Caractéristiques du marché du travail dans les pays adhérents

Guy Tchibozo, LISEC UR 2310, Université de Strasbourg

Les pays en voie d’adhésion à l’Union européenne présentent quelques caractéristiques communes au regard du marché du travail. Si certaines de ces caractéristiques sont de nature à favoriser l’intégration des nouveaux entrants, d’autres peuvent être, pour eux, sources de réelles difficultés à court terme.

Mots-clefs : emploi et chômage, marché du travail, politique et stratégie de l’emploi.

Citer cet article

Guy Tchibozo « Caractéristiques du marché du travail dans les pays adhérents », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 7, 5 - 8, Hiver 2002.

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Un spectre hante l’Europe. Celui de la Turquie. Ankara ne participera donc pas à l’élargissement de 2004. Dix nouveaux pays adhéreront alors à l’Union européenne : les trois pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), cinq pays d’Europe centrale et orientale issus du bloc soviétique (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque et Slovénie), et deux îles méditerranéennes (Malte et Chypre).

Bien que très différents du point de vue de l’histoire et de la géographie ainsi qu’en termes de structures et d’évolution économiques, ces pays présentent quelques caractéristiques communes au regard du marché du travail et de l’emploi.

Pour partie, ces caractéristiques sont compatibles avec les évolutions en cours au sein de l’Union, ce qui contribue à expliquer que le processus d’élargissement à ces dix pays ait été confirmé, alors que d’autres, la Turquie, mais aussi la Bulgarie ou la Roumanie, devront patienter quelques années supplémentaires. S’observent cependant aussi des tendances préoccupantes.

Des caractéristiques favorables

En termes de répartition sectorielle de l’emploi tout d’abord, le secteur tertiaire est devenu, dans ces pays comme dans l’Union, le principal pourvoyeur d’emplois :

Tableau 1. Part du secteur tertiaire dans l’emploi total en 2001
Chypre 71,1%
Estonie 58,7%
Hongrie 59,4%
Lettonie 59,6%
Lituanie 56,3%
Pologne 50,1%
Slovaquie 56,7%
Slovénie 51,4%
République Tchèque 54,6%
UE à 15 69,4%

Source : Commission européenne (2002), Employment in Europe 2002, pp.173-199.
NB. Données sur Malte non disponibles.

Le fait n’allait pas de soi : par exemple, en 2001, selon la même source, la part du secteur tertiaire dans l’emploi s’établissait à seulement 29,7 % en Roumanie.

Les taux d’emploi, ensuite, sont également assez homogènes. Ils sont comparables à ceux de plusieurs pays membres, et indiquent un volume d’offre de travail mobilisable non dépourvu d’intérêt étant donné les perspectives démo-économiques au sein de l’Union, et les menaces qu’elles recèlent en termes de pénurie de main d’œuvre et de financement des retraites :

Tableau 2. Taux d’emploi des 15 – 64 ans en 2001
Belgique 59,9%
Espagne 56,3%
France 63,1 %
Grèce 55,4%
Italie 54,8%
Luxembourg 62,9%
Chypre 67,9%
Estonie 61,1%
Hongrie 56,3%
Lettonie 58,9%
Lituanie 58,6%
Pologne 53,8%
Slovaquie 56,7%
Slovénie 63, %
République Tchèque 65%
UE à 15 63,9%

Source : idem.

En matière d’activité féminine aussi, les comportements sont homogènes et compatibles avec les principes de la politique européenne de l’emploi. Dans au moins six des dix pays en voie d’adhésion, les taux d’activité et d’emploi des femmes sont au moins égaux à la moyenne européenne :

Tableau 3. Taux d’activité et d’emploi de la population féminine âgée de 15 à 64 ans en 2001
Taux d’activité Taux d’emploi
Chypre 60,0% 56,5%
Estonie 65,6% 56,9%
Hongrie 52,2% 49,6%
Lettonie 63,6% 56,1%
Lituanie 66,5% 57,4 %
Pologne 60,8% 48,4%
Slovaquie 63,6% 51,8%
Slovénie 62,5% 58,6%
République tchèque 63,0% 57,0%
UE à 15 60,2% 54,9%

Source : idem.

Enfin, l’élargissement à ces dix pays ne devrait pas faire obstacle à la poursuite de la politique d’allongement de la vie active, les taux d’emploi des plus de 55 ans y étant d’ores et déjà, dans quatre pays, au moins égaux à la moyenne de l’Union :

Tableau 4. Taux d’emploi de la population âgée de 55 à 64 ans en 2001
Hommes Femmes
Chypre 67,9% 32,6%
Estonie 57,1% 41,9%
Hongrie 35,0% 14,6%
Lettonie 44,8% 30,1%
Lituanie 48,6% 31,8%
Pologne 38,3% 23,8%
Slovaquie 37,7% 10,0%
Slovénie 33,0% 14,4%
République tchèque 52,4% 23,0%
UE à 15 48,6% 28,8%

Source : idem.

Sur tous ces points, les caractéristiques structurelles des marchés du travail des pays en voie d’adhésion devraient donc contribuer à la dynamique impulsée par la stratégie européenne pour l’emploi.

En revanche, les caractéristiques des emplois en termes de durée des contrats et de durée du travail, et par ailleurs les évolutions du chômage, soulèvent davantage d’interrogations.

Durée des contrats, durée du travail et chômage : des tendances préoccupantes

En termes de durée des contrats, tout d’abord, la part des contrats à durée déterminée dans l’emploi total est systématiquement plus faible dans les pays en voie d’adhésion que dans l’Union européenne, ce qui suggère une plus grande rigidité des marchés du travail. La comparaison entre l’Union et les pays candidats en matière de poids relatif du travail à temps partiel confirme ce constat

Tableau 5. Parts du travail à temps partiel et des contrats à durée déterminée dans l’emploi total en 2001
Temps partiel Durée déterminée
Chypre 8,1% 8,1%
Estonie 6,9% 2,6%
Hongrie 3,3% 6,4%
Lettonie 10,0% 6,0%
Lituanie 8,2% 5,3%
Pologne 9,5% 8,6%
Slovaquie 2,3% 4,6%
Slovénie 6,1% 10,8%
République tchèque 4,3% 5,9%
UE à 15 17,9% 13,4%

Source : idem.

La contrepartie généralement associée à cette rigidité est la protection de l’emploi, considérée comme facteur de qualité de l’emploi. Or cette contrepartie qualitative ne semble pas non plus vérifiée dans les pays en voie d’adhésion : l’enquête annuelle d’Eurostat sur la population active montre que le poids de la contrainte dans la détermination de la durée du travail et de la durée de l’emploi est, dans ces pays, quasi-systématiquement plus élevé qu’au sein de l’Union :

Tableau 6. Part du subi dans le travail à temps partiel et dans les contrats à durée déterminée en 2001
Temps partiel Durée déterminée
Chypre 30,0% 80,0%
Estonie 25,0% 70,0%
Hongrie 27,5% 50,0%
Lettonie 37,0% 80,0%
Lituanie 70,0% 85,0%
Pologne 37,5% 50,0%
Slovaquie 18,0% 80,0%
Slovénie 10,0% 40,0%
République tchèque 12,5% 47,0%
UE à 15 15,0% 35,0%

Source : idem.

Les pays en voie d’adhésion cumulent donc rigidité du marché et moindre qualité de l’emploi. Cette situation elle-même est en cours de détérioration. Le poids relatif des contrats à durée déterminée est généralement en hausse, indiquant une tendance à la précarisation des emplois, plus marquée dans les pays candidats que dans l’Union, et en contradiction avec les objectifs de la stratégie européenne de l’emploi :

Tableau 7. Variation absolue de la part des contrats à durée déterminée dans l’emploi total entre 1998 et 2001
Chypre +0,4*
Estonie +1,1
Hongrie +0,8
Lettonie -0,7
Lituanie -0,2
Pologne +4,7
Slovaquie +1,2
Slovénie +1,6
République Tchèque +1,1
UE à 15 +0,3

* 1999-2001
Source : idem, pp.173-199.

Les tendances du chômage sont préoccupantes aussi. Dans un pays sur deux, le taux de chômage global est supérieur au taux le plus élevé de l’Union (10,6 % en Espagne en 2001), et la tendance est généralement croissante alors qu’elle décroît au sein de l’Union :

Tableau 8. Évolution du taux de chômage des 15 ans et plus depuis 1998
Chypre * 4,9% 4,0%
Estonie 9,6% 12,4%
Hongrie 8,9% 5,7%
Lettonie 14,5% 13,1%
Lituanie 12,5% 16,5%
Pologne 9,9% 18,4%
Slovaquie ** 15,9% 19,4
Slovénie 7,4% 5,7%
République tchèque 5,9% 8,0%
UE à 15 9,5% 7,4%

* 1999
** 2000
Source : idem.

À court terme, l’élargissement ne semble pas devoir inverser la tendance dans les pays adhérents. C’est ici la répartition sectorielle de l’emploi qui pose problème. En effet, dans tous les pays en voie d’adhésion, l’agriculture occupe une proportion de travailleurs plus élevée qu’au sein de l’Union ;

Tableau 9. Part de l’agriculture dans l’emploi total en 2001
Chypre 4,9%
Estonie 7,1%
Hongrie 6,1%
Lettonie 15,1%
Lituanie 16,5%
Pologne 19,2%
Slovaquie 6,3%
Slovénie 9,9%
République Tchèque 4,9%
UE à 15 4,2%

Source : idem.

On peut donc s’attendre à ce que, en intégrant le marché unique, les agricultures des nouveaux entrants subissent de plein fouet le choc d’une agriculture européenne d’ores et déjà autosuffisante et plus productive. Sauf mesures de sauvegarde, l’effet à court terme sur le chômage à l’intérieur des pays adhérents sera vraisemblablement défavorable.

Ces tendances entraînent sans doute la nécessité d’appliquer avec une vigueur particulière la stratégie européenne pour l’emploi dans les pays adhérents, et d’y mettre en place, le cas échéant, des dispositifs de sauvegarde spécifiques à titre transitoire. Mais, a priori, elles ne semblent pas en mesure de menacer significativement les performances d’ensemble de l’Union, ni de remettre en cause les objectifs pour l’horizon 2010 définis à Lisbonne en mars 2000 : en effectifs, les marchés du travail des dix pays adhérents ne représenteront pas plus de 20 % du marché du travail global de la future Union à 25. L’essentiel des performances de l’Union dépendra donc des tendances dans les 15 pays hôtes.

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