Éditorial — Fausse panne et vraie relance
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
Les non français et hollandais au traité constitutionnel ont été des victoires sans lendemain. Ils n’ont pas été prolongés par une démarche constructive. Et la vie de l’Union a continué selon les textes en vigueur. Néanmoins, l’Europe a été déclarée en panne.
Mots-clefs : Traité Constitutionnel , Traité de Lisbonne (traité simplifié), construction européenne.
Citer cet article
Michel Dévoluy « Éditorial — Fausse panne et vraie relance », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 17, 1 - 3, Hiver 2007.
Les non français et hollandais au traité constitutionnel ont été des victoires sans lendemain. Ils n’ont pas été prolongés par une démarche constructive. Et la vie de l’Union a continué selon les textes en vigueur. Néanmoins, l’Europe a été déclarée en panne.
Les artisans d’un nouvel élan réparateur se sont retrouvés au sommet de Bruxelles de juin 2007 et au sommet informel de Lisbonne en octobre 2007. De leur atelier est sorti un traité « simplifié », fin prêt, pour le sommet du 13 décembre 2007, tenu dans la capitale portugaise. Ce « Traité de Lisbonne » entrera en vigueur le 1er janvier 2009, après ratification de tous les États membres. Donc, acte doit être donné au pragmatisme intergouvernemental.
En fait, nous demeurons dans la continuité de l’ordre communautaire existant.
Le choix d’un traité simplifié est présenté comme une grande avancée par ses promoteurs. C’est sans doute un peu excessif car le texte définitif ne fera que reprendre des modifications institutionnelles qui faisaient déjà assez largement consensus en 2005. Les principales critiques portaient en effet sur la présence de la partie III qui aurait consacré, dans un texte à valeur constitutionnelle, des politiques de l’Union d’inspiration libérale. Cet aspect controversé est désormais évacué. Sur le fond, le nouveau traité laisse en l’état les questions sur l’intégration politique et sociale posées lors des débats référendaires. Elles sont restées sans réponses pour au moins deux séries de raisons : l’irrésistible attraction pour les enjeux de pouvoirs nationaux et les réticences à penser une forme de fédéralisme européen.
L’Europe continue ainsi sa politique des petits pas. Soit. Dès lors, remarquons que la question de savoir si ce traité doit être ratifié par une procédure parlementaire ou référendaire apparaît secondaire. Les enjeux sont ailleurs. L’Europe du traité simplifié, même avec une Présidence stable et une délégation aux affaires étrangères, demeure sur la trajectoire qui va de Rome (1957) à Nice (2000) en passant par l’acte unique (1986), Maastricht (1992) et Amsterdam (2000). En s’inscrivant dans ce mouvement, le traité de Lisbonne entérine la tendance au retrait du politique dans la conduite de l’économie au profit de la mise en place de règles ou d’agences indépendantes. Il ne change rien aux normes de fonctionnement du marché unique qui se déversent sur l’ensemble des politiques publiques et qui imprègnent l’évolution de la jurisprudence de la cour de justice européenne. Il contribue à sédimenter une architecture qui produit des incohérences entre les ambitions affichées et les moyens mis en oeuvre pour les atteindre. Enfin, ce traité continue de marquer la prévalence de l’intergouvernemental sur le supranational.
Pour autant, une simple opposition au nouveau traité ne serait pas constructive. Elle risquerait d’ailleurs de renvoyer aux désillusions qui ont suivi les votes négatifs de 2005. L’essentiel est de contribuer à penser l’avenir.
Le désir d’Europe ne naîtra pas d’une constitution imposée par une convention de nature intergouvernementale ou de transferts de souveraineté mal compris par les citoyens. Le but est d’identifier une ambition collective qui suscite une large adhésion. Nous devrions rechercher une méthode qui révèle l’intérêt - ou l’absence d’intérêt - des européens pour construire un avenir commun. Pour avancer dans cette direction, il serait bon de s’émanciper de la méthode communautaire, résolument intergouvernementale, qui impose « d’en haut » ce qui est bon pour l’Europe. En la matière, on ne doit pas espérer de changements majeurs avec la mise en place d’un « groupe des sages », composé de dix à douze membres, proposé par la France. Ce groupe, mandaté par le Conseil européen de décembre 2007, devra réfléchir sur l’avenir de l’UE.
On restera donc dans la même logique où des « sages », choisis par les gouvernements nationaux, vont réfléchir à l’avenir de l’Union pour le compte des européens.
Pour aller vers une forme de contrat constitutionnel, l’Europe pourrait suivre une autre démarche, axée sur les aspirations de la base, c’est-à-dire des citoyens. Concrètement, pourquoi ne pas organiser dans toute l’Europe des discussions animées par les partis, les syndicats et la société civile ? Les européens débattraient ainsi des sujets de société, de la place de l’Europe dans le monde et donc, immanquablement, de l’architecture institutionnelle et politique de l’Union. Une telle entreprise demande du temps. On pourrait se donner trois années. Par la suite, une synthèse serait faite par une assemblée représentative. Le Parlement européen est le mieux approprié pour cette mission. Les grandes lignes proposées dans la synthèse du Parlement seraient alors soumises à référendum, le même jour, dans chaque État membre. L’unanimité des États ne serait pas requise pour avancer dans les directions choisies par la majorité. La démarche proposée ici est exigeante. En contrepartie, elle offrirait aux européens les moyens de recadrer en profondeur leurs attentes sur la future Europe. Et les résultats pourraient surprendre.
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