La dimension macro-prudentielle de la régulation financière introduite par Bâle III
Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) et CNRS
François Barry, SEC Newgate EU, Bruxelles
La crise financière globale récente a amené le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire à revoir les Accords de Bâle II. De nouvelles régulations renforçant l’exigence en matière de fonds propres et de liquidité des banques et visant à limiter l’effet de levier sont préconisées dans les Accords de Bâle III. Elles seront appliquées de manière échelonnée d’ici 2019. Ajoutant des mesures macro-prudentielles aux réformes micro-prudentielles, Bâle III pourrait toutefois être insuffisant pour éviter de grandes crises financières dans le futur.
Mots-clefs : crise bancaire, crise financière, financial crisis, financial regulation, régulation bancaire, régulation financière et bancaire, régulation macro-prudentielle, régulation micro-prudentielle, stabilité financière, supervision financiale .
Citer cet article
Meixing Dai , François Barry « La dimension macro-prudentielle de la régulation financière introduite par Bâle III », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 28, 25 - 35, Été 2013.
La libéralisation financière entamée depuis les années 1980 a considérablement accru l’instabilité du système financier, qui peine à se doter d’une capacité suffisante à résister aux chocs et à résorber les déséquilibres. Pour protéger les banques du risque systémique et pour réduire le risque d’une crise bancaire contaminant le reste du système financier et l’économie réelle, les autorités de régulation financière internationales ont successivement adopté les Accords de Bâle I et II. En l’absence de cloisonnement entre les banques régulées et le système bancaire parallèle (shadow banking), [1] les arbitrages réglementaires ainsi que les innovations financières débridées et non-contrôlées des banques ont vite rendu ces régulations micro-prudentielles insuffisantes voire obsolètes, comme le démontre la crise financière globale débutant en 2007. Dans la foulée de la crise, un consensus s’est dégagé chez les chercheurs et les décideurs sur la nécessité pour la régulation financière de prendre désormais une dimension macro-prudentielle (Hanson et al. 2011). Quelques éléments de cette régulation macro-prudentielle se retrouvent intégrés dans les Accords de Bâle III (BIS 2010a), comme le volant contra-cyclique dans le ratio du capital. Nous présentons ici une synthèse des débats actuels sur cette problématique cruciale pour la stabilité financière globale.
1. Insuffisance de la régulation micro-prudentielle face au risque systémique
La grande crise financière récente démontre que la régulation micro-prudentielle existante pourrait même, du fait de sa pro-cyclicité, amplifier le risque systémique. Les problèmes révélés par la crise poussent non seulement à réformer la régulation micro-prudentielle, mais aussi à introduire des politiques macro-prudentielles.
Le risque systémique
Malgré le consensus sur le fait que le système de régulation financière doive se doter de mécanismes effectifs pour détecter le risque systémique et le gérer, il n’existe pas à ce jour de définition ou de mesure universellement acceptées pour le quantifier. Ceci peut être considéré comme le risque qu’un évènement ou une succession d’évènements, entraînent des déficiences sévères dans le fonctionnement de services financiers essentiels, tel l’octroi de crédits, pouvant se solder par un effondrement de l’ensemble du système financier. Il s’agit d’une situation d’instabilité financière généralisée, au point d’affecter sévèrement la croissance économique et le bien-être social.
La vulnérabilité du système financier vient de sa complexité, de son opacité, de l’interconnexion entre les institutions financières, et du fait que ces dernières créent et emploient une grande variété d’instruments qui leur permettent d’augmenter l’effet de levier, mais les rendent très fragiles face aux chocs.
Les limites de la régulation micro-prudentielle
Beaucoup d’observateurs considèrent que le système de régulation effectif avant la crise était déficient à cause de son caractère essentiellement micro-prudentiel (Blundell-Wignall et Atkinson 2010). Les régulations imposées par les Accords de Bâle I et II souffrent de nombreuses faiblesses. En particulier :
- Le minimum de fonds propres exigé par ces accords ne pénalise pas la concentration du portefeuille sur certains engagements. De plus, l’approche de Bâle I et II en matière de pondération des risques encourage la concentration des portefeuilles sur les actifs à faible risque (les obligations d’Etat, les crédits hypothécaires et les prêts interbancaires) ainsi que l’utilisation des produits dérivés comme les CDS (credit defaut swap) qui permettent de couvrir les risques de défaillance, pour réduire le besoin du capital.
- Utilisant un facteur de risque global unique, le modèle mathématique à la base de l’approche de Bâle I et II ignore la contribution du risque spécifique d’un pays au risque systémique global et les expositions excessives des institutions à certains risques.
- Les Accords de Bâle I et II négligent les risques pris par les institutions financières dans leurs activités de marché, notamment celles de titrisation des crédits en direct ou via des filiales dédiées, et les activités hors-bilan. Les risques de contrepartie dans ces activités interconnectant un nombre important d’institutions financières sont sources de contagion en cas de crise de liquidité.
- La régulation du capital est pro-cyclique, dans la mesure où les risques sont sous-estimés en période d’expansion et surestimés en période de récession, d’autant plus que l’évaluation des actifs est basée sur leur valeur courante de marché. De plus, la mesure du risque est faite à un instant donné et non sur le cycle complet et les politiques de rémunération favorisent une prise de risque excessive dans le court terme sans se soucier des conséquences néfastes des positions ainsi prises sur le cycle complet. Enfin, les banques sont responsables de leur propre évaluation des risques.
Ces problèmes ne pourraient être résolus ni par les autorités de surveillance qui pourraient être complaisantes avec les institutions nationales et/ou incapables de mieux prédire les risques que les institutions soumises à leur surveillance, ni par la discipline des marchés financiers dont l’efficience informationnelle ne semble pas se vérifier, comme l’atteste la formation de nombreuses bulles spéculatives dans le passé récent.
La critique essentielle formulée envers la régulation micro-prudentielle est qu’elle ne prend pas en compte l’impact, particulièrement indésirable en cas de crise, de l’ajustement des portefeuilles des banques individuelles sur la performance globale du système financier et de l’économie. Lorsqu’un régulateur pousse une banque à restaurer son ratio du capital, il est indifférent que cette dernière l’ajuste en acquérant du capital ou en diminuant leurs actifs. Or, en période de crise, une réduction simultanée des actifs de plusieurs institutions pourrait être très néfaste pour la stabilité financière et très nuisible à l’économie.
2. Les politiques macro-prudentielles
La régulation macro-prudentielle, dont l’objectif constitutif serait d’assurer la stabilité du système financier dans sa globalité, impose aux autorités de régulation d’affiner l’analyse des déterminants du risque systémique et de disposer d’outils innovants et adéquats pour le traiter.
Les objectifs de la politique macro-prudentielle
L’approche macro-prudentielle vise à limiter le risque de crise financière affectant l’ensemble du système, afin de maîtriser leur coût au niveau macroéconomique. Contrairement à une approche micro-prudentielle qui privilégie l’équilibre partiel et la résistance des institutions financières individuelles, l’approche macro-prudentielle insiste sur l’équilibre général et cherche à assurer une stabilité financière globale.
La finalité d’une politique macro-prudentielle est de prévenir l’apparition d’un risque systémique et de réduire ainsi la probabilité d’occurrence d’une crise financière, ou d’en diminuer l’impact s’il est impossible d’en empêcher la matérialisation. De telles politiques sont complémentaires par rapport aux politiques micro-prudentielles.
Les politiques macro-prudentielles sont définies, outre leur objectif, sur la base de deux autres éléments : 1) leur champs analytique qui est le système financier dans son ensemble, y compris les interactions entre les sphères financière et réelle de l’économie ; 2) les instruments de leurs actions et leur utilisation. Selon les analyses que l’on fait du système financier dans son ensemble, les instruments de politiques macro-prudentielles peuvent être très différents. La limite des connaissances sur le système financier implique une capacité réduite des autorités de régulation à développer des outils efficaces, d’autant plus que l’objet des régulations et des surveillances financières, c.-à-d. les institutions et les opérateurs, réagissent à celles-ci en modifiant leur comportement.
L’analyse du risque systémique en vue d’une régulation macro-prudentielle
La parfaite compréhension des déterminants du risque systémique par les autorités macro-prudentielles est nécessaire au travail d’identification des menaces pour la stabilité financière. Pour détecter l’émergence du risque systémique et le réduire, il convient de distinguer sa dimension temporelle de sa dimension transversale, dont les évolutions sont souvent liées voire indissociables (Borio 2009).
La dimension temporelle reflète la formation de risque systémique au cours du temps, conséquence du comportement pro-cyclique des institutions financières, et se manifeste par l’apparition des cycles financiers. Il est essentiel de savoir comment le risque systémique est amplifié par les interactions au sein du système financier, et entre ce dernier et l’économie réelle. Les signes avant-coureurs qui s’inscrivent dans cette dimension traduisent ce que l’on appelle le « paradoxe de l’instabilité financière » (Borio et Drehmann 2010) : plus le système financier parait robuste, plus il est vulnérable. Les sources du risque systémique tendent à s’accroître dès l’instant que les banques et leurs clients jugent le système stable et solide. La perception d’un faible niveau de risque crée une situation artificiellement robuste où l’offre de crédits est singulièrement forte, les prix des actifs sont anormalement élevés, les profits sont relativement confortables, etc. Or, ce qui semble peu risqué est en fait la démonstration d’une forte prise de risque. On remarque ainsi que les crises financières apparaissent avant que le niveau de production et l’offre de crédits aient significativement baissé, compliquant encore un peu plus le travail de détection des autorités macro-prudentielles.
La dimension transversale s’intéresse au mode de répartition du risque agrégé dans le système financier à un moment donné, autrement dit, aux relations et interconnexions entre établissements financiers. Le problème essentiel ici est l’existence d’expositions communes (corrélées) des institutions financières. L’autorité de régulation doit prendre en compte trois facteurs critiques considérés comme propices à l’amplification du risque dans le système financier. Le premier est un niveau excessif de l’effet de levier qui correspond au ratio des engagements financiers sur les fonds propres. Il est aussi une variable clef dans l’analyse de l’évolution des cycles financiers. Un surcroît de ce ratio permet d’accroître la rentabilité des capitaux propres grâce à l’utilisation intensive de capitaux empruntés, à condition que le coût de l’endettement soit inférieur à la rentabilité économique des fonds. Or, les banques dont l’effet de levier est le plus élevé s’exposent mécaniquement à plus de risques. Plusieurs banques au cœur de la crise de 2007 avaient vu leur effet de levier considérablement augmenter les années passées, et ce jusqu’à l’inversion du cycle financier.
Le deuxième facteur est la forte propension à l’exposition et à la prise de risque qu’ont les institutions financières. Qu’un risque individuel semble modéré aux yeux de l’institution qui l’a pris, ne garantit pas qu’il n’ait en réalité des conséquences désastreuses pour le système dans son ensemble. En effet, les incitations asymétriques, qui consistent à attribuer des primes importantes lors des succès spéculatifs et peu ou pas de pénalité en cas d’échec, conduisent à une prise de risque excessive des opérateurs financiers qui sont à la recherche de gains de court terme et qui ne se soucient guère des conséquences potentiellement néfastes à long terme de leurs engagements.
Enfin, le dernier facteur est l’extraordinaire complexité du système financier. Elle se caractérise entre autres par les nombreuses interconnexions entre les institutions financières qui se traduisent par un accroissement disproportionné des engagements entre celles-ci au fur et à mesure que les prix des actifs augmentent, aggravant ainsi considérablement le risque de contagion (Shin 2010).
Caractéristiques des outils standards des politiques macro-prudentielles
Il n’est pas toujours aisé de distinguer les politiques micro- et macro-prudentielles car d’une part, certains outils peuvent être interprétés comme des instruments destinés à la fois aux politiques micro- et macro-prudentielle, et d’autre part, nombreuses sont les mesures qui revêtent une apparence macro-prudentielle, sans pour autant cibler clairement la stabilité du système financier dans son ensemble.
Les instruments macro-prudentiels cherchent à combiner l’effet des deux dimensions du risque systémique. Pour en maximiser l’efficacité, ils doivent s’adapter aux deux phases de son développement. Lors de la phase d’accumulation, les outils préventifs se doivent d’accroître la résistance du système financier - par la création de coussins de fonds propres contra-cycliques (capital buffers) -, et de maîtriser l’amplitude des cycles financiers - par l’introduction des mesures modérant l’offre de crédits, le respect de plafonds sur les ratios de la dette sur le revenu (debt-to-income ratio) ou du prêt sur la valeur des actifs (loan-to-value ratio), de limites sur les décalages de liquidité (liquidity mismatch), etc. Dans la phase de matérialisation, il est essentiel de tempérer, via, entre autre, la communication, les éléments d’instabilité financière et de limiter les ajustements de panique suite aux révisions des différents agents. Tous les outils ne s’utilisent pas de la même façon, dans les mêmes conditions, et pour les mêmes types de risques. Il est ainsi important d’éviter une approche qui consiste à utiliser un seul type d’instrument pour résoudre toute sorte de risque systémique.
Les différents outils susmentionnés peuvent sembler a priori micro-prudentiels, du fait que l’on a l’impression de traiter chacune des banques au cas par cas (c.-à-d. au niveau micro). Toutefois, nous les interprétons bel et bien comme des outils macro-prudentiels, dans le sens où leur finalité est clairement de limiter le risque systémique et la pro-cyclicité. A notre avis, il convient de considérer un outil comme macro-prudentiel dès l’instant qu’il permet de réduire la probabilité de formation d’un risque financier systémique. En particulier, pour des outils qui traiteraient de l’interdépendance entre les banques, de l’uniformité des portefeuilles ou du fonctionnement du système bancaire parallèle, le terme ‘macro-prudentiel’ prendrait tout son sens, sans aucune ambiguïté, de par la nature des problèmes évoqués et du fait que l’on perçoive clairement leur allure globale et systémique. [2]
3. Les Accords de Bâle III : vers une surveillance macro-prudentielle
Pour remédier aux lacunes des Accords de Bâle I et II révélées par la crise financière globale, les Accords de Bâle III tentent de dépasser l’approche purement micro-prudentielle des régulations antérieures. Pour cela, Bâle III propose un ensemble d’outils de régulation financière contra-cycliques, avec des bénéfices attendus en termes de stabilité financière.
Contexte
Les Accords de Bâle III, publiés par le Comité de Bâle le 16 décembre 2010, visent à rétablir surtout la confiance gravement ébranlée par la crise récente et à réduire au mieux la probabilité d’apparition et la gravité des crises à venir, en limitant les comportements imprudents et en renforçant la solidité des institutions financières. Sous l’impulsion du Conseil de stabilité financière et du G20, une réforme internationale est en cours.
Plus que le simple renforcement des instruments micro-prudentiels, le Comité de Bâle propose également le développement de politiques macro-prudentielles. Les façons d’intégrer ce nouvel instrument dans la boîte à outils prudentiels ont été discutées au niveau international, européen, comme national. Dans ce contexte, la Commission européenne a créé le Comité Européen du Risque Systémique (CERS), dont la vocation est de devenir l’autorité européenne pour la surveillance macro-prudentielle. Si de tels organismes ont vu le jour, c’est grâce aux progrès réalisés dans le domaine du risque systémique et à l’analyse de la pro-cyclicité, et plus généralement à la meilleure compréhension de l’instabilité financière.
Bâle III est la troisième série des accords de Bâle. En 1988, le Comité de Bâle publie un ensemble d’exigences de fonds propres pour les banques dans les Accords de Bâle I, exigences transposées en loi dans les pays du G10 en 1992. L’accent est mis sur le risque de crédit et la quantité de fonds propres que doit renfermer le passif des banques pour faire face à d’éventuelles pertes. Les banques doivent respecter le ratio Cooke, à savoir, l’obligation de financer 8% de leurs actifs pondérés par des fonds propres (4 % de « Tier 1 » dont 2% de « Core Tier 1 », et 4 % « Tier 2 »). [3] En 2004, Bâle II propose le ratio McDonough qui, en tant que version raffinée du ratio Cooke, élargit la gamme des risques couverts et perfectionne la méthode de calcul des coefficients de pondération des risques. Les Accords de Bâle III introduisent un ensemble de règles actualisées concernant entre autres les exigences de fonds propres imposées aux banques.
En raison des sous-pondérations des risques pratiquées par les banques mais autorisées par les Accords de Bâle II, des arbitrages réglementaires et des transferts de risque vers le système bancaire parallèle non-réglementé, les fonds propres des banques sont très en-dessous de ces seuils assurant la résistance du système financier aux chocs financiers. Le rôle de Bâle II a largement été remis en cause, tant avant qu’après la crise. Des études incitent à penser que non seulement Bâle II n’aurait pas pu empêcher la crise, mais qu’il en aurait même amplifié l’impact, du fait qu’il renforce la pro-cyclicité du système financier (Rochet, 2008). On peut se demander si Bâle III aura des effets collatéraux comparables. La réponse dépendra essentiellement de l’adéquation entre les problèmes à traiter et les outils conçus, et de la façon dont les accords et les outils seront mis en place.
Règles et outils proposés par les Accords de Bâle III
Le Comité de Bâle joue un rôle clef dans la conception du régime et des nouveaux instruments de régulation propres aux Accords de Bâle III. Leur premier objectif est de réduire la tendance qu’a le système bancaire à amplifier les fluctuations des cycles économiques par une offre excessive de crédit lors des périodes prospères et leur compression exagérée lors des phases de tension. Pour y répondre, les autorités restent dans la lignée des Accords de Bâle I et II, à savoir que les exigences minimales en matière de fonds propres passent de 8% à 10,5% (6 % de « Tier 1 » dont 4,5% de « Core Tier 1 », et 2 % « Tier 2 ») incluant un volant de conservation de fonds propres égal à 2,5% des actifs pondérés. Ce volant, constitué des actions ordinaires et des réserves, pourra être mobilisé en période de tensions.
Cet outil que l’on peut qualifier de micro-prudentiel est ainsi complété par un nouvel instrument macro-prudentiel : l’introduction d’un volant de fonds propres contra-cyclique obligatoire, de 0% à 2,5%. Les banques devront constituer un coussin contra-cyclique en phase ascendante du cycle financier, pour les utiliser lorsque survient une phase descendante, afin d’en neutraliser les effets néfastes. Les agences bancaires ne commenceraient à créer leur coussin contra-cyclique qu’une fois que le ratio du crédit rapporté au PIB (credit-to-GDP ratio) est supérieur à un certain niveau, et ne les utiliseraient qu’après avoir accusé des pertes sévères ou constaté une baisse dangereuse de l’offre de crédit. Plus que de limiter le risque d’apparition d’une crise bancaire, un tel instrument permettra de maîtriser le boom originel, en modérant la croissance du crédit en période d’expansion.
Une mesure micro-prudentielle avec aspect macro-prudentiel, à savoir la surveillance de l’effet de levier des institutions financières, voit le jour avec Bâle III. Un levier élevé augmente la rentabilité potentielle d’une banque, mais aussi son risque de pertes. Dans les règles de Bâle, le ratio des fonds propres est appliqué aux actifs pondérés en fonction de leur niveau de risque respectif. Les grandes banques sont autorisées à déterminer elles-mêmes leurs coefficients de pondération des risques, ce qui n’est pas exempt d’effets pervers, car elles peuvent être tentées d’attribuer des coefficients plus faibles à leurs actifs afin d’augmenter leur effet de levier.
Bâle III s’attaque à ce problème et prévoit l’introduction d’un plafond de l’effet de levier, limitant le montant total des actifs qu’une banque peut posséder en fonction de ses fonds propres. Le ratio de l’effet de levier sera calculé en divisant les fonds propres Tier 1 par les actifs totaux. Ce ratio, ne prenant pas en compte les coefficients de pondération, s’élèverait à 3%. Autrement dit, pour chaque euro de capital, une banque pourrait prêter jusqu’à un plafond de 33,3 euros. Cet outil permettrait de limiter la prise de risque des institutions financières, ce qui ne plaît pas aux banques qui investissent principalement dans des actifs à faibles risques, car elles considèrent qu’un tel plafond freinerait leur activité. [4] De plus, nombreuses sont les banques qui s’opposent à l’idée de publier leur effet de levier.
Enfin, Bâle III prévoit d’introduire deux ratios de liquidité pour 2015 afin de limiter la transformation d’échéance par les banques, qui consiste à emprunter à court terme à l’aide d’instruments liquides et à placer les fonds ainsi obtenus dans des actifs de long terme non-liquides. Ce décalage de liquidité permet aux banques de gagner une marge correspondant à l’écart entre les taux d’intérêt de court et de long terme, qui s’accroit avec l’écart entre les échéances. En contrepartie, elles courent le risque de liquidité, matérialisé par des difficultés à se financer à l’échéance des emprunts de court terme, les obligeant ainsi à vendre des actifs de long terme à des prix sacrifiés. Les deux ratios de liquidité bancaire obligent les banques à conserver une réserve de liquidité minimale. Le premier est un ratio de liquidité à court terme (liquidity coverage ratio), qui impose aux banques de détenir suffisamment d’actifs liquides pour couvrir les sorties nettes de trésorerie prévues pendant les trente prochains jours. Le second est un ratio structurel de liquidité à long terme (net stable funding ratio), dont la finalité est d’assurer que les institutions bancaires disposent de ressources suffisantes pour couvrir les besoins de financement des douze prochains mois. Il est important de noter que les problèmes de liquidité peuvent être le symptôme de troubles plus fondamentaux, tels que la méfiance des investisseurs quant à la solvabilité d’une banque.
Conséquences et bénéfices attendus
Les recommandations devaient être transposées en droit national et/ou communautaire par les Etats membres du Comité de Bâle, et ce avant le 1er janvier 2013. Le processus est donc toujours en cours dans de nombreux Etats, comme dans l’Union Européenne, par le biais d’un texte législatif appelé le CRD 4 (Capital Requirements Directive 4). Quant aux banques, elles ont jusqu’à 2019 pour appliquer les règles préconisées par le Comité, mais doivent s’y préparer dès aujourd’hui.
Nombreuses sont les institutions bancaires qui critiquent ouvertement les règles que les autorités de régulation proposent de leur imposer. La plupart des banques européennes prétendent par exemple que la réforme entraînerait une baisse significative des prêts aux entreprises et aux particuliers. Or, d’après la Commission européenne, l’application du nouveau dispositif en matière de fonds propres ne devrait réduire l’ensemble des prêts que de 1,8% d’ici 2020-2030, et ne devrait entraîner qu’une hausse de 0,15% de leurs taux d’intérêt.
Contrairement à ce que prétendent certaines banques, cette règlementation, bien que plus stricte, ne se limitera pas à les pénaliser. Fondées sur des hypothèses classiques, les résultats des analyses rigoureuses du Comité de Bâle (BIS 2010b et 2010c) attestent que les nouvelles normes n’auraient qu’un faible impact négatif sur la croissance économique lors de leur mise en place et que les bénéfices économiques inhérents aux exigences en capital et liquidité excéderaient nettement leurs coûts.
On peut toutefois reprocher à de telles études d’être menées par des organismes à la fois juges et parties. En réalité, les limites des Accords de Bâle III ne résident pas tant dans leur aspect contraignant pour les banques, ou dans leurs conséquences pour la croissance économique. Leurs faiblesses se situent ailleurs.
4. Et après Bâle III ?
Avec Bâle III, les autorités poussent la régulation plus loin, à l’aide de règles plus strictes et d’outils innovants. Toutefois, les recommandations faites par le Comité de Bâle ne sont pas exemptes de certaines lacunes et insuffisances.
Insuffisances et problèmes laissés en suspens par Bâle III
Bien que l’arsenal financier déployé par Bâle III soit plus macro-prudentiel que celui des accords antérieurs, certains facteurs du risque systémique restent en suspens, d’autres s’en retrouvant même renforcés.
La réforme ne répond pas efficacement au problème d’interdépendance entre les banques. Or, c’est l’interdépendance croissante qui est à l’origine de la vulnérabilité du système financier et constitue le facteur d’amplification d’une crise.
Une préoccupation parallèle, sur laquelle Bâle III ne s’engage pas, est celle de l’uniformité des portefeuilles, à savoir que les banques ont tendance à acquérir des actifs similaires, remettant en cause, par la même occasion, la stabilité du système. Le risque majeur d’un tel comportement se trouve dans la formation et l’explosion de bulles qui se caractérisent par la vente simultanée de mêmes actifs par toutes les banques et qui peuvent se matérialiser par une crise financière généralisée.
Quant au fait que la plupart des grandes banques ne peuvent effectivement pas faire faillite (too big to fail), il pose un problème d’incitation évident et s’avère propice à l’apparition d’aléa moral dans leurs comportements. En effet, si les coûts d’une éventuelle faillite sont couverts par l’Etat (et donc par les contribuables), les banques ne seront pas incitées à renforcer leurs fonds propres pour l’éviter. Cela remet considérablement en cause l’efficacité présumée des règles de Bâle III, tant ces banques chercheront à les contourner ou les ignorer.
Comme s’il avouait son impuissance face à sa complexité et son opacité, Bâle III ne cherche en aucun cas à réglementer le système bancaire parallèle. En plus, les règles qu’il impose aux institutions financières tendent de le renforcer. L’existence d’un secteur non-réglementé peut inciter les banques à déplacer une partie de leurs activités vers le circuit parallèle, afin de réduire leurs besoins en matières de fonds propres. Sachant que l’innovation financière permet de réduire les coûts et de contourner la réglementation, on peut imaginer que de nouveaux instruments financiers verront le jour après Bâle III, instruments qui porteront le germe de la prochaine crise systémique. C’est le cas de la titrisation et des activités hors-bilan dont le développement s’accélère avec Bâle I et II.
En définitive, Bâle III risque de n’être surtout efficace qu’en termes de sécurité pour les banques à l’échelle individuelle, limitant ainsi son impact sur la prévention du risque systémique. Les Accords de Bâle III relèvent plutôt de l’occasion manquée, dès lors que les outils macro-prudentiels proposés se limitent à des règles très ciblées et chiffrées, et aucunement à des révolutions majeures dans la façon d’appréhender les problèmes précités, dont la régulation s’avère pourtant plus que décisive pour la réduction du risque systémique.
Quelle coordination entre politiques macro-prudentielles et politique monétaire ?
Les politiques macro-prudentielles risquent de rentrer en conflit avec des politiques macroéconomiques, plus particulièrement, la politique monétaire qui cherche avant tout à assurer la stabilité des prix. De par la nature fondamentalement multidimensionnelle, instable et complexe des cycles financiers, les effets des politiques macro-prudentielles seront toujours plus incertains et plus difficiles à mesurer que ceux de la politique monétaire.
Cherchant toutes deux à modifier le comportement des agents, les politiques macro-prudentielles fonctionnent partiellement à travers les mêmes canaux de transmission que la politique monétaire, tel celui du crédit. Le risque encouru est ainsi de voir les premières altérer l’efficacité de la seconde, qui est à son tour susceptible de dénaturer les objectifs des premières. Des taux directeurs faibles, par exemple, peuvent stimuler le comportement pro-cyclique des banques et les inciter à prendre plus de risque, et ce à travers différents canaux, tels l’effet de levier ou la substitution d’actifs. A l’inverse, des bulles financières peuvent compromettre la transmission de la politique du taux d’intérêt.
Pour limiter les effets des répercussions indésirables, certains économistes suggèrent que les deux politiques doivent être étroitement coordonnées voire intégrées, toutes deux assignées à la Banque centrale (French et al. 2010). Tout en confiant certaines tâches de surveillance macro-prudentielle à la Banque centrale, les décideurs européens et américains optent pour la séparation des autorités macro-prudentielle et monétaire. Cette solution permet à l’autorité monétaire de garder son indépendance dans la conduite de la politique monétaire tout en profitant des informations tirées de l’exécution de ses tâches de surveillance, et renforce la surveillance du risque systémique grâce aux regards des régulateurs ayant des angles d’observation sur le système financier différents de ceux des banquiers centraux. Sur le plan théorique, on peut justifier une telle séparation des pouvoirs puisqu’il s’agit de deux objectifs différents et qu’il existe deux types d’instruments distincts. Néanmoins, pour obtenir des résultats satisfaisants, l’autorité macro-prudentielle doit prendre en compte les effets de ses décisions sur celles de l’autorité monétaire et vice versa, ce qui implique un certain degré de coordination et de partage d’information entre les deux autorités.
Pour les objectifs macro-prudentiels assignés à l’autorité monétaire, ils se doivent d’être entièrement compatibles avec son mandat et clairement annoncés ex-ante, et ce d’autant plus qu’ils recouvrent des aspects discrétionnaires. Aussi, dès l’instant que les politiques sont en conflit, même temporairement, il est primordial que l’autorité monétaire soit transparente en l’annonçant publiquement. Bien qu’elles soient très hétérogènes, les entités désormais en charge des politiques macro-prudentielles américaines et européennes - respectivement le FSOC (Financial Stability Oversight Council) et le CERS - tendent de s’appuyer sur les recommandations précédentes, à savoir qu’elles opèrent de manière indépendante, tout en maintenant des relations étroites avec leur Banque centrale respective, voire très étroites dans le cas du CERS. Mais une difficulté persiste : le champ de responsabilité de l’autorité macro-prudentielle reste flou, vague, d’autant plus qu’il n’existe pas de réel consensus quant à la définition quantitative voire qualitative de la stabilité financière.
Quelques recommandations pour la mise en œuvre des politiques macro-prudentielles
L’introduction d’une surveillance globale du système financier au-delà de Bâle III s’impose comme un challenge opérationnel et analytique dans un environnent macroéconomique et financier à incertitude croissante, tant l’idée est récente, les expériences macro-prudentielles limitées, et les études comparatives voire théoriques rares.
Une difficulté majeure pour les autorités de régulation dans la mise en œuvre des politiques macro-prudentielles est que l’évaluation précise des effets des instruments macro-prudentiels s’annonce malaisée, tant leurs champs d’action et leurs dimensions sont hétérogènes, ce qui ne facilite pas le choix des instruments par les régulateurs. Ces derniers font face à plusieurs dilemmes (Lim et al. 2011) :
- Faut-il avoir un ou plusieurs instruments ? La combinaison de plusieurs outils offre l’avantage d’aborder une même défaillance sous différents angles, et donc l’assurance d’une meilleure efficacité. En contrepartie, on risque de compromettre le bon calibrage des outils et de faire subir aux banques des coûts plus élevés.
- Les instruments doivent-ils être plus ciblés ou avoir un champ d’application large ? Les instruments macro-prudentiels sont de nature plus ciblés que les instruments monétaires et fiscaux, à savoir qu’ils se focalisent souvent sur un type de transactions ou d’activités précises. Toutefois, il existe des outils à utiliser de manière polyvalente et indifférenciée.
- L’instrument choisi doit-il avoir une valeur fixe ou variable au cours du temps ? Afin de lisser les cycles, ou même de s’inscrire dans un processus d’essai-erreur, il peut être judicieux d’ajuster les outils à différentes phase du cycle. C’est l’exemple des coussins contra-cycliques de Bâle III. Toutefois, les ajustements se doivent d’être clairement justifiés et les réglages trop fréquents évités.
- Faut-il suivre des règles dans l’utilisation des instruments ou décider de manière discrétionnaire ? L’utilisation d’instruments à des fins régulatrices claires a l’avantage de réduire l’incertitude et de garantir une meilleure efficacité des politiques mises en place. De tels avantages ont été démontrés pour les politiques monétaires et fiscales. Cependant, comme dans la conduite de ces dernières, les décisions discrétionnaires ou adaptatives peuvent s’avérer très efficaces tant que les comportements des agents sont changeants et que des situations imprévues sont possibles.
Les régulateurs ont ainsi le choix entre plusieurs approches relatives à la mise en œuvre des différents instruments. Pour en assurer une mise en œuvre efficace, le cadre institutionnel doit comprendre une ossature réglementaire robuste et des politiques macroéconomiques crédibles. Afin d’éviter redondances et ambigüités, les relations et les différences entre les politiques macro- et micro-prudentielles doivent être clarifiées. Il convient de ne pas faire ce qui est observé aujourd’hui chez certains régulateurs qui, parce que les mandats étaient inappropriés, ont dû se contenter d’instruments micro-prudentiels et de les utiliser souvent dans une optique macro-prudentielle pour combattre le risque systémique.
Malgré l’utilité des expériences des autres pays, il est important de ne pas succomber à la facilité en imitant systématiquement ses voisins (one size fits all), tant les structures réglementaires et financières diffèrent de pays en pays. L’indépendance opérationnelle de chacun n’empêche pas que les Etats se doivent de travailler ensemble. Les Accords de Bâle en sont l’exemple le plus concret. Cette coopération est nécessaire, voire imposée par l’intégration internationale du système financier et toutes les complications que cela implique.
Conclusion
Une réforme globale et exhaustive de la régulation du système financier, avec introduction d’une dimension macro-prudentielle, s’avère plus indispensable et urgente que jamais. Avec Bâle III, les Etats ouvrent un nouveau chapitre de la régulation internationale en proposant la mise en œuvre d’instruments dont l’objectif affiché est de prévenir et contenir le risque systémique. Mais il faut rester réaliste. Bien qu’innovantes, les mesures proposées sont timides, insuffisantes pour répondre efficacement à une nouvelle crise, d’autant plus que les banques disposent d’une large échéance pour se conformer aux règles de Bâle III. Quant au risque systémique et aux politiques destinées à l’éviter, des zones d’ombres persistent. Leur étude approfondie et leur meilleure intelligibilité, par les décideurs comme par les chercheurs, seront des défis majeurs des prochaines années.
Références :
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[1] Celui-ci englobe un ensemble d’institutions non-régulées exerçant des activités d’intermédiation financière.
[2] Dans ce sens, des outils mis en œuvre dans le cadre de Bâle III pour réguler l’effet de levier, la liquidité et le capital bancaire en fonction du cycle financier sont en général considérés comme macro-prudentiels (Blundell-Wignall et Atkinson 2010, Yellen 2011). Cet avis n’est pas partagé par tous. Ainsi, Shin (2011) considère que les mesures de Bâle III sous la forme accepté en 2010 sont exclusivement micro-prudentielles. Pour une distinction entre les outils entre micro- et macro-prudentiels, voir Frait et Komarkova (2011).
[3] Le capital Tier 1 est composé des fonds propres de base (Core Tier 1), c.-à-d. actions ordinaires ou capital social, et réserves moins les actions détenues en autocontrôle et les survaleurs d’acquisition, et d’autres éléments incluant, les actions de préférence (sans droit de vote), les obligations convertibles et les titres super subordonnés à durée indéterminée. Le capital Tier 2 correspond aux fonds propres complémentaires, visant à absorber les pertes en cas de liquidation. Il inclut un ensemble d’instruments financiers satisfaisant des critères définis par le Comité de Bâle notamment en matière d’exigibilité, de durée, de rachat, et de paiement de coupon ou principal. Pour plus de détails, voir BIS (2010a).
[4] Comme on l’a constaté dans la crise de la dette souveraine en zone euro, le risque sur les obligations d’Etat peut être important, bien qu’elles avaient été considérées comme sans risque, ce qui invalide leur critique.
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