L’aide au développement : de l’efficiacité à la crédibilité de l’aide

Gabriel Bissiriou, ‎Université de Strasbourg 2

La recherche, par l’Union européenne (UE) et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), d’une coopération renforcée fondée sur des valeurs et des principes communs, relance actuellement les débats théoriques sur l’efficacité de l’aide au développement (AD). Notre approche s’inscrit dans cette perspective.

Mots-clefs : aide publique au développement, coopération Nord-Sud, les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

Citer cet article

Gabriel Bissiriou « L’aide au développement : de l’efficiacité à la crédibilité de l’aide », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 9, 17 - 19, Hiver 2003.

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Cette réflexion sur l’efficacité de l’AD suscite actuellement deux types de débats : d’un côté, celui de la difficulté à élaborer des contrats d’aide efficaces du fait des problèmes informationnels et politiques rencontrés, de l’autre, celui de la crédibilité de ces contrats au regard des moyens utilisés. En d’autres termes, si l’aide matérialise une communauté d’intérêts (entre le Nord et le Sud) par la production de biens publics mondiaux et par la crédibilité d’engagement des différents partenaires concernés, la question de l’efficacité seule ne semble pas pertinente en tant que critère d’allocation et de réduction de la pauvreté. L’objectif de cet article est donc d’explorer ces deux cadres analytiques qui tentent d’élaborer un contrat optimal d’aide au développement.

L’efficacité d’un contrat d’aide au développement

L’approche de l’efficacité de l’aide, renouvelée par le rapport « Assessing Aid » (1998) de la Banque Mondiale, débouchait sur l’idée que l’aide n’est utile que si les politiques sont bonnes et si les institutions du pays bénéficiaire sont efficaces. De ce fait, le rapport préconisait la sélectivité. L’aide devrait être réservée aux pays « méritants », les autres ne recevant que des conseils pour améliorer leurs politiques et leurs institutions. Au contraire, les pays les plus pauvres, dont les populations auraient le plus grand besoin d’aide, peuvent être parmi les plus mal gérés, car étant ceux qui disposent des institutions les plus fragiles. La bonne gouvernance se traduit donc ici par une volonté affichée de laisser les pays définir eux-mêmes une politique de développement. Cette démarche s’inscrit dans les nouveaux « cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté » qui constituent à présent la référence principale pour la coordination des bailleurs de fonds.

L’aide au développement (AD) est analysée comme un contrat d’agence dans lequel les bailleurs de fonds du Nord, riches (principal) transfèrent aux gouvernements du Sud, pauvres (agent) des fonds destinés à réduire la pauvreté de la majorité de leurs populations. Les principes sous-jacents à ces efforts vers plus d’efficacité de l’aide s’articulent autour des notions de partenariat, de conditionnalité, d’implication de la société civile et de généralisation de l’aide.

Le partenariat se réfère à un partage des responsabilités dans la gestion de l’aide entre les bailleurs de fonds du Nord et le gouvernement bénéficiaire du Sud. En d’autres termes, l’aide se met au service d’une stratégie, d’une vision, d’un projet, et le gouvernement bénéficiaire du Sud est censé être celui qui en assure la cohérence) et la coordination. La difficulté majeure réside dans la capacité du gouvernement du Sud à assurer cette cohérence et cette coordination de l’aide. La cohérence exige une absence de contradiction entre le comportement du gouvernement bénéficiaire du Sud et l’objectif de réduction de la pauvreté de la majorité de sa population. En réalité, les gouvernements du Sud se préoccupent parfois plus du bien-être d’une minorité de la population appelée l’élite dirigeante que de celui de la majorité pauvre. Plus précisément, certains gouvernements du Sud, soucieux de renforcer leur pouvoir, détournent des fonds destinés à accroître le bien-être des plus démunis au profit de l’élite dirigeante. La mauvaise coordination du gouvernement bénéficiaire aboutit alors à une inefficacité de l’aide. Ainsi, l’analyse de l’efficacité de l’aide est basée sur sa capacité à réduire la part détournée par le gouvernement du Sud pour des projets sans portée en termes de croissance, et à accroître le bien-être des pauvres. En principe, la conditionnalité est censée résoudre en partie ce problème.

Les tests empiriques des modèles élaborés sur l’efficacité de l’aide ont montré, au-delà de l’absence d’impact d’AD constatée par Boone [1] sur la croissance, qu’il existe une diversité de situations. Si Burnside et Dollar [2] montrent qu’à moyen terme l’impact de l’aide est plutôt positif dans des pays ayant de bonnes politiques macroéconomiques, Svensson [3] , dans une perspective de long terme, considère que l’aide est bénéfique aux pays disposant d’un bon contrôle institutionnel des pouvoirs publics (c’est-à-dire d’une bonne pratique démocratique). Si cette littérature a conduit à défendre le remplacement d’une politique de la conditionnalité par la sélectivité des pays « méritants », elle constate malheureusement que cette sélectivité ne semble pas suffisamment déterminante dans la réduction de la pauvreté des pays bénéficiaires. En réponse à ces différents problèmes, d’autres théories tentent d’élaborer des modèles analytiques permettant d’articuler dans un schéma plus cohérent ces différents résultats. Ces démarches s’inscrivent, entre autres, dans le concept plus global de biens publics mondiaux développé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), le Comité d’Analyse Economique français, le Haut Conseil français de la Coopération Internationale [4] et des économistes du développement [5].

La crédibilité d’un contrat d’aide par l’approche des biens publics mondiaux

L’absence relative de l’efficacité de l’aide remonte au constat de la baisse générale du niveau de l’AD qui date de 1992 (bien loin de l’objectif de 0,7% du PIB promis par le Nord). Ceci peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs : la fin de la guerre froide et du « clientélisme » afférant, la persistance de la double pénurie d’épargne interne et externe des pays pauvres, la marginalisation de l’AD par rapport aux flux d’investissements privés, l’affaiblissement des craintes d’une crise financière généralisée, la difficulté de gestion des finances publiques au Nord, et enfin, une certaine réticence à soutenir des Etats défaillants.

La gestion des biens publics mondiaux se présente, entre autres, comme une alternative dans la nouvelle légitimation de l’AD. Elle implique de sortir de la vision parcellaire de deux logiques antagonistes (régulation concurrentielle/régulation publique) de l’AD au profit d’une relation fondée sur les intérêts communs des deux partenaires (le Nord et le Sud). L’étude de la crédibilité du contrat d’aide perçu comme un bien public mondial s’articulera, compte tenu de l’état d’une littérature embryonnaire dans ce domaine, autour de la relecture des principes de partenariat, de conditionnalité, de cohérence et de coordination précédemment retenus.

Dans le monde globalisé actuel, le partenariat n’est plus uniquement une manière de partager les responsabilités, ce n’est plus un choix délibéré, mais un fait, une nécessité au nom des intérêts communs du Nord et du Sud. Et le Sud, handicapé par une plus faible marge de manœuvre, peut bénéficier de l’AD, en termes de construction des capacités d’accès aux marchés mondiaux de capitaux, de respect des clauses environnementales et sociales. Le succès des accords mondiaux, basés sur les efforts partagés, passe naturellement par les capacités des différents partenaires à élaborer des politiques appropriées. Ainsi donc s’ouvre un champ d’action nouveau à l’AD, celle de la bonne gouvernance, celle de la fixation des règles du jeu mondial. Etant donné la place relative de l’AD aujourd’hui (cinq fois moins que les flux privés en voie d’extinction [6]) dans la dynamique du financement du développement, la correction de ses défauts relève d’un mouvement d’ensemble qui englobe tous les flux financiers externes (flux publics et privés). Ceci pose le problème de l’insertion progressive et maîtrisée des pays pauvres dans la finance globalisée. L’AD, dans l’état actuel des choses, pourrait servir de catalyseur à la nécessaire synergie des flux publics - privés. En d’autres termes, l’association des acteurs de la société civile (entreprises privées, ONG) aux objectifs de l’AD relève de la même dynamique globale. Certains flux privés sont porteurs de développement car généralement plus stables (IDE), d’autres peuvent être destructeurs car plus volatils, plus instables (les investissements de portefeuille). Si les flux privés relèvent de la logique de marché, les ONG ont une logique de proximité et de décentralisation bénéfique au contrôle, au suivi et au transfert effectif de l’aide parvenue aux pauvres. La coordination de l’activité de ces différents acteurs, aux logiques différentes et souvent concurrentes, constitue un champ d’action à privilégier par l’AD tant au Nord qu’au Sud.

Dans ce partenariat de la bonne gouvernance, la conditionnalité du Nord qui fixe les critères a priori aux gouvernements du Sud n’aurait plus sa raison d’être, du moins pas sous sa forme actuelle. Le nouveau partenariat consistera à établir ensemble les règles du jeu, à bâtir des objectifs quantifiés, visibles, et surtout à élaborer des indicateurs permettant de mieux apprécier et réajuster à tout moment le déroulement des résultats escomptés. Cette fonction de monitoring permanent intégrant tous les acteurs nous semble plus appropriée. Sur un plan plus théorique, les défauts de la coordination résident essentiellement dans les comportements erratiques qu’elle peut susciter : asymétrie d’information, aléa moral et comportement de passager clandestin (free rider) de certains gouvernements du Sud. L’introduction des intermédiaires bilatéraux (agences nationales et locales, ONG) et multilatéraux (FMI, Banque mondiale, banques régionales de développement) permet, en théorie, de réduire substantiellement ces différentes asymétries. Partant de l’hypothèse de « participation altruiste » des donneurs du Nord et des gouvernements bénéficiaires du Sud, différents modèles récents tentent d’élaborer des contrats d’aide optimaux.

En effet, selon certains théoriciens, la reforme de la conditionnalité nécessite une forte capacité d’engagement des donneurs du Nord à veiller à une réelle attribution de l’AD au bien-être de la majorité pauvre du Sud. Les moyens utilisés pour y parvenir passent d’abord par la réforme des mécanismes décisionnels centralisés d’allocation de l’AD des donneurs du Nord (les systèmes de votes parlementaires des budgets), ensuite par celle de la coordination décentralisée de sa distribution locale (notamment par le biais des agences bilatérales et multinationales en place, bénévoles ou non). Pour d’autres, une première difficulté de la conditionnalité réside dans le fait que les gouvernements du Sud disposent d’une capacité effective de lutte contre la pauvreté locale, mais ne l’exercent pas dans la bonne direction, malgré leur détention suffisante d’informations privées (incohérence des politiques gouvernementales). L’élaboration d’un contrat optimal sous l’hypothèse d’asymétrie d’information dépendra, non seulement de la capacité des pays bénéficiaires du Sud à élaborer des politiques appropriées de redistribution de l’AD aux pauvres, mais également de leur aptitude à mieux coordonner les activités des différents acteurs locaux (agences bilatérales et multilatérales, ONG), détenteurs d’informations privées plus affinées (logiques de proximité et de suivi sur le terrain).

Si l’hypothèse sous-jacente de « participation altruiste » des différents acteurs à la réalisation d’un contrat optimal d’AD a contribué à éclairer quelque peu les problèmes de coordination et de crédibilité d’engagement des donneurs du Nord et des gouvernements bénéficiaires du Sud, de nombreuses questions restent posées, que ce soit au niveau des différents acteurs concernés. Entre autres, comment mieux formaliser les mécanismes décisionnels appropriés d’allocation d’AD des donneurs du Nord ? Comment mieux saisir le processus de coordination décentralisée de la distribution de l’AD, qu’il s’agisse de transfert par l’allègement des taxes sur les revenus des pauvres, ou d’utiliser les compétences décentralisées des agences bilatérales et multinationales ? Autant de voies de recherche nouvelles riches d’enseignement restant à explorer pour une littérature en voie de constitution.

Conclusion

En définitive, si la conditionnalité se révèle insuffisante pour résoudre les problèmes d’asymétrie d’information, d’aléa moral et de passager clandestin inhérents à l’élaboration d’un contrat efficace d’AD (besoin de modèles explicatifs plus élaborés), l’approche par les biens publics mondiaux de l’AD est encore balbutiante, mais reste riche de promesses, notamment en matière de crédibilité d’engagement des donneurs du Nord et des gouvernements bénéficiaires du Sud. L’hypothèse de « participation altruiste » des acteurs liée à la notion de bien public mondial élargit le champ d’action du contrat d’AD. Ce champ d’action relève d’un concept plus global, celui de la gouvernance mondiale où public et privé interagissent dans un intérêt commun, celui de la production du bien public mondial qu’est le financement du développement.


[1Boone, P. (1996), « Politics and the effectiveness of foreign aid », European Economic Review, n° 40, 289-329.

[2Burnside, C., Dollar, D. (2000), « Aid, policies, and growth », American Economic Review, n° 90, 847-868.

[3Svensson, J. (1999), « Aid, growth, and democracy », Economics and Politics, n° 3, 275-297.

[4HCCI (2002), « Biens publics mondiaux et coopération internationale : nouvelle stratégie pour de nouveaux enjeux », Editions Karthala, Collection Coopération internationale.

[5Azam J.P. et Laffont J.J. (2003), « Contracting for aid », Journal of Developpement Economics, n° 70, 25-58.

[6Les flux privés se décomposent en investissements directs (IDE) et en investissements de portefeuille (IP). Si les IDE faiblissent, les IP se font rares.

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