Les perspectives financières 2007-2013 : un échec programmé ?

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

L’échec des négociations sur les perspectives financières de l’Union pour 2007-2013 n’est pas un simple accident de parcours. Il révèle les fragilités de l’édifice européen.

Mots-clefs : Agenda 2000, budget de l’Union européenne, cadre financier pluriannuel de l’Union européenne.

Citer cet article

Michel Dévoluy « Les perspectives financières 2007-2013 : un échec programmé ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 13, 18 - 21, Automne 2005.

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L’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible » apparaît en exergue du document de la Commission proposant les « perspectives financières » pour la période 2007-2013. Cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry mérite d’être méditée, surtout lorsqu’on sait que le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 juin 2005 s’est séparé sur un constat d’échec en la matière. Cet échec révèle une question de fond : quelle Europe voulons-nous construire ? Divers prises de position, énoncées à la sortie du sommet, illustrent l’ampleur du problème. Selon M. Juncker, alors Président en exercice du Conseil européen, « il y a en qui diront que ce n’est pas une crise, mais l’Europe est dans une crise profonde … Deux conceptions de l’Europe se sont affrontées et s’affronteront toujours … Il y a ceux qui, sans le dire, veulent le grand marché et rien que le grand marché, une zone de libre échange, et il a ceux qui veulent une Europe politiquement intégrée ». Cette analyse est reprise par le Chancelier Gerhard Schröder quand il déclare « veut-on un marché, avec quelques instruments, ou une union politique, avec tout ce qu’elle comporte ? »

Les perspectives financières en perspective

Les Perspectives financières (PF) reflètent le projet politique de l’Union sur le moyen terme. Elles dégagent des choix fondamentaux qui se traduisent par des engagements financiers sur une période de sept ans. Leur adoption définitive passe par une décision à l’unanimité du Conseil européen. Plus précisément, la Commission propose les PF sur lesquelles le parlement vote et, enfin, le Conseil européen est l’instance de décision ultime. Les PF marquent les ambitions pour l’Europe. La contrainte de l’unanimité pointe les limites de cet exercice où prévaut la dimension intergouvernementale.

La programmation pluriannuelle des budgets, nommée « les perspectives financières » a été introduite par accord interinstitutionnel (Conseil, Commission, PE) de 1988. Les PF ont eu, dès l’origine, un double objet. D’une part, nous l’avons dit, marquer les priorités politiques en définissant les grandes rubriques. D’autre part, discipliner les dépenses de l’Europe en instaurant un plafond pour les ressources et en fixant le montant des grands postes de dépenses. Le budget européen, voté chaque année, doit suivre les rubriques, les plafonds et les montants inscrits dans les PF.

Les 1ers PF (1988-1992), programmées sur cinq ans, ont eu comme axe principal l‘achèvement du marché unique. Le plafond était de 1,2% du PNB. Les dépenses s’articulaient déjà sur les quatre rubriques que l’on retrouve dans les deux PF suivantes : agriculture, actions structurelles, politiques internes, actions extérieures. On a appelé ces PF le Paquet Delors I.

Le Paquet Delors II (1993-1999) a eu comme priorité le rattrapage des pays du Sud et de l’Irlande, afin de préparer le passage à l’euro. Le plafond est passé à 1,27 % du PNB.

L’Agenda 2000 (2000-2006) correspond aux 3èmes PF. Il prépare l’élargissement en introduisant de deux nouveaux postes : aide de pré adhésion et élargissement. Le plafond de 1,27 % du PNB (1,24 % du RNB) a été reconduit [1].

Les PF font apparaître chaque année une « marge disponible » entre le plafond des ressources et le total des crédits de paiements. Cette marge substantielle – autour de 10 % du budget – sert à compenser des ressources effectives inférieures aux prévisions ou/et à des dépenses non programmées. Rappelons ici que les recettes budgétaires de l’union dépendent d’un système des ressources propres qui ne prévoit aucun impôt européen et qui exige un budget voté et exécuté en équilibre.

Avant 1970, les droits de douane étaient la seule ressource propre. Les autres recettes représentaient des contributions acquittées directement par les États membres. Les accords de Luxembourg d’avril 1970 ont introduit deux nouvelles ressources propres : les droits agricoles appliqués aux importations provenant des pays tiers et un prélèvement sur la TVA perçue par les États membres. L’accord de Bruxelles de 1988 ajouta une quatrième ressource propre fondée sur le produit national brut (PNB) de chaque État membre. Cette dernière qualifiée de « ressource d’équilibre » est devenue la plus importante (73 % des recettes en 2004).

Les propositions pour 2007-2013 de la Commission

Les 4ième PF proposées par la Commission sont exposées dans une Communication de 2004 intitulée « Construire notre avenir commun – Défis politiques et moyens budgétaires de l’Union élargie, 2007-2013 » (COM (2004) 101).

Ce texte affiche comme priorités la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne [2], la réussite de l’élargissement dans un contexte de forte globalisation et la promotion de la citoyenneté européenne. Pour l’aspect discipline budgétaire, il est proposé de continuer à plafonner les ressources propres de chaque budget annuel à 1,24 % du RNB.

Le tableau 1 résume les PF chiffrées par la Commission en date du 12.4.2005 (SEC [2005] 494 final) [3].

  • La rubrique 1 cible l’achèvement du marché intérieur en s’appuyant sur une croissance durable et sur la cohésion. Elle distingue l’aspect « développement et économie de la connaissance » issue de la stratégie de Lisbonne (ligne 1a) des politiques régionales et de cohésion actuellement en vigueur (ligne 1b).
  • La rubrique 2, en dépit de son intitulé général, reprend très largement le poste agriculture. La politique agricole commune (PAC) traditionnelle de soutien aux marchés et des aides directes reste très présente avec 43 milliards par an. Celle-ci avait d’ailleurs été « sanctuarisée », jusqu’en 2013, dans un accord du Conseil européen de Bruxelles d’octobre 2002. Une place est également faite pour le développement rural et la protection de l’environnement.
  • La rubrique 3 répond à la volonté de promouvoir le concept politique de citoyenneté européenne. Il s’agit ici d’aménager un espace de liberté, de justice, de sécurité et de permettre l’accès aux biens publics élémentaires. Le montant affecté est faible.
  • La rubrique 4 affirme le rôle de l’Union dans la géopolitique mondiale en s’appuyant sur une démarche de partenariat pour faire partager ses valeurs et contribuer à la sécurité civile et stratégique. Elle couvre toutes les actions extérieures y compris les aides de pré-adhésion.
    La dernière rubrique contient les dépenses d’administration de l’Union. En définitive, ce nouveau cadre financier n’apporte pas de bouleversement par rapport aux précédentes PF. Malgré l’évolution de l’intitulé des rubriques, on retrouve les quatre grands domaines traditionnels : agriculture, actions structurelles, politiques internes, actions extérieures.
Tableau 1. Le cadre financier 2007-2013 proposé par la Commission
Années (20—) 07 08 09 10 11 12 13 Σ
1. Croissance durable comprenant : 59 62 65 67 70 73 76 472
1a. Compétitivité pour la croissance et l’emploi 12 14 16 19 21 24 26 132
1b. Cohésion pour la croissance et l’emploi 47 48 49 48 49 49 50 340
2. Conservation et gestion des ressources naturelles dont : agriculture 57 58 58 58 58 58 58 300
3. Citoyenneté, liberté, sécurité et justice 3 3 3 4 4 4 4 25
4. L’UE en tant que partenaire mondial 8 11 13 14 14 15 16 91
5. Administration 4 4 4 4 4 4 4 28

Source : commission avril 2005 : SEC(2005) 494 final.

Aux sources de l’échec

Le succès des négociations du Conseil européen de juin 2005 sur les PF 2007-2013 n’était pas acquis d’avance. Les oppositions pouvaient aisément se cristalliser sur des points de désaccord connus comme la PAC ou le chèque britannique. Mais sur le fond, les avis sur les PF traduisent des attentes différentes en matière de construction politique. Nous résumons ci-dessous les principaux arguments qui contestent les propositions de la Commission.

L’Union n’a cessé depuis plusieurs années d’appeler les États membres à la vertu budgétaire et au respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Il est devenu aisé, surtout pour les gouvernements montrés du doigt, de demander à l’Union de contribuer à la rigueur budgétaire à travers un plafonnement des ressources à 1% du RNB.

Les grands choix budgétaires sont contestés par les États qui souhaitent une vraie réorientation des dépenses de l’Union. En clair, certains réclamaient un recul très significatif de la PAC au bénéfice de la stratégie de Lisbonne tandis que d’autres insistaient sur la cohésion et la solidarité.

La controverse sur les contributions nettes au budget de l’Union des États membres a été réactivée. Chacun souhaite recevoir du budget européen autant qu’il donne. Naturellement, cette approche strictement comptable méconnaît l’ensemble des externalités positives dont bénéficie chaque État membre du fait de son appartenance à l’Union. Le tableau 2 présente les soldes budgétaires opérationnels en 2003 [4]. On constate que seuls quatre pays sont bénéficiaires nets (signe plus). Les plus gros contributeurs nets ont réclamés des modifications en leur faveur, remettant ainsi en cause les règles des ressources propres.

Un des versants des contributions nettes concerne l’existence du chèque britannique. La justification de cette ristourne est de plus en plus contestée par certains États [5]. Notons que sans cette compensation, la contribution nette du Royaume-Uni serait plus élevée dans le tableau 2. Les britanniques ont indiqué qu’ils n’accepteraient de revoir ce point qui si le budget est remis à plat. Leur argument est simple : la compensation s’explique massive- ment par la présence de la PAC. Il faut donc reconsidérer cette politique pour supprimer leur chèque.

Tableau 2. Les soldes budgétaires opérationnels en 2003 (Après déduction de la compensation britannique)
En % du RNB En euros par habitant
Pays Bas - 0,43 -120
Suède - 0,36 -106
Allemagne - 0,36 -92
Belgique - 0,28 -74
Luxembourg - 0,28 -125
Royaume-Uni - 0,16 -46
Autriche - 0,15 -41
France - 0,12 -32
Danemark - 0,11 -39
Italie - 0,06 -13
Finlande - 0,01 -4
Espagne +1,21 +213
Irlande +1,40 +305
Grèce +2,22 +333
Portugal +2,66 +391

Source : Commission européenne

Derniers compromis sans lendemain

Le Parlement européen, qui vote les PF avant qu’elles ne passent devant le Conseil, a globalement accepté le projet tout en demandant une réduction du plafond des ressources à 1,07 % du RNB. Au cours des discussions, le Parlement a évoqué la nécessité de revoir, à terme, les dépenses agricoles ainsi que la possibilité de faire correspondre le période couvrant les PF avec celle d’une législature. Les propositions de la Commission, même légèrement amendées par le Parlement, n’ont pas fait l’unanimité au Conseil européen de juin 2005. Pour tenter de sauver les PF, la Présidence luxembourgeoise de l’UE a produit un compromis de dernière minute. Du côté des recettes, il a été proposé l’introduction d’un plafond des dépenses (crédits d’engagements) à 1 % du RNB de l’UE ; un gel du chèque britannique à 4,6 milliards d’euros jusqu’en 2013 ; une réduction des contributions nettes de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Suède [6].

Du côté des dépenses, l’accord de 2002 qui « sanctuarise » jusqu’en 2013 les dépenses relatives aux marchés et les aides directes de la PAC est respecté. Mais pour le reste, on note des réductions importantes. Elles sont chiffrées pour l’ensemble de la période 2007-2013 (chiffres en gras du tableau 1). La rubrique 1a est fixée à 72 milliards d’euros (à comparer aux 132 du tableau 1). Les coupes concernent la recherche et les réseaux transeuropéens. La rubrique 1b sur la cohésion est ramenée de 340 à 306 milliards d’euros. Les deux autres axes subissent les plus fortes baisses en pourcentages. En effet, la rubrique 3 sur la citoyenneté passe de 25 à 11 milliards d’euros et la rubrique 4 de l’UE comme partenaire mondial de 91 à 50 milliards d’euros.

Ce compromis de la dernière chance éloigne l’Union des ambitions de la stratégie de Lisbonne et répond aux volontés de réduire le budget communautaire. Il a finalement été rejeté après quinze heures d’âpres négociations. Certes, le Conseil a encore une année devant lui pour trouver un accord. Mais cet échec est lourd de sens. Il révèle des interrogations sur les choix politiques fondamentaux de l’UE et sur son fonctionnement institutionnel. Ces questions restent d’autant plus ouvertes que le projet de Constitution [7] propose de reconduire les mécanismes actuels d’approbation des perspectives financières.

Publication par l’OPEE

Dévoluy M. (dir.), (2004), Les politiques économiques européennes : enjeux et défis, Points Seuil.


[1Depuis 2002, l’UE a remplacé son agrégat de référence le PNB par le Revenu national brut (RNB). Ce détail technique permet à l’UE de suivre la nouvelle harmonisation comptable (le SEC 95).

[2Le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 a fixé une stratégie pour l’Union à l’horizon 2010 : devenir l’économie la plus dynamique de la planète. Pour y parvenir l’Union doit promouvoir une économie fondée sur la connaissance, la recherche et les nouvelles technologies.

[3Pour simplifier nous avons ici arrondis les chiffres officiels au milliard d’euros.

[4La méthode de calcul des soldes budgétaires dits opérationnels fait la différence, par pays, entre ses versements et les dépenses opérationnelles effectuées sur son territoire. Les dépenses administratives ne sont pas retenues, elles concernent surtout la Belgique et le Luxembourg.

[5Ce système, introduit en 1984, corrige le déséquilibre budgétaire du Royaume-Uni car il paye structurellement plus que les autres et reçoit moins de la PAC. La compensation prend la forme d’un remboursement du solde budgétaire opérationnel à hauteur de à 66 %. Elle est versée par les autres États en fonction de leurs contributions fondées sur le PNB/RNB.

[6Techniquement cela passe par une réduction de la part des recettes TVA versées au budget de l’UE et par le non versement au budget d’une partie des taxes douanières.

[7Voir l’article I. 55.

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