Editorial — Sortir la zone euro de l’impasse
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
Le dernier livre de Joseph Stiglitz nous explique excellemment pourquoi la zone euro est en crise et nous propose des solutions techniques pour en sortir (un compte rendu de son ouvrage est dans ce Bulletin). Ses propos nous invitent, en creux, à quitter le champ strictement économique afin d’identifier les origines profondes de l’impasse dans laquelle se trouve la construction monétaire européenne.
Mots-clefs : hétérogénéité des économies, ordolibéralisme, Union économique et monétaire (UEM).
Citer cet article
Michel Dévoluy « Editorial — Sortir la zone euro de l’impasse », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 35, 1 - 3, Hiver 2016.
Le dernier livre de Joseph Stiglitz nous explique excellemment pourquoi la zone euro est en crise et nous propose des solutions techniques pour en sortir (un compte rendu de son ouvrage est dans ce Bulletin). Ses propos nous invitent, en creux, à quitter le champ strictement économique afin d’identifier les origines profondes de l’impasse dans laquelle se trouve la construction monétaire européenne. Nous en relevons sept.
1. Un malentendu sur l’objectif de l’euro. Pour certains, la monnaie unique a pour mission de parachever le marché unique en facilitant le fonctionnement de la concurrence libre et non faussée. Et c’est tout. Pour d’autres, l’euro est le chemin le plus sûr et le plus efficace pour passer à une union politique. Ce n’est qu’une étape, et elle doit être courte. Ce flou est délétère.
2. Une surestimation de la méthode d’intégration communautaire. Jusqu’à l’euro, la logique fonctionnaliste avait montré que, pour consolider une étape, l’Europe devait continuer d’avancer. On est ainsi passé du marché commun au marché unique, et ensuite à l’euro. Puis, espérait-on, de l’euro à une intégration politique. Mais cette dynamique a stoppé net. Elle s’est heurtée au mur des souverainetés nationales.
3. Une naïveté face aux ambitions des hommes (et femmes) politiques nationaux. Lâcher leurs pouvoirs au profit de l’Europe afin que celle-ci fonctionne mieux dépasse leurs horizons électoraux et leurs intérêts personnels. A quand des partis et des syndicats unifiés à l’échelle européenne ?
4. Une sous-estimation de l’hétérogénéité politique et sociale entre les Etats-membres. La volonté d’une véritable convergence sociale et fiscale est encore absente ; la construction d’un espace politique et public européen est balbutiante.
5. Une mésestimation de l’attraction des citoyens pour les nationalismes, surtout en période de crise. Il est tellement tentant de croire que tout serait mieux avec moins d’Europe et que le chacun chez soi est la solution à tous les problèmes.
6. Une insuffisance de démocratie européenne. Dès l’origine, une élite a pensé et agi au nom des Européens. Aujourd’hui, et malgré la présence du Parlement européen, il n’y a pas de gouvernement élu qui pilote la zone euro au nom de l’ensemble des citoyens. Le Conseil des chefs d’Etat et de Gouvernement est tout puissant, mais opaque. Des référendums sont bafoués. La Troïka se comporte de façon inqualifiable face à la Grèce.
7. Une attraction pour l’ordo-libéralisme qui réduit la gouvernance de la zone euro à des règles, notamment en matière budgétaires et monétaires. Cette doctrine offre l’avantage d’aisément s’appliquer à un espace avec monnaie unique, mais sans intégration politique. Si, à l’inverse, il était demandé un interventionnisme économique puissant et réactif au niveau de la zone euro, alors il faudrait que les États membres lui en donnent les moyens politiques en acceptant une forme de fédération.
Rude bilan. Certes, mais il faut poser le bon diagnostic si on veut avancer. Ne nous laissons pas séduire par des solutions à l’emporte-pièce. La fin de l’euro entraînerait une déflagration géopolitique majeure. Même la Grèce n’a pas pris ce risque. Le Brexit n’offre pas un exemple valable, car le Royaume-Uni n’a pas l’euro et bénéficie déjà d’un régime particulier. Les souverainistes qui proposent la fin de l’Europe en passant sous silence toutes les conséquences négatives d’un tel choix se nourrissent des désarrois des citoyens les plus fragiles. Nous pensons que le plus sage serait une marche résolue vers une forme de fédération politique pour la zone euro. L’histoire des déchirures du continent européen nous y encourage. Les nombreuses réussites de six décennies d’intégration nous y incitent (échanges, programmes structurels, politiques communes). La démographie nous y invite car nous comptons pour moins de 5% de la population mondiale. Mais surtout, les Européens pourraient piloter leur économie, choisir leur modèle économique et social, peser dans le monde, se protéger, se défendre, gérer les grands défis communs (environnement, croissance soutenable, terrorisme, cyber-terrorisme, immigration, vivre-ensemble, rapport au travail, place du collectif, rôle des services publics, répartition des richesses et des revenus). Ce n’est pas avec une concurrence exacerbée entre les Etats membres ou, à l’inverse, dans une forme d’autarcie, que tous ces problèmes seront résolus dans l’intérêt des peuples.
Il appartient aux citoyens de choisir la bonne direction. Il faut parler de l’Europe, de ses difficultés comme de ses enjeux. La peur, les méfiances et les replis sur soi ne préparent pas sereinement notre futur commun. Dans un monde bousculé qui cherche la bonne trajectoire pour le 21e siècle, les débats sur l’Europe sont d’une impérieuse nécessité. En ces temps d’élections, ne laissons pas les intérêts immédiats des appareils politiques nationaux déterminer notre avenir collectif.
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