La perception de l’euro par les ménages européens en 2005
Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)
Selon une enquête d’opinions récente effectuée sur la demande de la Commission européenne, les citoyens européens ressentent encore des difficultés à utiliser pleinement l’euro, mais il s’y adapte progressivement. Ils lui reconnaissent quelques avantages, notamment individuels, mais ils lui reprochent surtout d’avoir provoquer une hausse de l’inflation. Ils continuent en 2005 à percevoir l’euro comme une simple innovation monétaire dans la mesure où ils affirment dans leur grande majorité que l’émergence de la monnaie unique n’a exercé aucun effet sur leur sentiment d’identité européenne.
Mots-clefs : identité européenne, identité nationale, Monnaie unique , perception des citoyens européens, zone euro.
Citer cet article
Gilbert Koenig « La perception de l’euro par les ménages européens en 2005 », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 14, 3 - 8, Eté 2006.
Ce n’est qu’avec l’apparition des pièces et des billets que les ménages européens ont substitué massivement l’euro aux monnaies nationales. Cette substitution semble s’expliquer plus par des raisons économiques que par l’adhésion à la construction européenne que manifestaient 49% des citoyens soumis à une enquête d’opinion dès 1998 [1]. En effet, malgré cet attachement, peu de ménages européens ont adopté volontairement l’euro pendant la période de transition 1999-2001 au cours de laquelle l’utilisation de la monnaie commune n’était ni interdite, ni obligatoire. L’instauration de l’euro semble donc avoir été perçue essentiellement comme une innovation monétaire susceptible d’engendrer des difficultés limitées à une période transitoire [2]. Mais au-delà de cette période, on pouvait espérer que l’euro allait générer un sentiment d’identité européenne. Une enquête d’opinions récente effectuée sur la demande de la Commission européenne [3] permet de savoir si les difficultés induites par l’instauration de la monnaie européenne sont maintenant surmontées et si l’utilisation de cette monnaie a pu exercer une influence sur le sentiment d’identité européenne des citoyens de la zone euro.
1. La perception de l’euro comme innovation monétaire
Le remplacement des monnaies nationales par l’euro comporte, comme toute innovation monétaire, des difficultés que l’on considère généralement comme transitoires pour les citoyens. Mais l’enquête de 2005 indique que certaines de ces difficultés subsistent à l’heure actuelle. De plus elle fournit des informations sur la nature et l’évolution des avantages et des inconvénients que les citoyens attribuent à l’euro.
- L’adaptation des citoyens à l’euro
L’enquête montre qu’un pourcentage important des citoyens européens éprouve encore des difficultés à utiliser l’euro en 2005 (47%), notamment en France (50%) et en Italie (69%) et que ce pourcentage n’a pas beaucoup évolué depuis 2003 (49%).
Ces difficultés ne semblent pas provenir de l’utilisation de l’euro en tant que moyen de paiement courant. En effet 93% des citoyens considèrent que l’utilisation des billets est facile. Ce pourcentage passe à 73% pour l’usage des pièces. De plus près de 60% des citoyens considèrent que le nombre de pièces différentes qui leur permettent d’assurer leurs paiements liquides est suffisant. Ce taux augmente depuis 2003 au détriment de celui des Européens qui veulent moins de pièces différentes.
Par contre les Européens semblent avoir des difficultés à calculer les prix de leurs achats exceptionnels en euros. C’est ainsi qu’en 2005, 43% des citoyens européens évaluent ces prix en monnaies nationales anciennes. Ce taux est très variable selon les pays (58% aux Pays-Bas, 47% en France, 7% en Irlande). Mais la différence entre ceux qui calculent en monnaies nationales et en euros a baissé de 38 à 19 points de 2003 à 2005.
Quant aux achats habituels, leurs prix sont évalués en euros par 56% de la population. Mais une part encore importante des citoyens raisonne en monnaies nationales, notamment en Allemagne (52%), en Italie (55%) et au Portugal (56%). On note cependant un progrès continu dans l’estimation des prix en euros dans tous les pays, sauf au Portugal.
Cet attachement à l’évaluation des prix en monnaies nationales se traduit par le désir de 44% des citoyens de maintenir le double affichage (plus de 50% en Espagne, en France et en Italie). Ce pourcentage moyen diminue cependant depuis 2003 et actuellement une majorité d’Européens est favorable à la suppression du double affichage.
Les difficultés à rétablir une échelle de valeurs à la suite de l’expression des prix en euros comportent, selon l’opinion des Européens, des effets sur leurs habitudes de consommation. En effet 39% d’entre eux pensent qu’ils ont réduit leurs achats depuis 2003 de peur de dépenser trop et 26% estiment qu’ils achètent plus. Seul un tiers des sondés considèrent que l’euro n’a eu aucun effet sur leurs habitudes de consommation.
- Les avantages et les inconvénients attribués à l’euro
La majorité des citoyens sondés (51%) considère en 2005 que l’adoption de l’euro est une opération globalement avantageuse pour leurs pays. Mais les avantages macroéconomiques qui sont attribués à la monnaie européenne et qui peuvent justifier cette opinion ne sont perçus que par une minorité de citoyens. En effet aucun d’entre eux (monnaie forte et commune, amélioration de la croissance et de l’emploi, etc.) ne l’emporte pour plus de 10% des citoyens sauf celui résultant du renforcement de l’Europe dans le monde (23%).
Le principal avantage que les citoyens attribuent à l’euro est de nature individuelle. En effet 39% de la population sondée apprécie l’euro comme un moyen de faciliter les voyages et de les rendre moins coûteux. Si cet avantage n’emporte pas l’adhésion d’une majorité des citoyens sauf au Luxembourg, en Autriche et en Irlande (plus de 65%), c’est probablement parce que seule une forte minorité des Européens effectue des déplacements en dehors de leurs pays. Cette hypothèse semble vérifiée par la méconnaissance qu’a une grande partie des citoyens de l’absence de frais induits par les retraits d’argent et par les virements à l’étranger depuis juillet 2003 : 36% des sondés ne connaît pas le régime actuel de ces opérations et 34% fournissent des réponses incorrectes.
Seuls 27% des sondés considèrent que l’euro facilite la comparaison des prix, ce qui peut avoir un effet positif sur la consommation. Pourtant 59% de la population sondée pense qu’il faudrait élargir la zone euro, car cela permettrait d’accroître la consommation en facilitant la comparaison des prix.
L’instauration de l’euro est considérée comme une opération désavantageuse pour 39% des Européens. Cette opinion l’emporte même sur la précédente aux Pays-Bas, en Grèce et en Allemagne avec 48% de la population.
La principale cause de mécontentement qui résulte de l’instauration de l’euro est la hausse des prix que 78% de la population sondée attribue à celle-ci. Ce taux est supérieur à 84% en Italie, en Grèce et en Autriche. Pour 93% des citoyens, la hausse des prix s’est accélérée depuis 2003. Ce taux est égal ou supérieur à 90% dans 9 des 12 pays de la zone euro. La complication de la vie courante engendrée par l’euro constitue la seconde source de mécontentement, mais elle n’est évoquée que par 12% des citoyens. Les autres conséquences attribuées à l’instauration de la monnaie européenne, comme le chômage, la faible croissance, les pertes de compétitivité et de souveraineté, sont invoquées par moins de 10% des sondés.
L’impression majoritaire d’une inflation provoquée par l’euro est assez paradoxale si l’on considère que selon le taux de variation de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), l’inflation annuelle effective s’est maintenue à 2,3% en 2001 et en 2002 avant de passer à 2,1% en 2003 et en 2004, puis à 2,3% en 2005. Mais un certain décalage entre l’inflation effective et l’inflation perçue est observé depuis 2002 sur la base de l’indicateur qualitatif de l’inflation perçue déterminé par les enquêtes mensuelles de la Commission européenne. Cet indicateur a fortement progressé jusqu’en janvier 2003, puis, après une période de stabilisation, la différence entre les deux inflations s’est progressivement réduite tout en se maintenant à un niveau non négligeable.
En 2005, la majorité des consommateurs a toujours l’impression que l’inflation est élevée. Cette opinion est plus répandue qu’en 2001 sauf en Allemagne et aux Pays-Bas.
Le décalage initial entre l’inflation perçue et l’inflation effective peut s’expliquer par différentes pratiques, comme les arrondis systématiques vers le haut, l’application de taux de conversion erronés et les modifications substantielles favorisées par les pertes de repères dues au changement d’échelle de valeurs. Ces pratiques ont principalement touché les biens et les services auxquels les consommateurs attribuent plus de poids que les statisticiens élaborant l’IPCH [4]. Mais ces causes ponctuelles ne permettent pas d’expliquer le prolongement dans le temps du décalage entre les deux inflations. Différentes explications ont été avancées.
Certaines se réfèrent à la théorie économique du comportement du consommateur. C’est ainsi que Mastrobuoni et Dziuda analysent l’influence du coût de conversion des prix en euros sur le comportement du consommateur en informations imparfaites [5]. Ils montrent sur le plan théorique et vérifient empiriquement sur les données européennes que les perceptions inflationnistes des consommateurs se fondent sur les produits à prix faibles et fréquemment achetés et que les prix de ces produits ont augmenté plus que ceux d’autres biens. Cette augmentation semble avoir été plus faible dans les secteurs commerciaux concentrés que dans les autres.
D’autres explications sont proposées par des psychologues [6] sur la base d’expériences qui ont montré que les anticipations de hausses des prix fondées sur des a-priori influencent les jugements même s’il existe des évidences qui contredisent ces prévisions.
On peut noter que malgré les effets inflationnistes qu’ils attribuent à l’instauration de l’euro, plus de 50% des citoyens sont favorables à la suppression des pièces de 1 et de 2 cents bien qu’une grande partie d’entre eux (62%) ait l’impression que cette opération entraînera une hausse des prix. C’est ainsi que 63% des Français sondés sont favorables à la suppression des pièces de 1 cent et que 79% d’entre eux sont convaincus des effets inflationnistes de cette mesure.
Les opinions ont sensiblement évolué depuis 2003, puisqu’à cette date 59% des citoyens sondés considéraient que l’instauration de l’euro était avantageuse pour leurs pays (51% en 2005) et que 29% d’entre eux pensait qu’il s’agissait d’une opération désavantageuse (39% en 2005). La perception d’un tel désavantage l’emporte même aux Pays-Bas, en Grèce et en Allemagne avec 48% de la population. Cette évolution observée presque dans tous les pays peut-être due, au moins en partie, aux effets inflationnistes attribués à l’euro et mis en évidence par l’enquête. Elle pourrait aussi résulter de la déception provoquée par les performances de l’économie européenne caractérisées par une croissance faible et une hausse du taux chômage (7,9% en 2001, 8,9% en 2004). Mais cette cause ne semble pas être privilégiée par une grande partie des citoyens selon l’enquête.
2. L’euro européenne comme vecteur d’identité
Selon une enquête effectuée à la veille de l’instauration de l’euro [7] , une grande partie des Européens était favorable à la construction européenne et à l’émergence d’une monnaie commune. Mais ce sentiment d’adhésion semblait diffus dans la mesure où selon une enquête de l’Eurobaromètre (1998), trois quarts des personnes interrogées déclaraient qu’elles connaissaient peu de choses ou presque rien sur l’Union européenne. Il ne semblait donc pas traduire un sentiment général de citoyenneté européenne, d’autant plus que de nombreuses personnes interrogées pensaient que dans un proche avenir elles se définiraient uniquement par leur nationalité.
Considérant qu’une monnaie nationale constitue généralement un support du sentiment d’appartenance éprouvé par les citoyens de son pays d’émission, on pouvait espérer que l’instauration de l’euro susciterait un sentiment d’identité européenne. Or, l’enquête de 2005 commanditée par la Commission européenne montre que, selon l’opinion de 78% de la population sondée (80% en 2003), l’instauration de l’euro n’exerce aucun effet sur leur sentiment d’identité européenne. Cet effet n’est positif que pour 18% des sondés et il est négatif pour 3% d’entre eux. Ces taux sont respectivement de 17% et de 2% en 2003. Ces résultats ne sont pas très différents selon les pays et selon les catégories socio-démographiques.
Il est possible que le faible impact exercé par l’euro sur leur sentiment d’appartenance à l’Europe résulte de la perception qu’ont les citoyens de l’euro comme monnaie nouvelle et commune et de l’organisation institutionnelle et économique qu’engendre la monnaie européenne.
- La perception d’une monnaie nouvelle
L’euro peut contribuer à l’émergence et au développement d’une identité européenne si ses fonctions suscitent un sentiment d’appartenance à l’ensemble européen et d’affirmation identitaire envers l’extérieur.
En tant qu’intermédiaire d’échange commun aux pays européens, l’euro permet de délimiter l’espace de l’UEM et de concrétiser ainsi l’objet du sentiment d’appartenance. Environ 80% des citoyens pensent que cet espace va s’étendre aux 10 pays qui sont entrés dans l’Union européenne (UE), mais seulement un quart d’entre eux en sont certains. Il existe donc actuellement une certaine incertitude dans l’esprit des citoyens sur la délimitation future de la zone euro, ce qui est renforcé par les perspectives d’une extension à des pays ne faisant pas partie encore de l’UE. Cette incertitude ne favorise pas le sentiment identitaire.
Dans l’immédiat les échanges de biens et de services intra-européens en euros peuvent favoriser le sentiment d’appartenance, mais ils ne concernent qu’une partie de la population. Par contre l’instauration d’un système européen d’imposition permettrait à l’euro d’exprimer les dettes fiscales de l’ensemble des ménages envers les autorités européennes et d’affirmer ainsi une puissance publique européenne qui pourrait être considérée comme un embryon de pouvoir politique favorable au développement d’un sentiment d’identité européenne.
En tant que réserve de valeur, l’euro peut contribuer à l’évolution d’un sentiment identitaire s’il suscite la confiance de ses détenteurs sur sa valeur interne et externe. L’enquête de 2005 révèle la défiance des citoyens envers le pouvoir d’achat de la monnaie européenne qui est considérée comme une source d’inflation. Quant à la valeur externe de l’euro, notamment exprimée par rapport au dollar, elle ne préoccupe pas du tout 55% des citoyens sondés (49% en 2003). Elle ne constitue une importante préoccupation que pour 10% d’entre eux.
Comme instrument de compte, l’euro peut favoriser l’évolution d’une identité européenne en constituant un langage commun pour les Européens. Cet aspect est apprécié par une grande partie des citoyens qui voyagent en Europe. Par contre 53% de la population ne pense pas que l’expression des prix dans la même unité monétaire a contribué à leur harmonisation en facilitant leur comparaison internationale et en stimulant ainsi la concurrence.
Le sentiment d’identité ne s’exprime pas seulement par un attachement à l’Europe, mais aussi par une différenciation par rapport aux pays non européens. Cela peut se traduire par l’expression d’une préférence pour un euro fort [8]. Mais l’enquête révèle que moins de 10% de la population sondée considère que l’émergence de l’euro permettra à l’Europe d’obtenir une monnaie forte. Par contre, elle montre que 73% de la population est convaincue que l’euro est une monnaie internationale comme le dollar et le yen (9% en Irlande, 70% en France), mais, comme on l’a vu précédemment, seulement 23% des citoyens pensent que l’euro permettra de renforcer la place de l’Europe dans le monde.
- La perception de l’organisation engendrée par l’euro
L’instauration de l’euro a généré une organisation institutionnelle et économique qui peut devenir un vecteur d’identité si les citoyens y adhèrent et si son fonctionnement améliore leur bien-être.
L’enquête de 2005 ne permet pas de connaître l’opinion sur l’existence et le fonctionnement du système européen des banques centrales qui est la principale institution issue de l’instauration de l’euro et chargée de sa gestion. On peut cependant craindre que, malgré son orientation exclusive vers la lutte contre l’inflation, la politique de la Banque centrale européenne ne soit pas crédible aux yeux des citoyens qui continuent à avoir l’impression d’une pression inflationniste résultant de l’instauration de l’euro.
Par contre, l’enquête donne des indications sur la connaissance et l’opinion des ménages concernant l’organisation de la politique économique. Ces indications sont fournies par les réponses à deux questions.
La première porte sur l’existence d’une coordination des politiques économiques au sein des membres de l’UEM. La majorité de la population sondée (53%) répond correctement à cette question, mais 23% de l’échantillon répond incorrectement et 20% affirme ne rien savoir du sujet. L’importance des réponses correctes diminue dans 8 pays et augmente dans 4 de 2003 à 2005.
La seconde question porte sur le pacte de stabilité. Seulement 19% de la population connaît son existence et sait de quoi il s’agit (16% en 2003), alors que 45% n’en a jamais entendu parler (19% en 2003) et que 36% en a entendu parler, mais ne sait pas très bien de quoi il s’agit. Dans 7 pays dont la France, moins de 13% des citoyens sondés affirment avoir une connaissance complète du pacte.
Malgré leurs faibles connaissances du pacte de stabilité, les citoyens sont invités par l’enquête à répondre à des questions sur la pertinence et l’application de ses mesures. C’est ainsi que 73% de la population considère que le pacte est une bonne chose parce que, comme le suggère la question, « il fait de l’euro une monnaie stable et forte ». Cette réponse traduit probablement l’impression éprouvée par une majorité d’Européens de la nécessité d’une discipline budgétaire. Elle ne peut pas être interprétée comme une adhésion massive aux dispositions prévues par le pacte pour assurer une telle discipline du fait de la connaissance insuffisante de ces mesures et de leurs incidences sur la valeur interne et externe de l’euro.
Selon l’enquête de 2005, peu de citoyens pensent que l’instauration de l’euro exerce à travers l’organisation institutionnelle et économique qu’elle engendre des effets sur la croissance, l’emploi et la compétitivité. C’est ainsi que pour 4% des citoyens sondés ces effets sont positifs et pour 7% ils sont négatifs.
Comme on l’a vu précédemment, les citoyens, dans leur grande majorité considèrent que l’instauration de l’euro est avantageuse pour leur pays. Mais ils pensent que ces avantages n’ont pas bénéficié aux pays de l’UEM de la même façon dans la mesure où ils considèrent que la situation économique de leurs pays est moins bonne que celle des autres.
Conclusion
Selon l’enquête commanditée par la Commission européenne, la perception de la monnaie commune par les citoyens ne semble pas s’être modifiée d’une façon importante depuis 2002. En effet l’euro semble être considéré essentiellement comme une innovation monétaire à laquelle on s’adapte lentement et que l’on subit malgré ses effets inflationnistes. Son avantage essentiel pour une partie de la population est de faciliter les voyages. Selon l’enquête, les citoyens ne semblent pas percevoir certains avantages macroéconomiques directs résultant de la substitution des monnaies nationales par l’euro, comme la disparition des fluctuations des taux de change entre les monnaies européennes et l’amortissement des variations des taux de change entre ces monnaies et les monnaies extra-européennes. Quant aux effets macroéconomiques qu’exerce l’euro à travers l’organisation institutionnelle et la politique économique qu’il a induit, ils ne semblent préoccuper qu’une petite minorité des citoyens. Cette indifférence est probablement due à une connaissance insuffisante des conséquences de l’instauration de l’euro sur l’organisation économique et politique de l’UEM et à une information faible sur cette organisation, comme le montre l’enquête.
Pour certains, la perception restrictive de l’euro par les citoyens mise en évidence par l’enquête risque de mettre la monnaie européenne en danger [9] . En effet, si les Européens ne considèrent l’euro qu’en tant qu’innovation monétaire, ils peuvent être incités à rejeter cette monnaie au bénéfice d’une autre si elle leur paraît avoir plus d’inconvénients économiques que d’avantages. Un tel scénario semble actuellement peu vraisemblable, notamment à cause de son coût macroéconomique élevé.
En fait, c’est plutôt l’avenir de la construction européenne qui risque d’être mis en péril par une certaine indifférence des citoyens envers l’euro. En effet cette construction ne peut se maintenir et se développer que si elle obtient l’adhésion active des citoyens. Une telle adhésion peut se fonder sur un sentiment d’identité dont le support essentiel est généralement la monnaie. Or jusqu’ici l’euro ne semble pas avoir constitué le vecteur d’un tel sentiment. Cette faiblesse peut s’expliquer notamment par la connaissance très insuffisante des citoyens sur l’organisation et le fonctionnement de l’UEM que l’enquête met en évidence et par la particularité de l’émergence de l’euro qui, à la différence de celle d’autres monnaies, ne s’est pas accompagnée de l’apparition d’un pouvoir politique ou ne l’a pas suivie. Elle peut donc être réduite par une information et une implication plus importante des citoyens afin de ne pas limiter la construction européenne à un cercle de techniciens et par une évolution progressive vers un pouvoir politique européen grâce à certaines mesures comme l’instauration d’un impôt européen qui pourrait alimenter le budget de l’UEM.
[1] Cautrès B, D. Reynié ed. (2000), L’opinion européenne, Presses de Sciences Po, p.26-27.
[2] Koenig G. (2002), « L’acceptation de l’euro et le sentiment d’identité européenne » dans Koenig G. ed.), L’euro vecteur d’identité européenne, PUS, p.87-111.
[3] Flash Eurobaromètre (novembre 2005), L’euro, quatre ans après l’introduction des billets et des pièces, Rapport analytique du sondage réalisé par TNS SOFRES c/o Gallup Europe.
[4] BCE (2003), « Évolution récente de la perception de l’inflation dans la zone euro », Bulletin de la BCE, n°10, p.24-25
BCE (2004), « La perception de l’inflation par les consommateurs diffère-t-elle toujours des statistiques officielles ? », Bulletin de la BCE, n°4, p.31-33.
[5] Mastrobuoni G., W. Dziuda (2005), “The euro changeover and its effects on price transparency and inflation”, Economics Working Papers Archiv, série International Finance 0503003.
[6] Traut-Mattausch E. et alii (2004), « Expectancy confirmation in spite of disconfirming evidence : the case of price increase due to the introduction of the euro », European Journal o f Social Psychology, n°6, p.739-760.
[7] Cautrès B, D. Reynié, ed. (2000), Ibid.
[8] Le concept d’euro fort comporte différentes définitions. Voir Dai M.(2002), « L’euro fort et l’identité européenne », in Koenig (ed), op. cit., p.113-136.
[9] Finchelstein G. (2006), « L’euro en péril », Les Echos, 3 janvier.
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Du / des même(s) auteur()s
- La mise en place définitive de l’euro, Gilbert Koenig
- L’Euro, vecteur d’identité européenne, Gilbert Koenig
- La valeur de l’euro par rapport au dollar et les marchés d’actifs financiers et monétaires, Gilbert Koenig
- Le big bang monétaire de l’an 2002, Gilbert Koenig
- Entrevue fictive à Francfort, Gilbert Koenig
- L’euro et l’économie souterraine, Gilbert Koenig
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