Les critères de Maastricht et les performances

Irem Zeyneloglu, Université Galatasaray (GIAM) et Université de Strasbourg (BETA)

L’article propose d’évaluer la capacité de l’économie turque à remplir les conditions imposées par le traité de Maastricht aux pays qui désirent adhérer à l’Union européenne. Il montre que des progrès sensibles ont été effectués en matière d’inflation, de déficit budgétaire et d’endettement public et que des faiblesses se manifestent encore dans la gestion du taux de change et des taux d’intérêt.

Mots-clefs : critères de Maastricht, économie turque, finances publiques, inflation, taux de change, Traité de Maastricht.

Citer cet article

Irem Zeyneloglu « Les critères de Maastricht et les performances », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 14, 25 - 29, Eté 2006.

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Le traité de Maastricht signé en 1991 définit une stratégie de convergence que les candidats à l’union monétaire doivent adopter au cours d’une période de transition. Il fixe des critères que doivent respecter les pays désirant adhérer à l’Union européenne. Ces critères concernent le taux d’inflation, le taux d’intérêt, le taux de change, le déficit budgétaire et la dette publique. Leur justification théorique est fournie notamment par De Grauwe [1].

Depuis l’ouverture des négociations avec la Turquie en octobre 2005, la capacité de l’économie turque d’assurer le respect de ces critères a suscité un regain d’intérêt, notamment parce que les membres de l’Union européenne semblent être très préoccupés par le coût de l’adhésion de ce pays.

Cet article tente d’évaluer les performances de l’économie turque en terme de convergence. Pour cela, il décrit les difficultés engendrées par les crises économiques subies par la Turquie au cours de ces dernières années et il analyse les efforts consentis pour les surmonter et pour permettre au pays de respecter à terme les critères du traité de Maastricht. Les graphiques synthétisant les résultats chiffrés sont regroupés à la fin de l’article.

La sortie de l’instabilité économique

Au cours de la dernière décennie, la Turquie a connu trois crises économiques importantes dont les causes sont de nature différente. En effet, la crise de 1999 résulte d’une baisse de la demande globale de biens, alors que celles de 1994 et de 2001 sont d’origine financière. Une brève analyse des mécanismes de ces crises permet de comprendre les modalités de la stabilisation économique réalisée par les autorités publiques.

À la veille de la crise de 1994, les dépenses publiques sont en expansion et leur financement est en grande partie assurée par des ressources de court terme. Pour faire face au déficit public croissant, le gouvernement fait de plus en plus appel au financement monétaire. C’est ainsi qu’il obtient, grâce à deux lois, le doublement de la limite supérieure des avances de la banque centrale au Trésor à partir du dernier trimestre de 1993. Ces expansions budgétaires et monétaires incitent les agents à anticiper une dépréciation de la monnaie nationale, ce qui entraîne une attaque spéculative contre la livre turque et une perte de réserves de change.

À la différence de la crise de 1994, celle de 1999 trouve sa source dans le secteur réel. En effet, pour lutter contre l’inflation et contre la détérioration des finances publiques, le gouvernement met en œuvre une politique économique restrictive à partir de 1998. Celle-ci permet de réduire l’inflation, mais elle provoque également une baisse importante de la demande interne de biens. Cette réduction est accentuée par la celle de la demande externe résultant des crises économiques survenues en Russie et dans les pays de l’Asie. La Turquie a notamment subi une baisse importante des exportations vers la Russie qui constitue l’un de ses principaux clients. Mais le solde de la balance courante est resté à un niveau soutenable grâce aux revenus de tourisme. Les crises extérieures se sont répercutées sur le système bancaire. C’est ainsi que l’État est obligé de prendre en charge huit banques devenues insolvables, ce qui augmente le déficit public.

En 2001, le gouvernement lance un programme de stabilisation basé sur un taux de change fixe. Le programme est respecté mais il suscite des difficultés pour le système bancaire. Les besoins de liquidité de certaines banques créent une crise sur le marché financier ce qui aboutit à une attaque spéculative sur la monnaie nationale.

Après la crise de 2001, le gouvernement a lancé un nouveau programme de stabilisation qui a eu un certain succès.

Une inflation presque maîtrisée

De 1994 à 1998 le taux d’inflation annuel est très élevé en Turquie. Il passe, comme le montre le graphique 1, de 99 % en 1997 à 69 % en 1998 grâce à une politique de désinflation. Puis, après une année de stabilité autour du niveau de 1998, il baisse d’une façon importante en 1999 et en 2000 grâce à la poursuite de la lutte contre l’inflation. On constate une hausse en 2001 due à la crise financière. Il se fixe à 9,3 % en 2004 et à 6 % en 2005. Ce dernier taux est le plus bas depuis 30 ans, mais il reste encore nettement supérieur à celui de la zone euro.

L’assainissement des finances publiques

La période de 1990-93 est marquée par une hausse des dépenses publiques. De 1994 à 2001, la détérioration du solde du budget de l’Etat est due en grande partie à la hausse du service de la dette publique. En effet, la part des paiements d’intérêt dans le PNB passe de 3,2 % en 1987 à 22,9 % en 2001. Cette évolution résulte de la hausse de la part de l’endettement public dans le PNB qui est notamment passée de 57,1 % en 2000 à 90,5 % en 2001 du fait de la crise économique.

Pour faire face à cette augmentation des dépenses publiques, il faudrait dégager un excédent budgétaire primaire. Si l’on considère l’évolution de ce dernier, on constate une détérioration entre 1989 et 1994. A partir de 1996, l’écart entre le solde budgétaire total et le solde primaire augmente. En effet le déficit budgétaire total s’accroît malgré la hausse du solde primaire. Cela implique que la baisse des dépenses publiques n’est pas suffisante pour améliorer le solde budgétaire à cause du paiement des intérêts qui représentent une part importante du budget.

Cependant, grâce à des efforts d’assainissement soutenus, la hausse du surplus primaire contribue à partir de 2001 à la baisse du déficit budgétaire total.

Le graphique 2 décrit la réduction importante de la part du déficit budgétaire total dans le PNB de 2001 à 2004 après une hausse due à la crise économique de 2001. Cette évolution marque une convergence importante vers le critère du déficit budgétaire fixé par le traité de Maastricht.

Les mesures d’assainissement financier ont également abouti à une réduction de la part de la dette publique dans le PNB.

Selon le graphique 3, la part de la dette publique turque dans le produit national a atteint en 2004 un niveau proche de celui obtenu par les participants à l’Union européenne au moment de la mise en œuvre du traité de Maastricht (60 % en moyenne). Elle est inférieure au taux moyen de 70 % réalisé à l’heure actuelle par les pays de la zone euro dont certains comme la Belgique et l’Italie ont un rapport entre leur dette et le produit national de près de 100 % [2].

Les fluctuations du taux de change

Le graphique 4 décrit l’évolution du taux de change de la livre turque par rapport à l’euro à partir de l’année 2001 qui marque la fin d’un programme mis en œuvre au début de 2001 et basé sur la fixité du taux de change.

Ce graphique montre que le taux de change nominal fluctue jusqu’en 2004 à l’intérieur d’une bande de +15 % et −5 %. L’importance de cette bande est largement supérieure à celle préconisée par le traité de Maastricht (+2,5 %, −2,5 %).

Par contre, à partir de la deuxième moitié de 2004 ce critère est vérifié. Il faut cependant admettre que le taux de change a tendance à être assez volatile.

Des taux d’intérêt encore importants

Les besoins de financement importants du secteur public aboutissent à des niveaux élevés du taux d’intérêt nominal. En effet, pour réduire la charge des paiements d’intérêt, les autorités budgétaires recourent au financement monétaire pour rembourser la dette publique, ce qui stimule l’inflation et accroît le taux d’intérêt nominal. Celui-ci se fixe en 1999 à plus de 100 % pour la dette interne qui est essentiellement une dette de court terme.

Après une baisse de 1999 à 2000 due au programme de stabilisation, le taux nominal s’accroît sensiblement à la suite de la crise de 2001, puis il diminue d’une façon régulière. Quant au taux d’intérêt réel, il baisse de plus de la moitié de 2002 à 2005. Ces réductions traduisent le succès du programme de stabilisation de 2001, notamment en matière d’inflation.

Malgré cette évolution, le taux d’intérêt de court terme reste largement supérieur au taux européen en 2005. Il en est de même pour le taux d’intérêt de long terme.

Conclusion

La description de l’évolution de l’économie turque au cours de ces dernières années a permis d’évaluer la capacité de cette économie à respecter les cinq critères de convergence imposés par le traité de Maastricht. Elle montre que la Turquie a fait des progrès importants dans sa lutte contre l’inflation et dans l’assainissement des finances publiques. Ce progrès sera renforcé si le pays réussi à maintenir son inflation proche de la cible de 5 % qu’il s’est fixé pour 2006. Par contre la Turquie éprouve encore des difficultés à stabiliser son taux de change, notamment par rapport à l’euro, et à obtenir des taux d’intérêt comparables à ceux de la zone euro.

Graphique 1 : Le taux d’inflation (indice des prix à la consommation)

Source : Banque Centrale de la République turque

Graphique 2 : Déficit budgétaire

Source : à partir des données de l’Organisation Publique de Planification

Graphique 3 : La part de la dette publique nette dans le PNB en %

Source : Trésor Public

Graphique 4 : L’évolution du taux de change de la livre turque par rapport à l’euro

Source : Banque centrale de la République turque

Graphique 5 : Le taux d’intérêt nominal sur la dette interne

Source : Trésor Public.


[1De Grauwe P. (1997), The economics of monetary integration, Oxford Economic Press. Traduction française en 1999 ( De Boeck).

[2Dévoluy M. (2004), Les politiques économiques européennes, Le Seuil

Droits et Permissions

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Le financement du libre accès est assuré par le BETA – Bureau d’Économie Théorique et Appliquée.

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