La politique de coopération pour le développement de l’Union européenne à l’heure de l’élargissement
Claire Mainguy, Université de Strasbourg (BETA)
La politique de développement de l’Union européenne (UE) s’est transformée au fil des élargissements successifs qui ont marqué la construction européenne. Avec 10 nouveaux membres à partir du 1er Mai 2004, l’UE entre dans une phase de transition majeure à bien des égards.
Mots-clefs : aide publique au développement, coopération économique internationale, coopération financière UE/ACP, coopération Nord-Sud, élargissement de l’UE, politique de coopération.
Citer cet article
Claire Mainguy « La politique de coopération pour le développement de l’Union européenne à l’heure de l’élargissement », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 10, 25 - 28, Été 2004.
Les nouveaux membres adhèrent, de fait, à l’ensemble des engagements pris par l’UE vis-à-vis des pays du Sud. Les difficultés qu’ils rencontreront lors de la mise en œuvre de leur politique de développement sont en partie connues. Les élargissements précédents n’avaient pas posé autant de problèmes : en effet, les écarts de niveaux de vie étaient moins grands ; avec l’élargissement de 1986 à l’Espagne et au Portugal, l’UE accueillait deux pays dont l’intérêt envers les pays du Sud était marqué en raison de liens historiques ; en 1995, avec l’Autriche, la Suède et la Finlande, l’UE intégrait des pays plus riches que la moyenne des pays de l’Union, avec une expérience importante en matière d’aide au développement. En 2004, l’entrée massive de pays aux histoires et expériences différentes va probablement influencer la politique de développement de l’Union européenne, ce que redoutent, notamment, les pays africains. Afin de mesurer l’impact de l’élargissement sur sa politique de coopération, la Commission a lancé en 2002, donc assez tardivement, un programme de travail portant sur trois points : les implications de l’élargissement pour les programmes et politiques de l’UE, les moyens d’aider les nouveaux membres à assurer leur rôle de « donateur émergent » et les impacts de l’élargissement pour les pays du Sud (CCE, 2003).
Les obligations des nouveaux membres
En entrant dans l’UE, les nouveaux membres adhèrent d’emblée aux finalités de la politique européenne de coopération pour le développement : insertion progressive des pays du Sud à l’économie mondiale en particulier par l’intégration régionale, développement économique et social durable, réduction de la pauvreté, consolidation de la démocratie et de l’ état de droit.
La politique de coopération pour le développement de l’Union européenne est à la fois multilatérale et bilatérale, chaque pays membre étant libre de prendre des engagements à l’égard de pays non membres de l’UE, à l’exception toutefois du domaine commercial.
Elle repose sur les trois « C » : la cohérence entre les différentes politiques menées au sein de l’Union européenne [1] ; la coordination entre les activités soutenues par la commission et celles entreprises par les États membres ; la complémentarité entre l’aide communautaire et celle des autres donateurs, en particulier les États membres de l’Union. Les nouveaux membres devront, d’une manière générale, adapter leurs propres stratégies à celles qui sont établies dans les documents de stratégie par pays (ou par région), qui définissent le cadre pluriannuel cohérent pour la définition des relations avec les pays tiers (CCE, 2002, 2003).
L’essentiel de la politique de coopération pour le développement avec les pays du Sud est encadré par l’accord de Cotonou signé en 2000 (cf Bissiriou, Kern et Mainguy 2004), dont les nouveaux membres sont automatiquement partie.
Les implications financières et institutionnelles de l’élargissement
En participant au budget de la communauté, les nouveaux membres contribueront à la politique de développement puisqu’une part de ce budget est destinée à l’aide humanitaire et au développement.
Lors de la conférence de Monterrey en 2002, l’Union européenne s’est engagée à ce que les montants de son aide publique au développement (APD) atteignent 0,39% du produit intérieur brut (PIB) en 2006. Ce niveau sera atteint si chaque pays membre, qui se trouvait à un niveau inférieur auparavant, atteint le seuil de 0,33% en 2006 et que ceux qui se trouvaient au dessus maintiennent leur effort. Il paraît difficile de demander aux nouveaux membres de l’UE d’atteindre cet objectif. Il semble que si ce pourcentage minimum passait à 0,35% du PIB de l’Europe des 15, alors l’écart dû à l’élargissement serait supprimé (Migliorisi et Montes, 2003).
Les dix nouveaux membres se trouvent dans des situations très diverses au regard de l’aide au développement. Seulement trois d’entre eux (Chypre, Malte et la Slovénie) ont des niveaux de développement suffisants pour être classés parmi les donateurs, selon les critères du CAD/OCDE [2] . Actuellement, les budgets d’APD des nouveaux membres se situent entre 0,01% et 0,13% du PIB. Il est clair que les objectifs de Monterrey ne pourront pas être atteints par les nouveaux membres en 2006, même si les montants de l’aide s’accroissent progressivement comme cela est prévu.
En fait, les enjeux ne portent pas uniquement sur les montants de l’aide mais également sur les moyens de sensibiliser les opinions publiques des pays de l’Est aux objectifs de la politique de développement de l’Union européenne pour justifier des contributions croissantes. Cependant, même si l’aide pouvait atteindre les pourcentages requis par les engagements de Monterrey, les pays de l’Est ne disposent pas des structures institutionnelles et des compétences nécessaires pour octroyer cette aide de façon à ce qu’elle soit utile aux bénéficiaires et permette de réduire la pauvreté. Certes, certains des pays de l’Est qui vont entrer dans l’UE avaient une expérience de solidarité avec quelques pays du Sud [3], mais celle-ci s’est généralement arrêtée avec le démarrage du processus de transition. La baisse des revenus nationaux qui a suivi a conduit ces pays à se concentrer sur des priorités économiques nationales. Pour la plupart, les pays de l’Est doivent ainsi passer du statut de bénéficiaire à celui de « donateur émergent » et doivent, à la fois, assimiler de nouvelles règles liées à leur entrée dans l’UE, s’intéresser de ce fait à des pays tiers et, enfin, poursuivre leur propre développement. Concrètement, la gestion de l’aide se fait par le ministère des affaires étrangères comme c’est le cas dans de nombreux pays donateurs. La définition des politiques de coopération est encore très centralisée et la participation des organisations non-gouvernementales de développement qui sont implantées de façon inégale dans les nouveaux pays membres, est peu significative (Krichewsky, 2004). Dans un premier temps, l’aide des nouveaux membres devrait être en grande partie multilatérale et pourrait passer de 0,03% du PIB à 0,11% en 2006 (CCE, 2004). De leur côté, les pays ACP craignent que l’élargissement ne conduise à terme à une réduction de la part de l’aide qu’ils reçoivent au profit de nouveaux destinataires, en particulier, des pays voisins des nouveaux membres. Cette crainte repose sur certaines réalités. D’une part, la destination de l’aide des pays concernés par l’élargissement est marquée par les liens historiques avec certains pays (Viêt-nam, Angola, Yémen) ; de plus, l’aide actuellement octroyée par les nouveaux membres va essentiellement à leurs pays voisins de la Communauté des Etats Indépendants ou des Balkans (cf. tableau). D’autre part, l’aide de la communauté s’est progressivement déplacée de l’Afrique qui en recevait 59,4% en 1990/91 et seulement 33,6% en 2000/2001 vers les pays d’Europe de l’Est (5% à 26,9% sur la même période) (CAD/OCDE).
APD/PIB en 2001 | Principales destinations | |
Chypre | 0,02 | Moyen-orient, Europe de l’Est, CEI, Balkans |
République tchèque | 0,05 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans, Asie Centrale, Asie du sud-est, Afrique, Amérique Latine, moyen orient |
Estonie | 0,01 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans, Asie Centrale |
Hongrie | 0,04 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans, Asie Centrale, Asie du sud-est |
Lettonie | 0,02 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans |
Lituanie | 0,02 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans |
Malte | 0,01 | Sud de la Méditerranée, Afrique, Amérique Latine |
Pologne | 0,02 | Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Balkans, Asie Centrale, Asie du sud-est |
Slovaquie | 0,06 | Balkans, Asie Centrale, Asie du sud-est, Afrique, Amérique Latine |
Slovénie | 0,1 | Balkans |
Source : Migliorisi, Montes, 2003.
Les implications commerciales de l’élargissement
L’élargissement concernera les économies des pays ACP sur le plan commercial. En effet, l’accord de Cotonou devrait se concrétiser par la mise en place progressive de zones de libre-échange à partir de 2008. Ces accords de partenariat économique (APE) se feront donc avec une Europe élargie à 25 membres. Mais d’ici là, l’entrée de 10 nouveaux pays dans le marché commun peut modifier les flux commerciaux et avoir un impact sur les cours mondiaux de certains produits, en raison de la politique agricole commune. De plus, l’initiative « tout sauf les armes » (TSA), en vigueur depuis 2001, devra également être adoptée par les nouveaux membres [4]. Dès lors, la question qui se pose est de déterminer dans quelle mesure ces évolutions vont avoir un impact sur les pays du Sud. Ces effets sont encore difficiles à évaluer pour des raisons de natures très diverses : les études ont été lancées tardivement, les négociations internationales en cours vont faire évoluer les règles à prendre en compte et, in fine, selon les produits et les pays les effets peuvent s’avérer contradictoires. Malgré tout, un premier repérage est possible et nécessaire notamment en ce qui concerne l’agriculture [5], principal secteur exportateur pour les pays en développement (Kuyvenhoven, 2001).
Les modifications des flux commerciaux liées à l’entrée des 10 nouveaux membres dans le marché commun dépendront des niveaux relatifs de protection initiaux. Les produits dont la protection antérieure à l’élargissement est supérieure dans les PECO (légumes, fruits, huiles etc.), verront ces taux décroître et ne seront pas à l’origine d’un détournement de flux commerciaux. Les PECO devraient bénéficier d’une protection supplémentaire pour des produits tels que le bœuf, les produits laitiers, les céréales et le sucre, dont le commerce est organisé par l’UE. Cette hausse de la protection pourrait modifier les flux commerciaux dans certains cas. Mais, surtout, il est fort probable qu’elle induise une hausse de la production avec un impact à la baisse sur les cours de produits exportés également par les pays du Sud (blé). Cela contredirait leurs efforts sur les produits pour lesquels ils peuvent être compétitifs. Si les études d’impact confirment une telle évolution, cette dernière accentuerait les critiques à l’égard de l’UE sur la cohérence entre sa politique agricole d’un côté et sa politique d’aide au développement de l’autre. Pour d’autres produits, les réformes agricoles en cours auront plus d’impact que l’élargissement (bananes, sucre).
Par ailleurs, l’élargissement pourrait avoir des impacts intéressants pour les pays du Sud exportateurs qui pourraient ainsi utiliser pour les exportations vers les 10 nouveaux membres, des procédures commerciales identiques à celles qui s’appliquent aux pays de l’UE et de l’accès préférentiel à un marché européen plus large (initiative TSA).
L’élargissement pourrait aussi présenter un intérêt indirect pour les pays ACP : en effet, la politique d’aide de l’UE pour adaptation des économies de l’Est au marché commun pourrait devenir un modèle dans les négociations des APE entre l’UE et les ACP visant la mise en place de zones de libre-échange [6].
À l’heure de l’élargissement, certaines incertitudes demeurent en ce qui concerne l’impact de l’ouverture à l’Est sur les pays du Sud. L’attention s’est tournée vers les aspects institutionnels pour afin de développer les capacités de mise en œuvre des acquis communautaire en matière de développement des nouveaux membres ; les aspects financiers ont également été traités pour montrer que les PECO ne pourront augmenter leur aide que progressivement pour atteindre les objectifs de Monterrey ; les aspects économiques sont les plus insuffisamment traités, ces derniers étant plus difficiles à appréhender il est vrai, notamment en raison des règles actuellement mouvantes du commerce international : négociations commerciales multilatérales, réforme de la politique agricole commune, négociation des APE dans le cadre de l’accord de Cotonou.
Références
Gabriel Bissiriou, Francis Kern., Claire Mainguy, 2004, La politique de développement et de coopération de l’union européenne envers le Sud, dans Michel Dévoluy (dir.), Les politiques économiques européennes, Seuil, mai.
Commission des communautés européennes, 2002, 2003, Rapport annuel de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur la politique de développement de la CE et la mise en œuvre de l’aide extérieure, Bruxelles, septembre.
Commission des communautés européennes, 2004, Communication de la commission au conseil et au parlement européen : traduire le consensus de Monterrey dans la pratique : la contribution de l’Union européenne, mars.
Michael Dauderstädt (ed.), 2002, EU Eastern Enlargement and Development Cooperation, International Policy Analysis Unit, Friedrich-Ebert-Foundation, Bonn.
Krichewsky L. , 2004, EU-Enlargement related challenges for development policies in the European Union, CONCORD - Working Group on Enlargement, January.
Kuyvenhoven A., 2001, EU enlargement, agriculture and LDC impact : Background and issues, EU-LDC Background paper, 1 March.
Migliorisi S., Montes C., 2003, The consequences of enlargement for development policy, Development Strategies – IDC, September.
Sites internet à consulter sur ce sujet :
CAD/OCDE www.oecd.org/
EADI European association of development training and research institutes [www.eadi.org/>www.eadi.org/].
European Centre for Development Policy Management (Centre européen de gestion des politiques de développement) www.ecdpm.org
Trialog www.trialog.or.at
Union européenne www.europa.eu.int.
[1] Par exemple entre la politique de développement, la politique commerciale et la politique agricole.
[2] Le Comité d’aide au développement de l’OCDE est considéré comme l’organisme de référence en matière d’aide au développement.
[3] Les pourcentages étaient en général inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE : l’aide des PECO atteignait 0,06% du PIB et celle de l’URSS, 0,14% en 1980 (Dauderstädt, 2002).
[4] En février 2001, l’Union européenne a décidé de donner libre accès à tous les produits en provenance des 48 pays les moins avancés, à l’exception des armes et des munitions. Cette ouverture concerne notamment quelques produits agricoles qui étaient encore protégés comme le riz.
[5] Les produits industriels circulent librement entre l’Union européenne et les pays de l’Est, Malte et Chypre, depuis 2001.
[6] Plus de 550 millions € ont été accordés aux secteurs de l’agriculture des États en cours d’intégration, dans le cadre du programme SAPARD en 2002 (site www.agritrade).
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