La nouvelle gouvernance économique européenne et ses implications sur les politiques du marché du travail
Isabelle Terraz, Université de Strasbourg (BETA)
Isabella Van der Laan , Université de Strasbourg
Depuis la crise des finances publiques, les instances européennes disposent de pouvoir accrus sur les politiques d’emploi menées par les Etats membres. Après avoir expliqué la genèse de ce changement qui a été qualifié de « nouvelle gouvernance économique », nous passons en revue le type de politiques d’emploi préconisées par les instances européennes. Employabilité, activation des chômeurs et décentralisation des négociations sont parmi les thématiques récurrentes des instances européennes. En ce qui concerne le dernier point, l’OCDE a révisé ses préconisations du fait de manque de preuves empiriques tandis que l’Europe continue à promouvoir ce mode d’organisation des négociations collectives.
JEL Codes : J08, O52.
Mots-clefs : décentralisation des négociations collectives, gouvernance économique européenne, politique de l’emploi.
Citer cet article
Isabelle Terraz , Isabella Van der Laan « La nouvelle gouvernance économique européenne et ses implications sur les politiques du marché du travail », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 46, 69 - 75, Eté 2022 : Spécial « 50 ans du BETA ».
Jacques Delors qualifiait l’Union européenne d’Objet Politique Non Identifié (OPNI). Cette qualification souligne toute la complexité du processus d’intégration européenne, qui implique une double intervention à la fois de la part de l’UE et des États membres tout en combinant la négociation entre les États et le fonctionnement des institutions communes. Le Traité de Lisbonne (2007) avait clarifié la répartition des compétences entre les différentes parties pour distinguer les compétences exclusives de l’UE, celles relevant uniquement des Etats membres et, enfin, les compétences dites « partagées [1] ». La crise financière (2008-2009) et surtout la crise de la dette souveraine (2013) ont rebattu les cartes et modifié de façon non marginale le mode de gouvernance [2] en vigueur. On a alors parlé de « nouvelle gouvernance économique européenne » pour illustrer ce changement (Degryse, 2012).
Cet article vise d’abord à expliciter concrètement la mise en place de cette « nouvelle gouvernance ». Nous nous attacherons ensuite à analyser les implications de ce nouveau mode de gouvernance sur les mesures préconisées par les instances européennes dans le domaine des politiques de l’emploi. En vertu du principe de subsidiarité, ces politiques relèvent normalement de la compétence des Etats membres. Enfin, il mettra l’accent sur les mesures préconisées pour la France.
1. L’émergence de la ‘nouvelle gouvernance économique européenne’
A la fin du vingtième siècle, les pays de l’UE ont connu une période de stabilité économique apparente [3]. Dès lors, la crise de la dette souveraine (2009-2013) qui a fortement secoué la zone euro a constitué un choc important. Des pays comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, Chypre ou l’Espagne, ont été contraints de solliciter des aides financières extérieures, et l’UE s’est vue dans l’obligation de mettre en place de nouveaux mécanismes de régulation économique. De nombreux chercheurs ont interprété la crise de la zone euro comme la conséquence d’une union monétaire inaboutie (Benassy-Quéré et al., 2016 par exemple). Les instances européennes, en revanche, l’ont analysée comme l’illustration d’une incapacité des pays membres à se réguler eux-mêmes. Ils y ont répondu en mettant en place une surveillance verticale accrue.
Afin de mieux comprendre les changements opérés, il convient de rappeler que, depuis la création de la zone euro (1999), les États membres ont délégué la responsabilité de la politique monétaire à la Banque centrale européenne (BCE). Ainsi, un pays membre de la zone peut s’endetter dans une monnaie qu’il ne peut créer. Afin d’empêcher un pays de pratiquer une politique budgétaire insoutenable, des règles de ‘no bail-out’ et de ‘non monétisation du déficit’ ainsi que le Pacte de Stabilité et de Croissance ont été adoptés. En conséquence de ces règles, un pays en déficit qui perd la confiance des créanciers peut éprouver des difficultés à emprunter, être exclu des marchés financiers, voire se trouver en défaut de paiement.
Lorsque la situation s’est présentée en 2010, un fonds européen de stabilité financière (FESF) a été créé dans l’urgence. En 2012, il a été remplacé par un mécanisme juridique plus abouti qui est le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ces fonds ont pour objectif d’apporter des financements aux pays en difficulté, ceux-ci étant garantis par la Commission européenne grâce au budget de l’UE.
Le président du MES va s’appuyer sur des évaluations de la Commission européenne et de la BCE pour chiffrer l’aide accordée. Ensuite la Commission européenne et la BCE établiront les conditions d’accès à ces aides. Les principales conditions d’octroi de l’aide financière sont : la ratification du Traité sur la Stabilité, la Coordination, et la Gouvernance (TSCG) ; la mise en place d’un programme d’ajustement macroéconomique ; et l’obligation de continuer à respecter les conditions d’éligibilité établies.
Ainsi, l’aide financière se trouve conditionnée, notamment, à des programmes d’ajustement qui peuvent conduire à l’adoption de réformes dans des domaines qui relèvent de la politique nationale (salaire minimum, règles concernant les négociations collectives, etc.). Dans ce cadre, les pays signent un Memorandum of Understanding (MoU par la suite) qui stipule de façon détaillée des réformes précises à mettre en œuvre.
Pour les pays qui n’ont pas été contraints de solliciter une aide extérieure, la situation a quand même évolué dans la mesure où les Sommets de la zone Euro de 2010 et 2012 ont établi de nouvelles règles. Ces règles de surveillance accrues (Annexe 1), appelées ‘Six Pack’ (2011) et ‘Two Pack’ (2013) ont été mises en œuvre dans le cadre du ‘Semestre européen’ qui vise à coordonner des politiques économiques, budgétaires, sociales et du travail entre les pays de l’UE. Ces règles visent d’abord à renforcer le processus de surveillance budgétaire dans la zone euro. Mais ces règles autorisent également les instances européennes à pénaliser financièrement des pays concernés par des procédures de déficit excessif (PDE) ou des procédures de déséquilibre macroéconomique (PDM) et qui ne respecteraient pas les recommandations de politique économique faites par l’UE.
Plus précisément, des échanges ont lieu entre la Commission et les pays membres sur les réformes à mettre en œuvre dans le cadre du Semestre européen. Lors des prévisions économiques de printemps, la Commission propose des recommandations par pays qui seront ensuite approuvées par le Conseil. Ces propositions intègrent des dispositions notamment relatives aux procédures de déficit excessif, de déséquilibre macroéconomique et des propositions de réformes visant à atteindre les objectifs Europe 2020 [4]. Là encore, ces recommandations sont en lien avec des politiques qui, avant les réformes issues de la crise des dettes souveraines, étaient du ressort des pays membres. Dans le cadre de ces nouveaux dispositifs, la Commission se trouve donc dotée de nouvelles prérogatives permettant de sanctionner financièrement des pays qui ne suivraient pas les recommandations qui leur ont été faites. Ces nouvelles prérogatives qui autorisent théoriquement les sanctions à l’encontre des Etats membres constituent une « révolution silencieuse », selon les termes de l’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso (ANSA 2010, cité par Jordan, Maccarrone et Erne, 2020).
Au final, depuis la crise des dettes souveraines, « la nouvelle gouvernance économique européenne » (Erne, 2015 ; Jabko, 2019) introduit un mode de régulation accrue des instances européennes vis-à-vis de leurs pays membres.
Schulten et Müller (2012), identifiait, pour sa part, trois tendances centrales dans l’évolution des politiques européennes directement suite à la crise des dettes souveraines : la première implique la mise en place des politiques d’austérité et des réformes structurelles. La deuxième tendance concerne un système dans lequel le niveau européen détermine de plus en plus directement les politiques menées au niveau national, tandis que la troisième tendance traduit indirectement « le renforcement des organes exécutifs (Commission européenne et ministères financiers nationaux représentés au Conseil ECOFIN ou Conseil de direction du Mécanisme européen de stabilité (MES)) vis-à-vis -à-vis des arènes de l’action parlementaire aux niveaux européen et national (…) » (Oberndorfer 2015).
Depuis la crise du COVID (2020), un plan de relance conséquent [5] a été mis en œuvre et s’inscrit en rupture avec les politiques d’austérité mises en œuvre pendant la crise des dettes souveraines. En revanche, les instances européennes continuent à promouvoir certaines politiques structurelles et, plus particulièrement des politiques relatives au fonctionnement du marché du travail. Nous nous intéresserons plus particulièrement à ces dernières dans la mesure où les MoU et les procédures introduites dans le cadre du « 6 Pack » et du « 2 Pack » ont modifié le pouvoir d’action de l’UE.
2. Les instruments de coordination des politiques du marché du travail
Les politiques du marché du travail relèvent théoriquement de la responsabilité des pays membres en vertu du principe de subsidiarité. Depuis 1997 et la mise en place de la Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE), l’UE cherche à promouvoir de bonnes pratiques autour de quatre piliers : employabilité, esprit d’entreprise, adaptabilité et égalité des chances. A l’époque, l’approche de l’UE est purement incitative et recommande aux pays d’accroître la flexibilité, l’employabilité, favoriser l’activation ou d’alléger le coût du travail. A l’époque, cette orientation vise à faire baisser le chômage, analysé comme étant de nature structurelle. Le modèle à suivre semble correspondre à celui des Etats-Unis (Fitoussi et al. 2000), dans une logique que ces auteurs qualifient de « one best way ». Selon ces derniers, différentes configurations de politiques du marché du travail peuvent mener à un faible taux de chômage tandis que les instances européennes, au travers de leurs recommandations, semblent en privilégier un seul type.
2.1 Préconisations pour les pays ayants signé des MoU
Nous allons nous intéresser dans un premier temps aux pays sous assistance financière, ayant signé des Memorandum of Understanding. Dans ces derniers, des réformes spécifiques relatives au marché du travail sont précisées.
Les réformes demandées relèvent des thématiques présentes dans la SEE. On peut citer, par exemple, la nécessité de faciliter les licenciements en Grèce en 2010, d’assouplir les horaires de travail et le recours aux heures supplémentaires (Portugal 2011 et 2012), de lutter contre la segmentation du marché du travail [6] (Portugal, 2012), ou encore, de veiller à accroître les politiques d’activation (Irlande 2012).
Plus précisément, en matière de négociations collectives, la position prise dans la SEE (1997) était de favoriser la décentralisation des négociations collectives, et donc les négociations d’entreprise, dans la logique de mieux aligner l’évolution des salaires sur la productivité. Un examen des éléments des MoU qui relèvent du champ de la négociation collective montre que cette thématique reste d’actualité.
En Grèce, les recommandations visent à limiter le rôle de la négociation sectorielle et à favoriser la négociation d’entreprise. Pour y parvenir, il est demandé au gouvernement d’inverser le principe de faveur et d’avoir une négociation d’entreprise qui puisse primer sur l’accord de branche [7] (décembre 2010). Dans le même esprit, il lui est demandé de supprimer l’extension des accords de branche [8]. Deux lois (2011 et 2012) vont aller dans ce sens et disposer également que les accords peuvent être signés par des « associations de personnes » et non plus uniquement par les syndicats. En 2018, la question de la représentativité des accords de branche est également évoquée dans le MoU [9].
Dans l’esprit, les recommandations sont assez similaires au Portugal. Il est demandé à ce pays de limiter l’extension des accords sectoriels (2011) et la durée de vie des accords. En effet, si un nouvel accord n’est pas conclu, l’ancien n’expirait pas forcément. La problématique de ce qui est appelé la survie des accords va à nouveau être évoquée en 2013. Différentes lois vont ainsi être adoptées dans ce pays pour aller dans ce sens (2012, 2014, 2017). De plus, une loi de 2012 va inverser le principe de faveur dans certains domaines.
Concernant l’Irlande, on ne trouve pas de recommandations très spécifiques du Conseil sur les négociations collectives dans la mesure où, avec l’abandon des pactes nationaux en 2009, les négociations ont essentiellement lieu au niveau de l’entreprise. Quelques conventions sectorielles existent, mais beaucoup ne concernent pas les salaires. Il va néanmoins être demandé à l’Irlande de revoir ce dispositif des négociations sectorielles. Une loi de 2012 va ainsi permettre aux entreprises en difficulté de ne pas appliquer les dispositions.
Les recommandations concernant l’Espagne portent essentiellement sur le secteur bancaire tandis que peu d’éléments apparaissent sur le marché du travail. Des lois de 2011 et 2012 vont néanmoins donner un rôle accru aux négociations d’entreprise avec, notamment, l’inversion du principe de faveur. Les entreprises en difficultés financières ne sont pas tenues, non plus, d’appliquer certains accords.
A travers les MoU, la Commission européenne a nettement incité les pays à favoriser les négociations d’entreprise. L’objectif affiché étant de mieux aligner les salaires sur la productivité afin de garantir la compétitivité et de bonnes performances sur le marché du travail. Mais dans un contexte de récession importante et donc, de hausse du chômage conjoncturel, il est surprenant de constater que l’UE réitère des préconisations de politique qui visent plutôt à faire baisser le chômage structurel.
Graphique 1 : Evolution des coûts salariaux unitaires (base 100 en 2002)
Source : données Eurostat.
Il est vrai que les coûts salariaux unitaires [10] de ces pays avaient augmenté à un rythme élevé depuis l’adoption de l’euro. Depuis la crise de la dette, ils ont globalement baissé à partir de 2009 [11]. Cette baisse intervient assez tôt en Irlande et elle est particulièrement marquée.
Au final, les pays ayant signé des MoU se sont trouvés dans la nécessité de mener des politiques budgétaires d’austérité mais également des politiques structurelles du marché du travail dans une logique de réduction des coûts salariaux et donc de dévaluation interne [12]. Certains ont connu des hausses du chômage et de la pauvreté spectaculaires. Pour reprendre l’exemple de la Grèce, le taux de chômage est monté à 27,8% en 2013. Le taux de pauvreté monétaire dans ce pays qui était de 16% en 2009 est passé à 42,4% en 2016 [13]. L’Irlande a connu également une augmentation conséquente de cet indicateur (9,9% en 2009 à 18,2% en 2012). Au Portugal, la hausse est également patente (15% en 2009 à 20,4% en 2014).
2.2 Recommandations pour la France
Des recommandations spécifiques au marché du travail ont également été faites pour la France. Concernant sa situation, elle entre dans une procédure de déficit excessif en 2009 et en sort en 2018 (le déficit est de 2,6% en 2017) [14]. Au cours de ces dix dernières années, le pays connaît des déséquilibres macroéconomiques mais ne rentre pas dans une procédure de déséquilibre macroéconomique, qui, comme la procédure de déficit excessif, pourrait entraîner des sanctions financières.
Au cours de la période étudiée (2009-2019), la France se distingue par un taux de chômage plutôt élevé de 8,4% en 2019 (contre 6,8% dans l’UE-27 et 7,6% dans la zone euro), un coût horaire du travail de 35,8€ en 2018 (27,4€ en moyenne européenne et 30,6€ pour la zone euro) et un salaire minimum dans la moyenne haute de l’UE [15].
Dans la lignée des politiques préconisées dans la SEE, on retrouve pour la France les thématiques précédemment mentionnées : coût du travail ; accompagnement des chômeurs ; flexibilisation du marché du travail et lutte contre la segmentation du marché du travail.
Au titre du coût du travail, par exemple, les recommandations visant à contrôler la hausse du salaire minimum sont récurrentes sur la période, et la question de la pertinence des règles de revalorisation françaises [16] est régulièrement posée. On va retrouver des inquiétudes des instances européennes par rapport aux procédures de licenciement au motif que des règles trop strictes sur les licenciements des CDI pourraient réduire l’embauche sur ce type de contrat et favoriser la segmentation du marché du travail. Ces arguments seront entendus par les gouvernements en place car plusieurs lois (loi de 2013, loi « El Khomri » de 2016, et ordonnances Macron de 2017) vont alléger les règles existantes.
Toujours en matière de coût du travail, les instances européennes approuvent également les dispositifs d’allégements de charges mis en place par les gouvernements successifs : CICE (créé en 2013) ; Pacte de responsabilité et de solidarité (2013) ; et transformation du CICE en allégements de charges (2019).
Les bilans effectués par les instances européennes sur l’accompagnement des chômeurs et les freins pesant sur le développement des PME sont plus mitigés.
En ce qui concerne les autres thèmes, on trouve peu de recommandations ayant trait à l’organisation des négociations collectives. En 2015, cependant, il est spécifié qu’il faudrait « réformer, en concertation avec les partenaires sociaux et conformément aux pratiques nationales, le processus de formation des salaires pour que ceux-ci évoluent au même rythme que la productivité » (Oberndorfer, 2015). La même année, il est fait mention de la nécessité de « faciliter, aux niveaux des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail » (Conseil de l’Union européenne, 2015).
Les lois françaises vont être modifiées dans ce sens. Il y eut d’abord la loi Rebsamen (2015) pour favoriser la négociation d’entreprise, puis la loi Travail (ou loi El Khomri, 2016), qui ouvre la possibilité de déroger à l’accord de branche sur certains thèmes [17]. Enfin les ordonnances Macron de 2017, qui continuent à accroître le rôle de la négociation d’entreprise. Par exemple, les ordonnances Macron facilitent la signature d’accords dans les entreprises de plus petite taille en ouvrant la possibilité à un accord d’être signé par les deux-tiers des salariés (pour les moins de 20 salariés) ou par le Comité Social et Economique (CSE) pour les entreprises entre 20 et 50 salariés. Ces réformes ont donc nettement favorisé le rôle de la négociation d’entreprise.
Conclusion
Depuis la crise des dettes souveraines, les instances européennes disposent d’un pouvoir de régulation accru sur les politiques nationales mises en œuvre par les Etats membres et, notamment, celles relatives au marché du travail. Avant cette date, elles pouvaient déjà préconiser des politiques particulières dans le cadre de la Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE) mais celles-ci n’étaient qu’incitatives. Dans le cadre de la nouvelle gouvernance économique, le pouvoir d’action des instances européennes a été modifié.
Ces recommandations sont-elles appropriées ? La conjonction des politiques conjoncturelles d’austérité et de politiques structurelles a, dans les pays sous assistance financière, contribué à la hausse du chômage et de la pauvreté. Depuis, les instances européennes ont mis en place un socle européen des droits sociaux en 2017 afin de réintroduire une dimension sociale à la construction européenne. Même si ce socle n’est pas juridiquement contraignant, il fixe un cadre et des objectifs en matière sociale. Par ailleurs, en matière de politique conjoncturelle, un plan de relance conséquent a vu le jour en 2020 afin de lutter contre la crise économique créée par la pandémie (Ladi et Tsahouras, 2020). Toutes les erreurs du passé n’ont pas été réitérées.
Concernant le type de politique structurelle préconisé par les instances européennes, on peut s’interroger sur leur pertinence. Accroître la flexibilité, l’employabilité, favoriser l’activation, alléger le coût du travail et décentraliser les négociations collectives constituent les politiques recommandées à des Etats membres aux structures économiques et sociales très disparates. Si l’on reprend plus précisément ce dernier point, l’OCDE a révisé sa stratégie à partir des années 2000 (Perspectives de l’emploi, 2004 ; 2006) sur le niveau des négociations collectives. Plus récemment, on peut lire dans les Perspectives de l’emploi de l’OCDE que le « consensus sur l’avantage de la décentralisation sur les autres modes d’organisation n’est pas manifeste » (OCDE, 2019). L’institution soulignera notamment que les modèles inclusifs, caractérisés par un fort taux de couverture et des négociations centralisées et coordonnées, sont tout aussi efficaces que des modèles décentralisés (Aidt et Tzannatos, 2008 ; OECD 2006 ; Traxler and Brandl, 2012). Pour sa part, l’UE continue à promouvoir un mode de négociation dont la pertinence a été questionnée par la littérature récente. Cela apparaît d’autant plus préoccupant que le rôle de l’UE s’est fortement accru depuis la crise de la dette.
Isabelle Terraz
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg.
e-mail : terraz unistra.fr
Isabella Van der Laan
Etudiante en master Analyse et Politique économique, mention Macroéconomie et Politiques Européennes de l’Université de Strasbourg.
e-mail : isabellavanderlaan gmail.com
Cet article a été préparé pour un numéro spécial du Bulletin de l’OPEE (Observatoire des Politiques Economiques en Europe), publié dans le cadre du 50ème anniversaire du BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée).
Remerciements :
Nos remerciements vont à Lysandre Aubertin qui nous a grandement aidées dans la réalisation de ce travail. Nous remercions également les deux rapporteurs qui nous ont apporté des conseils précieux. Les éventuelles erreurs et insuffisances demeurent bien sûr nôtres.
Références bibliographiques
Aidt, T., Tzannatos, Z, (2008), « Trade Unions, Collective Bargaining and Macroeconomic Performance : A Review », Industrial Relations Journal, 39 (4), 258–295.
ANSA (2010), « Barroso, Stiamo facendo rivoluzione silenziosa », Fiesole.
Bénassy-Quéré, A., Ragot, X., Wolff, G. (2016), « Quelle union budgétaire pour la zone euro », Note du CAE n°29.
Degryse, C. (2012), « La nouvelle gouvernance économique européenne », Courrier hebdomadaire du CRISP, 21482149(23), 5-82.
Erne, R. (2015), « A supranational regime that nationalizes social conflict », Labor History, 56(3), 345-368.
Fitoussi, J.P., Passet, O., Freyssinet, J.J. (2000), « Chômage : les réussites en Europe », Les rapports du Conseil d’Analyse Economique, Paris, la documentation française.
Jabko, N. (2019), « Contested governance : the new repertoire of the Eurozone crisis », Governance, 32(3), 493-509.
Jordan, J., Maccarrone, V., Erne, R. (2020), Towards a socialization f the EU’s new economic governance regima ? EU labour policy interventions in Germany, Ireland, Italy and Romania (2009-2019), British Journal of Industrial Relations, 59 (1), 191–213.
Ladi, S. et Tsahouras, D. (2020), « EU economic governance and COVID-19 : policy learning and windows of opportunity », Journal of European Integration, 42(8), 1041–1056.
Oberndorfer, L. (2015), « From new constitutionalism to authoritarian constitutionalism : New Economic Governance and the state of European democracy « in Asymetric Crisis in Europe and Possible Futures eds Jäger, J., Springler, E., Routledge.
OECD (2006), « Reassessing the role of policies and institutions for labour market performance : a quantitative analysis’. In OECD Employment Outlook 2006. Paris : OECD Publishing, pp. 207–23.
OECD, (2019), Negotiating Our Way Up. Collective Bargaining in a Changing World of Work. Paris : OECD.
Schulten, T., Müller, T. (2012), « A new European interventionism ? The impact of the new European economic governance on wages and collective bargaining », Social Developments in the European Union, 181–213.
Traxler, F., Brandl, B. (2012), « Collective bargaining, inter-sectoral heterogeneity and competitiveness : a cross-national comparison of macroeconomic performance », British Journal of Industrial Relations, 50(1), 73–98.
Conseil de l’Union européenne (2015), « Recommandation du conseil (2015/C 272/14) ». Journal Officiel de l’Union européenne du 14 juillet 2015. Recommandation du conseil
Livre Blanc de la commission européenne (2001), « Gouvernance européenne - Un livre blanc » Journal Officiel de l’Union européenne C 287 du 12.10.2001. Livre blanc
Annexes
Annexe 1 : Les règlements du Six Pack
3 règlements pour le renforcement du PSC | |
Règlement 1173/2011 | relatif à la mise en œuvre de la surveillance budgétaire |
Règlement 1175/2011 | relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires et de la coordination des politiques économiques |
Règlement 1174/2011 | relatif à l’accélération des procédures concernant les déficits excessifs |
3 règlements pour d’autres sujets | |
Règlement 1174/2011 | relatif aux mesures concrètes contre les déséquilibres macroéconomiques excessifs |
Règlement 1176/2011 | relatif à la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques excessifs |
Directive 2011/85/UE | relative aux exigences applicables aux cadres budgeétaires des eEtats membres |
Annexe 2 : Les règlements du Two Pack
Règlement UE 472/2013 du PE et de la CE du 21 mai 2013 | Renforcer la surveillance économique et budgétaire des Etats membres connaissant ou menaçant de connaître de graves difficultés en ce qui concerne leur stabilité financière dans la zone euro. |
Règlement UE 473/2013 du PE et de la CE du 21 mai 2010 | Établir des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et corriger le déficit excessif des Etats membres de la zone euro |
[1] On parle de compétence partagée lorsque l’UE et les Etats membres peuvent légiférer ou adopter des actes juridiquement contraignants.
[2] Selon le livre Blanc de la Commission Européenne, la gouvernance est définie comme « la capacité des sociétés à se doter de systèmes de représentation, d’institutions, de processus et de corps sociaux comme outil de contrôle démocratique, de participation à la prise de décision et de responsabilité collective » (COMMISSION EUROPÉENNE, 2001, p. 3).
[3] Dans de nombreux pays européens, les taux de croissance du PIB étaient élevés, le chômage en baisse. Cependant, pendant cette même période, les déséquilibres extérieurs de certains pays se creusaient et leur dette augmentait.
[4] Europe 2020 est la stratégie de l’Union européenne pour l’emploi et la croissance. Définie en 2010, elle a précisé cinq grands objectifs à atteindre en termes d’emploi, de recherche et développement, de climat et d’énergie, d’éducation, ainsi que d’inclusion sociale et de réduction de la pauvreté.
[5] En juillet 2020, un plan de relance de 750 milliards d’euros (Next Generation EU) a été adopté pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid 19.
[6] Une législation trop stricte par rapport aux licenciements des contrats à durée indéterminée est jugée responsable par les instances européennes de la segmentation du marché du travail, soit l’idée que deux marchés du travail distincts se développent.
[7] Un accord de branche est une convention collective qui s’applique à l’ensemble d’une branche professionnelle. Si la négociation d’entreprise prime sur l’accord de branche, cela signifie concrètement que l’accord d’entreprise peut conclure des dispositions qui sont moins favorables au salarié que l’accord de branche.
[8] Un accord de branche est étendu s’il s’applique à des entreprises de la branche d’activité même si elles ne font pas partie de l’organisation ayant signé l’accord.
[9] Le taux de couverture des négociations collectives a diminué de façon drastique en Grèce : il est passé de 70% en 2009 à 10% en 2017.
[10] Le coût salarial unitaire est le ratio du coût horaire de la main d’œuvre et de la productivité horaire. Une évolution à la hausse peut s’interpréter comme une détérioration de la compétitivité.
[11] La baisse est manifeste à partir de 2012 en Grèce. Depuis 2015, ces coûts salariaux sont en hausse en Espagne et au Portugal.
[12] On parle de dévaluation interne lorsque le pays cherche à gagner en compétitivité en jouant sur les prix relatifs (et donc sur le taux de change réel plutôt que le taux de change nominal). Pour y parvenir, les pays peuvent notamment réduire les coûts salariaux ou alléger la fiscalité.
[13] Nous avons retenu le taux de pauvreté ancré dans le temps (2005) fournit par l’OCDE. Le seuil de pauvreté est de 60% du revenu équivalent médian après transferts sociaux.
[14] Il est donc inférieur à 3% qui représente la limite de déficit autorisée.
[15] Le salaire minimum français s’élève à 48,2% des gains moyens mensuels bruts des salariés. Au niveau européen, cette moyenne est de 45%.
[16] Le SMIC est revalorisé automatiquement en fonction de l’inflation et des gains de productivité. Il peut également faire l’objet d’un « coup de pouce » du gouvernement. Au cours de la période étudiée, cela a été le cas uniquement en 2012.
[17] Il existe des thèmes de négociation pour lesquels l’accord d’entreprise ne peux être moins favorable, à savoir : salaires minima ; classifications ; protection complémentaire ; égalité professionnelle ; fonds de formation ; pénibilité.
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