Éditorial − L’Union européenne pourra-t-elle échapper à l’austérité ?

Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)

Le traitement de la crise sanitaire déclenchée en 2020 a nécessité le recours au confinement de la population, ce qui a réduit l’activité économique de l’Union européenne (UE). Cet effet s’est traduit, selon Eurostat, par un taux de croissance économique qui est passé de +1,8 % en 2019 à −5,9 % en 2020. La baisse de l’activité économique et les aides publiques destinées à atténuer cette baisse ont conduit à une détérioration importante des finances publiques en réduisant les rentrées fiscales et en augmentant les dépenses publiques.

Mots-clefs : ajustement budgétaire, COVID-19, Pacte de stabilité et de croissance (PSC), policy-mix, politique d’austérité, transition écologique.

Citer cet article

Gilbert Koenig « Éditorial − L’Union européenne pourra-t-elle échapper à l’austérité ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 45, 1 - 3, Hiver 2021.

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Le traitement de la crise sanitaire déclenchée en 2020 a nécessité le recours au confinement de la population, ce qui a réduit l’activité économique de l’Union européenne (UE). Cet effet s’est traduit, selon Eurostat, par un taux de croissance économique qui est passé de +1,8 % en 2019 à −5,9 % en 2020. La baisse de l’activité économique et les aides publiques destinées à atténuer cette baisse ont conduit à une détérioration importante des finances publiques en réduisant les rentrées fiscales et en augmentant les dépenses publiques. Cette détérioration s’est manifestée, selon Eurostat, par un déficit budgétaire de l’ensemble des pays de l’UE qui est passé de 0,9 % du PIB de l’UE en 2019 à 3,7 % en 2021 et par une dette publique qui a augmenté de 77,5 % du PIB en 2019 à 90,1 % en 2021. Ces chiffres recouvrent une grande diversité de situations. En effet le ratio dette publique/PIB le plus élevé est enregistré en 2021 en Grèce (200,7 %), et le ratio le plus bas est observé en Estonie (19,6 %). Quant au ratio déficit public/PIB, il est le plus important à Malte (8,1 %) et le plus faible en Suède (0,4 %).

Selon les prévisions économiques de l’hiver 2022 de la Commission européenne (CE), le déficit public de l’UE devrait représenter 4,2 % du PIB en 2022 et 3,2 % en 2023 et l’endettement public serait de 94% du PIB en 2022 et de 93% en 2023. Quant au taux de croissance économique annuel, il devrait être de 4 % en 2022 et de 2,8 % en 2023.

Les ministres européens des finances se sont réunis les 10 et 11 septembre 2021 pour débattre sur les mesures que doit adopter l’UE pour rétablir la discipline budgétaire dont la suspension transitoire en 2020 a permis de soutenir l’activité économique. Au cours de cette réunion, deux camps se sont affrontés.

Le premier est formé par les pays du nord de l’Europe auxquels s’ajoutent l’Autriche. Ses membres, dits « frugaux » du fait de leur pratique budgétaire très rigoureuse, exigent un retour immédiat à la discipline budgétaire imposée par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) ainsi que par les mesures de contrôle des budgets nationaux demandées par la CE dans le cadre du semestre européen. Une telle exigence a été mise en pratique en 2010 dans une situation analogue issue de la crise financière et économique déclenchée en 2007-2008. Elle a permis de réduire le déficit budgétaire moyen des pays de l’UE et de freiner la hausse de leur endettement public. Mais malgré ces améliorations, la situation des finances publiques de la majorité des pays est restée assez loin des objectifs fixés par le PSC. De plus, l’austérité imposée pour améliorer les finances publiques a conduit à une récession économique importante dans l’UE en 2012 et 2013 et à une fort hausse du chômage.

Le second camp est constitué essentiellement par les pays du sud auxquels s’ajoute la France. Ses membres sont partisans d’un retour progressif à la discipline budgétaire et d’une révision du PSC. Une telle stratégie permettrait d’éviter de casser la reprise qui se profile en Europe et de favoriser une croissance économique source d’une hausse des recettes fiscales. Le Commissaire européen à l’économie se place dans cette optique, lorsqu’il déclare en mars 2021 qu’il est convaincu que les dettes publiques ne peuvent être soutenables que par la croissance et non par l’austérité. Cela correspond à une révision complète de la pratique européenne. Dans cet esprit, la CE a décidé de prolonger jusqu’à la fin de 2022 la suspension de la discipline budgétaire imposée par le PSC et de la clause dérogatoire générale levant le contrôle budgétaire de la Commission sur les États. A cette date, le PIB européen devrait rejoindre son niveau de 2019 et l’essentiel des ressources du plan de stabilisation européen sera absorbé par les pays de l’UE. Ce sursis n’est probablement pas indispensable pour des membres de l’UE, comme les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Ces derniers ont été relativement moins impactés par la pandémie que les autres puisque leur ratio dette publique/PIB était inférieur à 60 % en 2019 et l’est resté en 2020 et 2021. Par contre, ce sursis ne permettra pas aux pays fortement impactés par la pandémie de satisfaire les exigences du PSC. C’est le cas de la plupart des pays du sud et de la France dont l’endettement déjà largement supérieur à 60 % du PIB en 2019 s’est amplifié en 2020.

Le sursis accordé par la CE devra déboucher sur un retour à une discipline budgétaire sans casser la croissance des pays les plus vulnérables. Dans cette optique, la CE a relancé les réflexions sur la révision du PSC qui ont commencé au début de 2020 et qui ont été interrompues par la pandémie. Plusieurs propositions ont émergé de la recherche universitaire et d’institutions européennes, comme le parlement européen. La plupart se limite à préconiser une plus grande souplesse dans l’application les règles existantes de la discipline budgétaire sans les modifier ou à ne pas compter dans l’endettement public la partie nécessaire au financement des investissements destinés à la transition écologique. Mais il conviendrait d’effectuer une révision plus importante et permanente du régime européen de discipline budgétaire permettant notamment de différencier les mesures de discipline en fonction des situations financières et économiques des pays. Une telle révision qui ne serait plus interprétative, comme l’ont été la plupart des révisions passées, mais législative, ne manquerait pas de susciter l’opposition des pays dits « frugaux ». En effet, ceux-ci considèrent que les pays surendettés devraient plutôt engager des réformes structurelles portant notamment sur leur marché du travail et sur leur régime de retraite. Cela permettrait d’éviter le freinage éventuel de la croissance induite par le rétablissement d’une discipline budgétaire commune. Comme toujours, un compromis sera recherché. Il risque d’aboutir à un consensus qui ne satisfera pleinement aucune des deux parties et qui n’évitera probablement pas que des pays aussi surendettés que l’Espagne, l’Italie, la Grèce et la France soient soumis, à partir de 2023, à des mesures d’austérité, peut-être adoucies par une certaine souplesse dans leur application.

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