La stratégie européenne pour l’emploi : bilan 2000 et perspectives 2001
Guy Tchibozo, LISEC UR 2310, Université de Strasbourg
Définie lors du Sommet de Luxembourg en 1997, la Stratégie européenne pour l’emploi s’organise chaque année autour de deux périodes clés : au printemps, les rapports des États membres sur la mise en œuvre nationale des lignes directrices pour l’emploi ; à l’automne, le Rapport conjoint de la Commission sur les politiques nationales d’emploi, et la formulation des lignes directrices pour l’année suivante.
Mots-clefs : emploi et chômage, marché du travail, politique et stratégie de l’emploi.
Citer cet article
Guy Tchibozo « La stratégie européenne pour l’emploi : bilan 2000 et perspectives 2001 », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 3, 10 - 12, Hiver 2000.
Le rapport conjoint de la Commission publié en septembre 2000 permet de faire le point sur la situation de l’emploi dans l’Union, et analyse l’application par les États des recommandations communautaires. Avec les décisions du Sommet de Lisbonne, il sert de base à l’actualisation des lignes directrices pour 2001.
La situation de l’emploi dans l’Union européenne en 2000
Trois tendances dominent la conjoncture de l’emploi dans l’Union.
La première est celle du reflux du chômage. Pour la quatrième année consécutive, le taux de chômage global de l’Union a baissé, passant de 9,2 % en 1999 à 8,3 % en août 2000. Le nombre de chômeurs dans l’Union européenne s’établit donc à 14,9 millions en mars 2000, contre un maximum de 18,7 millions en février 1994. Cependant, le rapport mentionne l’inégale répartition des créations d’emploi selon les pays (l’Irlande vient en tête, l’Allemagne en queue), les branches (forte hausse de l’emploi dans l’informatique) et les catégories professionnelles (forte hausse des emplois de cadres, techniciens et vendeurs ; diminution des emplois manuels et des emplois de bureau). En outre, le chômage de longue durée et le chômage des jeunes persistent.
La deuxième tendance concerne la décélération de l’emploi à temps partiel et de l’emploi à durée déterminé. La Commission note que pour la première fois depuis dix ans, les emplois créés l’ont été plus souvent à plein temps qu’à temps partiel. La Commission relève de même qu’en 1999, l’économie européenne a créé davantage d’emplois à durée indéterminée qu’à durée déterminée.
Enfin, le phénomène de pénurie de main d’œuvre et de qualifications se généralise à l’ensemble des marchés du travail de l’Union. D’où un regain d’intérêt pour la hausse sensible du taux d’emploi (proportion des 15-64 ans occupant un emploi) dans l’Union : 62,2 % en 1999 contre 61,3 % en 1998. Le rapport souligne cependant que malgré la pénurie, les tendances inflationnistes demeurent modérées.
L’évaluation des politiques nationales d’emploi
Le rapport évalue ensuite les efforts accomplis par les États membres pour intégrer et mettre en œuvre les lignes directrices et les recommandations communautaires dans leurs politiques nationales. L’évaluation s’effectue par ligne et par pays. Plusieurs observations s’en dégagent.
En premier lieu, les directives européennes exercent clairement un effet de stimulation de l’innovation en matière d’ingénierie des politiques d’emploi. D’où un renouvellement sensible de la gamme des dispositifs, dans un domaine pourtant déjà largement exploré depuis une trentaine d’années. Dans le cadre du premier pilier tout d’abord, l’intervention précoce des pouvoirs publics avant l’entrée en chômage de longue durée (lignes directrices 1 et 2) a ainsi conduit à mettre en place le suivi socio-psychologique (Luxembourg) ou le nouveau départ (France). La particularité de cette dernière formule consiste en ce qu’elle ajoute à la série traditionnelle des fonctions remplies par le service public de l’emploi (remobilisation, bilan professionnel, orientation, formation et placement), une activité d’accompagnement social et personnalisé. En Finlande, les recommandations sur l’apprentissage tout au long de la vie (ligne directrice 6) se traduisent par une stratégie globale combinant apprentissage individualisé, actualisation des connaissances des formateurs et reconnaissance publique des connaissances acquises. En matière de lutte contre l’abandon scolaire prématuré (ligne directrice 7), la bonne pratique distinguée est le dispositif français des zones d’éducation prioritaires et des classes relais. Autre exemple encore, l’Irlande a connecté 95 % de ses écoles primaires et secondaires à Internet, ce qui concourt à l’adaptation des jeunes aux mutations technologiques (ligne directrice 8).
Dans le cadre du deuxième pilier ensuite, l’Italie met en place un outil destiné à analyser l’effet des nouvelles réglementations, afin de réduire les obstacles au démarrage et à la gestion des entreprises (lignes directrices 10 et-11). L’Allemagne développe des programmes spécialement adaptés au financement des micro-entreprises. En Finlande, l’enseignement de l’entrepreneuriat devient systématique dans tous les cursus professionnalisés.
Le quatrième pilier, destiné à favoriser l’égalité des chances entre hommes et femmes, comporte également plusieurs mesures nouvelles. La Grèce étudie la mise en place de quotas, tandis que l’Espagne se distingue par une réduction supplémentaire de cotisations sociales au profit des employeurs qui embauchent des femmes en chômage de longue durée ou âgées de plus de quarante-cinq ans, ou dans les secteurs où les femmes sont sous-représentées. Enfin, pour permettre de concilier vie professionnelle et familiale(ligne directrice 21), le Royaume-Uni lance une campagne nationale de recrutement et de formation de personnel de garderie.
La deuxième observation porte sur le paradoxe français. Le plus souvent, l’évaluation de la commission est qualitative. Soit Parce que les indicateurs communautaires ne permettent pas de prendre en compte la diversité des mesures mise en œuvre dans le cadre des plans d’action nationaux, soit parce que les « états ne fournissent pas toujours les données nécessaires », le rapport s’abstient, pour plus de la moitié des lignes directrices, d’établir un classement des performances nationales. Des éléments de classement sont cependant fournis pour 10 lignes directrices, ce qui permet d’identifier « les meilleurs élèves de la classe Europe ».
La Suède, le Danemark et la Finlande se distinguent particulièrement. L’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas occupent une position moyenne, juste avant l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Royaume-Uni. La France figure, avec la Belgique et le Portugal, parmi les pays les moins performants au regard des objectifs communautaires en matière de politique d’emploi. Dans le cas de la France, on ne peut manquer d’être frappé par le paradoxe d’un pays qui, avec l’expérience la plus précoce en matière de politique d’emploi (les premiers dispositifs d’insertion professionnelle remontent en France au milieu des années soixante-dix), et la gamme de dispositifs la plus complète et la plus diversifiée, apparaît à ce point éloigné des objectifs communautaires. Les limites des indicateurs de performance ne masquent pas, toutefois,les points sur lesquels les efforts nationaux demeurent insuffisants. Le rapport relève notamment l’insuffisante prise en compte des nécessités d’alléger la fiscalité de l’emploi(LD 14-15), d’adapter l’organisation et les législations du travail (LD 16-18), de réduire la ségrégation professionnelle et les inégalités de revenus entre hommes et femmes (LD 20),et de faciliter l’accueil des personnes à charge (LD 21). L’ensemble de cette évaluation générale se prolonge par une évaluation plus précise de chacune des politiques nationales des pays membres.
Au total, le rapport considère que « les performances en matière d’emploi démontrent qu’un cercle vertueux a été créé »(p. 86). La Commission décerne ainsi un satisfecit à la stratégie européenne pour l’emploi, telle qu’elle se présente à mi-parcours. On peut observer en tous cas que se mettent en place des modalités et des caractéristiques communes (prévention et activation notamment) qui rapprochent les politiques nationales et préfigurent la future politique commune de l’emploi.
En 2001, les lignes directrices évoluent
Fidèle à la doctrine exposée les années précédentes, la Commission ne bouleverse pas en profondeur, cette année non plus, la philosophie d’ensemble des LDE pour l’année suivante. L’architecture en quatre piliers est maintenue, de même que la référence récurrente au rôle central de la formation dans la politique d’emploi. Des compléments sont cependant rapportés.
D’une part, tirant les conséquences du Sommet de Lisbonne, la Commission Replace la stratégie pour l’emploi dans une perspective large et ambitieuse, dont l’objectif est de doter l’Union de l’économie « la plus compétitive et la plus dynamique du monde », et simultanément « capable (...) d’une plus grande cohésion sociale ».
D’autre part, trois principaux objectifs communs aux quatre piliers (objectifs horizontaux) sont mis en exergue :
- l’augmentation du taux d’emploi. L’objectif est d’élever de près de dix points le taux d’emploi global dans l’Union européenne au cours de la prochaine décennie (70 % contre un peu plus de 62 % actuellement) ;
- la réalisation d’une économie et d’une société fondées sur la connaissance, notamment en systématisant le principe de formation tout au long de la vie ;
- le renforcement de l’intervention des partenaires sociaux dans la mise en œuvre et le contrôle des politiques d’emploi.
Les états devront présenter au printemps 2001 leurs rapports nationaux sur la prise en compte des lignes directrices et des recommandations contenues dans le Rapport Conjoint. L’ensemble de l’expérience de stratégie européenne pour l’emploi mise en œuvre depuis 1997 fera l’objet d’une évaluation complète en 2002.
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