Les conséquences de l’austérité sur le niveau de vie des chômeurs dans le sud de l’Europe

Benoit Dicharry, Université de Strasbourg (BETA)

Isabelle Terraz, Université de Strasbourg (BETA)

La grande récession puis la crise des dettes souveraines ont contribué à un accroissement marqué du chômage. Afin d’alléger leurs dépenses publiques, de nombreux pays d’Europe du sud ont réduit les aides aux chômeurs ce qui a dégradé leur niveau de vie relatif. Nous évaluons ici les contributions respectives de l’évolution de la composition du chômage et de leur prise en charge.

Mots-clefs : emploi des femmes, emploi des jeunes, emploi des seniors, emploi et chômage, Europe du Sud, niveau de vie des chômeurs, Pacte de stabilité et de croissance (PSC), politique d’austérité.

Citer cet article

Benoit Dicharry , Isabelle Terraz « Les conséquences de l’austérité sur le niveau de vie des chômeurs dans le sud de l’Europe », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 34, 27 - 31, Eté 2016.

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La Grande Récession de 2007-2009 ainsi que la crise de la dette ont largement mis à mal les économies d’Europe du Sud, notamment les quatre Etats couramment dénommés « PIGS » : Portugal, Italie, Grèce et Espagne. Le plongeon de 2008-2009 suivi d’une faible croissance ont fait fonctionner les stabilisateurs automatiques à plein régime, générant une trajectoire explosive de l’endettement public. L’austérité imposée par le Pacte de Stabilité et de Croissance et les contreparties aux plans d’aide (Grèce, Portugal) ont engendré une série de réformes « structurelles ». Ces dernières ont mis à contribution les systèmes de protection sociale, et notamment les régimes d’assurance chômage.

Nous cherchons ici à quantifier les conséquences de ce phénomène dans un contexte de généralisation et de persistance du chômage. Nous allons ensuite montrer que, depuis 2007, les chômeurs se sont plus appauvris que le reste de la population en nous appuyant sur la base de données SILC (European Union Statistics on Income and Living Conditions). Nous nous concentrons sur le taux de pauvreté des chômeurs dans les PIGS pour la période 2007-2014. Pour cela, nous nous référons aux travaux de Jenkins (2013), et utilisons le taux de pauvreté ancré à l’année 2007. Concrètement, il s’agit de considérer le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian de 2007 et de le faire évoluer au rythme de l’indice des prix à la consommation pour les années suivantes. Nous utilisons cet outil et non pas le seuil relatif « traditionnel » à 60 % du revenu médian du fait du bouleversement de la distribution des revenus survenu durant cette période. Par exemple, le revenu médian grec a chuté de 36 % entre 2010 et 2014.

Un chômage qui se généralise et qui persiste

Le marché du travail espagnol a été le premier touché par la Grande Récession avec l’effondrement du secteur immobilier. Le chômage y augmente significativement dès le début de l’année 2008 pour arriver au niveau stratosphérique de 26 % dans le courant de l’année 2013. La Grèce est, quant à elle, surtout touchée par la crise de la dette avec une forte accélération de la hausse du chômage qui survient dès 2010, mais qui est encore plus brutale que celle survenue en Espagne. Le chômage grec dépassera la barre des 27 % au cours de l’année 2013. Le Portugal sera aussi touché par cette crise de la dette, mais dans une moindre mesure que la Grèce, le pic de chômage étant lui aussi atteint en 2013 avec un taux de 16,4 %. Enfin, l’Italie est le pays ayant le mieux résisté à la hausse du chômage avec un pic de 12,7 % atteint en 2014.

Graphique 1 : Evolution du taux de chômage des « PIGS » entre 2007 et 2014 (%)

Source : Eurostat

Intéressons-nous maintenant au profil de ces chômeurs. En 2007, les chômeurs des pays d’Europe du Sud étaient majoritairement des femmes. Cette réalité a été renversée après le passage de la grande crise. En seulement sept ans, la part des femmes dans le chômage a diminué de 7,3 points en Espagne, de 13,2 points en Grèce ou encore de 6 points en Italie.

Tableau 1 : Proportion des femmes parmi les chômeurs (%)

2007 2010 2014
Espagne 55,3 45,4 48
Grèce 63,4 54,6 50,2
Italie 52,2 47,3 46,2
Portugal 49,7 48,7 50,2

Source : Eurostat.

Durant ce même temps, et à l’exception du Portugal, la catégorie des personnes d’âge très actif (25-50 ans) a, elle aussi, connu le chômage, comme en témoigne la baisse de la part des jeunes et des séniors dans l’ensemble des chômeurs. Dans le tableau ci-dessous, nous considérons la somme de la part des 15-24 ans et des plus de 50 ans dans le stock des chômeurs. La baisse est significative en Espagne et en Grèce avec un recul d’environ 6,5 points dans la période.

Tableau 2 : Part des jeunes et seniors dans l’ensemble des chômeurs(%)

2007 2010 2014
Espagne 48,9 41,7 42,5
Grèce 39 37,7 32,4
Italie 46,1 46,9 44,6
Portugal 49 41,4 52,5

Source : Eurostat.

Enfin, on constate aussi que les actifs entrant dans le chômage y restent durablement. On assiste à une explosion de la part des chômeurs dits de « très longue durée », c’est-à-dire qui sont au chômage depuis plus de deux années consécutives. Ainsi, près de la moitié des chômeurs sont concernés en Grèce, environ 40 % en Italie ou au Portugal, ou encore un tiers en Espagne. Il est à noter que cette part a considérablement augmenté entre 2010 et 2014 : + 20 points en Espagne, + 27 points en Grèce ou encore +13 points en Italie.

Tableau 3 : Part des chômeurs dits de « très longue durée » (%)

2007 2010 2014
Espagne 9,8 13,0 33,3
Grèce 28,1 22,0 48,8
Italie 28,8 26,0 39,2
Portugal 27,4 27,8 39,6

Source : Eurostat.

Les chômeurs se sont plus appauvris

Entre 2007 et 2014, les chômeurs de ces pays ont été touchés par un phénomène d’appauvrissement plus marqué que le reste de la population, en témoigne un écart grandissant entre leurs taux de pauvreté, avec une nette accélération dès 2010. Durant la période, cet écart s’est creusé de 8,8 points en Espagne et en Grèce, de 6,3 points au Portugal ou encore de 4 points en Italie. Concernant le taux de pauvreté des chômeurs, on peut observer une baisse de l’ordre de un point de pourcentage de ce taux dans chacun des quatre pays entre 2007 et 2010. En revanche, la période 2010-2014 est marquée par une hausse de ce taux de l’ordre de 14,2 points en Espagne, de 35,2 points en Grèce de 7,2 points en Italie ou encore de 9,1 points au Portugal.

Ces hausses sont d’autant plus significatives que, après la récession de 2009, ces taux de pauvreté étaient déjà très élevés. En 2014, le taux de pauvreté des chômeurs grecs est ainsi passé au-dessus de la barre des 61 %. Il atteint 43 % en Italie, 39 % en Espagne, ou encore presque 34 % au Portugal.

Graphique 2 : Evolution de l’écart entre le taux de pauvreté global et taux de pauvreté des chômeurs (points)

Source : SILC.

Comment expliquer cette dynamique ?

La première raison tient en un effet de composition du chômage. Les premiers grands flux d’entrées dans le chômage ont eu lieu dès le début de l’année 2008 en Espagne, et dès le début de l’année 2009 dans les trois autres pays. Les chômeurs entrés dans cette période sont majoritairement des hommes âgés entre 25 et 50 ans qui étaient pour une grande partie éligibles, d’où une relative stabilisation du taux de pauvreté des chômeurs. Ainsi, entre 2007 et 2010, le pourcentage de chômeurs bénéficiant d’une allocation chômage est passé de 26 % à 27,5 % en Grèce, de 41 % à 63,5 % en Espagne ou encore de 29 % à 36,5 % en Italie. Dans le même temps, l’aide annuelle médiane liée au chômage a augmenté de 37,7 % en Grèce, ou encore de 46,2 % en Espagne

Mais durant les années 2010-2011, la proportion de chômeurs non-éligibles augmente significativement (chômeurs de longue durée ne bénéficiant plus de l’assurance chômage). Ce phénomène a été d’autant plus significatif dans les pays ne disposant pas de régime d’assistance sociale comme la Grèce, ou dans des pays disposant d’une assistance très limitée dans le temps comme le Portugal. On assiste alors à un recul important du pourcentage d’individus recevant des prestations liées au chômage : cette proportion chute de 13 points en Grèce, de 6,2 points en Espagne ou encore de 7,1 points au Portugal. La hausse importante de la pauvreté survenue dans cette période peut donc être imputable en partie à cet effet de composition du chômage.

Un autre facteur est l’ensemble des réformes structurelles réalisées au cours des années 2011-2012. Ces changements législatifs ont eu pour conséquence de réduire le niveau de vie des chômeurs éligibles en diminuant le montant et la durée des pensions versées. Par exemple, en réduisant de 22 % l’indemnité chômage de base pour la ramener à 360 € par mois, la Grèce a ramené le montant d’indemnités chômage en deçà du seuil de pauvreté (4 608 € par an pour une personne seule en 2014). Ces quatre pays ont aussi eu pour stratégie de restreindre le champ des chômeurs éligibles en renforçant les critères d’éligibilité à l’assurance chômage, ce qui a eu pour conséquence de renvoyer des chômeurs éligibles vers les dispositifs d’assistance ou de les priver de toute ressource (Grèce et Italie).

Un panorama des réformes majeures de l’assurance chômage [1] nous permet de voir que le calendrier des réformes est marqué par deux phases bien distinctes : la période 2008-2009 est surtout caractérisée par une amélioration de la qualité des prestations (comme par exemple la réforme du doublement des allocations chômage pendant Noël et Pâques votée en 2008 en Grèce). A l’inverse, au début de la crise de la dette, on observe une série de réformes qui durcissent sensiblement ce régime d’assurance chômage.

Les dernières réformes ont donc pesé sur le niveau de vie des chômeurs et contribué à une augmentation de leur taux de pauvreté. Or, les allocations chômage permettent aux individus qui les perçoivent de maintenir un certain niveau de consommation, même si l’on sait qu’elles peuvent contribuer à réduire l’effort de recherche d’emploi et allonger la durée du chômage (Chetty, 2008). Différentes études ont montré récemment que ce dernier effet est de moindre ampleur en cas de récession (Kroft and Notowidigdo, 2011 ; Landais, 2015). Réduire la prise en charge du chômage dans un contexte de récession n’était peut-être pas la politique la plus appropriée.

Annexe : Principales réformes des systèmes d’indemnisation chômage

Grèce

Assurance chômage

Caractéristiques et réformes engagées

Niveau d’indemnisation 2008 : Hausse du montant de base de l’assurance chômage (349,5€ à 454€ au 01/05/2009) - Sera diminué à 360€ en 2012.Doublement des prestations d’assurance chômage pendant Noël et Pâques (suppression en 2011).
Durée d’indemnisation 2011 : Dès le 01/01/2013, impossible de bénéficier des allocations chômage pendant plus de 450 jours dans une période de 4 années de chômage. (400 jours au 01/01/2014) mais elles peuvent toujours être perçues pour 12 mois d’affilée au maximum.
Critères d’éligibilité 2013 : Extension de l’assurance chômage aux non-salariés (malgré un plafonnement à 360€ pendant 9 mois au maximum).Renforcement des critères d’éligibilité pour l’assurance chômage.
Assistance Néant



Italie

Assurance chômage

Caractéristiques et réformes engagées

Niveau d’indemnisation 2012 : Plafonnement du niveau maximal d’indemnisation a 1119€ qui diminuera de 15 % tous les 6 mois.Fin de « l’indemnité de mobilité » (80 % de l’ancien salaire : concerne les chômeurs licenciés des industries de plus de 15 salariés et des entreprises de service de plus de 50 salariés)
Durée d’indemnisation 2014 : Hausse des durées maximales d’indemnisation de 4 mois supplémentaires pour toutes les catégories d’âge dès 2016 (18 mois au maximum désormais pour les + de 55 ans) ; +2 mois en 2015.
Critères d’éligibilité 2008 : Extension des allocations aux apprentis et aux formes d’emplois temporaires.2009 : Renforcement des procédures de sanction en cas de refus d’une offre d’emploi.Durcissement des critères d’éligibilité à l’ASpl (déclarer une disponibilité immédiate ou suivre une formation).2012 : Création d’un régime d’assurance chômage (mini ASpl insurance) pour les non-éligibles à l’ASpl ; 13 semaines de travail sont nécessaires sur les derniers 12 mois pour en être bénéficiaire- Durée de versement= 50 % de la durée de cotisation de la dernière année écoulée.Renforcement des critères d’éligibilité à l’ASpl : minimum de cotisation de 1 an sur les 2 dernières années écoulées.
Assistance Néant



Portugal

Assurance chômage

Caractéristiques et réformes engagées

Niveau d’indemnisation 2010 : Augmentation du taux de remplacement net à 75 %. Fixation du montant maximal de niveau d’assurance chômage à 3 fois le niveau de l’assistance (419 €).2012 : Diminution du taux de remplacement maximal à 65 %. Diminution des prestations d’assurance chômage de 10 % après 6 mois.Diminution du plafond du montant maximal de l’assurance chômage à 2,5 fois le niveau de l’assistance.2013 : Taxe de 6 % sur les prestations d’assurance chômage.
Durée d’indemnisation 2012 : Les durées de versement sont désormais conditionnées à l’âge du bénéficiaire : 12 mois maximum pour les moins de 30 ans à 36 mois au maximum pour les plus de 45 ans.
Critères d’éligibilité 2010 : Obligation d’acceptation d’une offre d’emploi ayant un niveau de rémunération équivalent à 1,1 fois l’allocation chômage perçue (1,0 fois après 1 an de chômage).2012 : Diminution du montant minimal de cotisations nécessaire pour percevoir l’assurance chômage (de 15 à 12 mois).
Assistance Système d’assistance qui requiert au minimum 6 mois de cotisations sur la dernière année, le montant est fixé à 419 euros pour un individu avec des personnes à charge, 335,2 euros pour un individu avec aucune personne à charge.



Espagne

Assurance chômage

Caractéristiques et réformes engagées

Niveau d’indemnisation 2009 : Création d’une indemnisation minimale de 420€ pour les chômeurs non-éligibles s’engageant dans une formation.2012 : Alignement du niveau des prestations avec le niveau de patrimoine du bénéficiaire de l’assurance chômage.Fin de l’allocation chômage spécifique aux plus de 45 ans.Hausse du niveau de l’assistance chômage de 75 à 80 % de l’IPREM (indicateur servant à fixer le niveau des prestations et traitements).Diminution du montant des allocations d’assurance chômage de 70 % à 50 % du salaire de référence après 6 mois. Le plafond reste à 1087 euros si aucun enfant, avec un seuil à 497 euros. Le seuil augmente à 665 euros s’il y a au moins un enfant à charge, le plafond passe à 1242,5 euros.
Durée d’indemnisation Les durées d’indemnisation ne changent pas : elles sont de 24 mois au maximum et restent conditionnées aux durées de cotisations.
Critères d’éligibilité 2012 : Recul de l’âge de 52 à 55 ans pour bénéficier des prestations chômage dites « seniors ».Obligation de fournir des preuves d’une recherche d’emploi active pour percevoir les allocations d’assurance chômage.
Assistance Régime d’assistance sociale existant en cas d’un revenu inférieur à 75 % du salaire minimum (645,30 euros en 2012) ou en cas de recherche active d’emploi. L’allocation est de 426 euros par mois pour une durée de maximale de 1 an.

Sources de l’annexe : MISSOC et CLEISS.

Références bibliograhpiques :

Chetty R. (2008), Moral hazard vs. liquidity and optimal unemployment insurance, NBER Working Paper n°13967.

Jenkins, S. P., A. Brandolini, J. Micklewright, and B. Nolan (2013), The Great Recession and the Distribution of Household Income, Oxford University Press, Oxford, 2013.

Kroft K., Notowidigdo M. (2011), Should Unemployment Insurance vary with the unemployment rate, NBER Working Paper n°17173.

Landais C. (2015), Assessing the welfare effects of unemployment benefits using the regressions kink design, Americain Economic Journal, 7(4), 243-278.

Salgado, M. F., Figari, F., Sutherland, H., & Tumino, A. (2014), Welfare compensation for unemployment in the Great Recession. Review of Income and Wealth, 60(S1), S177-S204.


[1Voir Annexe

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