Les politiques publiques d’allongement de la vie active dans l’Union européenne

Guy Tchibozo, LISEC UR 2310, Université de Strasbourg

Alors que les politiques de réduction de l’offre de travail âgé s’étaient multipliées depuis la fin des années soixante-dix, l’heure est désormais à la prolongation de la vie active. Les perspectives de pénuries de main d’œuvre et de difficultés financières des systèmes de retraites expliquent ce revirement auquel les gouvernements de l’Union ont parfois du mal à s’adapter.

Mots-clefs : droits du travail et sociaux, emploi des seniors, emploi et chômage, politique et stratégie de l’emploi, système de retraite.

Citer cet article

Guy Tchibozo « Les politiques publiques d’allongement de la vie active dans l’Union européenne », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 6, 6 - 9, Été 2002.

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La prolongation de la vie active est aujourd’hui l’un des principaux objectifs de la Stratégie européenne pour l’emploi. Déjà présent dans les premières versions des Lignes directrices pour l’emploi,l’objectif a été précisé lors du Conseil Européen de Stockholm, en mars 2001. La Norme de taux d’emploi des 55-64 ans en moyenne pour l’Union a alors été fixée à 50 % en 2010, contre 37,7 % en 2000. Les Situations nationales sont en fait très différentes :

Taux d’emploi des 55-64 ans dans l’Union Européenne en 2000
Belgique 26,3
Espagne 36,8
Irlande 45,3
Luxembourg 27,4
Allemagne 37,3
Royaume-Uni 50,8
Italie 27,8
Pays-Bas 38,3
Portugal 51,0
Autriche 28,9
Grèce 39,2
Danemark 55,7
France 29,7
Finlande 42,7
Suède 65,1

Source : Commission européenne, Rapport conjoint sur l’année 2001, Bruxelles, 2002.

Par comparaison, les taux s’élevaient en 2000 à 57,7 % et 62,7 % respectivement aux États-Unis et au Japon.

L’importance accordée à cet objectif d’allongement de la vie active est évidemment liée aux préoccupations en matière de pénurie de main d’œuvre et de financement des systèmes de retraites. Les difficultés de recrutement et les déficits de qualifications sont déjà sensibles dans plusieurs secteurs d’activité sur les marchés du travail de l’Union : informatique,électronique, nouvelles technologies de l’information et de la communication,personnels de santé, bâtiment, etc. S’y associent des risques d’inflation. Quant au financement des systèmes de retraite, l’évolution démographique implique clairement un accroissement à moyen terme (2005-2010) du nombre de retraités plus rapide que celui des actifs cotisants.

L’objectif de prolongation de la vie active consacre cependant une rupture par rapport aux politiques de réduction de l’offre de travail âgé, mises en place dans les différents pays de l’Union depuis 25 ans. En effet, de la fin des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt-dix, le retrait des travailleurs âgés avait été systématiquement organisé : abaissement de l’âge d’accès à la retraite, régimes de retraite anticipée totale ou partielle, dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs les plus âgés, indemnités d’incapacité de travail, etc.. Les nouvelles perspectives obligent à changer de cap.

Face à cette évolution, les gouvernements mettent en place plus ou moins rapidement les réformes nécessaires. On peut distinguer à cet égard quatre groupes de pays.

Le premier groupe : des stratégies cohérentes

Le premier groupe comprend quatre pays qui ont mis en place des politiques ambitieuses, ciblant directement l’objectif d’allongement de la vie active, et qui en obtiennent des résultats concluants : Suède, Danemark, Royaume-Uni et Finlande. Les trois premiers sont d’ores et déjà au-delà de l’objectif communautaire. Les mesures mises en œuvre dans ces pays visent, d’une part à inciter les plus de 55 ans à l’activité, et d’autre part à inciter les employeurs à ne pas licencier cette catégorie de travailleurs au seul motif de l’âge, voire à en embaucher.

En Suède, la mesure phare a été la loi de 1998 rénovant le système des retraites. Le Principe en est que, à partir de 61 ans, le travailleur peut prendre sa retraite à tout moment, mais le montant de sa pension est fonction des cotisations versées pendant sa vie active, et non plus simplement de sa durée d’affiliation. Le Calcul de la pension tient compte, en outre, de l’espérance de vie de la classe d’âge à laquelle appartient le travailleur. Par ailleurs, la loi n’impose plus d’âge plafond à l’activité. Le travailleur peut demander le versement de sa pension ou d’une fraction de celle-ci tout en demeurant actif. Il peut aussi en demander la suspension s’il reprend un emploi suffisamment rémunérateur. Parallèlement,d’autres mesures complètent ce dispositif. D’une part, depuis août 2000, les employeurs qui embauchent des chômeurs âgés peuvent recevoir une subvention. Le montant de la subvention peut s’élever jusqu’à 75 % du salaire pendant deux ans dans le cas d’un chômeur de longue durée âgé de plus de 57 ans. D’autre part, la réglementation du travail pose le principe « last-in first-out » qui protège les travailleurs les plus anciens en cas de retournement conjoncturel.

Au Danemark, dès 1996, le dispositif de retraite anticipée réservé aux chômeurs de 50 à 59 ans avait été fermé à tout nouvel entrant. La mesure phare est ensuite mise en place, par la loi du 27 avril 1999, d’une prime de 8 600 couronnes danoises(1 175 €) par trimestre supplémentaire d’emploi à temps complet pour chaque travailleur âgé d’au moins 62 ans. Cette Mesure elle-même fait partie d’un ensemble essentiellement concentré sur le démantèlement progressif du très protecteur système danois de retraite anticipée : réduction des allocations de retraite anticipée ; allégement de cotisations sociales en cas de renonciation à toute retraite anticipée ; etc..

Au Royaume-Uni, la politique générale d’incitation au travail est ancienne et remonte aux années quatre-vingt.Concernant les plus de 50 ans, cette politique a été accentuée par la loi de 1994 Social Security (Incapacity for Work)Act soumettant à des critères strictement médicaux l’accès aux pensions d’invalidité. Les incitations ont été renforcées en 2000, avec la mise en place du New Deal 50+, programme prévoyant une allocation hebdomadaire de 60 £ versée pendant au plus un an aux chômeurs de longue durée indemnisés âgés d’au moins 50 ans qui acceptent un emploi à temps complet (40£ pour un emploi à temps partiel payé moins de 15 000 £ par an). Parallèlement, l’incitation des employeurs à ne pas licencier et à ne pas refuser d’embaucher pour raison d’âge a pris la forme du Code for Practice for Age Diversity In Employment, ensemble de recommandations adopté en juin 1999 et visant à éviter les discriminations fondées sur l’âge en matière d’emploi.

La Finlande peut aussi être classée dans ce premier groupe, bien que le taux d’emploi des 55-64 ans y soit inférieur à l’objectif communautaire. En Finlande, le risque de pénurie de main-d’œuvre est particulièrement préoccupant : entre 2000 et 2010, 600000 personnes au total – soit un tiers de la population active – seront en âge de quitter le marché du travail. Des mesures ont donc été mises en place très tôt. Le 6 février 1997 a été lancé le Programme national 1997-2001 pour les travailleurs âgés, ensemble diversifié de mesures destinées à encourager la prolongation de la vie active : interdiction des discriminations d’âge à l’embauche ; possibilité de bénéficier d’horaires de travail aménagés ; encadrement renforcé en matière de santé au travail ; protection contre le licenciement ; programmes de formation et de requalification ; subventions à l’embauche ; encouragement à l’activité indépendante. Parallèlement, sous certaines conditions de plafond, les indemnités des chômeurs de plus de 55 ans deviennent cumulables avec des revenus d’emplois. En complément, un second train de mesures est intervenu en 2000, mettant en place une réduction des indemnités de chômage ; le relèvement à 60 ans (au lieu de 58 ans précédemment) de l’âge d’accès à la retraite anticipée et la pénalisation financière des employeurs qui licencient des salariés âgés.

Portugal et Irlande : des conjonctures favorables

Le deuxième groupe de pays réunit le Portugal et l’Irlande. Comme ceux du premier groupe, ces pays sont bien classés en termes de taux d’emploi des 55-64 ans. Cependant ce classement résulte davantage d’une conjoncture économique favorable – et de la forte demande de travail qui en découle – que d’une réelle politique spécifiquement orientée vers l’emploi des travailleurs âgés. Le développement plus récent des systèmes de protection sociale dans ces pays y limite sans doute aussi l’effet de désincitation au travail. Au Portugal, l’incitation à prolonger la vie active repose sur seulement deux mesures spécifiques : un système de bonus/malus rendant relativement plus attractives les pensions des travailleurs prenant leur retraite après 65 ans (décret-loi du 8 janvier 1999) ; et l’allégement de cotisations sociales pour les bénéficiaires d’indemnités de chômage ou d’invalidité qui acceptent un emploi. En Irlande, la principale mesure a consisté à augmenter progressivement, depuis 2000, la durée des cotisations donnant accès aux pensions d’assurance retraite,durée qui doit passer de 3 ans en 2000 à 10 ans en 2012. Parallèlement, la loi de 1998 – Employment Equality Act – interdit les discriminations fondées sur l’âge.

Groupe 3 : des réformes à achever

Dans le troisième groupe, les pays ont bien mis en œuvre des politiques favorables à la prolongation de la vie active. Mais, à la différence du premier groupe, ces politiques sont généralement plus ponctuelles, moins systématiques, et aboutissent à des résultats plutôt médiocres par rapport à l’objectif européen.

En Belgique avaient été mises en place, en juillet 2000, des réductions de charges sociales pour une durée de 5 ans au bénéfice des employeurs embauchant des chômeurs âgés de 45 ans et plus. Fin 2000 et en 2001 ont été en outre décidés : des allégements de cotisations sociales patronales au titre du personnel âgé de 58 ans et plus ; des plans de formation spécifiques pour les travailleurs les plus âgés à partir de 45 ans ; des actions d’amélioration des conditions de travail et du suivi médical pour les travailleurs de plus de 50 ans. Des possibilités d’aménagement et de réduction du temps de travail spécifiques pour les travailleurs âgés sont également à l’étude.

En Autriche, en 2001, l’âge d’accès à la retraite anticipée a été augmenté de 18 mois (soit désormais 56,5 ans pour les femmes et 61,5 ans pour les hommes) ; les pensions de retraite ont été rendues relativement plus attractives après l’âge légal de la retraite (60 et 65 ans respectivement pour les femmes et les hommes) ; pensions de retraite et revenus d’emploi sont désormais cumulables.

Aux Pays-Bas, la politique d’incitation à la prolongation d’activité est en cours d’élaboration. Depuis janvier 2001,l’embauche de chômeurs de longue durée âgés d’au moins 50 ans permet aux employeurs de percevoir des subventions d’un montant pouvant aller jusqu’à 150% du salaire minimum. La réforme en cours prévoit la mise en place, à partir du 1er juillet 2002, de pénalités fiscales à l’encontre des travailleurs partant en retraite anticipée, ainsi que la suppression de la dispense de recherche d’emploi dont bénéficient les chômeurs âgés d’au moins 57,5 ans. Parallèlement, la discrimination d’âge à l’embauche est explicitement interdite par la loi.

En France, en Italie et en Grèce, les mesures adoptées jusqu’ici sont plutôt éparses et partielles, et la réforme d’ensemble reste à faire.

En France, plusieurs mesures ponctuelles, parfois anciennes, concourent à l’allongement de la vie active : contribution Delalande, mise en place en 1987, et qui pénalise financièrement les employeurs qui licencient des travailleurs de plus de 50 ans ; réforme de 1993 portant de 37,5 à 40 années la durée de cotisations donnant accès à la retraite à taux plein pour les salariés du secteur privé ; exonération de charges sociales au bénéfice des employeurs embauchant des plus de 50 ans dans le cadre de contrats initiative emploi ; et depuis 2000, un principe d’usage plus parcimonieux des préretraites, réservée désormais aux cas d’échec des reclassements internes. L’alignement du secteur public sur le secteur privé et l’actualisation des principes régissant l’activité au-delà de 65 ans, donneraient sans doute un peu plus de cohérence et d’efficacité à cet ensemble.

En Italie, une réforme du système de retraite avait été engagée en 1992, allongeant les durées de cotisation donnant accès aux pensions de retraite. Depuis lors, deux mesures générales ont été édictées en 2000 afin d’inciter à prolonger la vie active : la possibilité de cumuler pension de retraite et rémunération d’emploi salarié ou indépendant ; et une exonération de charges sociales au bénéfice de l’employeur qui engage, par contrat d’au moins deux ans, un salarié en âge de faire valoir ses droits à pension.

En Grèce, le système de retraite avait été actualisé en 1993, date à laquelle un âge minimum pour l’accès aux pensions de retraite avait été pour la première fois défini. Depuis lors, la principale mesure visant à prolonger la vie active a été mise en place, en 1999, de subventions à l’embauche de chômeurs âgés de 50 à 64 ans pendant une durée de 20 mois.

Groupe 4 : des pays en retard

Enfin, le quatrième groupe est celui des pays les plus en retard en matière de politiques d’allongement de la vie active : Espagne, Allemagne et Luxembourg. Ces pays se caractérisent eux aussi par des performances médiocres en matière de taux d’emploi des 55-64 ans.

En Espagne, le système des retraites avait été réformé en 1997. Le 9 avril 2001, un Accord pour l’amélioration et le développement du système de sécurité sociale est signé entre le gouvernement et les partenaires sociaux, et prévoit la mise en place, à partir de 2002, d’un système de bonus majorant les pensions des retraites prises après 65 ans. L’accord envisage également de dispenser de cotisations sociales les travailleurs de plus de 65 ans ainsi que leurs employeurs. Reste à le mettre en œuvre.

En Allemagne, l’âge d’accès des chômeurs aux pensions de retraite avait été porté dès 1996 de 60 ans à 65 ans, avec mise en œuvre progressive jusqu’en 2001. Aucune mesure spécifique d’envergure n’est cependant venue, depuis lors, relancer la dynamique de l’allongement de la vie active.

Retard également au Luxembourg où aucune mesure spécifique en faveur de l’allongement de la vie active n’a été mise en œuvre dans le cadre de la Stratégie européenne pour l’emploi. Là aussi, la réforme reste à faire.

Dans l’ensemble, les différents pays s’adaptent donc, chacun à son rythme, en fonction de l’évolution des mentalités ...et des échéances électorales. Pourtant, l’ampleur des réformes à mettre en œuvre ne devrait pas être sous-estimée : les politiques d’allongement de la vie active ne suffiront pas à elles seules à relever les défis des pénuries de main d’œuvre et du financement des retraites. Se profile donc déjà la nécessité d’engager ou d’approfondir d’autres réformes plus spécialisées : formation tout au long de la vie pour améliorer la productivité du travail ; développement des systèmes de capitalisation et des fonds de pension ; réduction des prestations de retraite ; actualisation du partage de la valeur ajoutée dans le cadre de la contribution à la protection sociale ...

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