La résilience économique régionale en Europe sur la période 1988-2018
Jean-Alain Héraud, Université de Strasbourg, CNRS, BETA et Association de Prospective Rhénane.
Andreas Hummler, Université de Strasbourg (BETA) ; Bayerisches Forschungsinstitut für Digitale Transformation.
Face à une crise économique globale, tous les pays ne réagissent pas de la même manière, et il en est de même pour les régions à l’intérieur des pays. Comment mesurer la capacité des territoires à résister à ces défis, voire à rebondir une fois la crise passée ? La méthode développée ici, à laquelle correspond le concept de résilience économique, vise à analyser avec précision la réaction des entités infrarégionales retenues (en l’occurrence les périmètres NUTS-3 de 15 pays membres de l’Union européenne) à des chocs globaux importants, en travaillant sur le long terme afin de repérer une assez riche variété de réactions. Il s’agit en effet d’aller plus loin que le simple constat de retour à une activité économique normale au bout de quelques mois, et par exemple de pouvoir détecter des ruptures dans le modèle de croissance sur un nombre significatif d’années.
Mots-clefs : chocs macroéconomiques, crise économique, délai de récupération, entités infrarégionales, modèle de croissance, processus évolutionnaire d’apprentissage, résilience économique, résilience économique régionale.
Citer cet article
Jean-Alain Héraud , Andreas Hummler « La résilience économique régionale en Europe sur la période 1988-2018 », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 45, 5 - 11, Hiver 2021.
L’Europe a connu, au cours des trois dernières décennies, un certain nombre de crises économiques dont l’origine était en grande partie exogène. On peut évoquer par exemple l’éclatement de la bulle internet qui a affecté des valeurs technologiques en 2000, ou la crise financière des subprimes en 2008 [1]. La question que nous abordons ici est celle de l’impact de telles crises au niveau régional. Notons qu’en se plaçant du point de vue de ces unités infra-nationales, l’observateur peut éventuellement aussi considérer des crises particulières au pays comme des chocs exogènes – sauf si la région en est un épicentre, par exemple dans le cas d’une restructuration industrielle.
En tout état de cause, les crises sont une occasion de tester la manière dont les économies régionales sont capables de résister à des chocs macroéconomiques. Certaines subissent plus durement la crise que d’autres, ou bien le délai de récupération est plus long : la manière de se remettre de la perturbation dans la période qui suit la crise est une caractéristique régionale importante à analyser. Une typologie régionale peut être mise en évidence en observant le processus enclenché par un choc exogène donné. On peut mesurer le temps nécessaire pour retrouver le niveau d’activité d’avant. Au-delà de cette récupération, on observera également que certaines régions gardent une trace négative durable du choc alors que d’autres rebondissent en entamant un régime de développement plus efficace, via un effet d’apprentissage, une reconversion sectorielle, diverses formes d’innovation, etc., et se retrouvent rapidement à des niveaux d’activité économique supérieurs à ceux d’avant la crise. Ces considérations renvoient au concept de résilience régionale.
Le concept de résilience régionale est présenté dans le cadre de l’économie évolutionnaire par Simmie et Martin (2010). Des auteurs comme Davies (2011) et Giannakis et Bruggeman (2017) ont analysé dans le cas de l’Europe comment les différentes régions réagissent en termes de performances économiques pendant et après les chocs économiques. Le travail présenté ici (Hummler, 2021) cherche à mesurer le phénomène de résilience régionale lors d’évènements majeurs sur la période 1998-2018, en considérant 15 pays européens [2] pour lesquels des statistiques économiques de base comme la valeur ajoutée sont disponibles au niveau géographique NUTS-3. En France, par exemple, cela correspond aux départements, en Allemagne aux Regierungsbezirke. La méthode employée est fortement inspirée d’un travail sur les régions métropolitaines américaines de Hill et al. (2012).
Présentation de l’approche statistique de la résilience
Il s’agit dans un premier temps d’identifier des évènements ayant créé un choc significatif et de mesurer leur impact économique immédiat. On élabore ensuite une méthode pour mesurer la résilience régionale en évitant les perturbations de la mesure que peuvent créer d’éventuelles crises locales (lesquelles doivent donc être repérées). Enfin, on explore les raisons qui font que certaines régions font mieux (ou plus mal) que la tendance générale. Ron Martin et Peter Sunley (2020) ont proposé un concept intéressant de résilience adaptative qui permet de distinguer ce qui relève d’un processus évolutionnaire d’apprentissage de ce qui n’est qu’un simple rebond mécanique après une crise. Dans l’esprit de cette approche dynamique au sens fort du terme, on ne se contente pas de regarder au bout de combien de temps une région récupère son niveau d’activité initial, mais on caractérise la trajectoire d’après crise pour comprendre si et comment le régime de croissance s’est modifié. Les scénarios de résilience utilisés par Hummler (2021) pour caractériser les régions européennes synthétisent une approche déjà développée par les deux auteurs britanniques. L’activité économique est observée sur quatre périodes :
- la période avant le choc où l’on peut constater un certain taux de croissance ;
-
la période de ralentissement (downturn) caractérisée par une rupture significative dans la croissance ;
-
la période de récupération (recovery) où l’on observe habituellement un rattrapage accéléré ;
-
la période qui suit et qui, selon les cas, permet de retrouver la trajectoire d’avant la crise, ou inaugure un nouveau régime de croissance, soit amélioré soit dégradé.
L’objectif de l’étude étant de mesurer et d’interpréter l’effet d’une crise sur la situation économique régionale en termes de bien-être des habitants, avec une définition plutôt économique de ce bien-être, deux critères très classiques de résultat ont été choisis : l’activité économique et l’emploi [3]. Il est intéressant de constater, comme nous allons le voir, que les deux indicateurs de bien-être ne donnent pas les mêmes résultats pour l’analyse de la résilience, d’où l’intérêt de procéder systématiquement aux mesures en activité (selon le critère de la valeur ajoutée régionale, VAR) et en emploi. L’Union européenne fournit ces données [4] avec une certaine robustesse sur la longue période, à un niveau géographique relativement fin (NUTS-3), ce qui autorise jusqu’à un certain point au moins les comparaisons entre pays.
La nomenclature territoriale unifiée NUTS du système statistique européen a l’avantage d’exister sans pour autant résoudre tous les problèmes de comparabilité entre pays membres. Le fait par exemple que le nombre de districts NUTS-3 allemands soit quatre fois supérieur à celui des départements français pose problème. Par ailleurs, ces périmètres dessinent une carte d’Europe qui est une grille géographique d’observation de la réalité de terrain (activités et emplois), mais pas une grille homogène du pouvoir d’action régional. Or la résilience régionale s’interprète différemment selon que les « régions » considérées sont de simples circonscriptions administratives ou des collectivités dotées de compétences significatives et mettant en œuvre des politiques autonomes. Les travaux statistiques réalisés ici ne peuvent pas prendre en considération le caractère plus ou moins décentralisé, voire fédéral, de l’organisation territoriale selon les pays. Cela dit, l’objectif de l’étude n’était pas principalement de faire des comparaisons entre pays, mais de tester des modèles de résilience sur un ensemble de territoires – en l’occurrence 1106 circonscriptions.
Il n’est pas question de rendre compte ici de l’ensemble des résultats – méthodologiques comme empiriques – de Hummler (2021), ni de jeter un regard complet sur la littérature économique dans laquelle s’insère ce travail, mais de donner une idée de la variété typologique des régions européennes, et tenter de dévoiler quelques facteurs généraux expliquant leur plus ou moins grande résilience.
Quelques résultats globaux sur les délais de récupération
En utilisant les données de l’ARDECO sur trente ans, 3447 cas de cycles « choc-ralentissement-récupération » ont pu être observés sur le millier de circonscriptions – en limitant l’étude à ceux pouvant être traités par la méthode employée. Notons qu’on repère plus de chocs d’activité (VAR) que de chocs d’emploi. Dans le cas de la France, de la Belgique et de l’Autriche, il y a particulièrement peu de cas de chocs d’emploi, ce qui s’explique probablement par l’existence de politiques sociales puissantes qui tendent à lisser les courbes de l’emploi. Dans le cas de la France, la spécialisation relative dans l’agriculture contribue peut-être aussi au peu de sensibilité de certaines régions à ce type de cycle.
Une statistique globale intéressante à positionner dès le départ est le temps qui s’écoule entre le début d’un choc et le redémarrage – autrement dit la longueur de la phase de ralentissement. C’est un premier indicateur de résilience. Sur le total des cas, on observe en moyenne 3,26 ans pour les chocs d’activité et 3,43 ans pour les chocs d’emploi. Mais les chiffres varient beaucoup d’un pays à l’autre, puisque, dans le cas de l’activité, la Grèce affiche un délai de 8 ans, l’Irlande 6 ans, l’Allemagne et le Royaume-Uni 3 ans, et la France 2 ans.
Une manière plus sophistiquée de mesurer la résilience consiste à calculer un délai de retour à une trajectoire de croissance comparable au régime d’avant la crise. Là, tout dépend du choix de modèle, mais en gros, on peut faire le constat qu’en 4 ans les chocs semblent effacés dans 81 % des cas pour la production (VAR) et dans 71 % des cas pour l’emploi. Les différences entre pays sont significatives : le retour à la trajectoire de croissance de l’activité est assuré en 4 ans dans tous les cas régionaux danois et dans 92 % des cas allemands ; contre 77 % en France et 69 % au Royaume-Uni. La résilience régionale dépend donc nettement de l’organisation nationale.
Vers une analyse plus précise des scénarios de résilience
Les travaux dans le domaine de la résilience régionale, en particulier ceux de Ron Martin et Peter Sunley (2020), incitent à travailler ce concept en termes de modèle de croissance. Quel que soit le critère de performance considéré (VAR ou emploi) la résilience régionale est caractérisée de la manière suivante, en distinguant 5 scénarios possibles (Graphique 1) :
- (a) Performance inchangée (la région est un adequate performer) : les valeurs du critère sont les mêmes que celles extrapolées à partir de la trajectoire d’avant crise (cette dernière étant ainsi considérée comme un contre-factuel [5]) lorsqu’on est en quatrième phase, c’est-à-dire à l’issue de la récupération. Tout se passe, quelques années après, comme s’il n’y avait pas eu de crise.
-
(b) Sous-performance stable (stable underperformer) : la région retrouve une trajectoire de croissance de même pente, mais en dessous de la trajectoire contre-factuelle ; autrement dit, les valeurs du critère sont inférieures à ce qu’elles auraient été sans la crise, mais ce déficit de performance est stable ce qui montre que le modèle de croissance n’a pas été affecté dans sa nature. On a seulement perdu du temps dans le développement économique.
-
(c) Sous-performance déclinante (declining underperformer) : les valeurs du critère sont inférieures à ce qu’elles pourraient être et, en plus, le modèle de croissance est dégradé (taux inférieur à la situation d’avant la crise).
-
(d) Sur-performance stable (stable overperformer) : les valeurs sont supérieures au contre-factuel, mais dans le même régime de croissance. Une fois le ralentissement puis le rebond passés, la situation revient à la normale. Tout se passe comme si la crise avait fonctionné comme un stimulant ponctuel.
-
(e) Sur-performance stimulée (growing performer) : la nouvelle trajectoire est au-dessus de l’ancienne, avec un taux de croissance supérieur. La crise a donc été l’occasion de produire un modèle de croissance plus efficace. C’est mieux que de la résilience, c’est une forme de créativité où la crise est l’occasion de régénérer le modèle régional. Une interprétation schumpétérienne de cette créativité enclenchée par la crise est même envisageable si la sur-performance s’observe sur une durée relativement longue.
Graphique 1 : Les scenarios de résilience selon Martin et Sunley (2020)
La construction de deux indicateurs de résilience
Parmi les indicateurs possibles pour mesurer la résilience des régions de notre échantillon, nous en proposons deux. Le premier consiste à faire le point, quelques années après le choc (de manière systématique nous avons choisi un délai de 4 ans) pour voir si l’économie régionale s’est rétablie et à quel niveau par rapport à la situation précédent la crise. Cet indicateur cerne une capacité de rebond relativement ponctuelle. Le second correspond à un modèle plus dynamique, à une approche de la résilience durable, puisqu’on mesure une capacité de retour à la trajectoire de croissance d’avant crise et non à un simple niveau du critère mesuré.
-
Le premier indicateur, où l’on observe le retour au niveau d’avant la crise peut s’appliquer aussi bien au critère d’activité (VAR) qu’à l’emploi. On compare le niveau effectif du critère à celui du scénario contre-factuel (sans la crise). Pour donner une idée de la situation observée en moyenne sur l’échantillon, ce décalage est de −8 % pour le niveau d’activité et de −11 % pour l’emploi. Mais derrière ces moyennes, une grande diversité existe. Ainsi, une des circonscriptions d’Ecosse atteint le chiffre record de +90 % d’emploi. On sait qu’elle a sur-compensé par des énergies renouvelables les pertes dues à l’industrie classique. C’est en Allemagne (dans la Ruhr) que l’on trouve une circonscription affichant l’indice relatif négatif le plus important : −72 %. Elle a accumulé de nombreuses fermetures d’établissements, comme par un effet de dominos.
-
Le second indicateur mesure le retour à la trajectoire de croissance d’avant crise. Pour ce faire, c’est la moyenne des taux de croissance sur 4 ans pendant la période de récupération qui est comparée au contrefactuel. Il est intéressant de comparer les cartes des régions d’Europe de ces deux points de vue complémentaires, celui du rebond ponctuel et celui du retour à une trajectoire de croissance.
La Carte 1 est relative au premier critère, le plus ponctuel, appliqué à la VAR. Comme indiqué, les pourcentages correspondent à la différence entre le « réalisé » et le « contrefactuel » (comme s’il n’y avait pas eu la crise).
Carte 1 : Niveaux de récupération après un choc d’activité
Source : Hummler (2021), p. 123.
On peut constater l’importante disparité régionale dans la plupart des pays (à l’exception de la France). Un autre résultat très visible est que les régions grecques et irlandaises sont particulièrement affectées par les crises.
Il est intéressant d’observer que, pour la plupart des pays, on ne retrouve pas les typologies régionales habituellement soulignées, sauf dans le cas de l’Italie où les fragilités du mezzogiorno sont clairement visibles. En revanche, l’ancienne Allemagne de l’Est est très partagée entre des districts résilients et d’autres qui le sont moins. Il ne ressort pas de la lecture de la carte une caractérisation globale de cette zone, comme c’est souvent le cas pour d’autres caractérisations socio-économiques (revenus, valeurs foncières, chômage, etc.).
En France, au vu de la carte, les situations régionales paraissent assez proches et homogènes. Peu de départements apparaissent fortement fragilisés par les crises, et surtout leur liste ne correspond à rien de particulièrement attendu : on y trouve le Haut-Rhin qui est un territoire historiquement meurtri par la désindustrialisation, mais aussi l’Isère qui figure ordinairement parmi les « territoires qui gagnent », en compagnie de deux départements ruraux plutôt en déprise comme la Creuse et la Haute-Saône. Cette liste est surprenante par son hétérogénéité. Il existe cependant des explications, mais il faut rentrer dans le détail de l’historique des crises pour bien comprendre. Ainsi, l’Isère a connu deux évènements, en 1993 et 2009, avec une bonne performance dans le premier cas et une moins bonne dans le second. La mesure indiquée constitue une moyenne des deux. Par ailleurs, il faut comprendre que de bonnes performances à long terme sont compatibles avec des résiliences médiocres mesurées à moyen terme (il semble que ce soit le cas de l’Isère à la suite du second choc, si l’on étend l’observation sur une décennie).
La Carte 2 utilise le critère de résilience durable. Les typologies régionales varient entre les deux cartes. Ainsi, le contraste entre le Nord et le Sud de l’Italie est moins marqué. Les départements français qui se distinguent de la moyenne, en positif comme en négatif, ne sont pas les mêmes – bien que l’Isère, la Haute Saône et la Creuse se retrouvent à nouveau dans la liste des moins résilients. La côte Est de la république d’Irlande change de type. On observe aussi quelques changements significatifs dans le Sud-Est de l’Espagne.
Pour approfondir l’analyse territoriale, il faudrait faire des études monographiques par région, ce qui n’est pas l’objectif du présent article. En revanche, on peut conclure sur l’intérêt méthodologique de faire une distinction entre une approche « ponctuelle » et une approche « durable » de la résilience régionale. Soulignons que d’une manière générale les politiques de développement des territoires ne tiennent pas compte du tout du concept de résilience, ou du moins les analyses se contentent d’une appréciation subjective évoquant « les régions qui gagnent » (… et les autres), comme si cette typologie était établie pour toujours.
Carte 2 : Niveaux de rattrapage de la trajectoire après un choc d’activité
Source : Hummler (2021), p. 124.
Conclusions et perspectives
Sur l’échantillon de 1106 circonscriptions NUTS-3, on observe moins de cas de chocs d’emploi (1455) que d’activité (2422), ce qui traduit certainement l’efficacité des politiques protectrices de certains pays. Mais quand ils ont lieu, la résilience face à ces chocs d’emploi semble plus difficile. La moyenne de temps de retour à la trajectoire d’avant choc est en moyenne de 3,3 années contre 2,4 années en activité. On peut faire une observation semblable en mesurant le délai avant redémarrage (de t1 à t2 sur le graphique 1) : 2,15 années en emploi contre 1,79 en activité.
Hummler (2021) réalise une série de tests économétriques pour voir quelles variables influencent le plus la résilience. L’effet le plus net est relatif au pays. Ainsi, par-delà la variété régionale, les contextes et politiques nationales semblent avoir un effet déterminant. Une autre variable macroéconomique joue beaucoup : la productivité du travail (mesurée comme le PIB par heure travaillée). Mais il s’agit aussi d’un critère assez fortement caractéristique des pays.
On aurait pu s’attendre à ce que le degré de spécialisation sectorielle joue sur la résilience [6]. En effet une région très spécialisée risque de vivre plus durement les crises qu’une région capable de compenser les difficultés entre secteurs. C’est en effet ce que l’on constate, mais pas de manière très marquée et uniquement sur l’activité. Il en va de même pour la typologie urbaine ou rurale des régions qui logiquement devrait constituer un contexte influent sur le type de résilience, mais l’analyse économétrique ne fait pas ressortir cette caractérisation régionale de manière très forte.
Dernière observation quelque peu contre-intuitive : les capacités innovantes des régions devraient logiquement favoriser la résilience, or ce n’est pas le cas. Il est possible que les indicateurs utilisés soient trop simples. Le travail économétrique a été fait sur les variables disponibles qui sont les dépenses de R&D et les effectifs de chercheurs. Mais l’innovation n’est pas qu’une question de recherche. Il faudrait reprendre ce type d’études sur la résilience face à des chocs macroéconomiques avec des indicateurs plus fins comme la capacité entrepreneuriale des territoires, l’attitude face au risque, et d’autres facteurs culturels favorables au rebond lors d’une crise par la créativité économique et sociale. Notons toutefois que le travail présenté ici est volontairement limité à la mesure de cycles choc-récupération-résilience sur quelques années. On peut parler de modélisation à moyen terme, alors que les cycles d’innovation s’inscrivent dans le long terme.
Le travail doctoral qu’exploite le présent article comprend une vision d’économie évolutionnaire par la caractérisation des types de fonctionnement systémique des territoires, sans pour autant atteindre la dimension temporelle de modèles de type schumpétérien. Quelques tests économétriques qui ne sont pas cités dans Hummler (2021) laissent toutefois entrevoir des recherches ultérieures intéressantes à mener – sur un nombre réduit de pays pour des raisons de disponibilité des données sur le long terme. On a montré que les efforts de R&D des régions pendant la crise n’ont pas d’impact significatif sur leur résilience, mais sur quelques régions testées pour lesquelles on a l’information à long terme, il apparaît que celles qui ont anciennement fait des investissements importants en recherche (et en éducation tertiaire) sont plus résilientes que la moyenne. Bien caractériser les territoires correspondant au cas « e » du graphique 1 supposerait de travailler sur des données longitudinales avec un plus grand recul temporel.
En termes de perspectives de recherches futures, il serait important aussi d’étendre le concept de résilience à des critères plus étendus que les variables classiques que sont le PIB et l’emploi. Rappelons que le concept de résilience a été conçu à l’origine pour intégrer des dimensions extra-économiques (sociales, écologiques, organisationnelles…) des territoires impactés par un évènement accidentel. Le travail que nous venons de présenter constitue ainsi une première étape, en militant pour l’intégration d’un nouvel indicateur dans le diagnostic socio-économique territorial des régions, qu’il faudrait compléter par des considérations plus étendues en matière de bien-être. Bourguignon (2011, p. 7) affirme : « le PIB d’un pays peut croître sans que la santé, l’éducation ou les situations de pauvreté n’évoluent positivement. Pourtant, c’est bien le PIB, et cette statistique seule, qui continue de monopoliser l’attention publique ». Il revient aux chercheurs de faire évoluer cette situation, bien que la disponibilité très inégale des statistiques rende la tâche difficile.
Références bibliographiques
Bourguignon F. (2011), « Introduction », Revue d’économie du développement 19/2-3, 7-11.
Davies S. (2011), « Regional resilience in the 2008-2010 downturn : comparative evidence from European countries », Cambridge Journal of Regions, Economy and Society 4(3), 369-382.
Giannakis E. et Bruggeman, A. (2017), « Determinants of regional resilience to economic crisis : a European perspective », European Planning Studies 28(8), 1394-1415.
Hill E, St Clair T., Wial H., Wolman H., Atkins P. et Blumenthal, P. (2012), « Economic shocks and regional economic resilience », in Margaret Weir et al. (eds), Urban and regional policy and its effects, Vol. 4, Washington DC : Brookings Institution Press, 193-274.
Kubrak C. (2013), « Concentration et specialisation des activités économiques : des outils pour analyser les tissus productifs locaux », Document de Travail H2013/01, INSEE/PSAR Etudes économiques régionales. Paris : Institut national de la statistique et des études économiques.
Hummler A. (2021), Regional Economic Resilience in Europe : 1988-2018, Thèse de sciences économiques, École doctorale Augustin Cournot, Université de Strasbourg.
Martin R. Et Sunley P. (2020), « Regional economic resilience : evolution and evaluation » in G. Bristow & A. Healy (eds), Handbook on regional economic resilience, Cheltenham, UK : Edward Elgar Publ., 10-35.
Simmie J. et Martin R. (2010), « The economic resilience of regions : towards an evolutionary approach », Cambridge Journal of Regions, Economy and Society 3(1), 27-43.
[1] La pandémie qui a frappé la planète à partir de 2020 fait bien entendu partie de tels chocs exogènes (au sens macroéconomique), mais nous n’avons pas assez de recul pour en analyser complètement l’impact.
[2] Il s’agit globalement des pays ayant adhéré de longue date à l’Union et pourvus de collectivités régionales.
[3] Cette approche peut être jugée trop restrictive en négligeant divers aspects qualitatifs du bien-être comme les inégalités ou la qualité de l’environnement, mais il est important de commencer déjà l’analyse de la résilience en utilisant les données économiques de base.
[4] Les données utilisées pour tester les modèles de résilience régionale sont celles de l’ARDECO (European Commission’s Annual Regional Database for Regional and Urban Policy).
[5] A l’instar des tests statistiques réalisés en sciences de la nature ou en médecine, la démarche adoptée ici met en œuvre une comparaison entre évolution constatée et évolution « comme si le phénomène étudié n’avait pas eu lieu ».
[6] Claire Kubrak (2013, p.7) note que « la spécialisation de l’activité économique dans quelques secteurs renseigne sur les risques d’un choc sectoriel dans les domaines considérés ». Toutefois, sa carte des coefficients de concentration départementaux (p. 29) fait clairement apparaître des indices plus faibles dans la moitié sud du pays (en-dessous d’une ligne allant de la Vendée à la Savoie), alors que cette structure ne se retrouve pas du tout sur notre carte des résiliences.
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