Consolidation budgétaire et croissance économique

Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)

La stratégie européenne fondée exclusivement sur des mesures d’assainissement des finances publiques s’est révélée peu efficace. En effet, non seulement elle n’a pas réussi à atteindre son objectif, mais elle a aussi détérioré la situation économique de la plupart des pays européens. De ce fait, s’est imposée l’idée d’accompagner les mesures de consolidation budgétaire par une politique de croissance économique. Mais il ne semble pas y avoir de consensus sur la façon de concilier ces deux catégories de dispositions et sur la nature des mesures devant favoriser la croissance économique.

Mots-clefs : consolidation budgétaire, croissance économique, discipline budgétaire.

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Gilbert Koenig « Consolidation budgétaire et croissance économique », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 26, 5 - 10, Été 2012.

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En se contentant de réagir aux situations de récession économique de la plupart des pays européens par l’élaboration d’un pacte budgétaire en janvier 2012 [1], les instances européennes semblent considérer que des finances publiques saines garanties par un strict respect d’une discipline budgétaire rigoureuse assurent une économie réelle favorable à une croissance économique durable. Or l’effondrement des économies de l’Espagne et de l’Irlande dont les responsables étaient cités en exemple avant la crise pour leur bonne gestion des finances publiques montre que des finances publiques saines n’assurent pas nécessairement une économie réelle saine. En déclarant devant le Parlement européen le 25 avril 2012 qu’ayant un pacte budgétaire, « nous devons revenir en arrière et en faire un pacte de croissance », le président de la BCE semblait affirmer la priorité de l’objectif de croissance sur celui de discipline budgétaire. Mais ce propos a été rapidement corrigé. Il s’agit plutôt d’ajouter que de substituer un pacte de croissance au pacte budgétaire. Malgré cette correction, le propos conserve une certaine originalité. En effet, il rompt avec la croyance selon laquelle le renforcement de la discipline prévu dans le pacte budgétaire et les mesures d’austérité budgétaire imposées aux pays européens en difficulté en vue d’assainir leurs finances publiques sont susceptibles, à eux seuls, d’engendrer la reprise économique. Par contre, la suite de la déclaration du président de la BCE qui évoque les mesures devant favoriser la croissance semble nettement moins originale, car ces dispositions d’ordre essentiellement structurel sont préconisées par les instances européennes depuis de nombreuses années. Dans cette perspective, les politiques d’assainissement des finances publiques doivent rester guidées prioritairement par les considérations de discipline budgétaire, mais elles doivent être complétées par des mesures structurelles de croissance. Une telle stratégie risque d’être peu efficace si, comme celle mise en œuvre actuellement, elle sous-estime les effets des mesures d’assainissement des finances publiques sur le niveau d’activité et si les dispositions devant favoriser la croissance se limitent à une stimulation de l’offre globale. Les insuffisances d’une telle stratégie ont suscité des propositions alternatives qui tentent de concilier les politiques de consolidation budgétaire et les mesures de croissance économique.

Les effets des mesures d’assainissement des finances publiques sur le niveau d’activité

Les programmes de consolidation budgétaire adoptés volontairement par les pays européens ou imposés à certains par l’Union européenne supposent généralement qu’ils n’exercent pas d’effets significatifs sur le niveau d’activité de court terme. Ils se fondent sur les hypothèses retenues par certains économistes sur les réactions des agents économiques à une baisse des dépenses publiques ou à une hausse des impôts. Selon ces hypothèses, les agents prévoient que la baisse des dépenses publiques courantes entraînera dans l’avenir une réduction de leurs charges fiscales. De ce fait, ayant besoin de moins épargner dans l’immédiat pour faire face à leurs charges futures, ils peuvent dépenser plus. De plus, la diminution des besoins de financement public permet de détendre les taux d’intérêt, ce qui favorise l’investissement privé. Dès lors, une baisse initiale des dépenses publiques peut être compensée, totalement ou partiellement, par une hausse des dépenses privées. Le multiplicateur budgétaire qui traduit l’incidence d’une variation des dépenses publiques sur le PIB est donc nul ou très faible. De ce fait, l’effet initial d’une baisse des dépenses publiques sur le déficit budgétaire est peu atténué par l’incidence éventuelle d’une diminution du PIB sur ce déficit. Les autorités européennes pensent ainsi rassurer les marchés financiers en attendant que les mesures structurelles qui accompagnent leurs politiques génèrent une croissance à moyen et long terme.

Ce schéma théorique a l’inconvénient de ne pas être vérifié empiriquement. En effet, la plupart des travaux économétriques récents montrent qu’une variation des dépenses publiques détermine une modification de même sens, et non de sens opposé, de la consommation privée. Ce résultat n’est pas seulement dû à une rationalité moins forte que celle prêtée aux agents, mais aussi à l’existence d’un nombre non négligeable de consommateurs qui n’ayant aucune capacité d’épargne dépensent tous leurs revenus. Donc la baisse du revenu induite par celle des dépenses publiques détermine une diminution de la consommation de ces agents. De plus, en comptant sur la baisse des coûts de financement et sur les anticipations de charges fiscales allégées pour relancer l’investissement privé, on néglige le rôle des prévisions sur les débouchés dans la décision d’investir. Or de telles anticipations risquent d’être pessimistes dans un contexte de ralentissement conjoncturel accentué par des mesures budgétaires restrictives, ce qui risque de détériorer l’investissement privé. Du fait de ses effets négatifs sur la demande macroéconomique, la baisse des dépenses publiques peut réduire d’une façon significative le PIB à court terme. Cette incidence est particulièrement importante dans la zone euro, car ses membres sont commercialement très interdépendants et mènent tous des politiques budgétaires restrictives. Un groupe d’économistes a évalué récemment l’importance des effets d’une variation des dépenses publiques sur le PIB dans l’Union européenne en se fondant sur 7 modèles structurels dont ceux utilisés par la BCE, la Commission européenne et l’OCDE [2]. D’après cette étude, une baisse temporaire des dépenses publiques de 1 % du PIB détermine une réduction de 0,9 % à 1,3 % du PIB. Cette incidence peut être renforcée par la hausse du taux d’intérêt réel qui résulte du ralentissement de l’inflation induit par la baisse du niveau d’activité pour un taux d’intérêt nominal que la BCE ne semble pas disposer à réduire.

Les mesures structurelles favorisant la croissance

Dans sa déclaration devant le Parlement européen, le président de la BCE rappelle les mesures structurelles qui sont préconisées depuis la naissance de l’Union européenne pour soutenir ou relancer la croissance économique. Ces dispositions qui devront figurer dans le futur pacte de croissance ont déjà été imposées aux pays européens en grande difficulté .Certaines d’entre elles ont comme objet d’améliorer le rendement du secteur public et de réduire le rôle de l’Etat considéré comme moins efficace que le secteur privé concurrentiel. C’est le cas des privatisations, de la baisse des subventions publiques, du blocage ou de la baisse des traitements des fonctionnaires et de la diminution du nombre de ces agents. Ces mesures risquent de détériorer les services publics, comme on peut déjà l’observer en Grèce et en Espagne. Or, la qualité de ces services constitue souvent, pour les entreprises, un attrait dont l’avantage peut surcompenser l’inconvénient d’un coût du travail jugé élevé, comme en France. De plus, en affectant les secteurs de la santé et de l’éducation, ces dispositions risquent de détériorer des facteurs importants de la croissance à long terme d’un pays. Quant aux privatisations, parfois effectuées sans ciblage précis, comme en Grèce, elles peuvent être contre-productives, notamment si elles aboutissent à substituer à un monopole public un monopole privé ou un oligopole avec ententes.

Les autres réformes structurelles préconisées visent à améliorer la compétitivité des entreprises par une réduction du coût du travail et une augmentation de la flexibilité du marché du travail. Elles relèvent exclusivement d’une politique de l’offre dont les fondements théoriques ont fait l’objet de controverses anciennes qui semblaient closes depuis longtemps. C’est ainsi que le rôle stimulant de la baisse du coût du travail, notamment dans des situations de basse conjoncture ou de récession, a été largement mis en cause par Keynes et contredit par l’expérience des années 30. En effet, une perspective qui limite la détermination du niveau de l’emploi au seul marché du travail néglige l’interdépendance des marchés. C’est ainsi qu’une baisse des salaires nominaux obtenue sur le marché du travail aura nécessairement des effets négatifs sur le marché des biens en réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs et les anticipations des investisseurs sur les débouchés de la production qui résulteraient du capital nouvellement formé. Il en va de même de la baisse des charges sociales patronales compensée par une TVA sociale qui pèsera sur les consommateurs.

Le président de la BCE reconnaît que certaines des mesures qu’il préconise peuvent avoir des effets qui « font mal », notamment sur le plan social. Mais elles lui paraissent nécessaires pour conforter à terme « un modèle social soutenable » compte tenu de la contrainte de finances publiques saines. Cette expression semble indiquer que les citoyens européens devraient accepter de sacrifier une partie de leurs conquêtes sociales tant que les conditions financières imposées aux Etats ne sont pas remplies et éventuellement se contenter de leur nouvelle situation sociale pour maintenir ces conditions. Une telle conception semble admettre que des mesures entraînant une certaine détérioration des conditions sociales sont nécessaires pour stimuler la croissance économique, alors que certaines études sociologiques montrent plutôt que de bonnes conditions sociales favorisent la croissance.

Faute de fondements théoriques et empiriques convaincants des mesures préconisées par les instances européennes, on essaie parfois de les justifier par des expériences de libéralisation effectuées à l’étranger. L’exemple le plus souvent évoqué est celui du redressement de l’économie suédoise dans les années 90. Mais une analyse sérieuse de ce cas montre qu’une grande partie de ce succès a été dû à des taux d’intérêt faibles et surtout à une dépréciation importante de la monnaie suédoise qui a stimulée la demande étrangère de produits suédois [3]. En fait, cette expérience montre que la croissance économique ne peut résulter que de mesures favorisant à la fois l’offre et la demande globales, comme l’a montré Keynes dès 1936 en spécifiant le principe de la demande effective. Il semble que l’Allemagne, pourtant fervent défenseur de l’orthodoxie budgétaire, ait pris conscience de cette nécessité en acceptant récemment des hausses de salaires substantielles dans certains secteurs.

L’efficacité des mesures actuelles de consolidation budgétaire

En annonçant un assainissement rapide des finances publiques des pays européens par les programmes qu’elles préconisent ou imposent, les instances européennes espèrent rassurer les marchés financiers et éviter ainsi une hausse des charges de l’endettement public en attendant le retour d’une croissance économique à moyen et long terme. Mais, si elles ne réussissent pas à convaincre les agences de notation, elles ne pourront pas atteindre cet objectif. Or, ces agences qui se placent dans une perspective de court terme tiennent compte, dans leurs évaluations des stratégies des Etats, des effets de ces stratégies sur la solidité financière, économique et institutionnelle de ces derniers [4].

La solidité financière qui est mesurée par l’importance du déficit et de l’endettement publics ne peut être rétablie que progressivement par les mesures préconisées en Europe. En effet, si l’on considère par exemple qu’une baisse initiale du déficit budgétaire de 1 % du PIB induite par celle des dépenses publiques détermine une réduction de 1 % du PIB, conformément à l’analyse empirique spécifiée ci-dessus, et si l’on admet, avec P. Artus [5], que cette diminution du PIB rétroagit sur le déficit budgétaire en l’augmentant de 0,5 % du PIB, la baisse finale du déficit est moitié moins forte que la réduction initiale. Donc, l’amélioration des déficits ne peut se faire que progressivement au prix du maintien ou du renforcement de l’austérité. De plus, elle n’agit que lentement sur l’endettement qui pendant un certain temps continue à croître. Cette progressivité est parfois sous-estimée par certains pays européens qui, de ce fait, annoncent des progrès en matière d’assainissement budgétaire qu’ils ne peuvent pas réaliser à court terme, ce qui renforce la défiance des marchés financiers.

A cette défiance s’ajoute celle que suscite l’ébranlement de la solidité économique des pays résultant de la récession provoquée par les plans d’austérité. Pour tenter d’atténuer cet effet, le Système Européen des Banques Centrales a accru la liquidité des banques d’environ 1000 milliards d’euros en 2012 dans l’espoir que cela permettra de développer le crédit à l’économie. Mais, il semble qu’une grande partie de ces ressources soit utilisée pour renforcer le capital des banques et pour acheter des titres publics. Mais si le volume des crédits n’a pas augmenté autant qu’on l’espérait, ce n’est pas uniquement à cause des réticences des banques à accorder des crédits, mais aussi parce que la demande était relativement faible du fait des perspectives pessimistes des investisseurs sur les débouchés de leurs produits et de celles des acquéreurs de biens durables sur leurs chances de conserver leurs emplois.

L’austérité qui résulte des plans anti-déficit a suscité une troisième cause de défiance des agences de notation en affaiblissant la solidité institutionnelle qui mesure la capacité d’un pays à mener une politique capable de faire supporter à ses citoyens les coûts de l’assainissement financier.Cet affaiblissement provoqué par les manifestations des citoyens contre les mesures qui les frappent s’est notamment traduit en Europe par des changements politiques à l’occasion d’élections anticipées, par le développement de partis extrémistes généralement hostiles à la construction européenne au moins sous sa forme actuelle et à l’extension d’un sentiment anti-européen chez les citoyens. Cet effet a été sous-estimé, probablement en souvenir de mesures d’austérité aussi rigoureuses qui ont été appliquées jadis à certains pays non européens par le FMI et qui n’ont pas soulevées d’opposition, en oubliant le caractère non démocratique de ces pays.

Donc, si l’on se fonde sur les critères des agences de notation, il ne semble pas que les programmes d’assainissement financier tel qu’ils sont conçus actuellement par l’Union européenne et le FMI aient beaucoup de chances de rassurer les marchés financiers. Les instances européennes espèrent cependant susciter une certaine confiance en ouvrant la perspective d’une croissance économique à moyen et long terme qui succéderait à une récession temporaire à court terme. Mais, là encore il sera difficile de convaincre les opérateurs financiers. En effet, leur horizon est généralement limité au court terme. De plus, les mesures prises, notamment celles imposées aux pays en grande difficulté, sont généralement trop globales et insuffisamment différenciées pour favoriser la croissance à long terme. C’est ainsi que la baisse indifférenciée du nombre d’agents publics peut accroître le rendement dans certains secteurs, mais défavoriser la croissance en touchant les secteurs de l’éducation et de la santé.

Les perspectives de conciliation de la consolidation budgétaire et de la croissance économique

Différentes propositions sont faites pour tenter de concilier les mesures de consolidation budgétaire et la croissance économique. Certaines d’entre elles envisagent d’amender et de réorienter les programmes actuels, d’autres prennent le contre-pied des principes qui fondent la stratégie actuelle de l’Union européenne en préconisant une relance économique.

Une stratégie de baisse des déficits publics peut avoir des chances de convaincre les agences de notation, si ses mesures ne réduisent pas d’une façon trop importante le PIB à court terme et si elles sont susceptibles de favoriser la croissance de moyen et long terme. Les programmes anti-déficit actuellement préconisés et imposés aux pays européens devraient être amendés par différentes mesures si l’on veut réduire leurs effets négatifs sur la croissance. L’assainissement des finances publiques doit être progressif, ce qui va à l’encontre de la pratique de l’Union européenne. En effet, celle-ci exige des rééquilibrages rapides qui ne peuvent souvent n’être réalisés qu’au prix d’une forte baisse du PIB et de perturbations sociales importantes, comme en Espagne et en Italie. De plus, les mesures d’assainissement devraient être différenciées selon leurs impacts de court et de long terme. En effet, il conviendrait de privilégier les actions sur les dépenses et les recettes publiques qui ont une incidence faible ou nulle sur le niveau d’activité. C’est ainsi que les deux programmes anti-déficit lancés en 2011 par la France comportent des baisses des dépenses fiscales et sociales de l’Etat réalisées par l’élimination de niches fiscales et sociales qui n’avaient aucune efficacité économique [6].Par contre, certaines dépenses, comme celles faites dans le secteur de l’éducation et de la recherche scientifique, devraient être maintenues, voire accrues, pour assurer les conditions d’une croissance de long terme. Mais toutes ces actions devraient être adaptées aux structures spécifiques des pays concernés. En effet, il paraît peu judicieux d’imposer la même thérapeutique à des pays comme la Grèce et l’Espagne, qui, bien qu’en grande difficulté tous les deux, ne le sont pas pour les mêmes raisons. Si le rythme des programmes anti-déficit ainsi amendés est trop lent pour rassurer les marchés financiers, il conviendra de compléter cette stratégie par des mesures la rendant moins dépendante des appréciations des agences de notation. On peut notamment envisager une mutualisation des dettes des pays européens, ce qui nécessiterait un abandon au moins partiel des souverainetés budgétaires nationales, et la possibilité pour les Etats de recourir au financement monétaire de la BCE, ce qui impliquerait un changement de statut de la banque centrale.

La seconde voie envisagée pour concilier l’assainissement des finances publiques et la croissance économique est celle de la relance. En proposant des relances économiques menées au niveau national, on espère stimuler une croissance économique susceptible de réduire le chômage tout en améliorant les comptes publics. En effet, une augmentation des dépenses publiques financée entièrement par des impôts ne modifie pas dans l’immédiat le déficit budgétaire. Par contre, elle stimule l’activité économique, car la hausse du PIB induite par celle des dépenses publiques n’est pas entièrement compensée par sa baisse provoquée par l’accroissement des impôts, ce qui est vérifié empiriquement. En accroissant le revenu disponible, elle augmente la consommation privée. En induisant une inflation plus importante, elle réduit le taux d’intérêt réel si la banque centrale maintient le taux d’intérêt nominal. Du fait de cette incidence et des perspectives de débouchés ouvertes par la hausse du niveau d’activité, les entreprises sont incitées à augmenter leurs
investissements. L’augmentation nette du PIB qui en résulte entraîne celle des rentrées fiscales, ce qui réduit le déficit budgétaire. La stabilisation de la dette publique en termes réels qui en résulte si cette stratégie est maintenue est favorisée par la hausse de l’inflation. Une telle stratégie est susceptible de convaincre les agences de notation, car elle améliore la situation des finances publiques et l’activité économique tout en fournissant les conditions d’une croissance à moyen et long terme. Elle comporte cependant le risque d’une perte de compétitivité internationale, ce qui peut entraîner une baisse des exportations. Cette diminution accentue le déficit commercial induit par la hausse des importations résultant de celle de l’activité économique nationale. De plus, elle freine l’effet de la hausse de la demande nationale sur le PIB. La baisse de la demande externe peut même être plus forte que la hausse de la demande interne, ce qui peut rendre cette stratégie contre-productive. Mais même dans le cas où une telle politique pourrait se révéler efficace, elle comporte une hausse de la pression fiscale qu’il peut être difficile à faire accepter. Faute d’une telle acceptation, il convient de recourir à un financement de la hausse des dépenses publiques par emprunt.

Cette stratégie permet, comme la précédente, d’assurer la solidité économique sous certaines conditions, mais elle détermine une hausse du déficit budgétaire dans l’immédiat qui ne peut être que freinée par l’accroissement des recettes fiscales provenant de la hausse du niveau d’activité si l’on suppose, comme précédemment, un multiplicateur budgétaire unitaire pour le PIB et une baisse du déficit budgétaire représentant 0,5 % du PIB. La hausse nette du déficit budgétaire qui résulte de cette stratégie suscitera la défiance des marchés financiers, ce qui se répercutera sur le coût des emprunts publics et accentuera la détérioration des finances publiques. Une telle relance menée sur le plan national n’est donc envisageable que si le pays est déconnecté des marchés financiers. Une telle déconnexion pourrait se réaliser, par exemple, si les pays européens pouvaient financer leur relance par des titres émis par l’Union européenne, laquelle est susceptible d’obtenir les meilleures conditions sur les marchés internationaux, car elle n’est pas endettée. Cette solution nécessiterait une coordination des programmes de relance nationaux sous le contrôle des instances européennes. Elle pourrait être complétée par une relance sur le plan européen financée par des fonds structurels qui sont immédiatement disponibles, selon le président du Parlement européen, par les ressources du Mécanisme Européen de Stabilisation (MES) et par des taxes communautaires nouvelles, comme une taxe sur les transactions financières et une taxe carbone. Un projet de cette nature aurait été envisagé par la Commission européenne, selon une information diffusée le 29 avril 2012, par le journal espagnol EL Pais. Il consiste à lancer une sorte de plan Marshall d’investissements privés et publics de 200 milliards d’euros en travaux d’infrastructure, d’énergie renouvelable et de technologie de pointe. Le financement du projet pourrait être assuré par l’intermédiaire de la Banque Européenne d’Investissement et du MES ou par les apports des pays européens. Bien que son existence ait été démentie par le président de la Commission européenne, ce projet constitue une perspective réalisable pour soutenir la croissance européenne. Mais, compte tenu de l’importance du budget prévu dans ce projet, une relance sur le plan européen serait insuffisante pour assurer à elle seule le redressement économique et financier des pays européens. Par contre, elle serait nécessaire pour soutenir des programmes nationaux, notamment en atténuant les effets négatifs éventuels du programme de redressement de chaque pays sur l’activité économique des autres.

Conclusion

Devant la détérioration de la situation économique européenne, les responsables européens semblent avoir pris conscience de la nécessité d’une politique de croissance économique. En effet, en se contentant de prendre des mesures restrictives pour assainir les finances publiques des pays européens, ils ont négligé l’un des buts essentiels de l’Union Européenne, celui de promouvoir « le bien-être de ses peuples »(article 3 du Traité sur l’Union Européenne).Cette prise de conscience semble être partagée actuellement par la plupart des responsables politique et économiques. Mais, il n’y a pas de consensus sur la façon de concilier les mesures de consolidation budgétaire et de croissance économique et sur la nature de la politique de croissance. Il est peu probable que l’on puisse assainir les finances publiques et assurer une reprise économique en juxtaposant aux mesures actuelles de consolidation budgétaire dont on connaît les effets négatifs sur l’activité économique, un pacte de croissance orienté essentiellement vers le contrôle du coût du travail et la flexibilité du marché du travail. En effet, ces deux catégories de mesures ne peuvent pas être conçues indépendamment l’une de l’autre, car la consolidation budgétaire a nécessairement des effets sur la croissance et cette dernière est indispensable pour l’assainissement des finances publiques. De plus, la croissance économique ne peut être retrouvée que par des politiques favorisant à la fois l’offre et la demande globales. Peut-être, devant la situation économique grave des pays européens, la Commission européenne fera t-elle des concessions sur les principes de rigueur budgétaire et de gestion de la croissance économique qui sont édictés dans les traités européens, comme l’a fait la BCE pour ses interventions monétaires ces derniers mois. Mais, il faudra que ces concessions soient effectuées suffisamment vite pour éviter une crise encore plus grave mettant en cause les fondements politiques et institutionnels de l’Union européenne.


[1Le pacte budgétaire européen, appelé traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a été établi lors du sommet de l’Union Européenne du 30 janvier 2012 et signé le 2 mars 2012 par 25 Etats sur les 27 de l’UE. Voir ses principales dispositions dans le Bulletin mensuel de la BCE de mars 2012, p.101-102 et dans l’article de D. Broussolle du présent numéro du Bulletin de l’OPEE.

[2G. Coenen et al. (2012), “Effects of fiscal stimulus in structural models”, American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 4 (1), p.22-68.

[3J.-F. Vidal (2010), « Crises et transformations du modèle social-démocrate suédois », Revue de la Régulation, n°8

[4Ces critères sont notamment adoptés par Moody’s . Voir Le Monde (14-01-2012), « De l’analyste au comité de notation, le travail des agences de A à Z ».

[5Artus (2011), « Le multiplicateur budgétaire : pour chaque pays de l’Union Européenne ou pour l’ensemble de l’Union Européenne ? », Flash Economie, Natixis, n°685.

[6Voir G. Koenig, « Les plans français de lutte contre les déficits publics », Les Cahiers Français, n°366, p.77-82.

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