Mesure(s) de l’innovation : méthodologie et principaux indicateurs méthodologiques

Francis Munier, Université de Strasbourg (BETA).

L’Union européenne mène une politique volontariste en matière d’élaboration d’indicateurs fiables et homogènes de l’innovation. La difficulté pour élaborer des mesures de l’innovation réside essentiellement dans la nature transversale de celle-ci et dans les différences des systèmes nationaux d’innovations des pays européens. La mise en place d’une enquête commune apporte une certaine homogénéisation et offre ainsi la possibilité de comparer la position des pays dont nous donnerons ici les principaux indicateurs.

Mots-clefs : économie de la connaissance et de l’innovation , innovations technologiques, politique de recherche et d’innovation, recherche et développement (R&D).

Citer cet article

Francis Munier « Mesure(s) de l’innovation : méthodologie et principaux indicateurs méthodologiques », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 6, 20 - 21, Été 2002.

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La difficulté à mesurer l’innovation

Force est de constater que les indicateurs en matière d’innovation font l’objet de recherches importantes tant il est difficile de construire un indicateur suffisamment homogène et générique. S’agissant des inputs, certains biais apparaissent pour les deux mesures les plus utilisées (nombre de chercheurs et dépenses de R&D). L’emploi assigné à la recherche est assujetti à des erreurs statistiques pour deux raisons. D’une part, ces emplois ne sont pas homogènes. Les techniciens aussi bien que les chercheurs participent à l’effort de recherche alors que seuls les chercheurs sont le plus souvent inclus dans cette catégorie. D’autre part, d’autres facteurs que les effectifs "recherche" interviennent dans le processus d’innovation. L’investissement matériel, les personnels autres que ceux de la recherche, les politiques mercatiques de l’innovation, la formation du personnel, etc. sont autant de facteurs associés au processus d’innovation. Les dépenses de R&D apparaissent, a priori, comme une mesure plus neutre, mais pas exempte de défauts. Comme précédemment, elles ne reflètent que partiellement l’ensemble des efforts consacrés à la recherche. Tout d’abord, la recherche informelle (non comptabilisée et donc difficilement identifiable) n’est pas négligeable, même pour des entreprises possédant un laboratoire. Cette limite apparaît aussi avec la difficulté de saisir de manière comptable et financière l’ensemble des dépenses assignées à la R&D formelle. Ensuite, la R&D comporte un "R" et un "D" qu’il est d’ordinaire difficile de distinguer.

Des remarques analogues peuvent être faites à l’égard des mesures de l’output de l’innovation. Concernant les dépôts de brevets, deux phénomènes majeurs sont à l’origine de biais. D’une part, la valeur économique des brevets est différente selon que l’on commercialise ou non l’innovation issue de l’invention brevetée. D’autre part, il est reconnu que la propension à breveter est différente selon les secteurs d’activité et selon les entreprises. À cela s’ajoutent des problèmes de mesure liés à une propension plus grande à breveter les produits que les procédés. De surcroît, le nombre de brevets est principalement un indicateur de l’invention.

Une volonté d’harmonisation européenne

En Europe, la volonté d’harmonisation et d’élaboration d’indicateurs fiables s’est traduite par la mise en place d’une enquête communautaire sur l’innovation (CIS). Celle-ci fait partie en France de trois enquêtes réalisées en 1993 par le SESSI (Service des Statistiques Industrielles du Ministère de l’Industrie). Les deux autres enquêtes ont pour thème l’appropriation technologique et l’organisation des entreprises. Le questionnaire CIS est fondé sur le manuel d’Oslo établi par l’OCDE. Depuis 1991, plusieurs pays européens ont ainsi réalisé des enquêtes similaires. Les entreprises sont interrogées sur :

  • les objectifs de l’innovation poursuivie ;
  • les sources internes et externes de l’innovation ;
  • les moyens d’acquisition des technologies utilisées ;
  • les moyens de diffusion des technologies utilisées ;
  • les partenaires pour travaux de R&D ;
  • les motivations de telles relations en R&D ;
  • la part dans le chiffre d’affaires et dans les exportations des produits innovants de moins de trois ans d’âge ;
  • les projets d’innovation pour les trois années à venir.

La Communauté Européenne a également lancé un important programme de recherche, dans le cadre du 5ème PCRD (2000), avec pour objectif d’accroître le potentiel humain et la base de connaissances socio-économiques en Europe. Pour mettre en œuvre cette politique d’action il convenait de construire une base commune d’indicateurs sur la science, la technologie et l’ innovation. Cette volonté d’harmonisation devrait conduire à l’élaboration d’un tableau de bord de l’innovation.

Ce tableau présente dix-huit indicateurs significatifs du développement de l’innovation technologique en quatre rubriques : nouveaux capitaux, nouveaux entrepreneurs et nouveaux emplois, nouvelles technologies, nouveaux usages. Pour chacune de ces rubriques un indicateur clé a été sélectionné. Un indicateur d’ensemble fait apparaître les évolutions du chiffre d’affaires des secteurs innovants, principalement les secteurs liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC), les biotechnologies et les nouveaux matériaux. Un ensemble de critères a présidé au choix de la batterie d’indicateurs qui constitue le « Tableau de bord de l’innovation » :

  • la pertinence d’indicateurs représentatifs du développement de l’innovation technologique tant en termes d’efforts que de performances, illustrant correctement les quatre rubriques principales retenues ;
  • la disponibilité d’indicateurs pour lesquels il est possible de rassembler des séries historiques significatives et d’assurer un suivi semestriel à l’avenir, la possibilité d’obtenir, avec un décalage suffisamment court lors de chaque mise à jour, les données semestrielles nécessaires à l’alimentation du tableau de bord.

Les principaux indicateurs de l’innovation en Europe (Source : Observatoire des Sciences et techniques (OST), 2000)

Dans l’Union européenne, 144 milliards d’euros sont consacrés à la Recherche et développement (R&D) en 1996. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni effectuent respectivement 30%, 21% et 16% de la R&D européenne. Rapporté au PIB, l’effort de la France est voisin à celui de l’Allemagne (2,3%) et est supérieur à celui du Royaume-Uni (1,9%). La Suède, avec 3,6% de son PIB consacré à la R&D est le premier pays européen.

En 1996, le financement public civil est de 43,3 milliards d’euros et le financement militaire de 9,9 milliards d’euros. Le Royaume-Uni, la France et la Suède consacrent respectivement 40,9%, 32,4% et 22,5% de leurs financements publics à la recherche militaire, alors que l’Allemagne et l’Espagne en consacrent 10%, l’Italie 5% et les Pays-Bas seulement 3%.

Pour la R&D industrielle, l’Allemagne représente à elle seule 34,7% de cette R&D dans l’Union européenne. La France y représente 19,4% et le Royaume-Uni 14,5%. Rapporté à la dépense totale de R&D, les pays européens peuvent être divisés en deux groupes. Le premier concerne les pays où les entreprises financent 60% et plus de la R&D totale : Suède, Belgique, Irlande, Finlande, Allemagne. Le second groupe, où la part n’est que de 45% à 50%, les pays sont la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne.

En 1997, l’Allemagne dépose près de trois fois plus de brevets que la France ou le Royaume-Uni, respectivement 40,1% contre 15,7% et 14,3% en part européenne des dépôts auprès de l’Office Européen des dépôts. En rapportant la production technologique au PIB, la Suède et la Finlande ont la plus forte densité technologique, respectivement 248 et 202 (densité moyenne de l’Union européenne est de 100). L’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas affichent une densité respectivement de 165, 124 et 116 alors que la France et le Royaume-Uni ont une densité de 94 et 93.

Pour aller plus loin :

Pierre Papon (2001), L’europe de la Science et la Technologie, Presse Universitaire de Grenoble.
Site : http://www.iseg.utl.pt/cisep/converge/

Droits et Permissions

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