La politique commerciale extérieure de l’Union Européenne : une analyse des barrières aux échanges
Marine Charlotte André, Banco de México, Dirección General de Investigación Económica.
Dans un contexte de guerre commerciale entre les Etats-Unis et ses principaux partenaires commerciaux, cet article revoit la politique commerciale de l’Union européenne ainsi que ses barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges commerciaux.
Mots-clefs : accord de libre-échange, barrières douanières, barrières non-douanières, barrières non-tarifaires, barrières tarifaires, négociations commerciales internationales, Organisation mondiale du commerce (OMC), politique commerciale.
Citer cet article
Marine Charlotte André « La politique commerciale extérieure de l’Union Européenne : une analyse des barrières aux échanges », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 38, 49 - 52, Eté 2018.
L’annonce du 31 mai dernier de Donald Trump de taxer à hauteur de 25 % les exportations d’acier et de 10 % celles d’aluminium en provenance du Canada, du Mexique et des pays membres de l’Union Européenne (UE) a provoqué un grand choc politique chez les derniers. Ces pays sont tous des partenaires commerciaux de longue date des États-Unis. En 2017, les Etats-Unis étaient le principal partenaire commercial pour les exports de l’UE (Eurostat). Les exports vers les Etats-Unis représentent 82 % des exports mexicains et 76 % des exports canadiens en 2016 (Banque Mondiale). Etant donnée la place importante qu’occupent le Canada, le Mexique et l’UE dans les échanges mondiaux, la question de l’impact de telles mesures sur les économies se pose.
Suite à cette annonce, une guerre commerciale s’est enclenchée tout d’abord avec le Canada, qui a annoncé l’imposition au 1er juillet de taxes sur les produits américains de près de 13 milliards de dollars. Le 7 juin 2018, le Mexique a à son tour répondu aux Etats-Unis en déposant une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) concernant les droits de douane portant sur l’acier et l’aluminium. En effet, ces mesures seraient incompatibles avec l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, ainsi qu’avec l’Accord sur les sauvegardes.
Cette guerre commerciale par les taxes est pourtant fortement critiquée par l’OMC depuis le Cycle de l’Uruguay de 1986 à 1994 qui a jeté le discrédit sur les barrières tarifaires et non tarifaires (lesquelles peuvent par exemple être des normes à respecter). En effet, l’abolition de telles barrières tarifaires et non-tarifaires pourrait générer des gains de l’ordre 182 milliards de dollars dans le secteur des services, 162 milliards dans la manufacture et 32 milliards pour l’agriculture dans les pays en développement.
Pour certains, l’augmentation des tarifs douaniers des Etats-Unis s’apparente à une mesure déguisée d’antidumping de défense commerciale et de sauvegarde du secteur industriel de l’aluminium et de l’acier. Pour d’autres, une telle pratique peut être qualifiée de protectionniste, soustrayant les Etats-Unis à la concurrence internationale et à la politique de libre-échange.
Cependant, l’UE n’est pas en reste concernant la mise en place de barrières douanières tarifaires ou non-tarifaires. Ainsi l’on peut se demander à travers cette actualité si certaines barrières tarifaires ou non-tarifaires peuvent être bénéfiques au commerce de l’UE et plus largement à son économie.
Les principes de la politique commerciale de l’UE
La politique commerciale relève de la compétence exclusive de l’UE, il appartient donc à l’UE de légiférer sur les questions commerciales et de conclure les accords commerciaux internationaux. La représentante auprès de l’OMC depuis 2014 est la Commissaire au commerce Cécilia Malmström, qui est en charge des négociations d’accords de libre-échange.
Cette politique commerciale depuis le repli des Etats-Unis vers davantage de mesures protectionnistes a été redéfinie. Ainsi l’UE cherche à développer davantage des accords de libre-échange existants avec le Mexique et la Corée du Sud notamment, ainsi qu’à signer de nouveaux partenariats de libre-échange de grande ampleur (CETA).
La stratégie douanière selon la Commission suit quatre objectifs. Le premier est de protéger les intérêts financiers de l’UE et de ses Etats-Membres. L’objectif suivant est de protéger l’UE du commerce illégal et injuste tout en supportant les activités de commerce légitimes. Le troisième est d’assurer la sécurité de l’UE et de ses résidents, ainsi que la protection de l’environnement en maintenant une coopération forte avec les autorités extérieures. Enfin, le dernier objectif doit maintenir un équilibre défini entre le contrôle douanier et la facilitation du commerce légal.
Suivant la littérature sur le commerce international, la politique commerciale libérale menée par l’UE est censée à terme apporter davantage de croissance économique tout en élevant le pouvoir d’achat des citoyens européens.
L’impact des barrières douanières et non-douanières sur l’économie
Selon Ricardo, le commerce international en ouvrant les industries nationales davantage à la concurrence est censé accroître le pouvoir d’achat dans les pays procédant au libre-échange, en favorisant les industries ayant l’avantage comparatif le plus élevé. Cependant, même si les marges des entreprises nationales se réduisent lors de leur entrée en concurrence avec des entreprises étrangères qui exportent vers l’économie domestique, il est ambigu quant à la source du gain de pouvoir d’achat. En effet, ce gain peut provenir de l’élimination du pouvoir de marché ou d’une situation de vente à perte (ou encore de dumping) en suivant Tybout (2001). Une des questions centrales entourant les pratiques du commerce international se pose en termes de dumping, et par riposte, de mesures anti-dumping.
La notion de dumping commercial est définie selon le GATT (Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce) comme « l’introduction des produits d’un pays sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à leur valeur normale » [1]. Dans tous ces cas, le dumping est présenté dans les médias comme une concurrence déloyale et justifie bien souvent des comportements protectionnistes, se traduisant dans les faits par l’imposition de mesures tarifaires et non-tarifaires.
La principale différence avec les tarifs douaniers est que ces derniers génèrent des revenus pour le gouvernement alors que les mesures non tarifaires agissent, comme des quotas d’importation, sans générer de revenus directs. Les impacts des barrières non tarifaires sur les économies domestique et étrangère sont beaucoup plus difficiles à évaluer car ces barrières sont généralement des mesures qualitatives (la certification ISO par exemple).
Le GATT puis l’OMC ont eu une forte incidence sur la réduction des tarifs douaniers, mais ils ont donné plus de latitude pour la mise en œuvre des mesures non tarifaires lorsqu’elles sont motivées par des mesures anti-dumping.
Les barrières non tarifaires introduisent également de plus grandes distorsions au niveau des prix des biens domestiques et étrangers en raison du risque et de l’incertitude qu’elles véhiculent. Elles sont également critiquées pour leur manque de transparence et induisent une surveillance étroite des entreprises, ce qui augmente leurs coûts administratifs. Ainsi, les barrières non tarifaires contribuent à augmenter les coûts de production découlant de la segmentation non compétitive du marché. Ils favorisent la substitution des importations et découragent la rationalisation de l’investissement. En cela, on peut considérer qu’elles sont fortement dommageables pour l’économie.
L’élimination des barrières non tarifaires entraînerait une concurrence accrue ainsi qu’une efficacité accrue, des gains plus grands provenant des économies d’échelle et une réduction conséquente des coûts de production unitaires pour un marché élargi, ainsi qu’une spécialisation accrue. Ce processus devrait entraîner une augmentation du niveau de vie moyen.
Dans le cas spécifique où l’industrie domestique n’est pas compétitive (Jovanović, 2005), le fait de mettre en place des barrières tarifaires ou non-tarifaires peut sauver des emplois dans le secteur cible ou dans l’économie en général sur le très court terme. En effet, à court terme, cela peut également réduire l’activité économique des pays précédemment exportateurs. Si les biens domestiques sont utilisés en tant que biens intermédiaires pour d’autres industries, leur export risque d’être remis en cause et l’investissement peut être réduit. Sur le moyen et long terme, cette stratégie peut se traduire par une hausse du taux de chômage, et un niveau de vie qui est réduit.
Ainsi la décision de Trump d’augmenter les barrières tarifaires augmenterait tout d’abord d’environ 33 464 emplois dans l’acier et le fer (et les métaux non ferreux), mais coûterait plus de 179 334 emplois dans le reste de l’économie, créant une perte nette d’environ 146 000 emplois. Cette perte d’emplois concerne plus largement les secteurs manufacturiers (fabrication de métaux, de moteurs de véhicules et d’équipements de transports). Deux tiers des emplois perdus affecteraient notamment les emplois peu qualifiés (François et Baughman 2018).
Ainsi la mise en place de barrières douanières importantes peut considérablement nuire à l’économie domestique.
Les barrières non-tarifaires initiées par l’UE
Il est remarquable de constater que les économies subissant des périodes de récession sont relativement plus enclines à mettre en place des barrières tarifaires ou non-tarifaires (Evenett et al. 2011, McDonald et Henn 2011). Cela semble être confirmé par le Tableau 1.
Le Tableau 1 représente les barrières non-tarifaires initiées par l’UE contre ses principaux partenaires commerciaux. Les barrières non-tarifaires initiées ne sont pas nécessairement toutes autorisées par la suite par l’OMC mais témoignent d’une tendance de l’UE à restreindre le libre-échange.
Il est également intéressant de noter que la Chine ne pouvait pas répondre aux barrières tarifaires et non-tarifaires lui étant imposées par ses partenaires commerciaux lorsqu’elle n’avait pas encore son statut d’économie de marché. Ce statut lui a été conféré en 2016 automatiquement par l’OMC après 15 ans d’adhésion. Cependant, les Etats-Unis et l’UE lui refusent ce statut encore en 2018 car un tel statut implique de pouvoir également imposer des mesures de sauvegarde aux exports des Etats-Unis et de l’UE vers la Chine.
Tableau 1 : Nombre de barrières non-tarifaires (BNT) initiées par l’UE avec ses principaux partenaires commerciaux
Principaux partenaires commerciaux | 2000 | 02001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | Nombre de BNT par pays |
Australie | 0 | 4 | 1 | 6 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 1 | 3 | 3 | 9 | 3 | 4 | 36 |
Canada | 6 | 7 | 2 | 4 | 2 | 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 3 | 5 | 2 | 2 | 2 | 1 | 44 |
Chine | 5 | 1 | 5 | 7 | 24 | 27 | 15 | 8 | 9 | 7 | 13 | 11 | 16 | 8 | 11 | 10 | 10 | 187 |
Inde | 2 | 10 | 3 | 4 | 0 | 2 | 3 | 1 | 1 | 2 | 7 | 4 | 4 | 2 | 10 | 5 | 5 | 65 |
Indonésie | 1 | 3 | 3 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | 1 | 1 | 3 | 3 | 9 | 3 | 4 | 36 |
Japon | 4 | 0 | 1 | 1 | 0 | 1 | 3 | 1 | 1 | 2 | 0 | 1 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | 18 |
Russie | 2 | 2 | 3 | 1 | 3 | 1 | 2 | 2 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 4 | 2 | 1 | 1 | 25 |
Corée du Sud | 2 | 2 | 1 | 1 | 4 | 2 | 2 | 1 | 2 | 2 | 0 | 1 | 2 | 1 | 1 | 1 | 2 | 27 |
Les Etats-Unis | 6 | 10 | 2 | 7 | 4 | 3 | 5 | 1 | 4 | 4 | 3 | 6 | 6 | 5 | 4 | 7 | 6 | 83 |
Turquie | 1 | 2 | 1 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 2 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 7 | 4 | 4 | 25 |
Somme de BNT par an | 29 | 41 | 22 | 32 | 38 | 39 | 33 | 18 | 20 | 18 | 27 | 30 | 41 | 29 | 56 | 36 | 37 | 546 |
Source : OMC, recherche détaillée. BNT : Barrières non tarifaires initiées par l’UE soumises à l’approbation de l’OMC.
Conclusion
Depuis une décennie, les guerres commerciales entre pays se font de plus en plus intensément malgré quelques accords permettant d’approfondir le libre-échange, tels que le CETA. Les mesures s’apparentant à un retour vers le protectionnisme sont bien souvent populaires auprès de l’électorat mais peuvent endommager durablement l’économie domestique ainsi que l’économie étrangère, en raison des répercussions en chaîne de la hausse des coûts de production dans l’ensemble des industries liées de près ou de loin par ces mesures de sauvegarde.
Références bibliographiques :
Evenett, S. J., Fritz, J., Gerasimenko, D., Nowakowska, M., & Wermelinger, M. (2011), “The resort to protectionism during the great recession : which factors mattered ?”, Working Paper, University of St. Gallen.
François, J. et Baughman L. M. (2018), Does Import Protection Save Jobs ? Policy Brief, The Trade Partnership (5 Mars 2018).
Hiault, R. (2018), « Commerce : le système économique chinois dans le viseur de Bruxelles », Les Echos le 01/01/18. https://www.lesechos.fr/01/01/2018/lesechos.fr/0301073040549_commerce---le-systeme-economique-chinois-dans-le-viseur-de-bruxelles.htm
Jovanović, M. N. (2005), “Trade Policy”, in M. N. Jovanović, The Economics of European Integration : Limits and Prospects. Edward Elgar Publishing, 944 pages.
McDonald, M. B. J., & Henn, C. (2011). “Protectionist responses to the crisis : Damage observed in product-level trade”, IMF Working Papers No. 11-139, International Monetary Fund.
Secrétariat de l’OMC (2011), “Trade growth to ease in 2011 but despite 2010 record surge, crisis hangover persists”, WTO : 2011 Press Releases. Récupéré le 23 Mai, 2017, de https://www.wto.org/english/news_e/pres11_e/pr628_e.htm
Tybout, J. R. (2001), “Plant- and Firm-level evidence on new trade theories,” NBER Working Paper No. 8418.
[1] Le dumping social correspond à l’avantage à l’exportation grâce à un coût du travail plus faible. Le dumping fiscal désigne quant à lui le fait qu’un pays pratique des taux d’imposition et de taxation plus faible que les autres pays.
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