Plafonds annuels (aux prix de 2011)
Réserve d’aide d’urgence Pays tiers 300 millions 138 millions 2016
Fonds de Solidarité de l’Union Européenne Catastrophes naturelles 500 millions 5 milliards Depuis 2002
Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation Cofinancer la réinsertion des travailleurs licenciés d’entreprises soumises à la concurrence internationale 150 millions 600 millions 2007-2017
Instrument de flexibilité Action extérieure 600 millions 530 millions 2017
Hors du budget
Mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements Prêts aux Etats membres hors de la zone euro 25 milliards 16 milliards 2009-2016
Mécanisme européen de stabilisation financière Prêts à tout Etat membre 60 milliards 46,8 milliards 2011-2016
Fonds européen pour les investissements stratégiques Prêts garantis pour cofinancer la relance des investissements 315 milliards 163,9 milliards 2015-2017
Mécanisme européen de stabilité (MES) Prêts aux Etats membres de la zone euro qui ont des difficultés à honorer leurs dettes souveraines 500 milliards 222,2 milliards Depuis 2011

Sources : Commission européenne, Parlement européen, Direction du budget du gouvernement français, Sénat, MES.

Du côté des recettes du budget de l’UE, la Commission avance qu’un « certain degré de stabilisation économique » est fourni dans la mesure où une grande partie des ressources propres est fondée sur le revenu national. Son raisonnement est que le montant de cette contribution varie en fonction du cycle économique. A vrai dire, il est discutable. En effet, l’évolution annuelle de la contribution de chaque Etat membre au titre de la ressource propre RNB (revenu national brut) est peu corrélée avec celle du RNB national, et dans certains cas, la corrélation est négative (Tableau 2). Dans ce dernier cas, la contribution d’un pays augmente alors que son RNB diminue. Cela n’est pas étonnant, car cette ressource est conçue pour équilibrer le budget et son taux est le même pour tous les Etats membres. Le constat n’est pas meilleur si on considère les variations du PIB ou les variations des contributions totales.

Tableau 2. Coefficient de corrélation entre la variation annuelle des contributions au budget de l’UE et celle du RNB (ou PIB) des pays membres, 2000-2016

Variation de la contribution fondée sur le RNBVariation des contributions totales
Variation du RNB Variation du PIB Variation du RNB Variation du PIB
Belgique −0,1 0,0 0,1 0,1
Bulgarie 0,1 −0,3 0,5 0,3
République tchèque 0,6 0,4 0,6 0,5
Danemark 0,1 −0,1 0,0 −0,2
Allemagne −0,3 −0,4 0,2 0,2
Estonie 0,6 0,5 0,7 0,6
Irlande 0,3 0,1 0,4 0,2
Grèce 0,4 0,4 0,4 0,4
Espagne 0,3 0,0 0,2 0,0
France −0,1 −0,2 −0,4 −0,5
Italie 0,1 −0,1 0,2 0,1
Chypre 0,3 0,1 0,4 0,3
Lettonie 0,5 0,4 0,6 0,6
Lituanie 0,5 0,3 0,6 0,4
Luxembourg 0,3 0,1 0,3 0,1
Hongrie 0,4 0,2 0,5 0,4
Malte 0,0 −0,1 0,0 0,1
Pays-Bas −0,1 −0,4 0,3 0,4
Autriche −0,1 −0,2 0,0 −0,1
Pologne 0,7 0,0 0,7 0,0
Portugal 0,1 0,0 0,0 −0,1
Roumanie −0,6 −0,5 −0,2 0,0
Slovénie 0,2 0,0 0,5 0,3
Slovaquie 0,4 0,0 0,5 0,3
Finlande 0,1 0,2 0,1 0,1
Suède 0,6 0,2 0,8 0,6
Royaume-Uni 0,6 0,2 0,6 0,1

Note : Pour certains pays, la période est plus courte étant donné leur adhésion à l’UE en 2004 ou 2007. La Croatie n’est pas retenue dans l’analyse, car son adhésion en 2013 est trop récente.

Plusieurs caractéristiques empêchent le cadre financier actuel de l’UE de jouer un rôle de stabilisation.

La taille limitée du budget proprement dit (1 % du PIB de l’UE) est telle qu’il faudrait mobiliser le budget annuel entier pour avoir un choc budgétaire positif global d’au moins 1 % du revenu de l’union qui relance l’économie globale de l’UE en cas de besoin.

Le fait que l’essentiel des prêts consiste à cofinancer des projets d’investissement nationaux soulève des problèmes. Les demandes émanant des Etats membres se réduisent lorsque la conjoncture se dégrade et que leurs finances publiques ne leur permettent pas d’adopter de nouveaux projets d’investissement ou même de maintenir les projets existants. Les projets d’investissements privés ne sont pas non plus forcément gardés par les entrepreneurs quand les affaires vont mal. Il s’ensuit que les cofinancements européens tendent à se réduire quand la conjoncture est mauvaise.

Le fait que les crédits de l’UE soient déboursés avec un délai – le temps que les demandes soient analysées (critères d’éligibilité) – réduit leur utilité dans la stabilisation conjoncturelle, mais pas dans l’adaptation structurelle des économies.

Le budget annuel s’inscrit dans un cadre financier pluriannuel qui ne laisse guère de marges de manœuvre pour mobiliser des fonds importants en cas de chocs économiques graves. Il existe une marge pour des besoins imprévus, mais elle est insuffisante pour faire face à de tels cas. Quant aux « Instruments spéciaux », ils permettent de dépasser les plafonds de dépense annuels, mais ils sont eux-mêmes plafonnés, ils sont sous-utilisés et certains sont destinés aux pays tiers.

Enfin, il est difficile d’évaluer l’impact des instruments disponibles en termes de stabilisation. Il n’existe pas un seul instrument dédié à un objectif bien identifié et doté d’un budget important, mais de nombreux instruments coexistent dans le budget et hors budget, qui indirectement, peuvent contribuer à la stabilisation. Il y a même des instruments qui ont des fonctions similaires. Par exemple, l’Initiative pour l’Emploi des Jeunes pourrait très bien s’intégrer dans le Fonds social européen, et le Fonds européen pour les investissements stratégiques fonctionne en parallèle des Fonds structurels et d’investissement européens du budget de l’UE.

Les deux nouveaux instruments budgétaires

Le nouvel outil d’aide à la mise en place des réformes et le mécanisme de stabilisation, proposés par la Commission, seraient intégrés dans un budget de l’UE qui est censé être modifié, amélioré, à l’occasion du prochain cadre financier pluriannuel. La Commission considère, à juste titre, qu’il faudrait réduire le nombre d’instruments budgétaires en dehors du budget pour améliorer la visibilité de l’ensemble, et envisager qu’une plus grande partie du budget soit sans affectation précise pour donner de la flexibilité dans l’utilisation du budget.

Le nouvel outil d’aide à la mise en place des réformes serait destiné à renforcer la résistance des économies face à des chocs économiques. Il s’agit des réformes jugées prioritaires dans le cadre du Semestre européen. Les subventions seraient allouées aux pays sur la base de rapports annuels de la Commission au sujet des progrès réalisés. Ces derniers seraient évalués en fonction d’objectifs précis à atteindre. Les crédits dédiés à cet outil pourraient être de l’ordre de 25 milliards d’euros sur 7 ans (en comptant le mécanisme de soutien à la convergence) [9].

Le mécanisme de stabilisation, quant à lui, serait destiné à soutenir l’investissement « en cas de chocs asymétriques de grande ampleur ». Il fournirait des subventions ainsi que des prêts aux Etats membres, à condition de respecter des « critères d’admissibilité stricts et prédéfinis, fondés sur des politiques macroéconomiques saines » et de se conformer au cadre de surveillance de l’UE. L’aide financière serait alors déclenchée « automatiquement et rapidement sur la base de paramètres prédéfinis » (relatifs à l’évolution du chômage ou de l’investissement). A vrai dire, la conditionnalité, qui sert à éviter l’aléa moral, ôte tout caractère automatique à la stabilisation ! Il est à craindre que des interférences politiques sur l’interprétation de la conditionnalité nuisent à l’efficacité de ce mécanisme.

Pour la Commission, si le mécanisme de stabilisation est conçu pour les pays de la zone euro, il devrait néanmoins être ouvert à tous les Etats membres de l’UE. En ce qui concerne la taille de ce mécanisme, la Commission prévoit à terme des paiements d’au moins 1 % du PIB de l’Union. Il n’est pas prévu que le budget puisse être en déficit pour soutenir la fonction de stabilisation, mais le mécanisme même pourrait disposer d’une capacité d’emprunt. A côté du budget de l’UE, deux autres instruments seraient aussi dédiés au financement du mécanisme de stabilisation (les détails ne sont pas encore établis) : un Fonds monétaire européen remplacerait l’actuel MES, et un Mécanisme d’assurance s’appuierait sur des contributions volontaires des Etats membres et/ou des ressources spécifiques.

La Commission avait dressé cinq scénarios dans le « Livre blanc sur l’avenir de l’Europe » (2017) et dessiné les grandes lignes d’un budget de l’UE correspondant à chaque scénario dans le « Document de réflexion sur l’avenir des finances de l’UE » (2017). La proposition d’inscrire la fonction de stabilisation comme une ligne de crédit supplémentaire dans le budget de l’UE correspond au troisième scénario « Ceux qui veulent plus font plus ». Au contraire, un budget de la zone euro à part entière, qui serait créé pour assurer une fonction de stabilisation, correspondrait à la vision du cinquième scénario, « Faire beaucoup plus ensemble ». Pour ce dernier scénario, la Commission avance des idées de refonte du système de ressources propres, telles que la suppression de tous les rabais, la réforme ou la suppression de la ressource propre actuelle fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que la création de nouvelles ressources telles qu’une taxe écologique, une taxe sur les transactions financières, un pourcentage de l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, et un pourcentage des recettes de seigneuriage de la Banque centrale européenne (BCE). Dans sa communication du 14 février 2018 (op. cit.), elle évoque même une proportion des bénéfices de la BCE. Elle estime que sur 7 ans, selon le pourcentage appliqué, les recettes provenant du seigneuriage pourraient varier de 10,5 à 56 milliards d’euros. Après vérification des bilans de la BCE, les montants espérés paraissent, toutefois, surévalués (Graphique 2).

Graphique 2. Seigneuriage et profits de la BCE (en milliards d’euros)

Source : rapports annuels de la BCE.

Le Rapport des quatre présidents de 2012 (« Vers une véritable union économique et monétaire ») [10] avait envisagé la possibilité qu’une capacité budgétaire centralisée dans la zone euro s’appuie sur un mécanisme commun d’assurance chômage. Le Rapport des cinq présidents de 2015 (op. cit.) a évoqué une fonction de stabilisation macroéconomique pour la zone euro sans préciser les différentes formes qu’elle pourrait prendre. La Commission propose que cette fonction serve à financer des investissements et évoque diverses formes, qui pourraient être combinées :

  • un système européen de protection de l’investissement, qui correspond à la proposition de base de la Commission ;
  • un régime européen de réassurance chômage ;
  • et un fonds pour les mauvais jours.

Ces options ne sont pas détaillées. Elles font partie de propositions faites par les économistes au sujet de l’avenir de la zone euro.

Des propositions distinctes

Les propositions faites au début de l’année 2018, qui sont susceptibles d’influencer les négociations prochaines dans l’arène bruxelloise, s’appuient sur un fonds de stabilisation conjoncturelle, un système européen d’assurance chômage ou un budget de la zone euro [11].

Les propositions de 14 économistes français et allemands

Bénassy-Quéré et al. (2018) ont publié un document de réflexion au sujet de la réforme de la zone euro, qui a été résumé dans une tribune sur le site Telos le 17 janvier 2018 (« Réconcilier solidarité et discipline de marché dans la zone euro »). L’ensemble de propositions vise à favoriser l’ajustement aux chocs économiques en améliorant le partage du risque et la discipline avec une plus grande intégration des marchés financiers (SEAD, SBBS et « actif européen sans risque »), une capacité budgétaire commune servant de fonds de réassurance (inscrite comme une ligne supplémentaire dans le budget de l’UE), et une aide conditionnelle (respect des règles budgétaires et des recommandations faites dans le cadre du Semestre européen). L’essentiel des idées a déjà été retenu par la Commission. Mais le diable est dans les détails. Certaines mesures sont justifiées telles qu’une réglementation limitant l’exposition des banques à un même émetteur souverain (voir supra). D’autres méritent une discussion.

Les contributions des banques au SEAD seraient basées sur le degré de risque de leur système bancaire national. On peut comprendre qu’il s’agit d’éviter que la mise en commun des primes d’assurance des dépôts bancaires n’aboutisse à des subventions croisées entre systèmes bancaires nationaux (des plus solides aux plus risqués) [12]. Toutefois, des contributions nationales spécifiques signifient que l’union bancaire n’a pas une dimension véritablement européenne. Il serait mieux que les contributions des banques soient fonction de leurs risques relatifs dans le système bancaire européen sans considération de nationalité.

Sur le plan budgétaire, les auteurs proposent de simplifier le cadre institutionnel en ne retenant que deux règles : la règle de dépenses publiques et la règle de dette publique (la première servant à atteindre la seconde). Le six-pack entré en vigueur en 2011 avait introduit un critère de dépenses. En pratique, la croissance annuelle des dépenses publiques ne peut pas excéder la croissance de la production potentielle à moyen terme. Les auteurs définissent la règle à partir des dépenses publiques nettes, c’est-à-dire pour des raisons d’efficacité et de stabilisation automatique, ils excluent les paiements d’intérêts et les allocations chômage. Les auteurs citent des études qui concluent sur l’efficacité des règles de dépenses en termes de soutenabilité de la dette. Cependant, elles sont généralement efficaces parce qu’elles sont adoptées par des gouvernements dont les préférences intrinsèques vont à la discipline budgétaire (Cordes et al., 2015). Pour favoriser cette dernière, les auteurs envisagent de sanctionner les dépassements par l’obligation de financer les dépenses excédentaires par les impôts ou par émission de titres de dette junior (le coût de financement étant alors plus élevé). Il reste qu’il faudrait s’assurer que la règle ne soit pas contournée par un plus grand recours aux dépenses fiscales. Or à ce sujet, il y a un manque de transparence.

Les auteurs sont plus précis que la Commission sur les caractéristiques du fonds de stabilisation. Il y aurait des conditions d’accès (respect des règles budgétaires et des recommandations dans le cadre du Semestre européen), un déclenchement des transferts fondé sur l’écart du taux de chômage (ou de l’emploi) par rapport à un certain seuil prédéfini, des montants déboursés à hauteur d’un certain pourcentage fixe du PIB national pour chaque point de pourcentage de hausse du chômage (ou de baisse de l’emploi), des transferts plafonnés par rapport au PIB du pays bénéficiaire, pas d’emprunt, des contributions en proportion du PIB seraient spécifiques aux pays en fonction de la volatilité dans chaque pays de la variable économique retenue pour le déclenchement des transferts. La taille du fonds (volume annuel des contributions) pourrait être de 0,1 % du PIB de l’ensemble des pays participants, ce qui paraît peu. En effet, sans recours à l’emprunt, il faudrait plusieurs années de contributions pour faire face à un choc majeur. Vu le contexte actuel de reprise économique, il est grand temps de mettre en place un fonds de stabilisation.

Les propositions de 14 personnalités européennes

En réaction à l’ensemble de propositions précédent, Andor et al. (2018) ont rédigé un manifeste dont une version française a été publiée dans le journal Le Monde le 3 mars 2018.

Ce manifeste prône une union politique (avec un exécutif responsable devant le Parlement européen) et un véritable budget de la zone euro, qui aurait plusieurs fonctions : sécuriser le système européen d’assurance des dépôts ; garantir une fonction de stabilisation à travers un système d’assurance chômage de la zone euro (financé par impôt, il couvrirait la première année de chômage) ; émettre des titres de dette pour aider les pays qui ont des difficultés à le faire ; soutenir les réformes en faveur de la cohésion et la productivité ; financer des investissements dans des biens publics. Des ressources propres devraient provenir d’une part de la TVA, de l’impôt sur les sociétés et d’une nouvelle taxe carbone. La taille du budget pourrait être de 1 % du PIB de la zone euro pour commencer.

Ce projet est en phase avec des travaux qui ont été menés au Trésor français : Caudal et al. (2013), Lellouche et Sode (2014), Bara et al. (2017). Ces derniers font une synthèse en proposant qu’un budget de la zone euro repose sur trois instruments : un budget d’investissement pour favoriser la convergence et absorber les chocs communs, un socle commun d’assurance-chômage pour amortir les chocs asymétriques, et un MES élargi pour gérer les crises de liquidité. Il convient de commenter ces idées de budget propre et de mécanisme d’assurance chômage de la zone euro.

Pour fixer les idées, le degré d’amortissement d’un choc de revenu par les stabilisateurs automatiques budgétaires est estimé à environ 38 % pour un ensemble de 19 pays européens (de 25 % en Estonie à 56 % au Danemark) et de 32 % aux Etats-Unis (Dolls et al., 2012). En ce qui concerne le rôle d’un budget fédéral dans l’amortissement d’un choc de revenu régional (via les transferts nets entre gouvernement central et gouvernements régionaux), du type de celui des Etats-Unis, il est de l’ordre de 10 à 15 % (Poghosyan et al., 2016). Pour qu’une capacité budgétaire centralisée dans la zone euro ait une fonction d’absorption des chocs, il faut que les stabilisateurs automatiques fonctionnent bien, c’est-à-dire amortissent les effets de chocs de revenu sur le revenu disponible. Pour cela, il faut que la taille du budget soit importante et que ses dépenses et recettes soient cycliques (e.g. indemnités de chômage, impôts sur la consommation, sur le revenu des particuliers, sur les bénéfices des sociétés, cotisations sociales). Pour la zone euro, Caudal et al. (2013) ont calculé un degré de stabilisation selon différentes tailles et structures des recettes et dépenses d’un budget de la zone euro hypothétique. Leurs résultats ne sont pas très encourageants (bien qu’ils défendent l’idée d’un budget de la zone euro). Selon la structure choisie, il faudrait, par exemple, un budget d’une taille de 12 % du PIB de la zone euro pour une stabilisation de 11 %.

En ce qui concerne l’assurance chômage, Farvaque et Huart (2018) soulignent les difficultés non négligeables dans la mise en place d’un mécanisme commun, à cause de l’hétérogénéité des économies nationales. Entre autres, pour éviter des transferts nets permanents entre pays, il est souvent proposé dans la littérature de concevoir un mécanisme de restitutions par lequel les pays bénéficiaires nets versent des contributions plus élevées au fonds d’assurance chômage commun pendant les périodes où la conjoncture est meilleure. Cependant, il est possible que ces restitutions soient déstabilisatrices (amplifient les fluctuations économiques) si elles sont décidées trop tôt (par exemple, une reprise économique avortée). De surcroît, la définition du déclenchement automatique des versements est cruciale. En fonction des caractéristiques (écart d’une variable par rapport à un seuil en niveau, en variation ou les deux), il se peut que le mécanisme commun d’assurance chômage réduise la synchronisation des fluctuations économiques conjoncturelles des pays membres. Assurément, ce n’est pas l’effet recherché !

Le « fonds pour les mauvais jours » suggéré par le FMI

Dans un discours à Berlin le 26 mars 2018, Christine Lagarde, directrice du Fonds monétaire international (FMI), appelle les dirigeants européens à renforcer l’intégration budgétaire en établissant une capacité budgétaire centralisée. Sa suggestion repose sur des travaux menés au FMI (Arnold et al., 2018). Ces derniers considèrent un fonds de stabilisation macroéconomique avec les propriétés suivantes : les contributions annuelles seraient identiques pour chaque pays à hauteur de 0,35 % du PIB ; les transferts seraient déclenchés lorsque le taux de chômage dépasse sa moyenne mobile sur 7 ans ; les montants de ces transferts seraient de 0,5 % du PIB pour chaque point d’écart ; le fonds aurait une capacité d’emprunt si besoin est ; une « prime d’utilisation » serait versée par les pays bénéficiaires (un pays qui aurait reçu l’équivalent de 1 % de son PIB en transferts verrait sa contribution augmenter de 0,01 % de son PIB lorsque les conditions redeviennent normales) ; les contributions nettes cumulées pourraient être plafonnées et les pays contributeurs nets recevraient une partie des revenus d’intérêts gagnés par le fonds sur ses actifs (placements des contributions reçues dans des titres). L’accès au fonds serait conditionné par le respect de règles budgétaires simplifiées, par exemple une règle de dépenses pour réaliser la règle de dette.

D’après les simulations du FMI, le fonds pourrait amortir les effets d’un choc sur la production jusqu’à 60 %. Sur la période considérée (1990-2017), le fonds aurait dû emprunter pendant les années 2013-2017, avec un maximum de 1,1 % du PIB de la zone euro en 2014. Il faut cependant être prudent dans l’interprétation des résultats. En comparaison d’autres travaux, le degré de stabilisation paraît exagéré (Farvaque et Huart, 2017). Outre les hypothèses sur le comportement des agents économiques dans le modèle Euromod, on ne connaît pas la taille des multiplicateurs budgétaires, les simulations ne couvrent pas tous les pays de la zone euro, et les résultats par pays et par année ne sont pas affichés.

Conclusion

Au total, les idées dans le Rapport des cinq présidents et les propositions de la Commission ne servent pas à réformer la zone euro – le cadre institutionnel est maintenu – mais à ajouter quelques éléments à l’édifice. Elles donnent l’impression que ce n’est pas les règles de fonctionnement qui ont aggravé la crise de la zone euro, mais les comportements des Etats, qui n’ont pas appliqué les règles à la lettre. La pertinence des règles n’est pas remise en question et rien de concret n’est proposé pour renouveler l’architecture institutionnelle en la simplifiant.

L’ajout d’une ligne supplémentaire au budget de l’UE pour maintenir l’investissement en cas de chocs asymétriques, à la place de la création d’un budget propre ou d’un fonds dédié à la zone euro, dénote une prudence dans la démarche de la Commission, qui reflète le manque de consensus entre les Etats membres. Or si l’existence d’un budget de la zone euro est un objectif considéré comme souhaitable, alors c’est le moment ou jamais de le faire. Il ne faut pas attendre la prochaine crise. Mais il ne faut pas non plus croire que l’on peut d’emblée assigner de multiples fonctions à un nouveau budget, parce qu’il n’est pas réaliste de penser qu’il puisse atteindre une envergure dès le début. Au minimum, c’est un budget avec une fonction de stabilisation dont la zone euro a besoin. Faut-il que cette fonction soit discrétionnaire (plans de relance), automatique (transferts déclenchés selon une formule préétablie) ou les deux (comme le budget fédéral des Etats-Unis par exemple) ? Il faut être clair sur ce point, pour pouvoir déterminer la nature et la structure des recettes et dépenses du budget. Quoi qu’il en soit, un soutien budgétaire est indispensable parce qu’il n’y a aucune garantie que le soutien monétaire massif et non conventionnel (« tout ce qui est nécessaire ») de la BCE soit utilisé de nouveau par les futurs gouverneurs si le besoin s’en faisait sentir. Rien n’est inscrit dans le marbre dans ce domaine.

Note : Cette version est écrite le 30 avril 2018.

Références bibliographiques :

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[1COM(2017) 822, 6 décembre 2017.

[2Pour un rappel des arguments en faveur d’une plus grande intégration budgétaire, voir Berger et al. (2018).

[3Rapport préparé par Jean-Claude Junker en étroite coopération avec Donald Tusk, Jeroen Dijsselbloem, Mario Draghi et Martin Schulz.

[4Voir le rapport spécial de la Cour des comptes européenne (2018), « Audit de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) », No. 03.

[5European Parliament (2017), ’Implementation of Country Specific Recommendation under MIP”, At a glance.

[6Une synthèse des propositions d’Eurobonds avait été faite par un panel d’experts au Parlement européen dans le cadre du Dialogue Monétaire en mars 2011 (Eurobonds : Concepts and Implications). Il y a eu, à la suite, un Livre vert de la Commission européenne en novembre 2011 et une résolution du Parlement européen en février 2012 sur « la faisabilité de l’introduction d’obligations de stabilité ».

[7ESRB High-Level Task Force on Safe Assets (2018), Sovereign bond-backed securities : a feasibility study, Volumes I and II.

[8Les régions pauvres font partie de pays pauvres ou riches.

[9Commission européenne (2018), « Un cadre financier pluriannuel nouveau et moderne pour une Union européenne qui met en œuvre ses priorités avec efficience au-delà de 2020 », COM(2018) 98 final, 14 février.

[10Herman Van Rompuy en étroite collaboration avec José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker et Mario Draghi.

[11Les propositions faites sur la période 2013-2015 sont discutées dans Farvaque et Huart (2017).

[12Voir Carmassi et al. (2018).

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