L’impact de l’euro sur les marchés financiers
Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) et CNRS
Les marchés financiers savent toujours s’adapter aux nouvelles situations. Il n’y a pas d’exception avec l’arrivée de l’euro. Cependant, il est intéressant de voir comment ils réagissent aux événements.
Mots-clefs : flux des capitaux, intégration des marchés des capitaux, marchés financiers, Politique de change, taux de change euro/dollar.
Citer cet article
Meixing Dai « L’impact de l’euro sur les marchés financiers », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 1, 11 - 13, Automne 1999.
L’arrivée de l’euro sur les marchés financiers est l’aboutissement d’un processus long de l’intégration économique et financière de l’Europe Occidentale. Les marchés financiers ont déjà connu l’influence de l’euro avant son utilisation effective, c’est-à-dire avant le 4 janvier 1999. En effet, les opérateurs de ces marchés anticipent, à l’approche de 1999, les effets fondamentaux de l’arrivée de l’euro sur les différents marchés, sur la conduite de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne et de la politique budgétaire des Etats membres participant à l’euro. L’euro a évidemment des effets permanents dans la mesure où son arrivée bouleverse la structure et l’organisation des marchés financiers dans la zone euro et même au niveau du système monétaire international. Ces effets structurels seront discutés dans le prochain numéro de ce bulletin. Nous nous intéressons dans un premier temps à ses effets éphémères et temporaires, notamment en ce qui concerne : 1) Les anticipations des marchés en matière de la crédibilité des autorités monétaires et budgétaires. 2) Les comportements des opérateurs avant et après l’arrivée de l’euro.
Des anticipations changeantes
La construction de l’UME a modifié considérablement la perception des marchés concernant la crédibilité des autorités monétaires et budgétaires des pays participant à l’euro. Bien que les différents États aient entamé un processus de désinflation depuis une quinzaine d’années, l’acquisition de la crédibilité pour les autorités de certains pays européens était un processus long et difficile. Le marché financier a mis à rude épreuve le SME en 1992 et 1993 en attaquant plusieurs monnaies européennes en mettant en avant l’argument selon lequel les parités fixes dans le cadre du SME ne correspondent pas aux fondamentaux des économies concernées. Les doutes des européens exprimés dans les référendums pour l’adoption du Traité de Maastricht ne font que renforcer ces anticipations des marchés financiers. Ces turbulences ont non seulement touché les marchés de change, mais aussi les marchés des actions et des obligations qui sont interconnectés par l’intermédiaire des taux d’intérêt.
L’élargissement, en août 1993, des marges de fluctuations à +/– 15 % entre les différentes monnaies du SME a permis d’atténuer progressivement les effets des anticipations mettant en cause la réalisation de l’euro. La thèse de convergence a pris alors le dessus dans les anticipations des opérateurs financiers.
Il s’ensuivait, à partir de 1995, une période de stabilité des taux de change entre les monnaies du SME, de convergence et de baisse des taux d’intérêt de court et long terme, et de hausses exceptionnelles des indices boursiers européens. Il convient de souligner que les baisses des taux d’intérêt et les hausses des indices boursiers ne sont pas dues uniquement à la croyance en l’arrivée de l’euro. En effet, dans un contexte où le taux d’inflation baisse au niveau mondial, la baisse des taux d’intérêt est une tendance générale dans les pays développés. La hausse des indices boursiers est due principalement à l’amélioration des performances des entreprises favorisées par un environnement meilleur tant au niveau international qu’au niveau européen. La descente rapide des taux d’intérêt et une hausse plus importante des indices boursiers dans les pays du sud (l’Italie, l’Espagne et le Portugal) s’expliquent sans doute par la crédibilité du projet de création de l’euro qui élimine les turbulences sur les marchés de change qui touchent souvent ces pays.
La publication, au printemps 1998, de la liste des pays participant à l’euro a marqué une étape importante dans le changement des anticipations des opérateurs financiers dont les derniers doutes concernant l’avènement de l’euro disparaissaient. Un peu à l’excès peut-être, puisque le marché semblait ignorer les risques financiers des États les plus exposés aux difficultés budgétaires. Les taux d’intérêt de long terme ont atteint un niveau historiquement bas fin 1998 dans la zone euro en raison d’une anticipation consensuelle de baisse continue des taux d’intérêt de court terme confirmée par la suite par les décisions de la BCE.
Le début de cette année est un moment crucial de construction de la crédibilité de la BCE. Après l’euphorie initiale sur les marchés des actions, les marchés obligataires et le marché de l‘euro, les opérateurs se mettaient à observer plus attentivement les comportements des gouvernements nationaux de la zone euro et de la BCE. La polémique depuis octobre 1998 entre d’une part les ministres des finances allemand et français qui appelaient à une baisse du taux d’intérêt et, d’autre part, le Président de la BCE se terminait alors en mars 1999 par la démission de O. Lafontaine suivie d’une baisse plus importante que prévue du taux d’intérêt directeur de la BCE en avril 1999. Cette baisse a mis sans doute, par son importance et son caractère définitif pour en finir avec les critiques des autorités budgétaires accusant la BCE d’empêcher la relance de la zone euro, un coup d’arrêt à l’anticipation très optimiste et consensuelle d’une baisse continue des taux d’intérêt en Europe. Néanmoins, le marché est conforté alors par la volonté d’indépendance de la BCE. Cette confiance dans l’avenir de l’euro et la politique monétaire de la BCE est rapidement secouée par la révision en hausse du déficit budgétaire en 1999 de l’Italie qui ne peut pas mener la baisse du déficit budgétaire comme prévu. Cette annonce fait réapparaître le risque de remise en cause de la réalisation de l’euro (sortie de l’Italie de la zone euro comme le laissait entendre Romano Prodi en juin 1999).
Des comportements parfois hésitants et pas toujours très rationnels
Les opérateurs internationaux n’ignorent pas l’arrivée de l’euro étant donné qu’il s’agit d’une création d’une zone monétaire importante tant au niveau de la taille de la population qu’au niveau du PIB. Cependant, il n’y a pas de référence historique et les effets sont tellement complexes que personne n’est en mesure de leur apprendre comment il faut se comporter dans cette période de transition qui couvre la période avant et après la naissance de l’euro. Leurs attitudes fondamentales restent les mêmes : Ils essayent d’anticiper tant bien que mal les événements et agissent en conséquence tout en gardant leur habitude de suivre des modes du moment et de corriger violemment leurs erreurs d’anticipations.
Il est donc logique que leurs approches des différents marchés financiers durant cette période ne puissent pas correspondre aux prédictions de la théorie économique adoptant les hypothèses d’anticipations rationnelles et des marchés efficients.
Les opérateurs européens et internationaux ont visiblement diminué leurs achats d’actions et d’obligations européennes fin 1998. Cela explique donc les premières euphories sur les marchés boursiers et obligataires puisque ces achats se reportaient sur ces marchés au début janvier 1999.
Sur le marché des actions, dès l’introduction de l’euro, les opérateurs internationaux intervenaient massivement à l’achat et provoquaient une hausse très importante des principaux indices européens comme s’ils anticipaient que l’euro va permettre aux entreprises européennes d’améliorer leurs performances économiques. Puisque l’arrivée de l’euro est une information publique, cette hausse soudaine ne s’explique donc pas par un comportement rationnel des agents. Le marché se laissait emporter par une sorte « d’europhorie » comme le qualifiaient les commentaires financiers dans la presse. Il est logique que le marché consolidait ensuite pendant de longs mois après cette hausse initiale afin de corriger les erreurs initiales commises.
On observe sur le marché des actions un autre phénomène anormal, à savoir la concentration des hausses sur les valeurs les plus importantes. En même temps, les valeurs petites et moyennes continuaient à baisser jusqu’au mois d’avril 1999 en Europe. En effet, les opérateurs les plus importants privilégiaient la diversification sur les plus grandes valeurs européennes qui font souvent partie des indices européens lancés récemment ou des principaux indices nationaux. Ce phénomène qui délaisse les petites et moyennes valeurs n’est pas propre en Europe. La crise financière internationale de l’été 1998 a laissé sans doute des traces sur les comportements des opérateurs. Ces derniers privilégiaient donc, dans une première phase de la hausse du marché, les valeurs les plus liquides pour mieux fuir en cas de crise financière : un phénomène qu’on qualifie « la fuite vers la qualité ». L’arrivée de l’euro a accentué ce phénomène en raison du besoin de diversification du portefeuille des épargnants européens.
Les réactions sur le marché obligataire étaient aussi fortes que celles sur les marchés des actions. Ces réactions expliquent donc la solidité de l’euro dans les premiers jours de sa cotation sur le marché de change. Les opérateurs de ces marchés qui sont inévitablement liés par les opérations d’arbitrage et de couverture semblaient vouloir attribuer une autonomie au marché obligataire de la zone euro vis-à-vis de celui des États-Unis. Les taux d’intérêts de long terme continuaient à baisser dans la zone euro pour atteindre le niveau de 3,8 % pour les emprunts de dix ans en France et en Allemagne en janvier 1999. Cependant, aux États-Unis, les taux commençaient à monter depuis quelques mois après un niveau plus bas atteint à l’automne dernier.
Cette première tentative du marché financier européen de s’affirmer vis-à-vis du marché obligataire américain échouait rapidement puisque que les taux de long terme de la zone euro recommençaient, en janvier 1999, à suivre la tendance haussière observée sur le marché USA et réagissaient mal aux nouvelles de surchauffe de l’économie américaine. En réalité, la conjoncture est bien morose de ce côté de l’Atlantique. Cela justifie un taux d’intérêt de long terme plus bas tant par le besoin de stimuler l’investissement et la consommation que par la présence d’un taux d’inflation de plus en plus faible.
Ce changement d’attitude des opérateurs sur le marché obligataire est probablement responsable en grande partie de la faiblesse de l’euro après la hausse initiale, bien qu’insignifiante, de l’euro vis-à-vis du dollar et du yen. La révision en hausse de la perspective de croissance aux USA, la révision de celle-ci en baisse en Europe, la baisse du taux d’intérêt de court terme dans la zone euro et la guerre au Kosovo font le reste. Il en résulte une réallocation des actifs financiers internationaux au profit du marché américain qui contribue à la hausse du dollar. Récemment, ces flux prennent la direction du marché japonais, ce qui soulage un peu la pression à la baisse de l’euro vis-à-vis du dollar dans un contexte de forte appréciation du yen vis-à-vis de l’euro et du dollar.
Sur le marché de change, la position du dollar est pour l’instant peu secouée par l’arrivée de l’euro. Le dollar reste au centre du marché de change mondial. Cette position est confortée par les récentes interventions de la Banque de Japon sur les marchés de change européens et asiatiques sur les parités dollar/yen et yen/euro. Sur la dernière, elle a fait appel au service du Système des Banques Centrales Européennes. Bien que les banquiers centraux américains et européens s’opposent à l’idée d’une zone cible entre les trois principales devises, seule la Fed peut, pour l’instant, négliger l’implication des ses politiques monétaires sur les parités de change.
Du point de vue des opérateurs de marchés, la BCE n’est donc pas dispensée de sa responsabilité d’intervenir sur le marché de change vue la turbulence qu’on a connue depuis le lancement de l’euro. Après une dépréciation importante continue pendant plusieurs mois et bien que les responsables politiques européens déclarent que l’euro a un potentiel important de s’apprécier vis-à-vis du dollar, l’excès de la dépréciation de l’euro risque encore d’arriver puisque les opérateurs financiers internationaux veulent toujours savoir où est la limite de la baisse de l’euro. Le rebond constaté récemment peut donc être fragile. Tandis que d’autres opérateurs (surtout japonais), croyant initialement en un euro fort et subissant des pertes importantes dues à la baisse de l’euro et à la hausse du taux d’intérêt à long terme, pourront être amenés à prendre leurs pertes si l’euro continue à s’affaiblir vis-à-vis du yen et du dollar.
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