A l’occasion de la transposition de la directive services, retour sur quelques inquiétudes qu’elle suscite
Damien Broussolle, Institut d'Etudes Politiques, Université de Strasbourg (LaRGE),
Après de nombreux débats et quelques modifications, la directive services, dite Bolkestein, a été promulguée en décembre 2006. Elle doit être transposée pour janvier 2009 dans chaque État membre. Elle a pour objet de poursuivre la mise en place du marché unique dans les services. L’article se propose de rappeler les mécanismes principaux de la directive, d’éclairer certains des changements qu’elle va apporter, tout en revenant sur plusieurs points des débats et inquiétudes qu’elle nourrit.
Mots-clefs : Directive services (directive Bolkestein), dumping social, intégration des marchés de services, libéralisation des marchés, libéralisation des marchés de services, principe de non-discrimination, principe du pays d’origine.
Citer cet article
Damien Broussolle « A l’occasion de la transposition de la directive services, retour sur quelques inquiétudes qu’elle suscite », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 19, 40 - 47, Hiver 2008.
1 . La diversité des réglementations comme barrière au commerce
Afin de faciliter les échanges de services, la directive cherche à faire disparaître les barrières au commerce. Elle vise à réduire significativement le poids des réglementations qui s’imposent aux prestataires étrangers, à la fois leur quantité mais aussi leur diversité.
D’une part, elle simplifie et facilite leurs démarches administratives, en promouvant un guichet unique pour remplir les formalités. Elle les allège, voire les supprime aussi à travers une liste d’exigences interdites.
Elle généralise d’autre part la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE). Son approche considère que les obstacles dans l’Union Européenne (UE) ne sont plus tant des réglementations qui gênent ou empêchent le commerce, ou encore l’installation (droits de douane, quotas…), mais la nécessité pour un exportateur de devoir respecter des réglementations diverses (par exemple techniques). La vraie barrière n’est donc pas l’existence de réglementations en soi, mais leur hétérogénéité (Kox et Lejour 2006). Le coût global de la production, comme la capacité à tirer partie des économies d’échelle se trouvent en effet affectés par la nécessité de respecter des règles nationales multiples. Des réglementations différentes représentent alors par leur seule existence, indépendamment de leur fonction réelle, des limites à l’entrée qui réduisent les mouvements commerciaux. Dans sa version première, le Principe du Pays d’Origine (PPO) répondait à cet objectif. Face aux critiques, il est devenu par la suite celui de libre prestation, qui n’est cependant pas significativement différent comme cela sera souligné. Cette section étudie dans un premier temps le contenu et la logique du PPO, puis sa portée.
De la Reconnaissance Mutuelle au Principe du Pays d’Origine
Pour faire face à la diversité des réglementations, l’UE suivait depuis son origine une démarche d’harmonisation. Cette démarche, nécessairement lente dans son principe, fut complétée, à partir du milieu des années 1980, par celle de Reconnaissance Mutuelle (RM) dérivée de l’arrêt Cassis de Dijon de la CJCE (1979).
Le principe de Reconnaissance Mutuelle considère qu’un produit légalement fabriqué dans un pays membre doit être accepté dans les autres pays. Il s’appuie sur une présomption d’équivalence des normes protectrices dans l’UE (Pelkmans 2007). Il s’agit d’un puissant moyen de contourner, à la fois la lenteur du processus d’harmonisation, mais aussi les différences de réglementations nationales. À l’époque les différences visées étaient principalement des normes techniques de fabrication (par exemple la norme NF en France, ou bien DIN en RFA). Comme le principe de Reconnaissance Mutuelle pouvait entraîner une dégradation de la qualité pour le consommateur, notamment par le déplacement des productions dans les pays où la réglementation industrielle est la moins contraignante, il a été, dans plusieurs domaines, associé à des exigences minimales de sécurité.
Si le principe de Reconnaissance Mutuelle s’applique a priori aux services comme aux marchandises, dans la pratique, il fut appliqué uniquement aux marchandises. Lorsque les concepteurs de la directive services souhaitèrent l’appliquer aux services, ils constatèrent que la particularité du commerce de services justifiait une adaptation.
La production de services est en effet plus rarement normalisable que celle de marchandises, et, en tout état de cause, les normes applicables à la production de services certifient plutôt une méthode de production, que la qualité d’un « produit fini ». En outre, au-delà des éventuelles « normes techniques » de production, la réglementation économique et sociale générale influe sur la configuration des services proposés dans chaque pays. Ainsi l’éventail des services envisageables, comme leur forme, dépendent de réglementations locales qui contribuent alors à façonner des « modèles » commerciaux nationaux. Ces « modèles » sont souvent parties intégrantes des spécificités des modes de vie et d’organisation nationaux qui relèvent en principe de la subsidiarité. Les horaires d’ouverture en sont, par exemple, un des éléments. Il faut enfin souligner que, pour la plus grande partie des services, et en particulier ceux qui relèvent de la directive, la production doit avoir lieu au contact. Cela suppose que l’entreprise produise dans le pays où se trouve son client. Dans ces conditions, l’exportation de services conduit un prestataire à s’installer, de façon plus ou moins longue, dans un pays étranger pour fournir sa prestation. La question de la réglementation économique qu’il doit respecter se pose alors. Le principe traditionnel de Reconnaissance Mutuelle (RM) devient inopérant, puisqu’il s’agit ici de produire sur place des prestations qui ne sont pas séparables du producteur (voir graphique n°1), et dont la forme dépend, pour une part, de la réglementation économico-sociale qu’elles doivent respecter. Une extension de la logique de RM amène alors à admettre l’application dans le pays de destination de la réglementation du pays d’origine. Il s’agit là du Principe du Pays d’Origine (PPO) qui conduit à abolir les différences de réglementation pour les prestataires étrangers, donc à supprimer ce qui a été considéré plus haut comme le principal obstacle subsistant au commerce de services.
Portée des Principes du Pays d’Origine et de libre prestation dans la directive
Le mécanisme du PPO est évoqué dans la Directive au moment de la prestation transfrontière, on pourrait donc penser qu’il s’applique uniquement dans ce cas, à la manière du principe de Reconnaissance Mutuelle. Ce dernier concerne en effet l’exportation de marchandises produites dans un pays étranger (graphique n°1). Il va de soi que, pour leur part, les entreprises industrielles étrangères installées dans un pays hôte appliquent les règles locales. Ce point de vue est partagé par de nombreux auteurs (par exemple Schwellnus 2006, Copenhagen 2005, de Bruijn et al. 2006). L’élément central du PPO s’étend pourtant bel et bien aussi au cas de l’établissement.
Cet état de fait résulte en premier lieu de particularités de la production de services. L’exportation pure de services est rare. L’exportation de services nécessite le plus souvent le déplacement du producteur, qui effectue généralement des dépenses de production sur place (location d’un local, mise en place d’une infrastructure, achat de consommations intermédiaires…). Ces dépenses de production ne sont pas différentes de celles d’un producteur « établi » sur place, sauf à considérer la durée de l’activité [1]. Cependant, même la durée n’est pas un bon indicateur, puisqu’un producteur local peut parfaitement n’être établi que pendant une période courte. La jurisprudence de la CJCE (Com 2007, 51), illustre ce problème :
« (…) aucune limite de temps générale ne peut être fixée pour distinguer entre établissement et prestation de services. Le fait que le prestataire utilise une infrastructure donnée n’est pas non plus décisif, étant donné qu’un prestataire peut se servir d’une infrastructure dans l’État membre d’accueil pour la prestation de services transfrontaliers sans y être établi. »
Au total, il n’y a pas de différenciation nette et définitive entre prestation et établissement. Ce flou juridique étend dans les faits le domaine de la prestation. Cette première raison n’est toutefois pas la seule. En réalité, la jurisprudence de la CJCE est sensiblement la même, qu’il s’agisse de prestation ou d’établissement. La Cour déclare dans l’arrêt Kraus du 31 mars 1993 : « les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité doivent remplir quatre conditions : qu’elles s’appliquent de manière non discriminatoire, qu’elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ». Ces dispositions s’appliquent indifféremment à la liberté d’établissement et à la libre prestation. Dans les deux cas, la seule réglementation propre qu’un pays peut opposer à une entreprise étrangère, est celle qui est justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général [2]. Cela suppose, comme le rappelle par ailleurs la Commission (2007, p.52) : « l’existence d’une menace réelle et grave affectant un intérêt fondamental de la société. ». Le PPO n’est somme toute que la généralisation automatique et ostensible de cette approche déjà en vigueur au cas par cas. Finalement, au-delà du toilettage de la réglementation actuelle, le principal mécanisme à l’œuvre dans la directive consiste à permettre à un prestataire étranger d’appliquer sa réglementation économique d’origine dans le pays hôte, qu’il s’agisse d’une activité temporaire ou permanente.
Graphique n°1. La directive encourage-t-elle des pratiques déloyales ?
La directive d’origine a suscité plusieurs interrogations, soulevées notamment par le fait qu’elle permettait la coexistence sur un même territoire de plusieurs législations économiques différentes. Il lui a fréquemment été reproché de favoriser différentes sortes de pratiques déloyales ou de dumping.
Dumping social
Une première série de réactions est liée au risque de dumping social [3]. Ce risque concerne les conséquences sur le travail de services faiblement qualifié d’une ouverture au commerce extérieur incontrôlée. Ce risque est surtout valide lorsque les écarts de coûts salariaux sont élevés dans l’UE, ce qui est notamment le cas depuis l’élargissement de 2004.
Cette inquiétude était cependant mal fondée, car attribuée au PPO qui ne concerne pourtant pas la réglementation sociale. Quoiqu’il en soit, la version finale de la directive a grandement écarté ce problème, puisqu’elle laisse intacte les règles applicables aux mouvements temporaires de main d’œuvre liés à des prestations de services. Ces règles sont définies dans une directive de 1996 qui fixe les conditions minimales d’emploi dont les travailleurs concernés doivent bénéficier (particulièrement salaires et horaires de travail).
Discrimination à rebours
Une deuxième série de débats est liée au fait que la directive ouvrirait des possibilités de pratiques déloyales en matière de concurrence et éventuellement un risque de discrimination à rebours.
En droit international, la référence traditionnelle pour favoriser la liberté de mouvement des facteurs de production est le principe de non-discrimination, encore appelé « traitement national ». Ce principe consiste pour un pays à offrir aux non-nationaux les mêmes droits qu’aux nationaux. L’approche communautaire, que consacre le PPO, est nettement plus exigeante. Elle considère a priori toute différence de réglementation comme une barrière au commerce, indépendamment de sa fonction protectionniste ou non. En conséquence, elle autorise le prestataire étranger à produire selon la législation économique de son pays d’origine. Cette approche change la relation de l’agent au territoire. La possibilité de ne plus être soumis à la réglementation du territoire où est située l’activité est une nouveauté. D’une certaine manière, cela signifie que certains attributs économiques attachés à la nationalité de l’agent le suivent à l’étranger (Davies 2007). On voit l’intérêt que certains pourraient avoir à déplacer leur siège social dans un autre pays pour bénéficier de sa réglementation économique, tout en continuant à produire dans celui de départ. Ce comportement, qui n’est pas une conséquence spécifique au PPO, sans être totalement écarté, a été rendu plus difficile avec la deuxième version de la directive. En autorisant les prestataires étrangers à conserver leur réglementation économique d’origine, la directive introduit néanmoins une situation potentielle de discrimination à rebours (Bizet 2008, Davies 2007).
Il va de soi que les prestataires étrangers ne souhaiteront appliquer leur réglementation d’origine que si elle est moins contraignante que celle du pays de destination. Les prestataires locaux se trouvent alors face à des concurrents qui appliquent des règles moins coûteuses qu’eux. Il y a donc là une forme de concurrence déloyale, puisque sur le même territoire s’appliquent des réglementations différentes, alors même qu’elles peuvent influencer la formation des prix. Les producteurs nationaux sont alors discriminés à rebours. Dans le marché unique de services, il devient ainsi juridiquement plus avantageux de produire de l’étranger.
3. Concurrence entre réglementations et préférences nationales
Plusieurs auteurs, comme Kox et Lejour (2006) ou Schwellnuss (2007), considèrent que le PPO respecte le fait que les États membres peuvent avoir des préférences propres quant au niveau de réglementation. Le PPO n’aurait donc pas d’influence significative sur le pays d’accueil. Ce point de vue, comme celui du dumping ou de la concurrence déloyale, suppose que le pays hôte maintienne sa législation, malgré la présence d’entreprises étrangères qui en appliqueraient une autre. Cette vision est peu réaliste.
D’un point de vue général, on peut en premier lieu considérer que la véritable conséquence du PPO, comme de la directive (CF. plus bas), sera d’établir une certaine concurrence entre réglementations économiques nationales. Cette confrontation des réglementations aboutira très certainement à une révision de celle des pays de destination, pour adopter tout ou partie de celle du pays d’origine. Ce phénomène, n’est pas lié en tant que tel au PPO, mais résulte de la jurisprudence de la CJCE. Il concerne aussi bien la prestation transfrontalière que l’établissement.
Cette confrontation entre réglementations est souhaitable dans la mesure où elle permet d’améliorer leur efficacité et de diminuer le poids bureaucratique qui pèse sur l’activité productrice. Elle représente aussi la logique profonde de la directive qui conduit ainsi dans chaque pays à une révision générale de la législation économique touchant aux activités de services (Bizet 2008, Com 2007a). La démarche de compétition entre réglementations est à présent au centre de celle du marché unique. Elle représente un outil pour placer l’EU en bonne position au niveau des négociations internationales : « the rationale of the single market has changed (…). It is no longer about the benefits to be expected from European integration but also about the leverage it provides to meet the challenges and opportunities of globalisation » (COM 2007b, p.4). Elle suscite plusieurs commentaires :
- En premier lieu, elle conduit à l’uniformisation progressive de certains aspects des législations économiques. Elle va donc supprimer les risques de concurrence déloyale. Dans le même état d’esprit et bien que la directive ne l’impose pas, la simplification administrative dont bénéficieront les prestataires étrangers, liée par exemple au guichet unique, devra nécessairement être étendue aux entreprises nationales (Capdeville 2008). Le danger de « race to the bottom » ne peut cependant être a priori écarté. L’uniformisation des législations pourrait en effet se faire vers la législation la moins contraignante/ protectrice. Il faut rappeler que dans le cas de la Reconnaissance Mutuelle, pour éviter cet inconvénient, des règles communes minimales ont été définies.
- En deuxième lieu se pose la question du respect des préférences des citoyens, de la capacité à préserver plusieurs modèles nationaux dans l’UE.
D’un point de vue théorique, le mécanisme à l’œuvre dans la directive devrait nettement limiter la capacité des agents nationaux à décider du niveau et de la forme de la réglementation économique qu’ils souhaitent voir appliquer sur leur territoire. La directive, comme la jurisprudence, maintiennent toutefois des garde-fous à travers la possibilité d’opposer à un prestataire étranger la réglementation justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, relatifs à la santé et la sécurité notamment. Cette protection reste malgré tout plutôt étroite car l’intérêt général ici pris en considération, élimine toute une série de préférences exclusives. Il doit en effet correspondre à la conception de la CJCE et non pas à celle qu’en auraient les agents nationaux eux-mêmes [4]. L’application de la directive porte donc en germe des conflits. Le rapport Bizet (2008) énonce quelques exemples délicats pour ce qui est de la France : la garantie décennale dans la construction, les règles d’urbanisme commercial, la place des professions juridiques, le statut des agences de voyage …
Au total, sans être totalement écartés, les risques de dumping réglementaire internes apparaissent donc limités par une uniformisation spontanée des réglementations. C’est alors l’évolution des réglementations au niveau européen qu’il conviendra de suivre. Le PPO a été retiré de la directive finale, mais comme le mécanisme de compétition évoqué n’en reste pas moins présent dans la directive, les années à venir seront certainement l’occasion d’une recrudescence d’affaires qui devront être tranchées par la justice communautaire.
4. La transposition de la directive fait naître des inquiétudes nouvelles
La transposition de la directive s’inscrit dans un contexte institutionnel qui, à l’approche de la date butoir, nourrit de nouvelles interrogations.
D’un côté, il y a l’application de la directive sur le détachement des travailleurs, dans les pays où les conditions de travail sont principalement déterminées par des accords conventionnels.
Dans les récentes affaires Vaxholm (Suède) et Viking-Line (Finlande), la CJCE a suivi une interprétation très stricte de cette directive de 1996. Elle considère notamment qu’il n’est pas légitime de demander l’application aux travailleurs étrangers des accords issus de la négociation collective, car il ne s’agit ni de législation nationale, ni de conditions minimales. Cette position l’a conduite à considérer toute grève, qui aurait pour objectif l’application de ces conventions collectives, comme injustifiée au regard du droit européen. Ces jugements mettent particulièrement en cause les modèles de relations professionnelles dominants dans les pays nordiques (Mantz 2008), mais aussi en RFA. Ces pays ont en effet pour tradition de laisser la négociation collective définir les conditions de travail pour chaque branche, plutôt que de recourir à une législation nationale. Fritz Scharpf, chercheur émérite à l’Institut Max Planck de Recherche Sociale de Cologne, en déduit que, face à leurs conséquences, « la seule solution est de refuser d’appliquer les décisions de la CJCE ». Il en espère une crise institutionnelle européenne à l’issue de laquelle l’activité jurisprudentielle de la CJCE serait recadrée.
De l’autre, il y a la volonté d’étendre les principes concurrentiels à un nombre de domaines toujours plus grand.
La directive services est une directive horizontale, ce qui signifie que tous les secteurs économiques non expressément exclus sont englobés. L’interprétation de la Commission tend du reste à être extensive. Ainsi, bien que le Parlement Européen ait expressément retiré en deuxième lecture plusieurs services sociaux de la directive, elle considère que les services sociaux d’intérêt général qui sont restés dans le flou demeurent inclus. Il s’agit là d’activités de services, à caractère fréquemment associatif, qui sont financées sur fonds publics et offrent des services collectifs (accompagnement scolaire, aide aux personnes âgées, gestion des centres sociaux de quartier…). La Commission a par exemple répondu à une association pour personnes âgées (Uniopss), qui s’inquiétait de risquer de tomber dans le champ concurrentiel standard, que : « la seule reconnaissance du caractère non lucratif de certaines associations (octroyé par exemple à des fins fiscales) ou encore le caractère d’intérêt général des activités exercées ne constituent pas des critères suffisants en eux-mêmes pour qualifier le prestataire comme relevant de la notion d’"associations caritatives reconnues comme telles par l’État ». En clair, le fait pour une association d’être reconnue en France d’utilité publique ne suffit donc pas pour échapper au champ de la directive. En revanche, les associations à caractère caritatif le sont automatiquement.
À l’occasion de la transposition de la directive services, les États doivent donc se prononcer sur l’inclusion ou non des services sociaux résiduels dans son champ. C’est-à-dire les rapprocher ou non du statut qui est celui des Services d’Intérêt Économique Général (SIEG) du type de la Poste ou des télécoms. À défaut, un risque est de voir tomber le financement de ces associations sous le coup du régime de contrôle des aides d’État. En Finlande, de nombreuses associations qui assuraient des prestations sociales et médico-sociales, dans des secteurs soumis à la concurrence, se sont vues ainsi retirer le soutien financier de l’État. Ce premier problème éventuellement résolu, un deuxième apparaît alors. En France, la pratique du conventionnement fait que les associations proposent des services qui peuvent être ou non reconnus d’utilité publique et financés comme tels. À l’inverse, la Commission défend le principe de l’appel d’offre et du mandatement. La logique des SIEG suppose en effet des missions de service public formellement définies, donc un mandat précis pour l’association concernée. La pratique de nombreux États, dont la France, s’appuie au contraire sur une conception large de l’utilité publique. La directive met ainsi en cause le mode traditionnel de relation entre pouvoirs publics et associations. Le Conseil Économique et Social français s’est ému de ces problèmes. Dans un avis rendu en juin 2008, il demande au gouvernement d’exclure effectivement les services sociaux du champ d’application de la directive et d’intervenir pour sécuriser leur statut juridique européen.
Conclusion
Les particularités des activités de services et notamment leur imbrication dans le mode de vie économico-national rendent plus complexe leur ouverture au commerce international. La directive services a ainsi soulevé plusieurs problèmes qu’une deuxième version a permis de réduire. Bien que le Principe du pays d’Origine ait été retiré, les entreprises prestataires communautaires continueront à pouvoir appliquer dans un pays hôte la réglementation économique de leur pays d’origine, à moins toutefois qu’elle ne se heurte à des motifs impérieux d’intérêt général. Les pays hôtes devront alors nécessairement réviser leur réglementation pour éviter de défavoriser les entreprises nationales. Œuvrant à la disparition des obstacles au commerce de services, la directive met donc de fait en concurrence les réglementations économiques des différents pays de l’UE. En parallèle, elle consacre une tendance à englober dans le cadre concurrentiel un nombre toujours plus grand de services. La question des Services Sociaux d’Intérêt Général qui n’ont pas été spécifiquement exclus du champ de la directive se trouve alors posée.
Bibliographie
Bizet Jean (2008) « Sur la transposition de la “directive services” », SÉNAT, rapport
d’information N° 199.
COM (2007a) « Manuel relatif à la mise en œuvre de la directive “services”« , DG Marché intérieur et services.
COM (2007b), « The external dimension of the single market review », accompanying document of the communication Com 2007c/724 final : « A single market for the 21st century in Europe ».
Capdeville. B (2008) « Les conséquences pour l’économie française de l’application de la directive « services », Conseil Economique et Social, juin.
Copenhagen Economics (2005), « The Economic Importance of the Country of Origin Principle in the Proposed Services Directive », Final report, a study for the The UK Department of Trade and Industry.
Davies. G (2007) « Services, citizenship, and the Country of Origin Principle », Europa Institute Mitchell Working paper, Edinburgh.
de Bruijn Roland, Kox, Henk Lejour Arjan, (2006) « The trade-induced effects of the Services Directive and the country of origin principle », No 108 February, CPB Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis
Kox. H Lejour. A, (2006), « The Effects of the Services Directive on Intra-EU Trade and FDI », Revue économique - vol. 57, No 4, juillet, p. 747-770
Mantz. T (2008), « Après l’arrêt de la CJCE dans l’affaire Vaxholm : quelles adaptations pour le modèle suédois ? » Chronique internationale de l’IRES - n° 110 – janvier.
OCDE (2005), « Intégration des marchés de services », ‘Étude de la zone Euro.
Pelkmans. J (2007), « Mutual recognition in goods. On promises and disillusions », Journal of European Public Policy 14:5 August 2007 : 699–716
Schwellnus. C (2006), « La directive services : une analyse économique », La lettre du CEPII, N°252 janvier 2006
Scharpf. F (2008) « Der einzige Weg ist, dem EuGH nicht zu folgen », interview Magazin Mitbestimmung 07-08/2008.
[1] L’établissement au sens des traités est du reste défini par l’« installation stable pour une durée indéterminée »
[2] La liste des motifs semble toutefois plus réduite en cas de prestation (Capdeville 2008).
[3] Il s’agit de la thématique du « plombier polonais ». La paternité de cette expression, qui a été utilisée à de nombreuses reprises par la presse, revient à P. De Villiers dans une interview au Figaro du 15 mars 2003.
[4] Ainsi l’étendue de la conception néerlandaise de l’intérêt général appliquée au logement social a été qualifiée « d’erreur manifeste » en 2005. En conséquence, la Commission a enjoint au gouvernement hollandais de vendre une partie de son parc locatif de logements sociaux.
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