Traité transatlantique et investissements bilatéraux
Eric Rugraff, Université de Strasbourg (BETA)
Le Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement (PTCI), en cours de négociation entre les Etats-Unis et l’UE, a pour objectif, entre autres, d’accroître les garanties apportées aux investisseurs étrangers dans le pays hôte lorsqu’ils réalisent des investissements directs étrangers (IDE). Cet article souligne l’absence de consensus dans la littérature économique quant à l’impact d’accords pro-IDE sur les flux d’IDE dans les pays signataires d’un accord. Il n’y a pas davantage de consensus en matière d’impact des IDE sur la croissance économique d’un pays d’accueil, de sorte que les mesures pro-IDE sont pour le moins discutables. Enfin, les possibilités de recours à des arbitrages internationaux, telles qu’elles sont prévues dans le PTCI, sont aujourd’hui critiquées par des organisations internationales comme la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
Mots-clefs : investissements directs étrangers, négociations commerciales internationales, relations économiques internationales, Traité transatlantique.
Citer cet article
Eric Rugraff « Traité transatlantique et investissements bilatéraux », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 31, 19 - 24, Hiver 2014.
Les IDE et le PTCI
Dans le n°30, été 2014, du Bulletin de l’OPEE, Michel Dévoluy a présenté les tenants et aboutissants de la négociation en cours entre les États-Unis et l’UE pour la signature du Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement (PTCI). Ce partenariat, s’il se concrétise couvrirait la moitié de la production mondiale, un tiers des échanges mondiaux de marchandises (y compris les échanges intra-UE) et un cinquième des investissements directs étrangers (IDE). L’OCDE rappelle que les États-Unis et l’Europe sont l’un pour l’autre, les principaux partenaires en termes de commerce et d’IDE et qu’ils auraient dès lors tout intérêt à pousser plus avant leur intégration économique et commerciale (OCDE, 2013). Dans la mesure où les obstacles tarifaires (droits de douane) entre les deux parties sont faibles, l’essentiel des gains à attendre en termes d’emplois et de croissance viendrait de l’assouplissement des mesures intérieures limitant le commerce et les IDE, ainsi que de l’ouverture des marchés publics. L’OCDE, qui s’est engagée à soutenir le projet, estime que les gains à attendre seraient « considérables » et pourraient faire gagner jusqu’à 13 % du PIB annuel aux Etats-Unis et 5 % à l’Union européenne.
Cet article s’attache à étudier un aspect central dans le PTCI, à savoir les IDE. L’objectif du PTCI est en effet de favoriser les flux bilatéraux d’IDE entre les deux espaces. Ce qui se négocie, c’est la mise en place d’un ensemble de mesures qui inciteraient les firmes multinationales américaines à augmenter leurs investissements dans l’UE et les firmes multinationales de l’UE à investir davantage aux États-Unis. La question des garanties apportée aux investisseurs étrangers est aujourd’hui au cœur à la fois des discussions entre les deux partenaires et de la contestation du partenariat par la société civile. Les clauses du partenariat les plus contestées sont celles qui transféraient à un tribunal extérieur la résolution de conflits entre un investisseur étranger et l’État-hôte (Dévoluy, 2014).
L’intérêt de la signature d’un accord sur les IDE dépend fondamentalement de trois aspects. Premièrement, celui de l’impact sur les flux d’IDE. En d’autres termes, un accord qui protégerait davantage les investisseurs dans le pays/espace-hôte conduirait-il à une augmentation des flux d’investissements ? Grâce à ce nouvel accord les firmes multinationales américaines créeraient-elles de nouvelles filiales de production et de commercialisation en Europe et réinvestiraient-elles une part plus importante des bénéfices réalisés en Europe ? La deuxième question est celle de l’impact de ces investissements américains additionnels. En effet, attirer des flux d’IDE n’a d’intérêt qu’à la condition que ces flux d’IDE supplémentaires aient un effet positif sur la croissance économique de l’UE. La troisième question enfin, est celle du coût pour l’UE, en cas de différend entre les investisseurs américains et l’UE, d’arbitrages internationaux qui lui seraient défavorables. En d’autres termes, il s’agit alors de faire un calcul en termes de coût-avantage : avantage à attirer des IDE supplémentaires en tenant compte des coûts potentiels pour l’UE d’arbitrages défavorables.
Malheureusement, les études empiriques existantes ne permettent de trancher aucune des trois questions. La difficulté principale résulte du fait que des accords bilatéraux sur les IDE entre pays développés sont récents et ne concernent qu’un nombre limité de pays. Historiquement, les accords bilatéraux portant sur les IDE ont surtout concerné des pays développés et des pays en développement ou encore des pays développés et des pays en transition. C’est donc à ce type d’accords qu’il faut se référer pour tenter d’évaluer leur impact sur les flux d’IDE. Quant aux accords Nord-Nord, ils sont trop récents et trop limités pour permettre un traitement économétrique systématique. On en est donc réduit à faire des hypothèses (par exemple une accélération des flux d’IDE) qu’on est incapable de mesurer efficacement.
Qu’est-ce qu’un traité d’investissement bilatéral (TIB) ?
L’accord États-Unis–UE sur les IDE représente fondamentalement une adaptation de la pratique des traités d’investissements bilatéraux (TIB) de type Nord-Sud au contexte Nord-Nord [1]. Les TIB sont des accords entre deux pays visant à encourager et à protéger les investissements des multinationales de chacun des pays sur le territoire du partenaire. Dans la mesure où les investisseurs étrangers ont une forte aversion au risque de discrimination et d’expropriation de leur capital, les TIB fournissent une garantie que les gouvernements s’engagent à traiter équitablement les investisseurs étrangers et à respecter leurs droits de propriété. Dans la lignée des travaux de Kydland et Prescott (1977) sur l’incohérence temporelle de l’État, les TIB ont pour but « d’attacher l’État au mat pour qu’il ne cède pas aux chants des sirènes ». Les TIB imposent des obligations précises aux États qui permettent de réduire les coûts de transaction des investisseurs étrangers.
Les TIB ont une longue histoire : le premier accord (entre l’Allemagne et le Pakistan) a été signé en 1959. Depuis cette date plus de 2800 TIB ont été signés à travers le monde (CNUCED, 2014). A titre d’exemple, l’Allemagne, qui est le pays européen qui a négocié le plus de TIB, en a signé 134 en un peu plus d’un demi-siècle. Historiquement, les accords ont été signés de pays à pays, essentiellement entre un pays développé et un pays en développement. Mais depuis une période récente, les pays développés ont également commencé à signer des accords avec d’autre pays développés. Le premier accord significatif sur les IDE a été signé par le Canada, les États-Unis et le Mexique dans le cadre de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). En effet le chapitre 11 de l’ALENA comprend des clauses touchant aux IDE : traitement national des investisseurs des deux autres pays de l’ALENA (article 1102), traitement des investisseurs de type « nation la plus favorisée » (article 1103) ou encore de compensation en cas d’expropriation (article 1110). L’accord prévoit, qu’en cas de différend entre un des trois États et un investisseur issu d’un des deux autres États, ce dernier puisse directement se tourner vers une chambre arbitrale internationale [2]. Les États-Unis ont également signé un accord de libre-échange avec l’Australie, qui est entré en vigueur en 2005. Par contre, dans l’accord australo-américain la résolution de différends entre État et investisseurs ne peut pas se faire par arbitrage privé.
Historiquement, en Europe les accords sur les IDE étaient essentiellement signés bilatéralement entre un pays de l’UE et un pays du Sud. Ce n’est que récemment que l’UE s’est saisie du dossier des TIB. Trois accords clés sont négociés, deux avec des pays développés et le troisième avec la Chine. Lors du 14ème sommet Chine-UE en février 2012 les deux espaces se sont engagés dans des cycles de négociation (il y a déjà eu deux cycles de négociation) visant à faciliter les IDE bilatéraux et à apporter davantage de garanties aux firmes européennes investissant en Chine et aux firmes chinoises s’engageant en Europe (Shan et Wang, 2014). Les deux autres accords sont négociés avec les États-Unis (PTCI) et avec le Canada (AECG) [3]. Les deux accords prévoient de fournir des garanties supplémentaires aux investisseurs étrangers avec possibilité de recourir directement à un arbitrage international.
Les traités d’investissements bilatéraux stimulent-ils les flux d’IDE dans le pays hôte ?
Étant donné que les accords Nord-Nord sont trop récents et qu’ils n’existent qu’en nombre limité, on en est réduit à se tourner vers les études empiriques sur les TIB entre pays développés et pays en développement pour essayer d’appréhender l’impact d’un TIB sur les IDE. Un des effets attendus de la signature du TIB est de stimuler les flux d’IDE bilatéraux en offrant de nouvelles garanties aux firmes du partenaire. En signant l’accord les pays s’engagent à respecter les clauses stipulées dans l’accord. Ces clauses augmentent les garanties apportées aux investisseurs étrangers, car dans le cas contraire la signature d’un tel accord n’aurait aucun intérêt. C’est précisément la réduction de l’incertitude institutionnelle et politique qui devrait stimuler les flux des IDE. D’ailleurs, les TIB sont supposés augmenter davantage les IDE dans les pays dans lesquels les cadres institutionnels sont mauvais, à savoir les pays en développement. Les TIB peuvent être des substituts aux réformes. Les TIB concernent seulement les deux pays/espaces signataires du traité. Cependant la signature d’un traité signale implicitement aux investisseurs du reste du monde la volonté d’offrir aux investisseurs des protections additionnelles. Dans le cas des pays en développement, l’« effet signal » est d’autant plus important lorsque le TIB est signé avec un pays développé majeur sur l’échiquier mondial.
Que nous montre la littérature sur les TIB signés entre les pays développés et les pays en développement ? Les études empiriques existantes ne permettent pas de trancher quant à l’existence d’un effet accélérateur des TIB sur les investissements étrangers vers les pays en développement. Une première série de travaux tend à montrer que les TIB augmentent les flux d’IDE (cf. par exemple Busse et al., 2010), tandis qu’un second ensemble d’études tend à montrer que les TIB ont peu d’impact sur les IDE, ou alors que l’impact est conditionné par la qualité de l’environnement économique et institutionnel du pays hôte (cf. par exemple Tobin et Rose-Ackerman, 2011). Dans cette seconde approche, les TIB vont avoir un effet d’autant plus positif que le pays d’accueil des IDE est doté d’institutions de bonne qualité. En d’autres termes, les TIB ne joueraient pas correctement leur rôle, dans la mesure où les IDE iraient dans les pays qui ont le moins besoin de signer des TIB, car ils possèdent déjà un cadre juridique et économique favorable aux investisseurs étrangers. L’absence de consensus entre chercheurs est liée à la diversité des approches utilisées pour modéliser l’effet des TIB sur les IDE (modèles traditionnels d’IDE versus modèles de gravité), la méthodologie utilisée, la taille des échantillons, le type de pays considéré, la périodicité, etc.
En définitive, nous ne savons pas si des accords pro-IDE accroissent les flux d’IDE dans les pays signataires. D’une part, les TIB entre pays développés sont trop récents et trop peu nombreux pour aboutir à des résultats fiables. D’autre part, les travaux menés sur les TIB signés entre pays développés et pays en développement (qui sont suffisamment nombreux et anciens pour des approches économétriques solides) débouchent sur des résultats incertains.
Les flux d’IDE supplémentaires augmentent-ils la croissance économique dans le pays hôte ?
Même si les TIB augmentent les flux d’IDE, cela ne signifie pas pour autant que l’impact global des IDE sera positif pour le pays/espace d’accueil. Des IDE supplémentaires n’augmentent pas nécessairement le niveau de vie dans le pays hôte. On dispose désormais d’une riche littérature économique sur l’impact des IDE dans ses différentes dimensions (création d’emplois, gain de productivité, exportations, etc.). Il ressort très clairement de cette littérature que les IDE ne sont pas bons ou mauvais per se pour l’économie d’accueil. L’impact dépendra de très nombreux facteurs appartenant à trois grandes catégories : la stratégie/organisation de la firme multinationale, le secteur concerné et enfin les caractéristiques du pays d’accueil.
On peut prendre quelques exemples pour chacune de ces trois catégories de facteurs. En ce qui concerne la stratégie/organisation de la firme multinationale on peut aisément comprendre que l’impact variera selon que l’IDE est de type greenfield (ex. création d’une nouvelle usine) ou brownfield (rachat d’une unité existante), de type horizontal (conquête d’un marché local) ou vertical (fondé sur la décomposition de la chaîne de valeur), du taux d’approvisionnement local, du type de relations nouées avec les sous-traitants locaux, etc.
L’impact n’est pas le même selon que l’investissement est réalisé dans l’industrie extractive, le secteur manufacturier ou encore les activités de services. L’intensité technologique des activités a également son importance. Ainsi lorsque des IDE sont réalisés dans les secteurs de haute technologie (ex. aéronautique), l’impact technologique est potentiellement meilleur pour le pays d’accueil que lorsque l’IDE est réalisé dans des secteurs à faible intensité technologique (ex. agroalimentaire).
L’impact dépend également de nombreux facteurs locaux, tels que la qualité des politiques économiques nationales et régionales, le capital humain, le niveau de développement technologique, la densité du tissu industriel local, etc. Il a notamment été montré que l’impact dépend fortement de la « capacité d’absorption » du tissu local : des connaissances portées par des investisseurs étrangers ne ruisselleront pas vers l’économie locale lorsque l’écart technologique entre les investisseurs étrangers et les firmes locales est trop important. En définitive, l’impact final sera positif pour les pays d’accueil lorsqu’il génère des externalités (spillovers) technologiques et pécuniaires (Rugraff et Hansen, 2011). Or, alors que la théorie décrit de nombreux canaux par lesquels des spillovers pourraient transiter, les études empiriques peinent à mettre en évidence, de manière robuste, l’existence de spillovers positifs (Görg et Greenaway, 2003). L’impact est fondamentalement conditionné par des facteurs organisationnels, technologiques et humains.
L’objectif d’un TIB est de fournir des incitations supplémentaires aux investisseurs étrangers afin qu’ils s’implantent ou développent leurs activités dans un pays-hôte. On leur garantit généralement d’être traités de manière équivalente aux firmes locales. Mais on leur offre également, un avantage que n’ont pas les firmes locales, celui de pouvoir poursuivre l’État-hôte devant des juridictions extérieures au pays-hôte. Cet avantage accordé aux investisseurs étrangers (par rapport à des acteurs locaux) se justifierait économiquement si l’investisseur étranger avait en moyenne un impact positif sur l’économie d’accueil supérieur à celui d’une firme locale. Or, comme nous l’avons montré plus haut, l’investisseur étranger n’a pas nécessairement un impact plus important qu’une firme locale et peut même avoir un impact négatif. Dans un article de synthèse de 2003 qui fait référence, Blomström et Kokko affirment que des incitations pro-IDE ne représentent généralement pas un moyen efficace d’augmenter le revenu national : « the main reason is that the strongest theoretical motive for financial subsidies to inward FDI - spillovers of foreign technology and skills to local industry - is not an automatic consequence of foreign investment ».
Le PTCI ne risque-t-il pas de coûter cher à l’UE à la suite d’arbitrages internationaux imposés par les investisseurs directs américains ?
La question de l’arbitrage international est beaucoup plus difficilement justifiable dans les TIB entre pays développés que dans les TIB entre pays développés et pays en développement. En effet, un arbitrage international peut se justifier pleinement dans le cas de TIB Nord-Sud dans la mesure où les institutions juridiques sont souvent défaillantes dans les pays en développement. L’accès à la justice pour un investisseur étranger est souvent difficile dans les pays en développement. De même, le risque de traitement inégal devant la justice est important. Ces deux risques sont beaucoup plus faibles dans les pays développés car ils disposent généralement d’un système juridique efficace. Pourquoi dès lors envisager un arbitrage international alors qu’un arbitrage national pourrait être rendu efficacement et équitablement ?
La CNUCED qui est l’organisation internationale de référence en matière d’IDE, et qui publie chaque année le rapport-clé en matière d’IDE (le « world investment report ») est devenue très circonspecte, depuis une dizaine d’années, à l’égard de l’arbitrage international. La CNUCED (2010) souligne que les procédures d’arbitrage international Etats-firmes ont fortement augmenté en même temps que le nombre de TIB signés a augmenté. Entre 1972 et mars 2014, un total de 465 affaires a été enregistré par le Centre international pour les règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI), la principale instance d’arbitrage international, avec une accélération très forte au cours de ces vingt dernières années [4]. Or, la CNUCED constate que les procédures se sont considérablement complexifiées, que le coût d’un recours à l’arbitrage a fortement augmenté et que les délais se sont fortement allongés. Il faut en moyenne trois à quatre ans pour boucler un arbitrage, ce qui n’offre pas un avantage en termes de célérité par rapport à un arbitrage qui serait rendu dans le pays-hôte des IDE. Le coût de la procédure est également problématique.
On peut prendre des exemples venant des nouveaux pays membres de l’UE. En effet, les procédures d’arbitrage international dans l’UE ont surtout concerné les nouveaux pays membres. Entre 1972 et 2014, 55 différends État-investisseur étranger traités par le CIRDI ont concerné un Etat membre de l’UE [5], et 43 de ces cas ont concerné les États membres des deux derniers élargissements (la Hongrie avec 11 cas est le principal pays concerné). Lorsque ces pays se sont engagés dans la transition économique ils ont signé des TIB (comprenant des clauses d’arbitrage international) avec les pays développés pour attirer les investisseurs étrangers. Cela explique dès lors qu’ils soient les principaux pays de l’UE attaqués par les investisseurs étrangers. Dans le cas « Plama Consortium versus Bulgaria » (ICSID case No. ARB/03/24), l’État bulgare (qui a gagné le procès) a néanmoins payé 6,6 millions de dollars pour les divers frais relatifs à l’arbitrage. Dans le différend « ADC affiliate limited and ADC & ADMC Management versus Hungary » (ICSID case No. ARB/03/16), la Hongrie (qui a perdu) a payé 7,6 millions de dollars de frais de procès. Le différend « CME versus Czech Republic » (UNCITRAL, 2003) a coûté 10 millions de dollars en frais de procédure à la République tchèque. Les procédures étant de plus en plus complexes, il faut faire appel à des cabinets internationaux spécialisés dans les arbitrages internationaux qui vont engager sur le dossier, des équipes de juristes hautement qualifiés (et donc chers) qui vont travailler pendant plusieurs années sur le différend.
De nombreux juristes spécialistes en droit international pointent du doigt les dysfonctionnements de ce type d’arbitrages (cf. par exemple Salacuse, 2007). Dans presque toutes les demandes d’arbitrage ce sont les firmes qui sont demandeurs et les Etats défendeurs. On a donc affaire à une modalité d’arbitrage qui est quasi-exclusivement utilisée par une seule des deux parties. Salacuse (2007) montre aussi que ce type de procédures d’arbitrage représente une véritable atteinte à la souveraineté nationale. Prenons l’exemple d’un Etat qui a décidé la mise en place de nouvelles mesures de protection de l’environnement ou encore de lever un nouvel impôt. Si l’investisseur étranger considère que ces mesures bafouent ses droits tels qu’ils sont fixés dans les TIB, il peut engager une demande d’arbitrage. L’Etat pourra être non seulement condamné pour non-respect des clauses inscrites dans le TIB, mais il sera surtout obligé de retirer ces mesures de protection de l’environnement ou la nouvelle taxe s’il ne veut pas risquer d’être attaqué à nouveau.
Le montant croissant des pénalités est également problématique. Dans le tableau nous avons listé trois cas emblématiques concernant des pays de l’UE. Dans ces trois affaires les Etats ont été condamnés à de très lourdes amendes. Le record revient à un différend opposant une banque tchèque à l’Etat slovaque. Ce dernier a été condamné à verser à la banque tchèque 824 millions de dollars.
Différend firme-Etat | Défendeur | Montant de la pénalité infligée à l’Etat |
---|---|---|
Ceskoslovenska obchodni banka versus Slovak Republic (ICSID case No. ARB/97/4, 2004) | République slovaque | 824 millions de dollars |
CME versus Czech Republic (UNCITRAL, 2003) | République tchèque | 355 millions de dollars |
ADC affiliate limited and ADC & ADMC Management versus Hungary (ICSID case No. ARB/03/16, 2006) | Hongrie | 76,2 millions de dollars |
En définitive, les avantages accordés aux investisseurs étrangers dans le Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement sont pour le moins discutables. En effet, l’analyse économique ne permet pas aujourd’hui de montrer que ce type d’accord favorise les flux d’IDE entrants. De plus, l’impact des IDE n’est pas systématiquement positif, de sorte qu’une politique pro-IDE peut être très coûteuse pour l’État-hôte. Elle risque de l’être d’autant plus si les différends avec les multinationales américaines devaient se multiplier, étant donné les pénalités élevées et croissantes que les États peuvent être condamnés à devoir payer aux investisseurs étrangers.
Bibliographie
Blomström, M. and A. Kokkob (2003), “The economics of foreign direct investment incentives”, NBER Working Paper, n° 9489.
Busse, M., J. Koeniger and P. Nunnenkamp (2010), “FDI promotion through bilateral investment treaties : more than a bit ?”, Review of World Economics 146(1), 147-177.
CIRDI (2014) https://icsid.worldbank.org/ICSID/F...
CNUCED, 2014
http://unctad.org/en/pages/DIAE/International%20Investment% 20Agreements%20(IIA)/IIA-Tools.aspx
CNUCED (2010), “Investor-State disputes : Preventions and alternatives to arbitration, UNCTAD Series on international investment policies for development”, United Nations, New York and Geneva.
Dévoluy, M. (2014), « Le traité transatlantique et la résistance citoyenne », Bulletin de l’OPEE, 30.
Görg, H., and D. Greenaway (2003), "Much ado about nothing ? Do domestic firms really benefit from foreign direct investment ?", IZA discussion paper, 944.
Kydland F. E. and E. C. Prescott (1977), "Rules rather than discretion : the inconsistency of optimal plans", Journal of Political Economy, 85(3), 473-492.
OCDE, 2013, Le partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement : pourquoi cet accord est-il important ? http://www.oecd.org/fr/echanges/TTIP_FRE.pdf
Rugraff, E. and M. W. Hansen (2011), Multinational corporations and local firms in emerging economies, Amsterdam University Press, Amsterdam.
Salacuse, J. W. (2007), “Is there a better way ? Alternative way of treaty-based, investor-state dispute resolution”, Fordham International Law Journal, 31(1), 136-185.
Shan, W., and L. Wang (2014), "The China-EU BIT : The emerging ’global BIT 2.0’, Columbia FDI Perspectives", 128, Columbia Center on Sustainable Development,
Tobin, J. L., and S. Rose-Ackerman (2011), “When bits have come bite : The political economic environment for bilateral investment treaties”, Review of International Organizations , 6, 1-32.
[1] Les TIB couvrent généralement les domaines suivants : définition et étendue des IDE, admission et établissement, traitement national, traitement de type “nation la plus favorisée”, traitement juste et équitable, compensation en cas d’expropriation et de dommages subis par l’investisseur, garantie de libre transfert financier, mécanisme de résolution des différends État-investisseur étranger.
[2] Les deux principales chambres arbitrales internationales sont le Centre international pour les règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI) et la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
[3] AECG est l’acronyme d’Accord économique et commercial global, négocié depuis 2009 et signé en 2013. Avant sa mise en œuvre il devra être approuvé par les dix provinces canadiennes et les 28 États membres de l’UE. L’accord peut être consulté sur http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/september/tradoc_152806.pdf
[4] Voir https://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=ICSIDNewsLettersRH&actionVal=ShowDocument&DocId=DCEVENTS32
[5] Voir la liste des 55 affaires avec le nom des demandeurs et du pays défendeur https://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=ICSIDNewsLettersRH&actionVal=ShowDocument&DocId=DCEVENTS32
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