Editorial − L’Union européenne face aux crises
Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)
Les deux grandes crises mondiales de ces quinze dernières années, la crise financière des subprimes et la crise sanitaire de la Covid-19, ont influencé d’une façon importante la conception et la gestion de la politique menée par les banques centrales. Une nouvelle crise s’est déclarée récemment dans l’espace européen. Elle résulte du conflit russo-ukrainien qui a obligé l’Ukraine à réduire sa capacité de fournir des produits agricoles à l’UE et qui a empêché la Russie de fournir l’énergie indispensable à l’UE du fait des sanctions qui lui ont été imposées.
Mots-clefs : COVID-19, crise des subprimes, guerre en Ukraine, Politique agricole commune (PAC).
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Gilbert Koenig « Editorial − L’Union européenne face aux crises », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 47, 1 - 4, Hiver 2022.
Les deux grandes crises mondiales de ces quinze dernières années, la crise financière des subprimes et la crise sanitaire de la Covid-19, ont influencé d’une façon importante la conception et la gestion de la politique menée par les banques centrales. Une nouvelle crise s’est déclarée récemment dans l’espace européen. Elle résulte du conflit russo-ukrainien qui a obligé l’Ukraine à réduire sa capacité de fournir des produits agricoles à l’UE et qui a empêché la Russie de fournir l’énergie indispensable à l’UE du fait des sanctions qui lui ont été imposées. De ce fait, l’UE a été obligée d’adopter des mesures destinées à rendre son économie moins dépendante des pays non-européens. Les quatre articles de ce numéro proposent d’apporter leur éclairage sur les principaux aspects de ces crises et sur les réactions politiques qu’elles ont suscitées.
La crise financière des subprimes a entraîné une plus grande instabilité financière ce qui n’a pas seulement mis en cause le bon fonctionnement du système financier, mais cela a également influencé négativement l’économie réelle. De ce fait, la stabilité financière est devenue un objectif principal de la régulation financière et l’accord de Bâle III a introduit la politique macroprudentielle pour traiter spécifiquement les risques systémiques pouvant générer une instabilité financière. Cette politique macroprudentielle est menée en général en relation avec la politique monétaire par les banques centrales, notamment en Europe. Mais il n’y a pas de consensus sur la définition de la stabilité financière, ce qui peut amener chaque pays à adopter une définition propre. Cela rend difficile la comparaison des mesures de la stabilité financière sur le plan international. De ce fait, le FMI a construit les indicateurs de solidité financière qui sont calculés de façon standard selon des règles, ce qui permet une comparaison au niveau international. Z.Y. Gürbüz propose dans son article de montrer les forces et les faiblesses du système financier de la zone euro à partir des indicateurs du FMI. Les résultats obtenus pourraient permettre à la BCE de mieux orienter ses mesures macroprudentielles et monétaires destinées à assurer une plus grande stabilité financière
La crise sanitaire de la Covid diffère de la crise des subprimes par plusieurs caractéristiques et incidences sur la politique monétaire, comme le montrent G. Semedo et T. Yabré dans leur article. En effet, la crise sanitaire est d’origine sanitaire et non financière. De ce fait, elle impacte directement le marché des biens et des services, notamment à cause des mesures de confinement qui réduisent l’emploi et la consommation. Ces effets se propagent ensuite sur les autres marchés, notamment sur les marchés financiers, ce qui la différencie de la crise des subprimes qui prend sa source dans le secteur financier pour se propager dans les marchés de biens et services et les marchés du travail. Les craintes d’instabilité financière suscitées par la crise de la Covid ont conduit à des réactions nouvelles des autorités monétaires et budgétaires. G. Semedo et T. Yabré décrivent ces réaction et les comparent. Ils montrent qu’alors que la BCE a réagi à la crise des subprimes par une politique monétaire conventionnelle utilisant surtout le taux d’intérêt directeur et les facilitations de refinancement, elle a innové face à la crise de la Covid par la politique non conventionnelle de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) consistant à mettre des milliards d’euros à la disposition de l’économie afin de permettre aux ménages et aux entreprises de continuer à financer leurs activités à des taux d’intérêt faibles. Sur le plan budgétaire, des plans de relance lancés en réaction à la crise de la Covid ont amplifié les effets de nombreuses mesures budgétaires de soutien adoptées lors de la crise des subprimes.
La politique d’assouplissement quantitatif s’est révélée peu efficace pour augmenter le financement de l’activité économique car, malgré la hausse importante des liquidités fournies par cette politique aux banques commerciales, celles-ci n’ont pas augmenté d’une façon importante les crédits à l’économie. Ces liquidités ont surtout alimenté les marchés financiers. Devant cet échec, les banques centrales des pays développés ont entrepris des recherches pour trouver une méthode permettant aux ménages et aux entreprises d’accéder directement à une monnaie publique, au lieu de se limiter à la monnaie privée créée par les banques commerciales. C’est ainsi qu’est né en Europe le projet de la création d’un euro digital (E- Euro) émis par la banque centrale. Cette monnaie diffère des monnaies électroniques privées, comme le bitcoin, car elle est centralisée et n’a pas besoin d’un blockchain pour assurer sa sécurité. L’article de Ph. Roderweis consacre un développement aux différentes définitions et caractéristiques de cette monnaie, puis il présente les diverses politiques monétaires incluant un E-Euro qui peuvent être envisagées et il montre les différences qui en résulteraient sur le plan des résultats avec une politique sans E-Euro.
A la différence de la crise des subprimes, la crise sanitaire a influencé directement le secteur réel par ses effets sur la croissance et l’inflation. Elle a également révélé une grande dépendance de l’Europe par rapport aux pays non-européens notamment dans le domaine des matières premières et de produits spécifiques, ce qui a entraîné des difficultés importantes dans les secteurs de la production industrielle et de la santé. Les citoyens européens ont pris la pleine conscience de cette dépendance lorsqu’ils ont appris que 80 % des principes actifs de leurs médicaments était produit en Chine et en Inde. Cette dépendance se manifeste également dans beaucoup d’autres secteurs, comme l’énergie et les produits agricoles. Elle a encore augmenté à cause du conflit russo-ukrainien et des sanctions internationales imposées à la Russie. En effet, cela a mis fin aux importations européenne du gaz naturel dont la Russie est l’un des fournisseurs les plus importants, ainsi que des produits agricoles comme les céréales et les oléagineux dont la Russie et l’Ukraine sont les principaux producteurs et fournisseurs de l’Europe. L’article de A. Maddi, C. Monsch et M. Tejada Iraizoz montre comment le conflit russo-ukrainien a influencé le marché agricole européen en perturbant la chaîne d’approvisionnement liant l’Ukraine à l’UE et en induisant une hausse importante non seulement des prix des produits alimentaires en Europe, mais aussi des prix des fertilisants et de l’énergie. L’article s’intéresse particulièrement au marché des huiles végétales. Il décrit ensuite les réactions de l’UE aux effets du conflit sur l’économie européenne en montrant notamment que les perturbations sur le marché agricole et sur le marché de l’énergie ont nécessité des adaptations de la PAC et de la politique européenne de l’énergie. Il s’agit d’assurer la sécurité alimentaires des citoyens, tout en prenant des mesures assurant une indépendance énergétique et la protection de l’environnement.
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