Du projet de traité constitutionnel au traité modificatif dit « simplifié » : observations fragmentaires

Damien Broussolle, Institut d'Etudes Politiques, Université de Strasbourg (LaRGE),

Après l’enrayement de la procédure de ratification du projet de traité constitutionnel, un nouveau traité modificatif a été adopté par les chefs de gouvernement en octobre dernier. Ce texte sera proposé le 14 décembre prochain au parlement français pour ratification. Il est fréquemment présenté en France comme « simplifié ». Ce bref article réagit au qualificatif « simplifié » et revient sur quelques points qui ont fait débat.

Mots-clefs : Traité Constitutionnel , conception européenne de la concurrence, intégration des marchés de services, libéralisation des marchés de services, libre circulation des personnes, service public.

Citer cet article

Damien Broussolle « Du projet de traité constitutionnel au traité modificatif dit « simplifié » : observations fragmentaires », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 17, 4 - 5, Hiver 2007.

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Un traité simplifié ?

Le traité modificatif comprend un peu plus de 150 pages (auquel il faut en ajouter environ 70 pour les protocoles additionnels qui ont la même valeur juridique), le projet constitutionnel en comprenait environ 340. Il s’agit là en apparence d’une simplification d’ampleur. Toutefois le titre III du traité constitutionnel, qui ne faisait que reprendre les dispositions économiques déjà en vigueur a été retiré, il en représentait à lui seul 241. La charte européenne des droits et liberté ne se trouve plus non plus, en entier, dans le document. De telle sorte que, sur le plan élémentaire du nombre de pages, le traité « simplifié », est plus long que le projet de traité constitutionnel délesté des éléments signalés. Plus fondamentalement, de nombreux observateurs ont fait remarquer que le traité modificatif reprenait la majeure partie du texte du projet constitutionnel avec quelques modifications « cosmétiques » selon l’expression de Valéry Giscard d’Estaing. C’est ainsi que le think tank Openeurope, à l’issue d’une étude comparative détaillée conclut que 96% du traité de 2004 se retrouve dans le traité modificatif de 2007.

Aux yeux du lecteur, le principal changement qui s’impose est le caractère incompréhensible du traité modificatif pour un non spécialiste, puisqu’il prend la forme d’une série d’amendements aux traités précédents. Cette présentation a malgré tout l’avantage de faire apparaître ce que le traité modificatif modifie dans les traités actuels.

Par rapport au projet constitutionnel, au-delà de certains changements symboliques, comme le retrait de la mention de l’hymne européen ou du drapeau, qui de toute façon existent de fait, quels sont les évolutions apportées par les gouvernements sur les points économiques largement débattus en France ?

Que sont devenus les sujets économiques qui ont fait débat en France ?

Le débat en France a été fréquemment centré sur la place réservée à la libre concurrence (article I-3) et aux services publics.

La presse française a souligné que la concurrence libre et non faussée disparaît de l’article 3, ce qui a suscité l’ire de certains observateurs comme celle de Giuliano Amato, président du Comité d’action pour la démocratie européenne. Il faut toutefois reconnaître que cette disparition n’a aucune conséquence. Cela ne remet pas en cause la place de la concurrence, qui apparaît à d’autres endroits des traités, de sorte que sa présence ou son absence de l’article 3 est surtout symbolique. Malgré cela, le nouveau texte la réintroduit dans le protocole n°6 annexé à l’article 3 et par le biais d’une référence à l’article 308 (TUE consolidé), il en fait un objectif de l’union. Rien n’a donc changé.

L’article 3 comporte cependant une nouveauté, puisque dans son alinéa 4 il fait référence à l’union économique et monétaire et à l’Euro. Toutefois, le texte du traité n’envisage toujours pas l’harmonisation de certaines politiques à caractère économique, comme la fiscalité, pourtant éminemment souhaitable dans le cadre d’une monnaie unique. Le cadre économique de l’union monétaire reste limité à une coordination des politiques économiques, sans véritable coopération, ni solidarité. De la même façon, une politique de change reste hors de propos.

Pour ce qui est des services, le nouveau texte apporte une modification apparemment byzantine aux traités existants. Il transforme la phrase : « Les États membres se déclarent disposés à procéder à la libération des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu des directives arrêtées » (art. 53 TUE consolidé) en « s’efforcent de procéder ». Il faut croire qu’en français s’efforcer a une valeur très supérieure à être disposé à (la version anglaise passe de shall endeavour à readiness). A tout le moins, si un tel changement, déjà prévu dans le traité constitutionnel, a été maintenu dans le traité « simplifié », c’est probablement qu’il comporte un enjeu significatif. S’agirait-il de donner une valeur juridique plus forte à la politique de mise en concurrence des services ?

Libre circulation des personnes et contrôle des flux de population

L’article 3 du nouveau texte comporte encore un autre changement par rapport au traité constitutionnel. Son alinéa, consacré à la libre circulation des personnes, se trouve prolongé par la phrase « en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ». Cet ajout surprenant, sous-entend que la libre circulation des personnes inquiète. Cela correspond-il à ce que les gouvernements ont déduits des référendums négatifs : la crainte de l’étranger ? Quoiqu’il en soit, une politique commune harmonisée dans ces domaines figurait déjà dans le projet constitutionnel. L’harmonisation refusée pour un certain nombre de domaines se trouve donc acceptée ici. Il n’est pas certain que ce soit une bonne nouvelle pour les demandeurs d’asiles. Il se pourrait bien que cela se traduise, pour ceux qui sont déboutés, par une diminution des possibilités de recours. En effet, en cas de refus, il leur deviendrait impossible de tenter leur chance dans un autre pays de l’UE.

Finalement, dans sa quasi-totalité, le traité dit « simplifié » est semblable au projet constitutionnel. Les éléments économiques qui avaient fait l’objet de débats n’ont pas évolué. Le parlement français se prépare donc à voter un texte quasi identique à celui qui avait été refusé par référendum. Rappelons qu’une des origines des nouveaux textes était la nécessité de corriger le traité de Nice sur le fonctionnement de la Commission, la répartition des votes et le poids des pays. Des textes aussi lourds étaient-il nécessaires ? On sait que les services publics sont désignés, dans le langage de l’Union Européenne, soit sous l’appellation services d’intérêt économiques général (pour ceux qui peuvent être offerts sur un marché et sont soumis au droit de la concurrence), soit services d’intérêt général, pour les autres. Le protocole n°9 qui leur est consacré, purement déclaratif, n’apporte rien de significatif par rapport au traité constitutionnel ou à la situation actuelle.

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