Les marchés d’action : quelle place pour l’Europe

Patrick Roger, Université de Strasbourg (LaRGE)

Le 22 septembre 2000, les bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam ont fusionné pour créer Euronext, la première bourse transnationale. Il est permis de penser que ce mouvement de concentration va se poursuivre, même si l’état actuel des marchés financiers ne pousse pas à l’optimisme. Les objectifs de cette fusion sont clairs ; proposer une gamme de produits élargie et augmenter l’efficacité et la transparence des transactions en uniformisant les procédures de négociation et de cotation. Dans une perspective plus large, il s’agit aussi, bien évidemment, de positionner favorablement le marché européen face à ses concurrents nord-américains et asiatiques.

Mots-clefs : intégration des marchés, intégration des marchés des capitaux, marché d’actions.

Citer cet article

Patrick Roger « Les marchés d’action : quelle place pour l’Europe », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 7, 14 - 17, Hiver 2002.

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Cet article est destiné à faire un point quantitatif [1] sur l’importance de ces marchés européens [2] d’actions par rapport aux autres grands marchés mondiaux. Nous nous restreindrons ici aux comparaisons avec les marchés nord- américains [3] et ceux de la zone Asie-Pacifique [4]. Cette présentation succincte s’appuie sur trois séries de mesures de stocks et de flux ; le nombre des entreprises cotées ainsi que le nombre d’entreprises rayées de la cote ou nouvellement cotées, les capitalisations boursières et enfin le nombre de titres ainsi que les volumes échangés.

Le nombre d’entreprises cotées

Le tableau I donne, dans sa partie supérieure, pour chacun des marchés agrégés, le nombre de sociétés cotées en bourse à la fin des années 2000 et 2001 ainsi que la variation en pourcentage entre les deux dates. De plus, une distinction est faite entre les entreprises domestiques et les entreprises étrangères, ce qui est un indicateur de l’internationalisation des différents marchés. Il faut noter que, même si nous avons restreint l’analyse à trois zones représentant environ 27000 sociétés cotées, celles-ci représentent environ 85% de l’ensemble des sociétés cotées de par le monde.

Tableau 1 Nombre de firmes cotées, radiées et nouvelles
20012000Variation 2001/2000 en %
Firmes cotées Total Cies nationales Cies étrangères Total Cies nationales Cies étrangères
Amérique 11061 1069 992 11829 8239 1013 -6,49%
Europe 9312 8352 960 8856 7845 1011 5,15%
Asie – Pacifique 7728 6886 242 6987 6740 247 2,02%
Firmes rayées de la cote
Amérique 1465 445 39 1252 495 57 17,01%
Europe 591 510 81 593 529 64 -0,34%
Asie – Pacifique 195 179 16 141 118 23 38,30%
Nouvelles firmes cotées
Amérique 697 616 81 770 770 185 -27,02%
Europe 1093 1048 45 1338 1338 97 -23,83%
Asie – Pacifique 384 366 18 620 620 31 -41,01%

Source : World exchange federation.

On constate immédiatement que le marché européen regroupe un tiers des firmes cotées, devançant ainsi largement la zone Asie-Pacifique. Il est cependant bon de noter que les deux tiers des 9312 firmes cotées en Europe le sont sur quatre marchés, à savoir la Deutsche Börse (983), Euronext (1132), Londres (2332) et Madrid (1480).

Le pourcentage de firmes étrangères cotées, de l’ordre de 10%, est similaire en Europe et en Amérique du Nord, indiquant un degré proche d’internationalisation de ces deux marchés. Il s’agit cependant d’une interprétation un peu rapide des données agrégées dans la mesure où la zone européenne regroupe quinze pays alors que l’Amérique du Nord comprend ici uniquement les États-Unis et le Canada. Il est clair que si l’on considérait comme sociétés étrangères cotées en Europe uniquement celles dont le siège n’est pas situé dans l’un des quinze pays, ce pourcentage chuterait fortement.

Les deux parties inférieures du tableau I indiquent, quant à elles, la rotation des sociétés sur les marchés en précisant le nombre de firmes radiées et le nombre de firmes introduites. Il y a à ce stade une différence très nette dans les évolutions européenne et américaine [5] dans la mesure où les radiations sont beaucoup plus nombreuses sur le marché américain. Ces chiffres ne permettent cependant pas d’en tirer des conclusions tranchées quant au dynamisme des économies car les règles institutionnelles en matière de cotation et de radiation sont différentes d’un pays à l’autre. De plus les radiations ne constituent pas forcément un signal négatif car certaines d’entre elles peuvent provenir de fusions et donc d’un phénomène de concentration qui serait plus important aux Etats-Unis et au Canada. Ceci reste toutefois une hypothèse, les données disponibles ne permettant pas de trancher ce point. En effet, si l’on considère les 5% (en nombre de firmes cotées) de sociétés les plus capitalisées, elles représentent en moyenne 65% de la capitalisation boursière sur les marchés nord-américains [6] contre 69% sur les marchés européens, ce qui ne constitue pas une différence significative compte tenu de la méthodologie employée pour obtenir ces pourcentages [7].

Les capitalisations boursières

Les données de capitalisations boursières donnent une image différente de l’importance des trois zones. Précisons toutefois qu’il s’agit des capitalisations des entreprises domestiques uniquement. La différence est très nette à ce niveau puisque le marché nord américain représente plus de deux fois le marché européen à la fin de l’année 2001. Pendant cette période, la baisse est de l’ordre de 20% en Europe et dans la zone Asie-Pacifique, soit le double de la variation du marché américain. Cette évolution est due, pour une grande part, à l’évolution des indices mais aussi, puisqu’il s’agit de capitalisations agrégées, au solde entre les nouvelles sociétés cotées et celles qui ont été rayées de la cote pendant cette période, ce dernier argument restant toutefois marginal. En effet, les indices américains ont perdu entre 5,6% pour l’AMEX Composite Index et 21,1% pour le Nasdaq Composite Index, le Dow Jones perdant simplement 7,2%, alors que les quatre grands marchés européens ont perdu entre 15 et 25% dans le même temps.

Tableau II : Capitalisation boursière (en millions de dollars US)
20012000Variation 2001/2000 en %
Amérique 14.523.689,7 16.051.926,0 -9,52%
Europe 6.841.883,2 8.470.442,0 -19,23%
Asie –Pacifique 3.504.589,8 4.512.102,9 -22,33%

Source : World exchange federation.

Les volumes de transaction

Si l’on s’intéresse maintenant à la mesure de flux la plus classique, à savoir le volume de transactions réalisées sur les différents marchés, il convient d’être prudent dans le choix des unités. En effet, ce volume peut être mesuré en nombre de titres échangés et c’est, dans une certaine mesure, la meilleure approche du volume d’activité puisqu’elle neutralise les effets d’évolution des prix et de taux de change. Toutefois, elle ne permet pas d’évaluer l’importance des échanges dans l’absolu.

En conséquence, nous présentons ci-après les données correspondant au nombre de titres échangés [8] (tableau III) ainsi que les montants échangés. Les statistiques de la WFE étant fournies en devises locales, nous avons converti ces montants en dollars US (tableau IV).

Précisons tout d’abord que la baisse importante du nombre de titres échangés dans la zone Asie-Pacifique est due principalement au recul de 35% des échanges à Hong-Kong, qui présente bien évidemment une situation particulière. L’évolution des deux autres zones est comparable avec une progression du nombre de titres échangés de 10,4% pour l’Amérique du Nord et de 16% pour l’Europe. Toutefois cette progression doit être analysée avec prudence compte tenu de la baisse des prix unitaires des titres pendant cette période. En fait, si l’on considère le nombre de transactions et non plus le nombre de titres, on observe une stabilité en Amérique et une baisse de 5% en Europe [9]. Par ailleurs, le niveau absolu du nombre de titres échangés ne peut faire l’objet d’interprétations pertinentes car les pratiques d’un marché à l’autre peuvent être différentes quant au prix unitaire. A titre d’exemple, il peut arriver que lorsqu’une action fait l’objet de contrats d’options négociables, une opération sur titres (multiplication du nombre de titres en circulation) soit réalisée de façon à diminuer le prix unitaire du sous-jacent sans que cela ait une influence sur la valeur de la firme considérée.

Si l’on analyse maintenant les données concernant les montants échangés, il apparaît que le marché nord-américain traite des volumes bien plus importants que le marché européen et le marché Asie-Pacifique. Par contre l’évolution entre 2000 et 2001 est très contrastée puisqu’il y a quasi-stabilité pour l’Europe et baisse très importante pour l’Amérique du Nord et l’Asie. Deux effets permettent d’expliquer cette évolution différenciée. Le premier concerne l’évolution du taux de change puisqu’il fallait 1,06512 euro à la fin 2000 pour acheter un dollar US alors que ce taux de change était de 1,1231 à fin 2001. La seconde explication est liée au Nasdaq dont le volume d’échange a été divisé par deux entre 2000 et 2001, cette division étant uniquement liée à la chute des cours des valeurs technologiques puisque le nombre de titres échangés a augmenté entre 2000 et 2001.

Tableau III : Nombre de titres échangés ( en millions)
20012000Variation 2001/2000 en %
Amérique 838.061,3 759.378,1 10,36%
Europe 1.291.289,4 1.107.261,3 16,62%
Asie –Pacifique 2.085.817,6 2.882.478,9 -27,64%

Source : World exchange federation.

Tableau IV : Volumes de transactions (en millions de dollars US)
20012000Variation 2001/2000 en %
Amérique 23.413.432,5 33.633.625,1 -30,39%
Europe 18.691561,5 18.849.486,1 -0,84%
Asie –Pacifique 2.648.241,3 3.677.401,1 -27,99%

Source : World exchange federation.

Conclusion

Le point chiffré réalisé dans cet article n’a pas la prétention de faire une comparaison approfondie des marchés financiers de trois grandes zones économiques mais simplement de rappeler des éléments statistiques permettant de donner une idée plus précise de l’importance relative des marchés d’actions. Il apparaît clairement que l’Europe des quinze est loin d’être négligeable de ce point de vue. Il est tout aussi clair cependant que, même si un mouvement de fusion des bourses de valeurs a vu le jour avec la création d’Euronext, un long chemin reste à parcourir puisque l’un des plus grands marchés financiers européens, la bourse de Londres, est situé dans un pays n’ayant pas adopté l’Euro. Il nous semble, mais ce point de vue est personnel et donc subjectif, que l’union européenne des marchés boursiers ne pourra être réalisée de manière efficace tant que le Royaume-Uni restera en dehors de l’Euro.

Si l’on analyse maintenant les données concernant les montants échangés, il apparaît que le marché nord-américain traite des volumes bien plus importants que le marché européen et le marché Asie-Pacifique. Par contre l’évolution entre 2000 et 2001 est très contrastée puisqu’il y a quasi-stabilité pour l’Europe et baisse très importante pour l’Amérique du Nord et l’Asie. Deux effets permettent d’expliquer cette évolution différenciée. Le premier concerne l’évolution du taux de change puisqu’il fallait 1,06512 euro à la fin 2000 pour acheter un dollar US alors que ce taux de change était de 1,1231 à fin 2001. La seconde explication est liée au Nasdaq dont le volume d’échange a été divisé par deux entre 2000 et 2001, cette division étant uniquement liée à la chute des cours des valeurs technologiques puisque le nombre de titres échangés a augmenté entre 2000 et 2001.


[1Les statistiques utilisées proviennent de la World Exchanges Federation et peuvent être téléchargées sur www.world-exchanges.org.

[2Les pays retenus sont la Grèce, l’Espagne (Barcelone, Bilbao, Madrid, Valence), le Danemark, l’Allemagne (Deutsche Börse), la France, la Belgique et les Pays-Bas regroupés dans + Euronext (comprenant les bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam), la Finlande, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Suède, l’Autriche.

[3Les places retenues sont Amex, Canadian Venture Exchange, Chicago, Nasdaq, NYSE, Toronto.

[4Les pays retenus sont l’Australie, Hong Kong, Corée du Sud, Nouvelle Zélande, Japon (Osaka et Tokyo), et Singapour.

[5La rubrique Nombre de Sociétés Cotées n’étant pas renseignée en 2000 pour le Canadian Venture Exchange, nous avons considéré que le nombre était identique à celui de 2001. Par ailleurs, le lecteur pourra constater qu’il existe un léger écart (pour l’Europe et la zone Asie-Pacifique) entre le nombre de sociétés cotées fin 2001 et ce nombre fin 2000 auquel on ajoute les nouvelles sociétés et l’on retranche les sociétés radiées. Nous n’avons pas d’explication de cet écart mais il reste marginal par rapport aux données considérées et n’est donc pas susceptible de fausser les interprétations.

[6Précisons toutefois que ces données ne sont pas disponibles pour le Canadian Venture Exchange.

[7Nous avons calculé les moyennes de ces pourcentages sur les marchés considérés, ce qui est très différent d’un calcul consistant à considérer toutes les sociétés, européennes par exemple, et à calculer la capitalisation globale du quantile à 5% supérieur.

[8Pour le nombre de titres échangés sur le Canadian Venture Exchange en 2001, non renseigné, nous avons supposé que la variation était identique à celle observée sur le marché de Toronto, soit une baisse de 8,7%.

[9Les données de la zone Asie-Pacifique ne sont pas significatives car nous ne possédons pas les informations de Tokyo et Singapour.

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