Editorial — La zone euro : se fédérer ou se déliter

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

L’Europe regarde la crise par le petit bout de la lorgnette. Elle se focalise sur les dettes souveraines en pointant la légèreté des pays du sud en matière de finances publiques. Du coup, la solution passe par la mise en place de politiques de rigueur imposées à certains Etats membres comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Mieux, l’Union européenne pense éviter de nouvelles crises en se dotant, à travers le Pacte pour l’euro plus et le Mécanisme européen de stabilité, d’une gouvernance économique présentée comme novatrice et salvatrice.

Mots-clefs : crise de la zone euro, fédéralisme économique, Union économique et monétaire (UEM), zone euro.

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Michel Dévoluy « Editorial — La zone euro : se fédérer ou se déliter », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 24, 1 - 2, Eté 2011.

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L’Europe regarde la crise par le petit bout de la lorgnette. Elle se focalise sur les dettes souveraines en pointant la légèreté des pays du sud en matière de finances publiques. Du coup, la solution passe par la mise en place de politiques de rigueur imposées à certains Etats membres comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Mieux, l’Union européenne pense éviter de nouvelles crises en se dotant, à travers le Pacte pour l’euro plus et le Mécanisme européen de stabilité, d’une gouvernance économique présentée comme novatrice et salvatrice. Mais cette nouvelle gouvernance ne fait que renforcer les règles contraignantes, limiter les marges de manœuvre des Etats et esquiver la question de la solidarité. En réalité, la véritable défaillance est ailleurs : il manque un gouvernement économique pour la zone euro.

Pourtant, beaucoup d’économistes, qu’ils soient libéraux ou interventionnistes, ont insisté, depuis de nombreuses années, sur le fait qu’une monnaie unique ne peut pas fonctionner de façon satisfaisante sans un gouvernement. Selon la logique économique, la zone euro n’est pas un espace où la présence d’une seule monnaie s’impose comme la solution optimale. Précisément, les disparités entre les performances économiques et entre les modèles économiques et sociaux des États membres sont trop importantes pour légitimer une politique monétaire unique et pour se priver des variables d’ajustement que sont les taux de change entre les monnaies. Ou alors, il faut prendre acte de toutes ces différences et se donner des moyens puissants de les réduire rapidement.

A notre connaissance, il existe une seule méthode efficace qui impose une véritable convergence des performances économiques et une homogénéité des structures économiques et sociales : c’est l’appartenance à un même espace politique. Il s’agit par conséquent de construire une forme d’Europe fédérale avec un parlement et un gouvernement unique. Sans cela, la zone euro se maintiendra, comme actuellement, par la contrainte, la surveillance et la suspicion. Nous connaissons le résultat sous nos yeux : les États membres perdent une partie de leur autonomie sans que pour autant l’Europe devienne une puissance ; les citoyens ne parviennent pas à s’identifier à une Europe lointaine qui ne les protège pas assez. Sur le long terme, une telle construction risque de s’effriter.

Margareth Thatcher, premier ministre britannique à l’époque du lancement de l’euro, avait été claire sur ce thème : elle ne voulait pas de l’euro car il impliquerait nécessairement, pour être efficace, une union politique qu’elle ne souhaitait pas. Sans refaire l’histoire, on peut admettre que beaucoup d’Européens plébiscitèrent l’euro en pensant que sa seule présence enclencherait naturellement un processus d’intégration économique et politique croissant. Cela n’a pas eu lieu. Et les options récentes adoptées par l’Union porte à croire que nous n’en prenons pas le chemin. Il faut donc réagir et ne pas se dérober face au fait qu’il n’est pas sage d’avoir une monnaie unique dans un espace hétérogène.

Depuis la création de la monnaie unique, l’Union européenne a choisi d’homogénéiser la zone euro par le bas, c’est-à-dire en imposant un alignement sur des règles communes qui entraînent un retrait du politique. Dans les faits, l’Europe a promu une concurrence entre les États au prix d’un ajustement par les coûts salariaux et du recul de l’État régulateur et protecteur. Avec la crise, l’Europe est restée sur cette même trajectoire. De plus, elle a réagi petitement en laissant se développer les sentiments de défiance vis-à-vis des États en difficulté. Tous ces choix se détournent des ambitions initiales de l’après guerre. Ils éloignent l’Europe de ses citoyens et évitent la lancinante question de l’intégration politique.

Il faut le dire et le répéter sans cesse : la zone euro doit choisir entre se fédérer et se déliter.

Post-Scriptum

Notre Bulletin s’ouvre également à des articles qui s’apparentent à des billets d’humeur (et d’humour). Nous espérons que d’autres collègues, à la suite de Gilles Lambert, viendront nourrir cette rubrique.

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