L’intégration des marchés financiers sous l’influence de l’Euro
Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) et CNRS
L’euro n’est pas le détonateur du processus de l’intégration des marchés financiers européens. Pourtant, il constitue un accélérateur important de ce processus. Le paysage des marchés financiers européens est à redessiner. L’enjeu est énorme et le jeu n’est pas terminé.
Mots-clefs : intégration des marchés des capitaux, marché d’actions, marché obligataire, marchés d’actifs financiers et monétaires, marchés financiers, passage à l’euro et mise en place de l’euro, risque de change, système bancaire et financier.
Citer cet article
Meixing Dai « L’intégration des marchés financiers sous l’influence de l’Euro », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 2, 22 - 24, Été 2000.
L’intégration des marchés financiers européens ne date pas de la création de l’euro. En effet, sous l’influence de la globalisation et en raison de la construction du marché unique en Europe, l’intégration entre les marchés financiers nationaux se développe déjà en Europe depuis de nombreuses années. Il s’agit, d’une part, de l’intégration au niveau de chaque secteur financier (banque, assurance, intermédiation financière, etc...), et d’autre part, de l’intégration des places financières où sont côtés les actifs financiers. Ces marchés de services des capitaux sont caractérisés par des phénomènes d’externalité de réseau, d’asymétrie d’information, et de concurrence imparfaite. L’euro, en éliminant les coûts de transactions liés à l’échange des monnaies nationales,accentue l’effet de l’externalité positive des réseaux financiers puisque le marché naturel devient plus important et facilite la comparaison européenne des coûts de services financiers. Par conséquent, il incite les acteurs financiers européens à capter rapidement les avantages liés à l’effet positif d’un réseau plus important afin de défendre leur position sur le marché ou construire de nouveaux pouvoirs de marché sur un espace financier beaucoup plus vaste que le marché national.
D’une manière générale, l’arrivée de l’euro a bouleversé la donne de concurrence sur ces différents marchés financiers européens. Avant l’arrivée de l’euro, les marchés des actions, les marchés obligataires, les marchés de crédits et de dépôts et les marchés de change sont plutôt nationaux malgré les efforts d’intégration financière depuis l’adoption de l’Acte Unique. Les acteurs tels que les banques, les sociétés d’investissement et les intermédiaires financiers n’ont souvent pas une taille suffisante pour affronter la concurrence et profiter des opportunités sur le grand marché financier dont la création est inéluctable. De même les places financières nationales ne peuvent rester telles qu’elles étaient avant l’arrivée de l’euro.
Alliance et rivalité des places financières nationales et création des places financières européennes
L’intégration conduit logiquement les marchés des actions et les marchés obligataires à se concentrer et les places financières nationales à s’interconnecter pour permettre aux émetteurs, aux acheteurs finaux et aux autres opérateurs d’avoir l’accès à un marché plus large et plus liquide, et d’être mieux informés. Ce processus s’explique par l’existence de rendements d’échelle et des externalités du réseau sur les marchés financiers. L’intégration dans ces marchés devrait se fonder sur deux modèles, c’est-à-dire la coopération et la concurrence. À l’issue de ce processus, certaines places nationales vont être marginalisées voire disparaître.
Marché d’actions
Sur les marchés des actions, la tendance de fond est de créer un marché unifié. Pour l’instant, chaque place financière nationale est relativement autonome et protégée, dans la mesure où l’accès au marché d’un autre pays implique, pour les émetteurs et les acheteurs finaux d’autres pays, des coûts de transaction et d’information plus élevés que sur le marché national.
Un premier mode d’intégration consiste à harmoniser les marchés d’actions nationaux et à les interconnecter, comme illustre l’exemple des Euro Nouveaux Marchés créés dans les cinq pays européens (la France, l’Allemagne, le Pays-Bas, la Belgique, l’Italie). Un second mode est de créer un marché d’emblée européen comme l’EASDAQ. Malgré le fait que le dernier affiche l’ambition de faire coter des sociétés déjà cotées sur les marchés européens réglementés, son statut de marché de valeurs technologiques et de croissance limite son expansion en tant qu’unificateur des marchés des actions européens. Étant donnée l’importance des marchés nationaux existants, l’intégration passe en priorité par des jeux d’alliance et de coopération suivant le mode d’intégration des Euro Nouveaux Marchés. Certaines places (Londres, Francfort) pourraient profiter de leurs situations dominantes pour s’imposer sur le marché unifié des actions. La création de l’Euronext (résultant de la fusion des bourses de Paris, de Bruxelles et d’Amsterdam) ainsi que de l’IX (entreprise créée suite à l’alliance des bourses de Londres et de Francfort) correspond en effet à un état intermédiaire du processus d’intégration des places financières en Europe, car le paysage final devrait être caractérisé par un ou plusieurs grands marchés d’actions qui couvrent toutes les valeurs cotées de l’ensemble des pays de la zone euro. En effet, la rivalité entre ces deux groupements déjà existants et la possibilité d’apparition d’autres groupements ou d’une création d’un marché par des acteurs extérieurs (comme le réseau de transactions électronique européen envisagé par l’alliance entre Tradepoint et la place de Zurich) maintient un certain cloisonnement des places financières européennes. Les émetteurs, les intermédiaires et les acheteurs finaux ont en principe l’intérêt d’avoir un accès à une place financière ouverte à l’ensemble de la zone euro. Or, aucune de ces alliances existantes ne couvre tous les pays de la zone ainsi que tous les compartiments des marchés d’actions (grandes, moyennes et petites sociétés cotées). On constate que Londres n’est pas pour l’instant dans la zone euro, ce qui implique que l’euro n’est pas le facteur déterminant de l’intégration des places financières. Elle peut constituer par contre un facteur important déclenchant le processus de concentration et facilite le mouvement en cours en éliminant les barrières liées à l’existence des taux de changes et les coûts de transactions qui en résultent.
Marché monétaire et obligataire
Les marchés monétaires et obligataires de la zone euro sont en train de connaître un décloisonnement rapide. La concentration des transactions sur les compartiments des produits dérivés (contrats à termes, options) se fait au profit de Francfort notamment en raison de l’avance prise en matière de transactions électroniques ainsi qu’un avantage informationnel dû à la fois à la présence de la Banque Centrale Européenne et à la mobilisation générale de la place financière de Francfort pour se doter des services nécessaires aux transactions financières intra-européennes. La Place de Paris, après avoir perdu une première bataille face à l’alliance de Francfort et de Zurich, n’est pas prête à renoncer son marché à terme (Matif) qui a connu un grand succès dans le passé.
Marché des changes
Sur les marchés de change, l’apparition de l’euro entraîne la disparition des transactions portant sur les parités entre les monnaies nationales de la zone euro.Les transactions sont en train de se réorienter vers les couples dollar/euro et euro/yen ainsi que les parités entre l’euro et des devises des pays « out » (le Royaume Uni, Danemark, la Suède, la Grèce) et des devises d’autres pays (la Suisse, le Canada, etc.). L’arrivée de l’euro ne devrait pas en principe bouleverser la dominance de la City de Londres dans le domaine de change. En effet, la City de Londres est la première mondiale en termes de transactions de devises malgré la faiblesse du rôle de sa monnaie en tant que monnaie internationale.
Les mouvements à venir dans les secteurs de services financiers
Ces changements sur les différents marchés vont entraîner nécessairement la concentration des banques, des assurances, des sociétés d’investissement et des sociétés d’intermédiation financière.
Le secteur bancaire
Concernant les banques, la nécessité de concentration n’est pas uniquement due au changement du secteur financier. En fait, les concentrations dans les secteurs industriel et commercial obligent les banques à augmenter leur taille pour pouvoir accompagner le développement des entreprises plus importantes qui apparaissent avec la création de l’euro et la globalisation en cours. Cependant, la concentration du secteur bancaire est due surtout à la concurrence potentielle sur un marché financier européen unifié. La tendance observée depuis deux ou trois ans est la concentration du secteur bancaire effectuée entre les banques nationales.La concentration transfrontalière n’est pas pour l’instant la tendance dominante. Cependant, tous les acteurs savent, y compris les gouvernements, que la concentration paneuropéenne est inévitable. Quelques banques vraiment européennes vont émerger dans les années à venir.
Le secteur des assurances
Dans le secteur des assurances, la concentration est en avance sur le secteur bancaire. Ceci s’explique non seulement par l’anticipation de l’intégration du marché européen des assurances mais aussi par le mode de mondialisation observé dans ce secteur. En anticipation de l’arrivée de l’euro, le secteur s’est concentré au niveau national par des fusions et acquisitions et au niveau européen par des acquisitions transfrontalières.
Les services d’investissement et d’intermédiation financière
La concentration dans le secteur des sociétés d’investissement et des sociétés d’intermédiation est plus timide si l’on exclut les rachats dans la zone euro effectués par des banques européennes hors de leurs frontières nationales. Ce phénomène s’explique,d’une part, par la taille modeste, et le manque de moyens financiers et de culture européenne des sociétés d’investissement et d’intermédiation, et d’autre part, par le fait que l’intégration complète des marchés financiers ne s’est amorcée que récemment et tout reste à faire. Les banques européennes les plus importantes vont donc jouer un rôle très important dans la concentration des services financiers en raison de leurs moyens et de leur culture financière internationale. Elles sont souvent dotées des filiales spécialisées sur les différents marchés financiers. Elles ont les moyens et l’intérêt de s’étendre sur un marché plus large pour ne pas perdre leur position acquise auparavant sur des marchés cloisonnés. Par conséquent, elles doivent s’efforcer d’offrir à leurs clients plus de sécurité en se dotant des fonds propres plus importants et en offrant plus de produits et de services à travers leur présence dans tous les pays et sur tous les marchés de la zone euro.
Droits et Permissions
Accès libre (open access) : Cet article est distribué selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0.
Le financement du libre accès est assuré par le BETA – Bureau d’Économie Théorique et Appliquée.
Du / des même(s) auteur()s
- Note de lecture de « La gouvernance économique de la zone euro : Réalités et perspectives » , Meixing Dai
- Note de lecture : « Macroéconomie en pratique » de Moïse Sidiropoulos et Aristomène Varoudakis, Meixing Dai
- Le site de l’OPEE a fait peau neuve, Meixing Dai
- Les perspectives d’évolution de la PAC dans les années 2020, Meixing Dai, Anissa Maddi, Clarisse Monsch
- Mentions Légales, Meixing Dai
- La réponse de la BCE face à la pandémie de Covid-19, Meixing Dai
- Note de lecture : « Macroéconomie en pratique » de Moïse Sidiropoulos et Aristomène Varoudakis, Meixing Dai
- Politique macro-prudentielle dans la zone euro, Marine Charlotte André, Meixing Dai
- Le Brexit : quelles conséquences sur les économies britannique et de l’Union européenne ?, Marine Charlotte André, Meixing Dai
- Initiative « une ceinture et une route » : implications économiques pour l’Union européenne, Gengxin Dai, Ke Dai, Meixing Dai
D'autres articles qui pourraient vous intéresser
- La marque européenne sur les conclusions du G20 du 2 avril 2009, Gilbert Koenig
- La grande crise systémique de 2008 : Causes, conséquences et mesures de politique, Meixing Dai
- Une évaluation de la stabilité financière dans la zone euro, Zehra Yeşim Gürbüz
- Éditorial — L’euro est certes {notre} monnaie, Michel Dévoluy, Moïse Sidiropoulos
- Que signifie l’Euro pour les territoires ?, René Kahn
- L’Euro et le Franc CFA, Francis Kern, Claire Mainguy
- Le discours de Monsieur Noyer , Christian Noyer
- Éditorial — L’euro fiduciaire marque le début d’une nouvelle aventure, Michel Dévoluy
- Le big bang monétaire de l’an 2002, Gilbert Koenig
- Du Deutsche Mark à l’Euro : les changements de monnaie en Europe de 1948 à 1998, Gérard Lang
- La mise en place de l’Euro va-elle engendrer des tensions inflationnistes ?, Laurent Gagnol
- La BCE est-elle indépendante de ... la Fed ?, Francesco De Palma, Giuseppe Diana
- La mise en place définitive de l’euro, Gilbert Koenig
- Le taux de change euro-dollar est-il en rupture avec ses fondamentaux ?, Jamel Trabelsi
- L’impact de l’euro sur les marchés financiers, Meixing Dai
- Marchés d’actifs et évolution conjoncturelle de la zone euro, Meixing Dai
- L’UEM face aux déficits publics de ses membres, Gilbert Koenig
- Monnaie Unique : les marchés financiers mettent les dirigeants européens au diapason, Loïc Wagner
- Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont-ils efficaces pour relancer la croissance des crédits et de l’économie ?, Meixing Dai, Fanny Loux
- Les marchés d’action : quelle place pour l’Europe, Patrick Roger
- L’intégration des marchés bancaires en Europe : quel impact ?, Laurent Weill