Les entreprises sont-elles favorables à une baisse des salaires ?

Giuseppe Diana, Cour des comptes européenne.

Francesco De Palma, Université de Strasbourg ( BETA)

Le chômage constitue le déséquilibre majeur des économies européennes. Dans la logique libérale qui a présidé à la construction européenne, la solution à ce fléau tient en un mot : flexibilité. En flexibilisant le marché du travail, on permettrait aux salaires de s’ajuster à la baisse pour résorber ce chômage. On associe souvent la rigidité à la baisse des salaires aux seuls comportements des salariés. Or, les nouvelles théories du chômage attribuent également le manque de flexibilité des salaires aux entrepreneurs. Cette réticence des employeurs à la baisse des salaires pourrait s’expliquer par la perte d’efficacité du travail qui en résulterait. Pour une entreprise, offrir une rémunération importante peut être un gage de bonne qualité du travail.

Mots-clefs : emploi et chômage, marché du travail, resquillage, salaire d’efficience.

Citer cet article

Giuseppe Diana , Francesco De Palma « Les entreprises sont-elles favorables à une baisse des salaires ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 3, 17 - 18, Hiver 2000.

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Flexibiliser le marché du travail ! Tel semble être le credo des promoteurs de la construction européenne. Cette idée repose notamment sur le fait que la rigidité à la baisse des salaires est à l’origine du chômage massif que connaît l’Europe. Les nouvelles approches du marché du travail ont précisément pour objectif d’expliquer de telles rigidités. Généralement, on considère que le manque de flexibilité des salaires résulte exclusivement du comportement des salariés, essentiellement au travers des syndicats. C’est oublier que le processus de détermination des salaires n’est pas le seul fait des salariés, mais également celui des employeurs. Or ces derniers pourraient eux-aussi, et contrairement aux idées reçues, s’opposer à la baisse des salaires. Ce point, s’appuyant sur la théorie dite du « salaire d’efficience », constitue un des enseignements majeurs des nouvelles approches du marché du travail.

Le salaire d’efficience ou la prise en compte de l’efficacité

On assigne généralement à l’employeur la volonté de verser les rémunérations les plus faibles possibles afin de minimiser ses coûts. On ignore de ce fait une composante importante des profits : l’efficacité du travail. Si l’on admet que l’efficacité ou la qualité du travail est d’autant plus importante que le salaire versé est élevé, la décision de l’employeur résulte alors d’un arbitrage entre coût et productivité.

En intégrant ces deux aspects antagonistes du salaire sur les profits, on peut montrer que l’employeur propose un salaire supérieur au salaire concurrentiel. Ce salaire est appelé salaire d’efficience. Dans cette logique, c’est l’employeur qui est à l’origine de la rigidité à la baisse des salaires. En effet, une telle baisse réduit son profit et ce, malgré la réduction des coûts salariaux, car elle diminue l’efficacité du travail de manière importante.

En d’autres termes, la notion de salaire d’efficience repose sur l’existence d’une relation croissante entre le salaire et la productivité du travailleur. Comment peut-on soutenir l’existence d’une telle relation ? Les Nouvelles approches du marché du travail proposent quatre justifications.

Attirer les meilleurs

Du point de vue des compétences, les salariés constituent une population relativement hétérogène. On peut par ailleurs admettre que les travailleurs fixent leurs prétentions salariales en fonction de leurs compétences. Lorsque l’employeur cherche à pourvoir un poste vacant, la rémunération qu’il va proposer influencera évidemment la qualité des candidats qui s’adressent à lui. En proposant une rémunération faible, l’employeur sait qu’il n’attirait que les travailleurs caractérisés par des compétences médiocres. C’est pourquoi, il est dans son intérêt de proposer des salaires relativement élevés de manières à attirer les meilleurs candidats. On Désigne traditionnellement cette approche sous le nom de « modèle d’antisélection ».

Un prêté pour un rendu : le don-contre-don

Une autre justification du salaire d’efficience repose sur le fait que la relation salariale ne se borne pas à une simple notion économique, mais intègre également une dimension sociologique. En effet, selon cette théorie, le salarié est sensible au caractère équitable de son salaire. Dans cette logique anthropologique, l’employeur est incité à rémunérer de manière relativement importante, c’est-à-dire plus qu’équitable, son employé. Ce dernier perçoit cette sur-rémunération comme un don auquel il répond par un accroissement de son efficacité, accroissement qui constitue le contre-don.

Conserver ses travailleurs

L’employeur peut être incité à verser des salaires élevés à ses employés afin de s’attacher leurs services de manière durable. En d’autres termes, l’employeur tente de réduire la rotation de la main-d’œuvre dans son entreprise. En effet, dans bien des cas, celle-ci constitue une opération coûteuse et est, par ailleurs, source de perte d’efficacité. On peut penser notamment aux coûts des licenciements et aux dépenses nécessaires à la recherche, à la sélection et à la formation du nouvel employé. Pour éviter d’engager ces divers frais, l’entreprise offre des salaires relativement élevés de manière à retenir ses employés.

Éviter le resquillage

Il existe un grand nombre d’emplois, et notamment dans les services, pour lesquels il est extrêmement difficile de vérifier parfaitement l’ardeur au travail. En Effet, un contrôle parfait de la productivité du travailleur nécessiterait des coûts prohibitifs pour la firme. Le contrôle des travailleurs étant imparfait, l’entreprise s’expose alors à du resquillage de la part de ses employés. Afin d’éviter ce resquillage, l’employeur utilise le salaire comme mécanisme incitatif. La logique qui sous-tend ce raisonnement est la suivante : un salaire élevé induit davantage de discipline de travail car, en cas de licenciement pour resquillage, le salarié s’expose à une perte importante mesurée par le salaire qu’il ne perçoit plus.

Il est communément admis que les syndicats sont une source importante de la rigidité à la baisse des salaires. Cependant, les nouvelles approches du marché du travail soulignent que les employeurs peuvent également se montrer défavorables à une réduction des salaires. Ce résultat ne relève pas d’un comportement altruiste de la part des employeurs, mais bien d’un raisonnement économique rationnel s’appuyant sur l’efficacité du travail.

Ces nouvelles approches présentent aussi l’avantage de considérer l’employeur comme un agent moins naïf que dans les théories standards, dans la mesure où celui-ci n’associe plus mécaniquement « baisse des salaires et hausse des profits ».

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