Le modèle européen d’anticipation des politiques communautaires sur l’emploi
Guy Tchibozo, LISEC UR 2310, Université de Strasbourg
En 2002, la politique européenne de l’emploi a été essentiellement marquée par l’évaluation du processus de Luxembourg. S’en dégage principalement la nécessité d’une coordination renforcée entre la politique d’emploi et les autres politiques communautaires. C’est l’objet du tout nouveau modèle communautaire d’anticipation des effets des politiques sur l’emploi.
Mots-clefs : emploi et chômage, harmonisation des politiques, libéralisation des marchés, marché du travail, politique et stratégie de l’emploi, Stratégie de Luxembourg .
Citer cet article
Guy Tchibozo « Le modèle européen d’anticipation des politiques communautaires sur l’emploi », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 8, 6 - 8, Été 2003.
Au cours de l’année 2002, l’événement majeur de la politique européenne de l’emploi aura été l’évaluation de l’action menée depuis cinq ans. Cette évaluation confirme le rôle central joué par la Stratégie de Luxembourg dans l’harmonisation des politiques nationales d’emploi et dans le traitement du chômage structurel au niveau européen. Elle met aussi en évidence la nécessité de rationaliser le dispositif, notamment par la définition systématique d’objectifs chiffrés et par la mise en place de procédures d’évaluation permanente. Mais la conclusion la plus importante à l’issue de ces cinq années est sans doute la nécessité de renforcer la coordination entre la politique de l’emploi et les autres politiques communautaires.
Le faible degré d’intégration entre la stratégie de Luxembourg et les autres politiques communautaires est évident. Si, au fil du temps, une articulation à peu près claire entre les Grandes orientations de politique économique (qui coordonnent les politiques économiques) et la stratégie européenne pour l’emploi (qui coordonne les politiques d’emploi) a fini par se dégager, il n’en va pas de même entre la politique d’emploi et diverses autres politiques sectorielles susceptibles d’interagir avec elle.
Les politiques relatives à l’entreprise, à la libéralisation des marchés, au développement rural, à l’insertion sociale ou à l’immigration, par exemple, ont des points communs entre elles et avec la politique de l’emploi, mais ne font pas l’objet d’une élaboration et d’une mise en cohérence dans un cadre global. La politique européenne perd donc là des sources de synergie, et encourt de surcroît des risques d’effets contradictoires.
C’est ce déficit d’intégration que cherche à corriger le modèle d’analyse et d’anticipation des effets des politiques communautaires sur l’emploi, présenté par la Commission en août 2002 (Study on the Potential of Community Policies for Employment Promotion).
Le modèle
Issu d’une réflexion de plusieurs mois, le modèle a été élaboré dans le cadre d’un groupe de travail pluridisciplinaire associant notamment des économistes, des sociologues, des politistes et des géographes. Il s’inscrit donc dans une perspective socioéconomique et politique, plutôt que dans une approche de stricte analyse économique.
Le modèle repose sur une représentation assez aisément acceptable du fonctionnement du marché du travail. Le graphique ci-après en donne une version simplifiée. Dans ce cadre, les politiques communautaires influencent l’emploi par leurs dispositions fiscales et réglementaires (au sens large :législatives, administratives, conventionnelles). Les effets de ces dispositions se transmettent par les canaux des mécanismes, opérations et comportements des acteurs du marché du travail. Suivant la politique et le canal concernés, l’emploi est affecté dans sa dimension quantitative et/ou qualitative.
Le cadre d’analyse ainsi établi est sans aucun doute schématique et discutable. Il est aussi incomplet, par exemple parce que l’investissement en capital humain dépend non seulement des charges qui pèsent sur les entreprises, mais aussi des cotisations et prestations de protection sociale des ménages, et de déterminants extra fiscaux comme la politique d’éducation. Le modèle demande en outre à être clarifié sur certains points. Notamment, il introduit la notion de capital social, empruntée à la sociologie, à côté de celle de capital humain, plus familière aux économistes. Le capital social est défini ici comme le réseau de relations qu’un agent peut mobiliser dans ses interventions sur le marché du travail. Il varie suivant les individus, dépend notamment de l’expérience, et peut, comme le capital humain, faire l’objet d’investissement. Mais le lien précis entre prélèvements obligatoires des entreprises et des ménages d’une part, et capital social d’autre part, reste à clarifier, de même que l’influence du capital social sur l’organisation du travail ou sur le revenu des agents.
Le modèle de la Commission est suffisamment général pour appréhender les effets de politiques aussi différentes que les politiques d’insertion sociale et d’environnement. Par ailleurs, il se prête aussi bien à l’analyse rétrospective de politiques passées qu’à l’anticipation des effets de politiques envisagées. A titre expérimental, la Commission l’applique à huit politiques : fonds structurels, recherche et développement, libéralisation des marchés, développement rural, politique d’entreprise, environnement, insertion sociale, transport et énergie. L’application à la politique de libéralisation des marchés en fournit une bonne illustration.
L’exemple de la libéralisation des marchés
La politique de libéralisation des marchés est à l’origine de la construction communautaire. Engagée en 1958 avec l’abaissement des barrières douanières entre les six pays fondateurs de la Communauté, elle s’est poursuivie par la mise en place du marché unique à partir de 1986, puis de l’Union économique et monétaire à partir de 1992, et s’est étendue au rythme des élargissements successifs. Le réexamen des effets de cette politique à travers le prisme du modèle conduit à distinguer deux canaux privilégiés par lesquels s’exerce l’influence de la libéralisation des marchés : la demande de produits et l’offre de travail.
Du côté de la demande de produits, la libéralisation se traduit essentiellement par une levée des barrières douanières qui allège les coûts de transport et de distribution, et par une harmonisation technique, fiscale et réglementaire qui favorise les économies d’échelle, la concurrence, et le co-investissement en recherche et développement. L’effet s’exerce sur la demande intra-communautaire ainsi que sur les exportations de l’Union, et en dernière analyse sur le volume d’emploi.
Du côté de l’offre de travail, la libéralisation se traduit par la levée des contrôles des flux migratoires intra européens, d’où une plus grande mobilité du travail. La mobilité elle-même exerce une double influence : d’une part, elle favorise une meilleure transparence du marché du travail, ce qui oriente et rend plus efficace l’investissement en capital humain, d’où de possibles effets qualitatifs et quantitatifs sur l’emploi ; d’autre part, elle augmente l’offre de travail et de qualifications.
L’approche fournit ainsi une vision globale des canaux spécifiques par lesquels chaque politique communautaire exerce ses effets. Ces effets eux-mêmes peuvent être appréhendés de façon qualitative, ou quantitative lorsque les statistiques disponibles le permettent.
En définitive, bien qu’encore très perfectible, le modèle d’anticipation des effets des politiques communautaires sur l’emploi présente un réel intérêt. C’est tout d’abord un outil intuitif et pédagogique qui offre une vision à la fois synthétique et canonique du marché du travail et des déterminants de l’emploi, et qui peut permettre d’articuler différentes approches du marché du travail. Mais c’est surtout un cadre de réflexion qui peut permettre de comprendre la démarche entreprise par l’Union pour mieux évaluer les effets sur l’emploi de ses politiques, et pour mieux coordonner ces dernières.
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